Cinq mille chars devaient être construits, ce qui correspondait à un investissement de 40 milliards de F. Mais les difficultés économiques se multiplient outre-Rhin, et il n'est pas certain que ce gigantesque projet soit mené à bien.

D'une manière générale, les entreprises d'armement françaises sont plutôt optimistes. Il faut dire qu'il y a de quoi. Dassault a vu, en 1980, son chiffre d'affaires passer le cap des 10 milliards de F (dont 7,2 à l'exportation), soit une progression de 50 % par rapport à 1979 ! Une firme comme Thomson-CSF continue d'exporter sans problème son électronique militaire ; les retombées du contrat naval saoudien lui vaudront à elles seules 4 milliards de F de commandes.

Pour Matra, ces retombées seront, dit-on, de l'ordre de 1,5 milliard de F, l'ensemble du carnet de commandes de la firme de Jean-Luc Lagardère atteignant les 10 milliards de F. Chez Aérospatiale, missiles et hélicoptères se vendent comme des petits pains. En plus de ces grosses entreprises, et sans compter les arsenaux de l'État, une myriade de sociétés plus petites (Crouzet, Luchaire, Manurhin, Sagem, Sfim, Sintra, TRT, etc.) prospèrent grâce aux commandes des armées françaises ou étrangères.

Compétition

À l'heure de l'électronique, l'image du marchand de canons peut paraître démodée. Les performances du matériel militaire ne dépendent plus des forges de Schneider, mais des microprocesseurs de Thomson-CSF. L'industrie de l'armement est devenue une industrie de pointe qui nécessite un potentiel de recherches considérable et coûteux, que seules les exportations peuvent amortir.

Or, cette contrainte, craint-on dans les milieux spécialisés, risque d'être moins bien maîtrisée depuis que François Mitterrand est à l'Élysée. Le nouveau chef de l'État n'a-t-il pas déjà annoncé que la France ne livrerait pas n'importe quel type d'armement à n'importe quel pays ? Et les pays du Golfe, nos meilleurs clients, ne vont-ils pas prendre leurs distances avec un régime considéré, à tort ou à raison, comme pro-israélien ?

Heureusement pour les Français, des pays industrialisés aussi puissants que le Japon et la RFA ne sont pas dans la course, même si, pour cette dernière, certaines tentations commencent à se faire jour. La Grande-Bretagne n'étant plus aussi active que jadis sur le marché de l'armement, la compétition dans le camp occidental se limite à un duel franco-américain. Encore faut-il préciser que, au niveau des exportations, les États-Unis pèsent quatre fois plus que la France.

Chimie

Des résultats désastreux

Le premier choc pétrolier avait porté un rude coup à l'industrie chimique française. Après une convalescence difficile, marquée par une pesante surproduction, la seconde crise pétrolière, celle de 1979-80, a frappé un homme déjà à terre : 2 milliards de F de pertes en 1980 chez Rhône-Poulenc, 500 millions aux produits chimiques Ugine-Kuhlmann, des trous béants dans les comptes de la chimie d'État, CDF-Chimie et ATO.

Contraintes

De mémoire de chimiste, on n'aura peut-être jamais vu un exercice aussi difficile, sur lequel se sont concentrées autant de contraintes : d'abord un marché maussade, c'est-à-dire une demande extrêmement faible et donc des stocks qui n'en finissaient pas d'être comprimés par les industries clientes (plastiques, bâtiment, textile, automobile). À la fin de 1980, le niveau des stocks était même si bas que les industriels estimaient qu'une reprise était inévitable. Trois mois après... ils attendaient toujours.

Le déstockage a, bien entendu, annulé toute velléité de hausse des prix. Ceux des produits tirés des dérivés du pétrole (les plastiques et les fibres) ont même eu tendance à baisser sous l'effet conjugué des tendances du marché et d'une forte augmentation des exportations américaines, stimulées par un marché intérieur terne et par un dollar faible. Sans atteindre des niveaux vraiment considérables, les achats en provenance des États-Unis ont généralement eu un effet déstabilisateur sur les prix européens.

Dernier élément défavorable : la hausse des coûts et surtout du naphta, le produit de base de la pétrochimie, qui a subi l'influence de la hausse du prix du pétrole. Avec des capacités de production largement sous-utilisées, des coûts en hausse et des prix en baisse, il était inévitable que la chimie organique, celle qui se nourrit de pétrole, boive un bouillon. La réaction fut brutale et, dès le mois de janvier, Rhône-Poulenc annonçait l'accélération de la reconversion de sa division « textiles » (850 millions de pertes en 1980), puis, début avril, la constitution d'une provision de 3 milliards de F pour apurer les comptes de ses divisions et filiales.

Stratégie déficitaire

Désormais, les industriels de la chimie devront concentrer leur force de frappe (sérieusement entamée par deux crises successives) sur leurs points forts, les « spécialités » pharmaceutiques, agricoles, biologiques, laissant le tout-venant aux pétroliers, dont les ressources sont immenses et pour lesquels certaines productions, représentent un débouché naturel des produits de leurs raffineries. C'est la stratégie poursuivie par Rhône-Poulenc qui, en juin 1980, a cédé — pour un bon prix — l'essentiel de sa pétrochimie au groupe public ATO, constitué à parts égales par Elf Aquitaine et a Française des pétroles. C'est ce que cherche à faire Pechiney-Ugine-Kuhlmann, qui a vendu ses engrais à Rhône Poulenc en 1978 et cherche à se défausser de sa filiale Produits chimiques Ugine Kuhlmann auprès de l'américain Occidental Petroleum.