L'accident de la centrale de Harrisburg, comme la révolution iranienne, est plus inquiétant par ses conséquences indirectes que par ses effets immédiats. En effet, il n'a pas fait de victimes et a démontré finalement que l'énergie nucléaire, si elle n'est pas exempte de risques, reste maîtrisable même en cas de coup dur. Mais la compréhensible inquiétude qu'il a soulevée risque de freiner encore l'équipement nucléaire des États-Unis, déjà ralenti ces dernières années. Or, l'énorme consommation d'énergie des États-Unis, qui les oblige à faire de plus en plus appel au pétrole importé, est le principal perturbateur du marché mondial.

Un premier plan d'économies, proposé par Jimmy Carter en 1977, avait pratiquement été mis en pièces après un an et demi de tragi-comédie parlementaire. En avril 1979, profitant de l'émotion causée par les décisions de l'OPEP, le président a proposé une nouvelle série d'économies, ainsi qu'une hausse des prix du pétrole produit aux États-Unis afin de relancer la production (les super-profits qui en résulteraient pour les compagnies devant être repris par l'impôt). Nul doute que ces mesures impopulaires vont rencontrer la même opposition résolue de la part des divers lobbies du Congrès.

Équipement nucléaire

Il est vrai que les États-Unis disposent d'autres ressources que le nucléaire (charbon, gaz naturel, réduction des gaspillages) pour compenser, s'ils le veulent, la contraction toujours espérée de leur consommation de pétrole. Ce n'est pas le cas de la France, et c'est pourquoi le gouvernement français a décidé, le 6 février 1979, de redonner un coup d'accélérateur à notre équipement nucléaire : en deux ans (1980 et 1981), Électricité de France lancera la construction de trois tranches nouvelles de 900 MW, et de six tranches de 1 300 MW. La démonstration de la nécessité de cet effort a été donnée à point nommé par l'effondrement général du réseau le 19 décembre 1978, lorsque survint la pointe annuelle de consommation de courant : on a pu constater, ce jour-là, la minceur de la marge de sécurité entre demande et offre d'électricité. Les spécialistes nous annoncent encore quelques hivers difficiles à passer, avant que — vers 1985 — l'arrivée massive des ressources nucléaires n'écarte totalement le risque de coupures.

La continuité avec laquelle se poursuit l'équipement nucléaire de la France n'a pas d'équivalent dans le monde. Outre ses effets sur le bilan énergétique, on peut penser que la France en tirera un bénéfice politique, en apparaissant aux yeux des producteurs de pétrole comme le pays qui consent les efforts les plus méritoires pour améliorer son indépendance. Dans la mesure où les maîtres du pétrole veulent maintenant apprendre au monde sinon à se passer d'eux, du moins à renoncer au pillage de leurs ressources naturelles, il ne sera peut-être pas inutile que notre pays puisse faire figure de premier de la classe.

Sidérurgie

Vers un nouveau départ

1979, l'an I de la nouvelle sidérurgie française, pourquoi pas ? Cette année-là, en effet, est enfin entrée — parfois douloureusement — dans la tête des intéressés (pouvoirs publics, maîtres de forges, syndicats) une idée toute simple : la puissance de la sidérurgie dépend de sa compétitivité et non du nombre de tonnes d'acier produites. Corollaire : la réorganisation de ce secteur d'activité doit être fondée sur un objectif de rentabilité et non de capacité de production.

Crise de la productivité

Beaucoup s'étonneront qu'une telle évidence ait éclaté aussi tard. C'est oublier que, pendant des décennies, la force d'une nation s'est calculée en tonnes d'acier (de même qu'elle se calculait en tonnes de charbon avant guerre), et, qu'il y a moins de six ans, ce n'est pas si vieux, on enregistrait un boom de l'acier tel que les installations les plus vétustés se voyaient arracher leur production à n'importe quel prix. « Après la pluie, le beau temps ; attendons le retour des vaches grasses », déclarèrent tranquillement les experts de la profession lorsque, fin 1974, la conjoncture se retourna brutalement.