De telles rectifications de frontières apportent du cash mais ne suffisent pas à se redonner une santé. Pour la chimie française, l'exercice 1981 risque d'être presque aussi mauvais que le précédent. Les exportations américaines seront certes moins perturbantes (non pas par leur quantité mais par l'effet-prix qu'elles produisent) depuis que le dollar est passé de 4,20 à plus de 5 F. Et puis, il faudra bien que les clients de la chimie se mettent à reconstituer leurs stocks, relançant la production et, pour une part, les prix de vente. Mais, dans le même temps, le prix des matières premières, comme le naphta, augmente, avec le dollar, annulant l'effet positif de la hausse des prix des produits finis. Et la hausse brutale des taux d'intérêts, destinée à sauver le franc Delors, pèse lourdement sur l'exploitation des sociétés, déjà très endettées. Cette course infernale risque de laisser plus d'un concurrent au tapis.

Les années qui viennent verront de nouvelles rectifications de frontières ainsi que l'arrêt de certaines installations, fussent-elles de construction récente. La chimie française — et européenne — est encore surdimensionnée par rapport à ses débouchés. Sa seule consolation : le fait d'être multiproduits et multimarchés lui permettra, probablement, d'éviter le drame de la sidérurgie. De fait, sa survie tiendra à son degré de souplesse. Un paramètre qui n'a pas échappé aux Italiens — ils viennent de rendre le géant Montedison au secteur privé — mais que refuse la nouvelle équipe au pouvoir en France, dont le rêve est de rationaliser en la nationalisant une partie de l'industrie chimique française.

Textiles

La mise en ordre reste encore à faire

À force de pleurer, de prier et de gémir, l'industrie française du textile et de l'habillement a été entendue. Non seulement l'accord multifibre de 1978-1981 sera reconduit et même renforcé, mais, dès le mois d'octobre 1980, le ministère de l'Industrie avait mis le « Textile innovateur » au rang des industries stratégiques (avec la robotique, la bureautique, la bio-industrie, etc.), et la chasse a été ouverte aux frontières contre les détournements de trafic (c'est-à-dire aux importations abusivement « made in Germany, Italy ou Belgium »). En mars dernier, une commission parlementaire a dressé un catalogue de propositions pour sauver un secteur qui fait encore travailler 10 % de notre population industrielle. Enfin, à sa première conférence de presse, le 17 juin, Michel Jobert, ministre du Commerce extérieur, a annoncé la mise en place d'un « véritable système de limitation des importations ». Il est temps. Le dépôt de bilan, le 24 juin 1981, de la société Boussac-Saint-Frères, reprise il y a trois ans par les frères Willot à grands renforts de subventions, montre qu'il ne suffit pas de changer de propriétaire pour redresser la situation. Ces thérapies seront-elles suffisantes ? Non. Pour deux raisons.

Illusion

La première, c'est que l'on fait de mauvais procès à nos importations. Pour perdurer, une bonne entreprise de textile ou de confection doit importer une certaine quantité de produits, soit pour élargir sa gamme (un fabricant français de chemises doit pouvoir compléter la gamme des produits proposés à sa clientèle par l'importation de certains articles impossibles à fabriquer de manière rentable en France), soit pour réduire la part de valeur ajoutée française, toujours dans un souci de compétitivité (un confectionneur, par exemple, se contentera de finir ses produits en France, en confiant l'assemblage à des Tunisiens, eux-mêmes acheteurs de tissus indiens, etc.). En limitant les importations, le gouvernement bride les plus dynamiques et entretient l'illusion de rentabilité chez les plus faibles, une politique à courte vue qu'il paraît impossible de poursuivre durablement.

La deuxième raison de douter de l'avenir de notre textile, c'est qu'il s'agit d'un secteur caractérisé par l'extrême fragilité des entreprises qui le dominent. Pour qu'un secteur industriel puisse résister aux attaques de la conjoncture et de la concurrence, il est essentiel qu'il soit fort de la tête, à moins d'être totalement assisté, comme la construction navale et la sidérurgie (mais le textile ne pourra jamais être dans ce cas, pour la raison très simple qu'il est techniquement impossible de porter à bout de bras 4 000 entreprises, alors qu'on peut en subventionner deux ou trois, comme dans la sidérurgie).

Faiblesse

Le drame du textile français en 1981, c'est l'extrême faiblesse de ses entreprises leaders. Boussac-Saint-Frères est objectivement en situation de dépôt de bilan et ne sera pas sauvé par les acrobaties financières des frères Willot, mais par une intervention massive des pouvoirs publics, analogue, toutes proportions gardées, à celle dont a bénéficié en 1978 notre industrie sidérurgique. Il n'y a pas de quoi soulever l'enthousiasme. Car Dollfus-Mieg, l'anti-Willot, est, lui aussi, malade et même déclinant, au moment précis où cette industrie a plus que jamais besoin de fédérateurs. La Lainière de Roubaix, notre troisième géant, n'a été sauvée du naufrage que par le rapprochement de son appareil industriel malade avec l'appareil commercial de Prouvost SA, qui était plutôt en bonne santé. Le textile français est donc quasiment décapité. Est-ce ainsi qu'il survivra ?

Avenir

Notre industrie de l'habillement est, fort heureusement, mieux portante. Ses ténors — Bidermann, Weil, Vestra, New Man — tiennent encore la rampe. Mais, peut-on se demander, pour combien de temps ? Le cimetière des entreprises françaises est peuplé de trésors... C'est pourtant du côté de l'habillement qu'il faut probablement chercher à exprimer nos talents. En effet, autant notre industrie textile est encore gouvernée par les héritiers assoupis de nos pionniers de la révolution industrielle, autant notre industrie du vêtement est le résultat des efforts opiniâtres d'entrepreneurs courageux, sinon téméraires, comme Maurice Bidermann, Henri Weil, Léon Cligman, Jacques Jaunet, Jean Cacharel. Or, l'expérience montre que notre secteur industriel ne se tire pas d'affaire par la bonne grâce de fonctionnaires zélés, mais par le dynamisme des entrepreneurs qui y exercent leurs talents.