péninsule des Balkans ou péninsule balkanique
La plus orientale des péninsules de l'Europe méridionale, limitée approximativement au N. par la Save et le Danube.
Elle comprend la Grèce, la Turquie d'Europe, la Bulgarie, la Macédoine du Nord, l'Albanie, la Serbie, le Monténégro, le Kosovo et la Bosnie-Herzégovine. Selon les critères physiques ou culturels retenus pour définir les limites des Balkans, la Croatie (région de montagnes) et la Roumanie (religion orthodoxe, influence ottomane) peuvent parfois être ajoutées à cette liste. En se basant sur une définition large, la péninsule balkanique couvre donc 770 000 km2 (soit 25 % de plus que la surface de la péninsule Ibérique).
C'est une région essentiellement montagneuse (chaînes Dinariques, mont Balkan, Rhodope, Pinde), au climat continental à l'intérieur, méditerranéen sur le littoral. Les vallées (Morava, Vardar, Marica) concentrent, avec les bassins intérieurs (Sofia), la majorité de la population.
1. Un concept polémique
La notion de « Balkans » est un concept géographique hautement polémique. Aujourd'hui, une connotation négative est attachée à ce terme (éclatement, morcellement, instabilité politique, etc.). Durant plusieurs siècles, l'essentiel de la péninsule balkanique a été placée sous domination ottomane : on parlait alors, le plus souvent, de « Turquie d'Europe ». À l'origine, le terme de « Balkans » ne désignait qu'une montagne de l'actuelle Bulgarie, la Stara Planina, que les Turcs appelaient le Kodza Balkan.
Le géographe allemand Johann August Zeune fut le premier, en 1808, à employer l'expression de « péninsule balkanique » (Balkanhalbinsel) pour désigner l'ensemble des possessions ottomanes en Europe. L'usage du terme « Balkans » se généralise au cours du xixe s., avec une lourde charge idéologique.
Alors que l'Empire ottoman – « l'homme malade de l'Europe » – se désagrège peu à peu, les revendications contradictoires des différents peuples autrefois soumis commencent à se heurter, tandis que les grandes puissances de l'époque – en premier lieu l'Autriche-Hongrie et la Russie – jouent chacune la carte de leurs protégés. Les « Balkans » deviennent donc synonymes de complexité nationale, de conflits sans fin, d'éclatement et de morcellement. La « balkanisation » devient la marque identitaire majeure de cette portion d'Europe.
Le concept de « Balkans » est idéologique avant d'être géographique et la Croatie, qui n'a été que partiellement affectée par la domination ottomane, ainsi que la Slovénie, qui en a été épargnée, récusent toute appartenance au monde balkanique, auquel les relie pourtant au moins l'expérience yougoslave du xxe s.
2. Une région de montagnes
À l'ouest, au sud et à l'est, la péninsule balkanique est délimitée par la mer Adriatique, la mer Ionienne, la mer Égée et la mer Noire. Le littoral occidental et méridional est montagneux et très découpé ; il comporte une multitude d'îles sur la côte dalmate et en mer Égée, et plusieurs plaines littorales sur les côtes albanaise (Myzeqe) et grecque (Thessalie, Thrace). En revanche, le littoral de la mer Noire est plus régulier et consiste en une alternance d'estuaires, de plages et de falaises peu élevées. Enfin, au nord, la péninsule balkanique est traversée par la Save (Slavonie) et le Danube (Valachie), au-delà desquels se situent le bassin pannonien (Vojvodine, Transylvanie) et la plaine pontique (Moldavie).
Entourée de mers et de plaines, la péninsule balkanique est avant tout une région de montagnes (elle doit son nom au mot turc balkan, qui désigne une montagne couverte de forêts). Dans sa partie occidentale s'étendent sur un axe N.-O./S.-E. les Alpes Dinariques (Croatie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Albanie), prolongées au nord par les Alpes Juliennes (Slovénie) et au sud par les monts du Pinde (Grèce). Dans sa partie orientale se trouvent les chaînes de la Stara Planina et du Rhodope (Bulgarie, Grèce), orientées d'ouest en est, et prolongées au nord par les Carpates (Roumanie). Ces deux ensembles montagneux sont séparés par les vallées de la Morava et du Vardar, qui constituent le principal axe de circulation à travers les Balkans, reliant Belgrade à Thessalonique. Les montagnes balkaniques sont des montagnes moyennes, d'une altitude variant généralement entre 1 500 et 2 500 m (massif du Rila : 2 925 m, mont Olympe : 2 917 m). Larges et compactes, parcourues de vallées encaissées, ces montagnes restent toutefois difficiles à franchir, ce qui explique le fort morcellement spatial de la péninsule balkanique. Enfin, au → karst (plateau calcaire érodé par les eaux) dénudé du littoral adriatique s'opposent les montagnes boisées de l'intérieur.
La péninsule balkanique se partage principalement en deux zones climatiques, méditerranéenne et continentale. Le littoral bénéficie d'un climat de type méditerranéen (hiver doux et été sec) ; stoppé par les reliefs, il ne pénètre pas à l'intérieur des terres et cède la place à un climat de type continental (hiver froid, été chaud) plus ou moins rigoureux selon les latitudes, l'altitude et l'éloignement des côtes. Par ailleurs, les précipitations sont nettement plus abondantes dans la partie occidentale des Balkans.
3. Une mosaïque de populations
La géographie physique de la péninsule balkanique explique en partie sa géographie humaine. Situés aux portes de l'Orient, entre les rives de la Méditerranée et les plaines de l'Europe centrale, les Balkans ont été le théâtre de multiples invasions et d'incessantes migrations. Paradoxalement, leur relief montagneux a souvent constitué un refuge et a contribué à la préservation des particularismes locaux. Les populations balkaniques se caractérisent donc d'abord par leur extrême diversité.
3.1. Orthodoxie, islam, catholicisme
Sur le plan religieux, les Balkans sont au point de rencontre de l'orthodoxie, de l'islam et du catholicisme. Les orthodoxes – globalement majoritaires (72 % de la population balkanique) – représentent la majorité absolue de la population en Grèce, en Bulgarie, en Macédoine, en Serbie et en Roumanie, et une minorité importante en Bosnie-Herzégovine et en Albanie.
Les musulmans (19 %), majoritaires en Turquie d'Europe, en Albanie et en Bosnie-Herzégovine, sont également présents au Kosovo, en Macédoine, en Bulgarie, en Grèce et en Roumanie.
Les catholiques (8 %) représentent la majorité absolue en Croatie et une minorité importante en Bosnie-Herzégovine, en Roumanie et en Albanie. Enfin, il existe des minorités protestantes en Transylvanie (Roumanie) et en Vojvodine (Serbie), et de petites communautés juives dans toute la péninsule.
3.2. Les groupes de populations
Les peuples balkaniques peuvent être répartis en trois grands groupes. Le premier est constitué par les nations dont l'implantation dans les Balkans est censée remonter à l'Antiquité, à savoir les Roumains (22,5 millions environ), les Grecs (10,5 millions) et les Albanais (5,5 millions). Le deuxième groupe rassemble les Slaves du Sud, arrivés dans les Balkans à partir du vie siècles : Serbes (8,5 millions), Bulgares (7,5 millions), Croates (4,5 millions), Musulmans bosniaques (2,5 millions), Macédoniens (1,3 million) et Monténégrins (600 000). Enfin, un troisième groupe correspond aux populations dont le centre de gravité se trouve en dehors des Balkans, à savoir les Turcs (8 millions) et les Hongrois (2 millions) principalement. Présents dans l'ensemble des Balkans, les Valaques (appelés aussi Tsintsares ou Aroumains) et les Roms forment deux autres groupes dont les effectifs exacts – plusieurs centaines de milliers d'individus pour les Valaques, plusieurs millions pour les Roms – restent difficiles à estimer.
Pour en savoir plus, voir les articles Albanais, Slaves, Turcs.
Aux xixe et xxe siècles, la constitution des États-nations s'est accompagnée de déplacements massifs de populations, souvent par la force, visant à assurer leur homogénéité. Toutefois, la plupart des États balkaniques comptent encore d'importantes minorités sur leur territoire. La Turquie, la Grèce et la Croatie sont probablement les pays où cette évolution démographique a été la plus radicale : échange des populations grecque et turque en 1924, expulsion des Albanais d'Épire et des Slaves de Macédoine grecque après 1945, exode des Serbes de Croatie en 1995.
Entamé au xixe siècle, l'exode rural s'est accéléré après 1945, entraînant le développement des villes balkaniques. Les deux principales agglomérations restent Istanbul (plus de 10 millions d'habitants en comptant sa partie asiatique) et Athènes (plus de 3 millions), mais plusieurs autres villes dépassent désormais le million d'habitants (Bucarest, Belgrade, Sofia). Seule l'Albanie est restée majoritairement rurale jusqu'à une période récente ; un exode rural massif a cependant commencé en direction de Tirana à partir de 1990. Par ailleurs, d'importantes diasporas d'origine balkanique se sont constituées au cours du xxe siècle en Europe occidentale, en Amérique du Nord et en Australie.
4. Un retard économique persistant
4.1. L'agriculture
La géographie physique de la péninsule balkanique explique aussi certains traits de son économie. Traditionnellement, on distingue trois types d'agriculture : une agriculture de type pastoral dans les montagnes, une polyculture riche et complexe dans les piémonts et sur le littoral, et une agriculture céréalière dans les plaines. La sécurisation et l'assainissement des plaines, d'une part, le développement de l'irrigation et de la mécanisation, d'autre part, ont entraîné à partir du xixe siècle une migration de la population de la montagne vers les plaines. Mais, si certaines régions montagneuses sont désormais désertées (arrière-pays dalmate, Herzégovine, Grèce intérieure), d'autres restent encore très peuplées (Albanie du Nord, Kosovo). Après 1945, la petite propriété privée a été préservée en Grèce et dans l'ex-Yougoslavie (Serbie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Monténégro), alors que les terres étaient collectivisées en Roumanie, en Bulgarie et en Albanie. La décollectivisation des années 1990 s'est soldée soit par un retour au morcellement d'avant la guerre (Albanie, Roumanie), soit par le maintien de grandes coopératives (Bulgarie).
4.2. Les ressources minérales
Dans l'ensemble, la péninsule balkanique est assez pauvre en ressources minérales, malgré l'existence de nombreux gisements de houille et de lignite, l'extraction de pétrole en Roumanie, en Albanie et en Croatie, et l'exploitation de certains minerais (les Balkans recèlent un tiers des réserves européennes de cuivre et les mines de plomb de Trepča [Trepçës], au Kosovo, comptent parmi les plus importantes d'Europe). Cependant, l'hydroélectricité constitue une source importante d'énergie dans la partie occidentale des Balkans et sur le cours du Danube.
4.3. Une industrie inégalement développée…
Les pays balkaniques accusent un retard économique certain par rapport au reste de l'Europe, malgré une industrialisation amorcée dès la fin du xixe siècle et accélérée après 1945. Dans les pays communistes, la planification a favorisé un développement de l'industrie lourde autour des villes principales ou dans de nouvelles régions industrielles (plaines du Danube et de la Marica, littoral de la mer Noire, bassins miniers de Bosnie et de Transylvanie).
En Grèce, en revanche, l'industrialisation s'est faite autour de quelques agglomérations (Athènes-Le Pirée, Thessalonique) liées à des industries porteuses (construction navale, pétrochimie), auxquelles s'ajoutent une multitude de petites entreprises dispersées dans tout le pays. L'industrie touristique s'est développée en Grèce et en Croatie et, dans une moindre mesure, sur le littoral de la mer Noire. Enfin, la marine marchande grecque occupe le troisième rang mondial.
Les écarts de développement entre les pays balkaniques sont importants : le PNB par habitant de la Grèce est comparable à celui du Portugal et de l'Espagne, alors que celui de l'Albanie reste le plus bas d'Europe. Dans les années 1990, les réformes économiques se sont soldées par une récession industrielle en Roumanie, en Bulgarie, en Albanie et en Macédoine, et les guerres yougoslaves ont provoqué une chute brutale de l'activité économique en Serbie et en Bosnie-Herzégovine.
Au cours du xxe siècle, le désenclavement progressif des Balkans est assuré par le développement des réseaux ferroviaire et routier, l'aménagement du Danube et de ses affluents, l'agrandissement des principaux ports (Rijeka, Split et Bar sur la mer Adriatique, Le Pirée, Thessalonique et Istanbul sur la mer Égée, Varna et Constanţa sur la mer Noire) et la construction d'aéroports à proximité des grandes villes.
4.4. … et tributaire de l'Histoire
Entre 1945 et 1990, le partage de la péninsule balkanique entre les deux blocs a constitué un obstacle majeur aux échanges régionaux (isolement de l'Albanie, fermeture de la frontière gréco-bulgare), malgré le maintien de la liberté de navigation sur le Danube et l'amélioration des grands axes routiers et ferroviaires (Zagreb-Belgrade, Belgrade-Skopje-Thessalonique, Belgrade-Niš-Sofia-Istanbul). Après 1990, les échanges entre la Grèce et la Turquie d'une part, la Roumanie, la Bulgarie et l'Albanie d'autre part se sont rapidement développés, Istanbul retrouvant son rôle traditionnel de plaque tournante du commerce régional. Mais les guerres yougoslaves et l'embargo économique contre la Serbie ont gravement perturbé la circulation sur le Danube et les principaux axes terrestres transbalkaniques.
Pour en savoir plus, voir l'article Danube.
5. Le berceau de la civilisation européenne
La péninsule des Balkans est à la fois le berceau de la civilisation européenne (émergence de la civilisation grecque au iie millénaire avant J.-C.) et la dernière partie du continent européen à s'intégrer dans la modernité (création tardive des États-nations balkaniques aux xixe et xxe siècles). Appartenant à l'Europe orientale et orthodoxe, elle est aussi influencée par le catholicisme et l'Europe occidentale d'une part, l'islam et le monde musulman d'autre part. Carrefour des civilisations et périphérie des Empires, elle connaît une histoire mouvementée, marquée par une tension permanente entre forces centripètes et forces centrifuges, ingérences extérieures et résistances locales.
5.1. De la Grèce antique à l'Empire romain d'Orient
La présence de l'homme dans les Balkans remonte au paléolithique, mais la première grande civilisation balkanique est celle des Grecs, dont l'apogée se situe au ve siècle avant J.-C. avec la démocratie athénienne. Divisé en royaumes et en cités, et agité par de multiples guerres et querelles intestines, le monde hellénique parvient cependant à contenir militairement l'Empire perse. Son influence commerciale et culturelle s'étend alors au sud de la péninsule balkanique ainsi qu'aux rives de la Méditerranée et de la mer Noire. En revanche, les peuples de l'intérieur de la péninsule (Illyriens et Daces, ancêtres présumés des Albanais et des Roumains), qui échappent à l'influence des Grecs, sont considérés par ces derniers comme des « barbares ».
Pour en savoir plus, voir l'article Athènes.
Au ive siècle avant J.-C., l'expansion de l'Empire créé par Philippe II de Macédoine et son fils, Alexandre le Grand, déplace le centre de la civilisation grecque vers l'Asie Mineure ; au siècle suivant, la fragmentation de cet Empire en plusieurs royaumes accompagne le déclin de l'hellénisme antique. Paradoxalement, à partir du iie s. avant J.-C., la conquête de la péninsule balkanique par un Empire romain imprégné de culture grecque assure la pérennité de cette dernière, puis sa diffusion à l'intérieur des Balkans, avec l'expansion des provinces romaines jusqu'au Danube (Illyrie, Pannonie, Mésie, Thrace) et au-delà (Dacie). Cette présence romaine dure six siècles et explique que certaines populations de Dacie (Daco-Romains) et du reste de la péninsule des Balkans (Valaques) adoptent la langue latine. Dès le ier siècle, le christianisme atteint la péninsule balkanique. Quand l'empereur Constantin se convertit en 312, les provinces romaines des Balkans sont déjà largement christianisées.
Pour en savoir plus, voir l'article Rome antique.
Le ive siècle est non seulement marqué par l'adoption du christianisme comme religion officielle de l'Empire romain (380), mais aussi par la division de celui-ci entre un Empire romain d'Occident et un Empire romain d'Orient (395), dont la capitale est Constantinople. Alors que l'Empire romain d'Occident se disloque dès le ve siècle sous la pression des invasions barbares, l'Empire romain d'Orient – appelé aussi Empire byzantin – se recentre sur la péninsule balkanique et l'Asie Mineure après la perte de ses provinces italiennes et proche-orientales (vie-viiie siècles). Ce partage politique de l'Europe se double peu à peu d'un partage linguistique (latin contre grec) et religieux, le premier schisme entre Rome et Constantinople éclatant à la fin du ve sièclle et conduisant, six cents ans plus tard, au grand schisme (1054) qui sépare définitivement l'Église d'Occident de l'Église d'Orient, le catholicisme de l'orthodoxie.
5.2. L'Empire byzantin et les Slaves (395-1453)
L'histoire de l'Empire byzantin, qui s'étend sur plus de mille ans (395-1461), est marquée par une alternance de périodes de décomposition et de périodes de recomposition. L'Empire connaît son apogée aux ixe et xe siècles. C'est alors un État puissant, dont la cohésion est assurée par l'idéologie impériale, la religion orthodoxe et le grec comme langue liturgique et véhiculaire. Sa prospérité économique et culturelle est symbolisée par le rayonnement de Constantinople sur l'Europe, le bassin méditerranéen et le Proche-Orient. Mais les querelles théologiques (vie et viiie siècles), les luttes de factions (xie siècles) et les invasions extérieures menacent à plusieurs reprises son existence.
Pour en savoir plus, voir l'article Empire byzantin : histoire.
Située aux confins de l'Europe et de l'Asie, la péninsule balkanique n'échappe pas aux invasions successives de l'Antiquité tardive et du Moyen Âge : Slaves (Serbes, Croates) au vie siècle, Proto-Bulgares au viie siècle, Hongrois au xe siècle, Turcs (Petchenègues, Coumans) aux xie et xiie siècles.
Ces populations développent avec l'Empire byzantin des alliances militaires et des liens d'allégeance complexes. Les Serbes et les Bulgares se convertissent à l'orthodoxie dans la seconde moitié du ixe siècle. Cette conversion passe toutefois par la création de l'alphabet cyrillique et l'adoption du slavon comme langue liturgique, la religion orthodoxe et la culture grecque se retrouvant dès lors dissociées.
Pour en savoir plus, voir l'article religion orthodoxe.
Sur le plan politique, les Slaves peuvent aussi constituer une menace pour l'Empire byzantin. Mettant ses crises à profit, les souverains bulgares et serbes parviennent à créer d'éphémères empires slaves dans presque toute la péninsule balkanique (apogée du premier Empire bulgare au xe siècle, du second Empire bulgare au xiiie siècle, de l'Empire serbe des Nemanjić au xive siècle).
Ces empires rassemblent eux des populations variées : slaves, mais aussi grecques, valaques et albanaises. S'efforçant de reproduire le modèle byzantin, ils se dotent d'Églises orthodoxes autocéphales et leurs souverains se proclament « basileus des Bulgares et des Grecs » (Siméon Ier, 893-927) ou « empereur des Serbes et des Grecs » (Étienne Dušan, 1331-1355), mais ils ne réussissent pas à prendre Constantinople, lieu de repli pour les empereurs byzantins et point de départ de leurs contre-offensives.
Parallèlement, l'Empire byzantin entretient des relations complexes avec l'Europe catholique. Alors que les Serbes et les Bulgares se convertissent à l'orthodoxie, les Croates et les Hongrois optent pour le catholicisme. Le grand schisme n'empêche pas Constantinople de commercer avec les cités de Venise et de Raguse, ni de s'immiscer dans les affaires intérieures du jeune royaume de Hongrie. Mais, à partir de la fin du xie siècle, les Hongrois s'opposent directement aux intérêts byzantins. À l'ouest de la péninsule balkanique, la Hongrie intègre en son sein le royaume de Croatie (xe-xie siècles) et étend son influence au royaume de Bosnie (xiie-xive siècles). À l'est, elle s'empare au xiiie siècle de la Transylvanie (majoritairement orthodoxe) et menace les principautés de Valachie et de Moldavie, vassales de l'Empire byzantin.
De surcroît, l'hostilité entre catholicisme et orthodoxie est attisée par les croisades (xiie-xiiie siècles). Les trois premières croisades ne menacent pas l'Empire byzantin, mais la quatrième (1202-1204) entraîne la conquête des îles grecques par Venise, le sac de Constantinople par les croisés et la création d'un Empire latin de Constantinople au cœur du monde byzantin.
L'Empire byzantin éclate quant à lui en trois royaumes distincts (despotat d'Épire dans les Balkans, empire de Nicée et empire de Trébizonde en Asie Mineure) et ne reconstitue son unité qu'en 1261, grâce à Michel VIII Paléologue qui reprend le contrôle de sa capitale et fonde une nouvelle dynastie, celle des Paléologues.
6. L'Empire ottoman et le millet orthodoxe (1453-1839)
6.1. L'expansion de l'Empire ottoman
Si la prise de Constantinople par les croisés en 1204 symbolise le déclin de l'Empire byzantin, c'est l'Orient musulman qui lui portera le coup de grâce en 1453.
Jusqu'au xie s., en effet, les Byzantins parviennent à contenir les Perses et les Arabes convertis à l'islam. Mais ils plient sous la poussée des Turcs venus d'Asie centrale, et cèdent l'essentiel de l'Asie Mineure à l'État seldjoukide (xie s.) puis, après son éclatement, au sultanat de Rūm (xiie s.). Au xiiie s., la vassalisation de celui-ci par les Mongols se double de l'apparition de multiples émirats turcs autonomes, avec lesquels les Byzantins nouent des rapports économiques et politiques étroits, et sur lesquels ils exercent leur influence culturelle.
L'un de ces émirats, dominé par la dynastie des Osmanlis, connaît à partir du xive s. une expansion territoriale ininterrompue, marquée dans les Balkans par la défaite des armées du prince serbe Lazare Hrebeljanović en 1389 (→ bataille de Kosovo) et par la prise de Constantinople en 1453.
Mettant fin à l'existence de l'Empire byzantin et faisant de Constantinople sa capitale sous le nom d'Istanbul, l'ancien émirat osmanli devient la nouvelle grande puissance de la Méditerranée orientale : l'Empire ottoman. Celui-ci connaît son apogée au xvie s., sous le règne de Soliman le Magnifique (1520-1566) : les Ottomans contrôlent alors non seulement l'Anatolie (Asie Mineure) et la péninsule balkanique, atteignant les portes de Vienne en 1529, mais aussi le Croissant fertile (Syrie, Iraq) et les rives du sud de la Méditerranée (Égypte, Maghreb), de la mer Noire (Crimée) et de la mer Rouge (Hedjaz, Yémen).
Pour en savoir plus, voir l'article Constantinople.
6.2. L'orthodoxie sous les Ottomans
Successeur de l'Empire byzantin, l'Empire ottoman en reproduit certains traits, comme en témoigne la création d'une administration centralisée et d'une hiérarchie religieuse étroitement liées au sultan. La spécificité de cet Empire musulman réside dans la diversité confessionnelle de sa population et, en 1492, il accueille même les Juifs d'Espagne chassés par la Reconquista.
Dans le « pluralisme hiérarchisé » qui caractérise le système politique ottoman, les fonctions militaires et administratives sont réservées aux musulmans ou aux chrétiens convertis à l'islam. Mais une large autonomie administrative et culturelle est accordée aux communautés religieuses (millets). Ainsi, le millet orthodoxe, à la tête duquel se trouve le patriarche d'Istanbul, dispose de ses propres écoles et de ses propres tribunaux, et se trouve désormais protégé de la concurrence catholique.
L'expansion ottomane suscite d'importantes recompositions religieuses et politiques dans la péninsule balkanique. La Russie, convertie à l'orthodoxie en 988, entame son expansion au xve siècle et atteint les frontières de l'Empire ottoman un siècle plus tard. Moscou tente alors de se substituer à Istanbul (ex-Constantinople) comme « troisième Rome ». Mais, dépositaire de l'héritage byzantin et marquée par son statut de millet, l'orthodoxie balkanique conserve ses dynamiques et ses caractéristiques propres. La suppression des Églises autocéphales bulgare (1393) et serbe (1459) renforce encore l'autorité du patriarcat d'Istanbul et permet au clergé grec d'étendre son influence. Ce rôle prépondérant des Grecs n'est du reste pas limité au domaine religieux : les Phanariotes (Grecs du quartier du Phanar, à Istanbul) contrôlent une grande partie du commerce de l'Empire ottoman, et gouvernent même les principautés autonomes de Valachie et de Moldavie au xviiie siècle.
Par ailleurs, la conversion à l'islam de nombreux Albanais et Bosniaques donne aux peuples balkaniques un rôle central dans les élites ottomanes : non seulement les fonctionnaires d'origine albanaise ou bosniaque peuplent les palais d'Istanbul, mais ils sont aussi présents dans les provinces arabes de l'Empire.
7. Le déclin de l'Empire ottoman
7.1. Les xviie-xviiie siècles
La civilisation ottomane est une civilisation européenne à part entière et marque durablement l'histoire des Balkans. Mais, au xviie siècle, l'Empire ottoman entame à son tour un inexorable reflux. Dans les Balkans, il est confronté à deux puissances montantes : la Russie des Romanov et l'Autriche des Habsbourg. À l'ouest, il doit céder la Dalmatie à Venise, et la Hongrie, la Slavonie et la Transylvanie aux Autrichiens. Cette poussée autrichienne prend des allures de Reconquista : les chrétiens de l'Empire ottoman sont incités à se soulever contre les infidèles, et les musulmans sont convertis de force ou chassés des territoires conquis. En 1699, après l'échec du second siège de Vienne (1683), le traité de Karlowitz fixe la nouvelle ligne de partage entre l'Empire ottoman et l'Autriche, dessinant à travers la péninsule balkanique une frontière culturelle appelée à durer. De même, plus à l'est, l'Empire tsariste s'empare des possessions ottomanes sur les rives septentrionales de la mer Noire et se rapproche ainsi des Balkans. La frontière russo-ottomane est établie sur le Dniestr en 1792.
7.2. L'« Homme malade de l'Europe »
À la fin du xviiie siècle, le déclin ottoman s'accélère : les ressources fiscales s'épuisent, les tensions sociales se multiplient, l'appareil administratif et militaire se décompose peu à peu. « Homme malade de l'Europe », l'Empire ottoman devient alors la proie des grandes puissances européennes, qui se posent en protectrices des populations chrétiennes. Celles-ci, soumises à une fiscalité et à une répression de plus en plus sévères, connaissent une agitation croissante.
Les insurrections serbe (1803) et grecque (1821) suscitent ainsi l'intervention des grandes puissances, et conduisent à la création d'une principauté autonome de Serbie (1815) et d'un royaume de Grèce indépendant (1832). Au même moment, les principautés de Valachie et de Moldavie s'émancipent de la domination phanariote (1822) et choisissent un souverain commun (1859), préfigurant le futur État roumain.
7.3. L'éveil du nationalisme
Au xixe siècle, avec un certain retard sur le reste de l'Europe, les Balkans rentrent donc dans l'ère des nationalismes. Sous l'impulsion d'élites intellectuelles imprégnées de l'idéologie des Lumières (→ siècle des Lumières), la cristallisation des identités nationales passe par l'élaboration d'une littérature et d'une histoire nationales, consistant le plus souvent à inventer un passé antique ou médiéval mythique. Sur le plan religieux, elle implique une rupture avec le patriarcat d'Istanbul et la restauration ou la création d'Églises orthodoxes autocéphales. Sur le plan politique, enfin, cet éveil des nationalismes conduit à l'émergence des États balkaniques.
Pour en savoir plus, voir les articles Églises orientales, Empire ottoman.
8. La formation des États balkaniques (1839-1923)
8.1. Crises et guerres des Balkans
La constitution des États balkaniques aux dépens des Empires ottoman et autrichien se réalise en trois phases principales.
8.1.1. De 1839 à 1878
Pendant cette première phase, l'Empire ottoman tente vainement de se réformer (période du Tanzimat, 1839-1876), et l'Empire d'Autriche devient l'Empire austro-hongrois (compromis de 1867), la Croatie obtenant dans la foulée la restauration de son autonomie (1868). En 1876, le soulèvement de la Bulgarie, suivi par l'entrée en guerre du Monténégro, de la Serbie et de la Russie, ouvre la première des crises balkaniques. En mars 1878, en vertu du traité de San Stefano, l'Empire ottoman doit reconnaître l'indépendance du Monténégro, de la Serbie, de la Roumanie et d'une Grande Bulgarie incluant la Macédoine. Mais les pressions occidentales entraînent en juin (→ congrès de Berlin) une redistribution territoriale : la Bosnie-Herzégovine passe sous occupation austro-hongroise, et la Bulgarie est réduite à une modeste principauté autonome ; l'Empire ottoman récupère la Macédoine et la Haute-Thrace (Roumélie-Orientale). En contrepartie, celui-ci cède l'île de Chypre à l'Empire britannique.
8.1.2. De 1876 à 1913
La deuxième phase voit l'extension des mouvements nationalistes à l'ensemble des Balkans. Les nationalismes serbe et croate pénètrent en Bosnie-Herzégovine, et les nationalismes serbe, grec et bulgare se livrent une concurrence acharnée en Macédoine. Les populations musulmanes n'échappent pas à ce phénomène : les Albanais (majoritairement musulmans) entament leur « renaissance nationale » à la fin du xixe siècle, et la révolution « jeune turque » (1908), ultime tentative de réforme de l'Empire ottoman, annonce la naissance d'un nationalisme turc.
C'est dans ce contexte qu'éclatent les guerres balkaniques. Au cours de la première d'entre elles (octobre-novembre 1912), les pays de la région, coalisés, battent l'Empire ottoman, dont les possessions européennes sont réduites à Istanbul et à la Thrace orientale. La seconde guerre balkanique (juin-juillet 1913) oppose les États balkaniques entre eux, la Bulgarie devant abandonner la Macédoine à la Serbie et à la Grèce. Cette dernière annexe également l'île de Crète, autonome depuis 1898.
Le répit entre cette deuxième crise balkanique et la suivante est bref, puisqu'un an plus tard, le 28 juin 1914, l'attentat de l'archiduc héritier François-Ferdinand de Habsbourg à Sarajevo embrase l'ensemble des Balkans et du continent européen, marquant ainsi le début de la troisième et dernière phase.
8.1.3. De 1914 à 1918
La Première Guerre mondiale oppose à nouveau les États balkaniques entre eux, la Serbie, le Monténégro, la Roumanie et la Grèce se plaçant aux côtés des Alliés, pendant que l'Empire ottoman et la Bulgarie se joignent aux forces de l'Entente. En 1916, la Serbie, le Monténégro et la Roumanie sont occupés par les troupes austro-hongroises, et la tentative alliée de prendre le détroit des Dardanelles (avril 1915-janvier 1916) est repoussée par les Ottomans (→ expédition des Dardanelles).
Mais l'entrée en guerre de la Grèce en juin 1917 et l'affaiblissement de l'Entente en 1918 permettent aux armées d'Orient conduites par le général Franchet d'Espèrey de reprendre les Balkans en quelques semaines (expédition de Salonique, septembre 1918).
Pour en savoir plus, voir les articles crises et guerres des Balkans, Première Guerre mondiale,Thessalonique.
8.2. Recomposition des Balkans au lendemain de la Grande Guerre
La Première Guerre mondiale entraîne une nouvelle recomposition des Balkans.
8.2.1. Le royaume des Serbes, Croates et Slovènes
D'une part, elle se solde par la disparition de deux Empires ayant marqué le destin de cette région au xixe s., à savoir l'Empire russe (→ révolutions de février et d'octobre 1917) et l'Empire austro-hongrois (révolution de novembre 1918).
D'autre part, les traités de paix organisent une vaste redistribution territoriale : la Grande Roumanie prend la Bessarabie à l'ancien Empire tsariste et la Transylvanie à l'ancien Empire austro-hongrois, et la Serbie s'unit au Monténégro et aux provinces slaves de l'Empire austro-hongrois pour former le royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Mais il faut attendre plusieurs années, d'autres crises et d'autres guerres, pour que les États balkaniques prennent les contours qu'ils ont encore aujourd'hui.
8.2.2. Proclamation de la république de Turquie
À l'ouest, l'Albanie, indépendante depuis 1912, n'acquiert ses frontières définitives et une certaine cohésion politique que dans le courant des années 1920. À l'est, l'Empire ottoman, occupé par les Alliés, a dans les faits déjà cessé d'exister. En 1920, le traité de Sèvres accorde à la Grèce la Thrace orientale et la région d'Izmir. Mais les Turcs organisent leur résistance sous la conduite de Mustafa Kemal (→ congrès d'Erzurum, juillet 1919), obtiennent la fin de l'occupation alliée en 1920 et remportent la guerre contre les Grecs en 1922.
En juillet 1923, le traité de Lausanne restitue à la Turquie toutes ses provinces anatoliennes ainsi que la Thrace orientale. Le 29 octobre 1923 est proclamée à Ankara la république de Turquie, dernière venue parmi les nouveaux États balkaniques.
9. Diversité et unité des États balkaniques
9.1. Diversité
Apparues entre 1815 et 1924, les nations et les États balkaniques ne sont pas tous construits sur le même modèle. Ainsi, tous les nationalismes de cette partie de l'Europe insistent sur la langue comme fondement de l'identité nationale, mais certaines nations ne s'identifient qu'à une seule religion (Grecs et Bulgares orthodoxes ; Turcs musulmans), quand d'autres sont pluriconfessionnelles (Albanais musulmans, orthodoxes et catholiques ; Roumains orthodoxes et catholiques de rite grec). Le cas des Serbes et des Croates est particulier, dans la mesure où ils parlent la même langue (serbo-croate), mais se différencient par la religion (Serbes orthodoxes et Croates catholiques). Apparu à la fin du xixe s., le « yougoslavisme » aspire par ailleurs à fondre les Serbes, les Croates et les autres Slaves du Sud dans une seule nation yougoslave (de jug, « sud » en serbo-croate). Enfin, au début du xxe s., les Slaves musulmans de Bosnie-Herzégovine ou ceux, orthodoxes, de Macédoine ont encore une identité mal définie.
De même, les États balkaniques se sont formés de différentes manières. Avant 1878, la Serbie et la Grèce expulsent leurs populations musulmanes. Après le congrès de Berlin, les minorités religieuses et nationales sont mieux protégées par les traités internationaux, mais les guerres balkaniques et la Première Guerre mondiale s'accompagnent de multiples massacres et déplacements de population (auxquels s'ajoute, en Anatolie, le génocide arménien de 1915).
Enfin, en 1923, le traité de Lausanne organise un échange massif entre Grecs d'Asie Mineure et Turcs d'Europe.
Dans l'entre-deux-guerres, la péninsule balkanique compte donc deux États-nations pratiquement homogènes – la Grèce et la Turquie –, trois États-nations comptant d'importantes minorités – la Bulgarie (minorité turque), la Roumanie (minorité hongroise) et l'Albanie (minorité grecque) – et un État plurinational – le royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Celui-ci, dirigé par la dynastie serbe des Karadjordjević, est fragilisé par la contestation des nationalistes croates et des irrédentistes bulgares (Macédoine) et albanais (Kosovo). En 1929, le royaume est rebaptisé royaume de Yougoslavie, et le roi Alexandre Ier tente d'imposer à tous ses sujets une identité yougoslave commune. Mais cette tentative unitariste ne fait qu'exacerber les tensions et entraîne l'apparition de mouvements extrémistes croates (Oustachi) et macédoniens (Comitadji).
9.2. Unité
Toutefois, les États balkaniques partagent un certain nombre de caractéristiques communes. Les réformes agraires du xixe et du début du xxe s. provoquent l'apparition d'une classe de petits propriétaires terriens, et expliquent l'importance des partis paysans dans la vie politique de ces pays. Les nouvelles élites nationales encouragent la modernisation économique (développement des réseaux routier et ferroviaire, début de l'industrialisation) et la pénétration de la culture occidentale, symbolisée par l'introduction de la laïcité et par le remplacement de l'alphabet arabe par l'alphabet latin en Albanie (1912) et en Turquie (1924).
Enfin, le développement du parlementarisme est contrecarré par une violence politique persistante, une instabilité gouvernementale chronique et, dans l'entre-deux-guerres, l'apparition de régimes dictatoriaux en Turquie (1920), en Albanie (1928), en Yougoslavie (1929), en Bulgarie (1934), en Grèce (1936) et en Roumanie (1938) – ce qui évoque fortement la situation en Europe centrale (Allemagne, Hongrie…) et méridionale (Espagne, Italie et Portugal).
10. Seconde Guerre mondiale et nouvelle crise balkanique
L'indépendance des États balkaniques ne signifie pas la fin de l'ingérence des grandes puissances dans les Balkans : la France et la Grande-Bretagne s'appuient sur les vainqueurs de la Première Guerre mondiale (création d'une Petite-Entente entre la Yougoslavie, la Roumanie et la Tchécoslovaquie en 1920, et d'une entente balkanique entre la Yougoslavie, la Grèce et la Roumanie en 1934) ; l'Union soviétique encourage la création des partis communistes balkaniques ; l'Italie fasciste et l'Allemagne nazie attisent l'irrédentisme de certains États (Hongrie, Albanie, Bulgarie) ou mouvements politiques (Oustachi croates et Comitadji macédoniens).
10.1. Nouvelle recomposition territoriale
Si les problèmes balkaniques sont à l'origine de la Grande Guerre, ce sont les puissances de l'Axe (Italie, Allemagne) qui, en portant la Seconde Guerre mondiale dans les Balkans, vont provoquer une nouvelle crise et une nouvelle recomposition de cette région.
Dès avril 1939, l'Italie annexe l'Albanie, les autres États balkaniques se réfugiant alors dans une neutralité prudente. Entre avril et octobre 1940, la Roumanie doit céder la Bessarabie à l'Union soviétique, la Transylvanie du Nord à la Hongrie et la Dobroudja du Sud à la Bulgarie, avant de céder aux pressions allemandes et de rejoindre le pacte tripartite (Allemagne, Italie, Japon). Enfin, l'Italie attaque la Grèce en octobre 1940, puis l'Allemagne, la Hongrie et la Bulgarie envahissent la Yougoslavie en avril 1941, en préalable à l'attaque contre l'Union soviétique (juin 1941). Seule la Turquie parvient donc à se tenir à l'écart du nouveau conflit mondial.
Contrôlant en 1941 l'essentiel de la péninsule balkanique, l'Allemagne et l'Italie entreprennent de la réorganiser sous leur contrôle. La Thrace occidentale est annexée par la Bulgarie, et le reste de la Grèce est occupé par les Italiens et les Allemands. Surtout, le royaume de Yougoslavie est rapidement démantelé : un État indépendant croate est créé, englobant la Bosnie-Herzégovine et dirigé par le chef des Oustachi Ante Pavelić, la Slovénie est partagée entre l'Allemagne et l'Italie et la Vojvodine entre l'Allemagne et la Hongrie, le Kosovo est attribué à l'Albanie et la Macédoine à la Bulgarie, le reste de la Serbie est occupé par les Allemands et le Monténégro par les Italiens. La carte des Balkans se trouve ainsi complètement redessinée.
Cette recomposition territoriale se double d'une extermination systématique des Juifs et des Tsiganes (sauf en Bulgarie), à laquelle s'ajoute celle des Serbes dans la Croatie des Oustachi. La Seconde Guerre mondiale est donc l'occasion d'un déchaînement de la violence dans cette partie de l'Europe. Les génocides perpétrés par les nazis et les Oustachi, les représailles allemandes et italiennes, les massacres intercommunautaires, les règlements de compte entre résistants communistes et royalistes font plusieurs millions de morts. La Yougoslavie et la Grèce, deux pays où la résistance est très active, sont plus particulièrement touchées.
10.2. Le partage des Balkans en zones d'influence
À partir de 1943, les communistes (partisans conduits par Josip Broz, dit Tito, en Yougoslavie, partisans de l'ELAS en Grèce, partisans conduits par Enver Hoxha en Albanie) prennent le dessus sur leurs adversaires politiques et militaires. En novembre 1943, une nouvelle Yougoslavie est officiellement proclamée par Tito. Dans les mois qui suivent, l'Armée rouge occupe Bucarest (août 1944), Sofia (septembre) et Belgrade (octobre), pendant que les Britanniques débarquent à Athènes au sud (octobre 1944) et atteignent Trieste au nord (mai 1945). La majeure partie des territoires yougoslave, albanais et grec sont aux mains des partisans. Mais le sort des Balkans se décide ailleurs. Lors des conférences de Moscou (octobre 1944) et de Yalta (février 1945), Staline et Churchill partagent en effet les Balkans en zones d'influence : la Grèce est placée sous influence britannique, la Bulgarie et la Roumanie sous influence soviétique, la Yougoslavie et l'Albanie sous influence conjointe.
Pour en savoir plus, voir les articles Seconde Guerre mondiale, Yougoslavie.
11. Les États balkaniques pendant la guerre froide (1947-1989)
À l'issue de la Seconde Guerre mondiale, les frontières balkaniques de l'entre-deux-guerres sont rétablies, à quelques exceptions près (maintien de la Bessarabie dans l'Union soviétique et de la Dobroudja du Sud en Bulgarie, cession par l'Italie de l'Istrie à la Yougoslavie et des îles du Dodécanèse à la Grèce). Les régimes politiques, par contre, diffèrent considérablement.
En Yougoslavie et en Albanie, les partisans s'emparent du pouvoir dès 1945. La nouvelle Yougoslavie – organisée sur un modèle fédéral – reconnaît l'existence des nations macédonienne et monténégrine ; elle se divise en six républiques et deux provinces autonomes, et envisage d'intégrer l'Albanie et la Bulgarie au sein d'une fédération balkanique.
En Bulgarie et en Roumanie, la prise de pouvoir par le parti communiste est plus progressive et s'achève en 1948. En Turquie, la victoire des démocrates sur les républicains en 1950 est suivie par un assouplissement de la laïcité kémaliste. Enfin, c'est en Grèce que la situation est la plus dramatique : forts du soutien britannique et de l'aval implicite de Moscou, les monarchistes restaurent le roi Georges II et remportent contre les communistes une longue et sanglante guerre civile (1946-1949). Il faut attendre 1952 pour qu'une nouvelle Constitution soit adoptée, et l'activité des partis de gauche, à nouveau autorisée.
La guerre civile grecque est aussi un des événements annonciateurs de la guerre froide en Europe (1947). Dans les Balkans, la Roumanie, la Bulgarie, la Yougoslavie et l'Albanie sont intégrées au bloc soviétique, alors que la Grèce et la Turquie rejoignent le bloc occidental (adhésion à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord [OTAN] en 1952). La péninsule balkanique est donc elle aussi traversée par le rideau de fer. Mais, contrairement à ce qui se passe en Europe centrale, elle n'est pas exclusivement dominée par la logique des blocs.
11.1. La guerre froide et la permanence de questions nationales
Du côté soviétique, la rupture entre Staline et Tito en 1949 permet à la Yougoslavie d'accéder à une certaine autonomie : elle ne rejoint pas le pacte de Varsovie, créé en 1955, et devient un des membres les plus en vue du mouvement des non-alignés (→ non-alignement).
Au contraire, l'Albanie refuse la déstalinisation et rompt avec l'Union soviétique en 1961. Enfin, les polémiques récurrentes entre Belgrade et Tirana, la reconnaissance de la nation musulmane bosniaque en 1968, la répression du « printemps croate » en 1971 et les manifestations albanaises au Kosovo en 1981, ou encore le durcissement de la Roumanie et de la Bulgarie envers leurs minorités nationales respectives dans les années 1980 rappellent l'existence de questions nationales non résolues dans les Balkans.
11.2. Le réveil du conflit gréco-turc
C'est au demeurant cette même question nationale qui, du côté occidental, réveille le conflit gréco-turc et menace la cohésion de l'Alliance atlantique. À partir de 1950, en effet, la communauté grecque de Chypre demande le départ des Britanniques et l'Enôsis avec la Grèce. En 1955, des violences éclatent contre la minorité turque de l'île, provoquant en retour l'expulsion des Grecs d'Istanbul. L'indépendance chypriote en 1960 ne fait qu'exacerber les tensions : finalement, en juillet 1974, un coup d'État fomenté par des extrémistes grecs contre le chef de l'État, Makários, donne à l'armée turque un prétexte pour intervenir et s'emparer d'un tiers du territoire chypriote. La Turquie et la Grèce sont alors au bord de l'affrontement militaire, et il faut l'intervention des États-Unis pour calmer le jeu.
11.3. Une relative stabilité
Pourtant, la guerre froide reste une période de relative stabilité pour les Balkans, les frontières et les régimes politiques issus de la Seconde Guerre mondiale étant figés par la confrontation Est-Ouest. C'est aussi une période de modernisation intensive, comme en témoignent l'urbanisation et l'industrialisation rapides des États balkaniques, ou l'élévation sensible du niveau de vie et du niveau scolaire de leurs populations. Dans certains pays, ces transformations économiques et culturelles trouvent également une traduction politique. Ainsi, la Yougoslavie amorce son ouverture économique et politique dans les années 1960.
De même, le pluripartisme prend racine en Turquie, malgré plusieurs coups d'État militaires (1960, 1980) et une violence politique endémique (terrorisme urbain des années 1970, soulèvement kurde des années 1980). Enfin et surtout, après le coup d'État de 1967 (dictature des colonels) et l'abolition de la monarchie en 1973, la Grèce restaure la démocratie parlementaire en 1974 et devient le premier membre balkanique de la Communauté économique européenne (CEE) en janvier 1981.
Pour en savoir plus, voir les articles Chypre, guerre froide.
12. Entre crise yougoslave et intégration européenne
12.1. La lente démocratisation des États balkaniques
À la suite du lancement de la perestroïka en Union soviétique (mars 1986) et de la chute du mur de Berlin (9 novembre 1989), les États communistes des Balkans connaissent à leur tour un début de démocratisation : le président bulgare Todor Živkov est destitué en novembre 1989, le président roumain Nicolae Ceauşescu est renversé puis exécuté lors d'une « révolution » sanglante en décembre 1989 et le monopole du parti communiste est aboli en Albanie après de violentes manifestations en janvier 1991. Mais la sortie du communisme se double dans ces trois pays d'une vive hostilité entre forces néocommunistes (parti socialiste en Bulgarie et en Albanie, Front de salut national [FSN] en Roumanie) et anticommunistes (Union des forces démocratiques [SDS] en Bulgarie, parti démocrate en Albanie, Convention démocrate roumaine [CDR] en Roumanie), et d'une faiblesse chronique des institutions démocratiques (crises gouvernementales et élections anticipées, fraudes électorales et manifestations de rue).
Il faut attendre la seconde moitié des années 1990 pour que les acquis démocratiques soient consolidés en Roumanie (victoire électorale de la CDR en novembre 1996) et en Bulgarie (victoire électorale de la SDS en avril 1997), ce qui se traduit aussi par une amélioration du statut des minorités nationales et par un apaisement des tensions intercommunautaires. En revanche, à la même époque, les fraudes électorales et les malversations financières du parti démocrate au pouvoir font basculer l'Albanie dans la guerre civile (1 600 morts entre janvier et mars 1997). L'envoi de troupes italiennes, grecques et françaises (opération Alba) contribue à rétablir la paix civile, mais la victoire électorale du parti socialiste en juin 1997 ne permet ni d'apaiser les querelles politiques, ni de restaurer l'autorité de l'État.
12.2. Les guerres yougoslaves (1989-2000)
12.2.1. Nationalisme serbe et désintégration de la Yougoslavie
L'événement majeur des années 1990 reste la désintégration violente de la Yougoslavie. Parvenu à la tête des communistes serbes en 1987, Slobodan Milošević supprime l'autonomie des provinces du Kosovo et de Vojvodine en 1989, déstabilisant ainsi l'ensemble de la fédération yougoslave. Les élections organisées en 1990 consacrent la montée des partis nationalistes (anticommunistes en Slovénie, en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, néocommunistes en Serbie, au Monténégro et en Macédoine) et rendent l'éclatement de la Yougoslavie inévitable : la Slovénie et la Croatie déclarent leur indépendance en juin 1991, la Macédoine en septembre 1991, la Bosnie-Herzégovine en mars 1992, cependant que la Serbie et le Monténégro créent une nouvelle République fédérale de Yougoslavie en mai 1992.
La disparition de la fédération yougoslave s'accompagne de conflits extrêmement violents : après une courte guerre en Slovénie (juillet 1991), les combats s'étendent à la Croatie (10 000 morts entre août et décembre 1991) et à la Bosnie-Herzégovine (de 150 000 à 250 000 morts entre avril 1992 et décembre 1995). La volonté des dirigeants nationalistes de créer des États-nations homogènes conduit une fois encore à l'expulsion violente des populations jugées indésirables. Finalement, en août 1995, l'armée croate reprend aux forces serbes les territoires qu'elles contrôlaient en Croatie, et, en décembre de la même année, les accords de Dayton sanctionnent la partition de la Bosnie-Herzégovine en deux entités territoriales distinctes : la Fédération de Bosnie-Herzégovine (croato-musulmane) et la République serbe (Republika Srpska).
C'est alors au sud de l'espace yougoslave d'être atteint par la violence : la répression serbe suscite l'apparition d'un mouvement albanais de lutte armée au Kosovo, où un nouveau conflit ne tarde pas à éclater (de 10 000 à 15 000 morts entre mars 1998 et juin 1999). Dans le même temps, les relations entre la Serbie et le Monténégro se dégradent, celles entre Macédoniens et Albanais de Macédoine restent fragiles.
12.2.2. L'internationalisation de la crise yougoslave
Au cours des années 1990, les guerres yougoslaves menacent même de dégénérer en une nouvelle crise balkanique : les tensions sont vives entre la Grèce d'une part, l'Albanie, la Macédoine et la Turquie d'autre part, et les désaccords entre membres de l'Union européenne (UE) (Allemagne, France, Grande-Bretagne) ou grandes puissances mondiales (États-Unis, Russie) expliquent largement leur incapacité à mettre un terme à la crise yougoslave. Toutefois, l'implication croissante des organisations internationales dans les Balkans se reflète par l'envoi des Casques bleus de l'Organisation des Nations unies (ONU) en Croatie (janvier 1992) et en Bosnie-Herzégovine (juillet 1992), et par l'intervention de l'aviation de l'OTAN contre les Serbes de Bosnie-Herzégovine (septembre 1995), puis contre la Serbie (mars-juin 1999). Cette internationalisation progressive de la crise yougoslave conduit au déploiement de troupes de l'OTAN (décembre 1995 en Bosnie-Herzégovine, juin 1999 au Kosovo) et à l'instauration de véritables protectorats (décembre 1997 en Bosnie-Herzégovine, juin 1999 au Kosovo).
La guerre ayant opposé l'OTAN à la Serbie au printemps 1999 constitue le premier conflit international en Europe depuis 1945. Après la signature des accords techniques de Kumanovo (9 juin) et l'adoption de la résolution 1244 du Conseil de sécurité, qui place le Kosovo sous administration provisoire des Nations unies, le temps de la reconstruction semble devoir enfin venir. L'UE et tous les États de la région (sauf la Serbie, isolée politiquement et diplomatiquement) se réunissent à Sarajevo le 30 juillet 1999. Ce sommet de Sarajevo s'achève par l'annonce d'un Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est, censé régler les conflits en suspens dans la région et préparer à terme son intégration dans l'UE. Il s'agit en quelque sorte d'un « mini-plan Marshall » européen. Cependant, malgré les belles intentions proclamées, les moyens financiers ne seront jamais à la hauteur des défis et des espérances.
La chute du régime de Milošević en Serbie (5 octobre 2000) fait néanmoins renaître les espoirs d'une réelle stabilisation et d'une véritable démocratisation de la péninsule balkanique. Lors du sommet européen de Biarritz (7 octobre 2000), les nouveaux dirigeants démocrates de Serbie sont accueillis comme des héros.
Avec la « révolution démocratique » serbe, les Balkans semblent véritablement décidés à tourner la page du nationalisme. En effet, en Croatie, le vieux président nationaliste Franjo Tudjman est mort le 10 décembre 1999, et son parti, l'Union démocratique croate (HDZ), est battu lors des élections législatives et présidentielle de janvier-février 2000. Le nouveau Premier ministre social-démocrate Ivica Račan et le nouveau président de la République Stipe Mesić sont partisans d'une rapide normalisation des relations régionales.
La Bosnie-Herzégovine est à son tour touchée par cette vague de changements, venue à la fois de Croatie et de Serbie : lors des élections de novembre 2000, les partis « citoyens » – d'orientation social-démocrate et opposés au nationalisme – marquent de nets progrès sur les trois partis nationalistes (le SDA musulman, le SDS serbe et la HDZ croate) qui dominaient sans partage la scène politique bosniaque depuis dix ans. La complexité des institutions bosniaques « dilue » néanmoins cette timide révolution politique, qui n'a guère de lendemain : dès 2002, les partis nationalistes reprennent la main.
Pour en savoir plus, voir l'article République fédérale de Yougoslavie.
13. Vieux conflits et nouvelles crises
13.1. Reprise de la guérilla kosovare (2000-2001)
Cependant, de nouvelles crises ne tardent pas à apparaître, tandis que le brasier mal éteint du Kosovo continue de menacer toute la région. L'arrivée au pouvoir des démocrates serbes est perçue comme une mauvaise nouvelle par les nationalistes albanais du Kosovo. Ceux-ci perdent en effet leur statut d'alliés privilégiés de l'Occident, tandis que les émissaires et les bailleurs de fonds européens se précipitent à Belgrade. Avant octobre 2000, il était possible d'envisager que le statut final du Kosovo serait purement et simplement imposé à une Serbie mise au ban des nations. Or, après la chute de Milošević, la Serbie redevient un acteur à part entière de la scène internationale, et pour nombre de pays européens un partenaire disposant d'importantes potentialités économiques, et qui ne peut en aucun cas être tenu à l'écart des processus d'intégration régionale.
Dans ce contexte, certains stratèges du nationalisme albanais estiment donc nécessaire de rappeler que le statut du Kosovo n'est toujours pas fixé, et surtout qu'il existe une « question albanaise » qui se pose à l'échelle régionale. Dans les semaines qui suivent le 5 octobre, une guérilla se développe dans la vallée de Preševo, une région du sud de la Serbie, limitrophe avec le Kosovo, où vivent quelque 100 000 Albanais. Le conflit se durcit durant l'hiver 2000-2001, les guérilleros albanais de l'Armée de libération de Preševo, Medvedja et Bujanovac (UÇPMB) bénéficiant de la sécurité que leur procure la « zone d'exclusion » interdite d'accès aux forces serbes et yougoslaves le long des frontières du Kosovo, sur une profondeur de 5 kilomètres. Le vice-Premier ministre serbe Nebojša Čović parvient à convaincre l'OTAN de lever cette interdiction au début de l'année 2001. Dès lors, les jours de la guérilla sont comptés, et les accords de Končulj, en mai, prévoient le désarmement de la guérilla. En échange, les Albanais n'obtiennent guère que des promesses d'investissements et de développement économique de la région.
13.2. La Macédoine au bord de la guerre civile (2001)
Entre-temps, une autre guérilla est apparue en Macédoine. Dans cette république, restée relativement à l'écart de la tourmente balkanique des années 1990, les Albanais représentent un quart de la population totale, soit 500 000 des 2 millions d'habitants. Ils s'estiment victimes de discriminations, même si des partis politiques albanais ont toujours participé aux coalitions gouvernementales depuis l'indépendance (1992).
Les premiers affrontements sérieux éclatent le 28 février 2001 et se généralisent rapidement dans tout le nord-ouest du pays, sur un arc longeant les frontières du Kosovo, de Tetovo à Kumanovo. La guérilla albanaise de Macédoine se développe en raison du contexte particulier de cette république, mais les dirigeants de l'Armée de libération nationale (Ushtria Çlirimtare Kombëtare) sont issus d'un petit noyau de militants et d'idéologues, principalement basé en Suisse. Ali Ahmeti, porte-parole de l'UÇK de Macédoine, et son oncle Fazli Veliu sont des militants expérimentés du Mouvement populaire du Kosovo (LPK), un groupe établi dans la diaspora albanaise en Suisse, qui milite pour la cause albanaise, sans tenir compte des frontières.
Le conflit de Macédoine reste relativement contenu (une centaine de morts), et un processus de négociations mène, dès le mois d'août, à la conclusion sous l'égide de l'Union européenne des accords de paix d'Ohrid (23 août), qui prévoient une complète égalité constitutionnelle entre les différentes communautés nationales de Macédoine et une décentralisation du pays.
14. Les nouvelles responsabilités européennes
La gestion du conflit de 2001 en Macédoine est considérée comme l'une des grandes réussites de l'UE dans la région. Dans un premier temps, une force de l'OTAN est chargée de veiller au désarmement de la guérilla albanaise et à la sécurisation du pays puis, en mars 2003, ces compétences militaires sont transférées à l'UE (mission Concordia). La Macédoine constitue le premier exemple de gestion militaire d'une crise par l'Europe. En décembre 2003, la mission Concordia achève son mandat, une mission de police européenne (Proxima) lui succède jusqu'en décembre 2005.
Désormais, l'UE est sur tous les fronts : après la Macédoine, elle assume également les compétences militaires autrefois dévolues à l'OTAN en Bosnie-Herzégovine, dans le cadre de la mission EUFOR, qui débute le 2 décembre 2004. Elle doit assumer au Kosovo, qui a proclamé son indépendance le 17 février 2008, une large part des compétences civiles, qui revenaient depuis 1999 aux Nations unies (MINUK), dans le cadre d'une mission d'aide à la construction de l'État de droit (mission Eulex). Ainsi, l'Union ne peut plus se défausser de ses responsabilités dans les Balkans, mais a-t-elle pour autant une vision stratégique pour l'avenir de la région ?
Le sommet européen de Thessalonique (juin 2003) affirme solennellement la « vocation » de tous les pays des « Balkans occidentaux » (Croatie, Bosnie-Herzégovine, Serbie, Monténégro, Macédoine, Albanie) à rejoindre l'UE, mais ne fixe ni calendrier ni échéances. Le nouveau concept géographique formé à cette occasion remplace la formule algébrique qui eut cours durant un temps dans les sphères européennes : 6 - 1 + 1, soit les six républiques ex-yougoslaves, moins la Slovénie, promise à l'intégration dès le 1er mai 2004, plus l'Albanie.
15. L'intégration européenne, un mirage ?
Tout en réaffirmant son attachement au strict respect des critères de Copenhague, l'UE exclut la perspective d'une intégration commune des « Balkans occidentaux », privilégiant une approche graduelle et au cas par cas. Outre le respect de critères politiques ou économiques, ces pays doivent s'engager dans une coopération pleine et entière avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) de La Haye. Seule la Macédoine y consent rapidement, en ne s'opposant pas à l'extradition de son ancien ministre de l'Intérieur, Ljube Boškoski, arrêté en 2004 en Croatie (finalement acquitté en 2008).
En revanche, la candidature croate à l'UE est longtemps plombée par le dossier Ante Gotovina. Cet ancien de la Légion étrangère française, au passé criminel, revient en Croatie en 1991. Rapidement promu général au sein de l'armée croate, il participe aux combats en Slavonie et surtout à la reconquête de la Krajina, à l'été 1995. Inculpé en juin 2001 par le TPIY de violations des lois et coutumes de la guerre et de crimes contre l'humanité contre les civils serbes, il bénéficie pendant sa longue cavale de la protection de l'armée et des services secrets croates, avant d'être finalement arrêté aux îles Canaries en décembre 2005. Quelques semaines auparavant, lors du Sommet européen de Luxembourg du 3 octobre 2005, un jeu diplomatique avait permis la levée de certains blocages européens, et à la Croatie d'obtenir le statut officiel de pays candidat à l'UE. La Macédoine obtient le même statut en décembre de la même année.
Le processus d'intégration européenne est longtemps resté bloqué dans le cas de la Serbie, qui n'a toujours pas livré au TPIY l'ancien chef de Bosnie-Herzégovine inculpé depuis 1995, Ratko Mladić (Radovan Karadzić, le « président » autoproclamé des Serbes de Bosnie, a finalement été arrêté le 21 juillet 2008 à Belgrade par les services secrets serbes, après onze années de cavale soutenue par l'armée). Afin d'y encourager les forces démocratiques, les Européens, anticipant les risques particuliers liés à la menace de l'extrême droite nationaliste, accomplissent plusieurs gestes au printemps 2008 : signature de l'Accord de stabilisation et d'association (ASA), gratuité des visas pour les citoyens serbes.
Très incertain en Bosnie-Herzégovine en raison de l'instabilité politique du pays, le processus d'intégration bute sur la nécessaire mise en œuvre de réformes, notamment celle de la police, finalement adoptée en avril 2008. Malgré son statut officiel de candidat, la Macédoine se heurte toujours à l'hostilité de la Grèce opposée à son adhésion à l'Alliance atlantique (sommet d'avril 2008), et à l'ouverture des négociations d'adhésion à l'UE. Cette dernière, par ailleurs ébranlée par l'échec du traité constitutionnel en 2005 puis par le rejet du traité de Lisbonne par les Irlandais en juin 2008, n'envisage désormais de futurs élargissements que sur la prise en compte de ses intérêts et de ses capacités d'absorption.
Cette « pause » de l'UE constitue une source d'inquiétude pour l'avenir des Balkans, où la vie politique, d'un pays à l'autre, s'est organisée selon un clivage opposant partis réformateurs et pro-européens aux forces nationalistes. En l'absence de signaux positifs venant des Européens, les forces démocratiques des Balkans risquent de voir leur discours perdre toute crédibilité. Le 19 décembre 2009, l'Union décide de lever le régime des visas pour la Serbie, le Monténégro et la Macédoine, permettant aux ressortissants de ces pays d’accéder librement à l'espace Schengen, d’y séjourner pour une durée maximale de trois mois, mais sans avoir le droit d’y travailler. Cette mesure s'étend, l'année suivante, aux ressortissants de la Bosnie-Herzégovine et de l'Albanie.
16. La difficile restauration des relations régionales
Les États anciennement yougoslaves qui se sont affrontés dans les années 1990 se sont engagés depuis quelques années dans un véritable processus de réconciliation. Dès 2000, les dirigeants monténégrins sont les premiers à présenter leurs excuses à la Croatie pour les crimes commis durant le siège de Dubrovnik en 1991. Ces démarches officielles de « demande de pardon » se sont généralisées, impliquant la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie.
Depuis 2003, plus aucun visa n'est exigé entre la Croatie et la Serbie. De même, les relations économiques entre les pays de la région connaissent une nette reprise. Dans certains cas (Albanie et Macédoine), des accords douaniers préférentiels ont été signés. En 2007, les principaux groupes de distribution de Croatie et de Serbie fusionnent et donnent naissance à un géant régional. Seule la difficulté des communications internes demeure une entrave.
Néanmoins, le marché balkanique s'est largement ouvert aux investissements étrangers, la Slovénie et la Grèce occupant une position privilégiée du fait de leur proximité géographique et de leur connaissance de la région. En dépit de ces signes positifs et de taux de croissance très élevés – notamment en Serbie, au Monténégro, qui entend profiter de son indépendance recouvrée en 2006, ou en Albanie –, les conditions de vie demeurent extrêmement difficiles. La situation des retraités est encore plus précaire et le chômage frappe largement les sociétés. Dans ce contexte, nombreux sont les jeunes diplômés souhaitant émigrer en Occident, ce qui hypothèque le développement futur de la région.
La relative stabilisation observée depuis le tournant de l'an 2000 demeure fragile et incertaine. La proclamation unilatérale d'indépendance du Kosovo, le 17 février 2008, ne provoque le cataclysme parfois redouté, même si la question d’une éventuelle « unification nationale albanaise » demeure posée. Tous les pays de la région – à l'exception de la Bosnie-Herzégovine et de la Serbie – ont reconnu l’indépendance du Kosovo, sans que cela n’altère durablement leurs relations avec la Serbie.
Les courants nationalistes demeurent virulents dans tous les pays de la région, et les difficultés sociales font le lit des activités criminelles et mafieuses. Seule une véritable stratégie de développement régional, assortie d'une perspective d'intégration européenne, claire et relativement proche, pourrait permettre aux Balkans de tourner définitivement le dos aux épisodes douloureux du passé.
17. Les nouveaux enjeux régionaux
L'assouplissement du régime des visas et la reprise des relations diplomatiques et commerciales entre les différents pays de la région font resurgir de nouveaux enjeux transfrontaliers au centre des problématiques régionales. Parmi lesquels figurent notamment la criminalité organisée ou la protection de l'environnement.
La mer Adriatique représente une zone de transit pour de multiples trafics illégaux, en particulier celui de la drogue, des armes et explosifs provenant de l’Est. Les réseaux criminels balkaniques collaborent étroitement avec les mafias italiennes et le principal centre d’entrée des stupéfiants en Europe est désormais le Kosovo. De fait, les mafias des différents pays balkaniques, malgré les conflits nationaux qui peuvent encore opposer ces États, n’éprouvent aucune difficulté à collaborer entre elles. La Grèce joue un rôle particulier dans la traite des êtres humains, en raison de son voisinage avec la Turquie, véritable plate-forme des trafics en provenance du Proche- et du Moyen-Orient. La Roumanie, où les organisations criminelles chinoises sont très présentes, occupe une place centrale dans la contrebande des cigarettes, tandis que l'héroïne transite par la Bulgarie.
Sur le plan environnemental, la rupture en Hongrie d’un réservoir de résidus d’aluminium dans la nuit du 4 au 5 octobre 2010 provoque le rejet dans un affluent du Danube de boues rouges hautement toxiques. Cet accident permet de mobiliser l'opinion sur la nécessité de promouvoir des stratégies régionales de développement afin de préserver l'environnement. La Commission européenne adopte, le 8 décembre 2010, une « stratégie pour le Danube », basée sur quatre piliers : établissement d’un système de navigation sûr, développement du transport et des infrastructures, protection de l’environnement, développement économique et renforcement des capacités institutionnelles de la région. En collaboration avec tous les pays riverains du fleuve, le développement des échanges sur le Danube, identifié comme le corridor européen numéro 7, devrait accélérer le rapprochement des pays d'Europe occidentale, centrale et orientale, jusqu'au delta du Danube et à la mer Noire.
En juillet 2013, la Croatie devient le 28e État de l’Union européenne.