Un autre chiffre intéressant est l'augmentation de 68 % de la production d'électricité nucléaire, qui a assuré 13 % de la consommation totale d'électricité en 1978. La montée en puissance du nucléaire va désormais se poursuivre. Les cinq premières tranches de 900 MW du programme à eau légère pressurisée sont en service, les deux de Fessenheim depuis avril et octobre 1977, et trois à Bugey à partir de mai 1978, septembre 1978 et mars 1979. Le démarrage de ces énormes installations s'est effectué dans des conditions qu'Électricité de France estime très satisfaisantes, avec une période d'essai plus courte que ce qu'on conserve dans d'autres pays.
Mauvaise passe
Deux événements survenus à l'étranger, sur lesquels nous n'avons donc aucune prise, risquent cependant de perturber l'économie mondiale de l'énergie (et donc celle de la France) plus tôt qu'on ne le craignait encore récemment. Il s'agit de la révolution de l'automne 1978 en Iran, et de l'accident survenu le 28 mars 1979 à la centrale nucléaire de Three Mile Island, près de Harrisburg, en Pennsylvanie. Le premier remet en question le fragile équilibre du marché pétrolier, le second risque de ralentir encore davantage le développement de la roue de secours atomique. Ajoutons-y un incident de moindre ampleur, mais non moins lourd de signification : la panne générale du réseau électrique français le 19 décembre 1978.
La suite d'événements qui a mis fin, le 16 janvier 1979, au règne du chah eut pour effet d'interrompre totalement, pendant 70 jours, les fournitures de pétrole de l'Iran, deuxième exportateur mondial (après l'Arabie Saoudite). Cela représentait environ 4 % de l'approvisionnement des pays d'Occident ; ceux-ci purent franchir aisément, en puisant dans leurs stocks et sans s'imposer de restrictions, cette mauvaise passe, d'autant que le gouvernement saoudien accrut sa production en proportion. Mais les conséquences à plus long terme sur le marché du pétrole sont beaucoup plus inquiétantes.
Sur les prix, tout d'abord. La réapparition d'une menace de pénurie a suffi, comme en 1974 après la guerre du Kippour, à retourner le marché en faveur des fournisseurs. En 1978, celui-ci était resté équilibré, et les prix à peu près stables ; en décembre 1978, le cartel des producteurs, l'OPEP, réuni à Abou Dhabi, décidait une hausse — somme toute modérée — de 10 % par étapes des prix du brut pour l'année 1979. Mais, le 27 mars 1979, à Genève, l'OPEP décidait d'ajouter immédiatement 9 % aux 5 % appliqués depuis le 1er janvier ; de plus, fascinés par la flambée des prix observée pendant la crise iranienne sur le marché libre de Rotterdam, les producteurs décidaient de considérer désormais les prix du cartel comme un plancher et d'y ajouter librement des surcharges sous divers prétextes (de qualité, par exemple). De sorte qu'entre le printemps 1978 et le printemps 1979 les hausses réelles se sont étagées entre 14 et 50 % ! À la nouvelle réunion de l'OPEP, le 26 juin, à Genève, un effort devait être entrepris pour réunifier les prix du pétrole. On ne pouvait plus exclure de voir le baril à 20 dollars, soit 50 % plus cher qu'au début de l'année !
Offre et demande
Solidement contrôlé par les compagnies pétrolières avant 1973, et par l'OPEP depuis, le prix du pétrole échappe ainsi de plus en plus à la concertation, pour suivre simplement la loi de l'offre et de la demande. Faut-il interpréter cette anarchie comme un affaiblissement du cartel des producteurs ? Certainement pas, car ceux-ci sont bien d'accord désormais pour faire en sorte que le marché leur reste constamment favorable, en réglant au plus juste les tonnages exportés. C'est là que les événements d'Iran prennent toute leur portée. Jusqu'à présent, les principaux exportateurs — Arabie Saoudite, Émirats, Iran — n'avaient pas voulu se servir de l'arme quantitative, quitte à ne savoir que faire des dollars accumulés en échange de leur or noir. Cet afflux soudain de richesses est d'ailleurs une des causes essentielles de l'explosion iranienne, et c'est pourquoi les nouveaux dirigeants de l'Iran ont affirmé leur intention de régler désormais leurs exportations en fonction des stricts besoins financiers de leur développement intérieur. Une attitude semblable était déjà observée par le Mexique, nouveau venu parmi les grands producteurs. Plus grave encore, l'Arabie Saoudite, rejetée dans le camp des durs arabes par la signature du traité de paix israélo-égyptien et déçue de la façon dont les États-Unis ont laissé tomber le chah d'Iran, semble elle-même de moins en moins décidée à puiser dans ses énormes réserves pour colmater les brèches de l'approvisionnement de l'Occident. Dans ces conditions, la menace de pénurie de pétrole est inscrite à notre horizon pour longtemps, et on ne voit pas ce qui pourrait empêcher les prix de continuer à monter. Les experts parlent maintenant du baril à 25 dollars pour un avenir proche.