L'ennui, c'est que les vaches grasses se font attendre (la croissance moyenne annuelle de la demande d'acier semble tombée durablement à 3,6 % contre 6 % avant 1970) et surtout qu'elles vont paître ailleurs : depuis 1974, la production d'acier a augmenté sensiblement en URSS, en Chine, en Corée, en Pologne et au Brésil alors qu'elle diminuait aux États-Unis, en Allemagne, en Belgique, en Grande-Bretagne et en France. Autrement dit, il n'y a pas crise de l'acier, il y a crise de la productivité. On le voit bien en observant le double exemple de l'Italie qui, grâce à l'astuce des Bresciani — ces francs-tireurs de la sidérurgie —, continue de maintenir sa production (+ 0,6 % depuis 1974) et du Japon qui, en dépit d'un dynamisme peu commun, a réduit la sienne de 15 %, réduction au demeurant plus volontaire que forcée, car les Nippons préfèrent forger leur acier — ou l'acheter dans les pays à main-d'œuvre bon marché.
Décidée en 1978, la restructuration de la sidérurgie française a commencé à devenir une réalité en 1979 non seulement dans la physionomie juridique de la profession, mais aussi sur le plan social, puisque c'est en février-mars 1979 que se cristallisa à Longwy le mécontentement d'une main-d'œuvre lorraine privée de son gagne-pain.
Plusieurs raisons sont à l'origine de ces bouleversements, décidés pour l'essentiel par les pouvoirs publics :
– la poursuite d'une conjoncture fondamentalement médiocre, se traduisant notamment par la sous-utilisation chronique des capacités de production et par des pertes financières de l'ordre de plusieurs milliards de F par an pour Usinor et Sacilor ;
– la montée en puissance de nouveaux concurrents, localisés aussi bien en Europe (pays socialistes) que dans le tiers monde, montée en puissance difficile à maîtriser par les autorités de Bruxelles ;
– l'instauration en France d'un climat libéral (consécutif à la défaite de la gauche aux élections législatives de mars 1978), particulièrement propice à la mise au pas des canards boiteux ;
– enfin, l'incapacité manifeste de la profession de s'en sortir par ses propres moyens.
L'assainissement de la profession comporte plusieurs volets :
– suppression partielle de l'un de ses principaux handicaps, sa dette, qui lui coûte plus de 3 milliards de F par an, soit 13 % de son chiffre d'affaires contre 5,5 % en Grande-Bretagne, 5 % en Allemagne et 2 % aux États-Unis. Désormais, le service de la dette ne représente plus que 5 % du chiffre d'affaires ;
– conversion de cette dette en « prêts participatifs à long terme », qui ne sont rien d'autre que des fonds propres, et, parallèlement, conversion des créanciers en actionnaires. Par ce biais, l'État contrôle aujourd'hui directement ou indirectement 57 % du capital des deux piliers de la sidérurgie française : Usinor-Châtillon et Sacilor ;
– mise en prise directe de la sidérurgie sur les réalités économiques grâce à l'arrivée de deux gestionnaires musclés : Jacques Mayoux (ex-patron du Crédit agricole) chez Sacilor, et Claude Etchégaray (ex-patron de Châtillon) chez Usinor ;
– accélération de la réduction des effectifs : 20 000 salariés (dont 6 000 en Lorraine), sur un total de 138 000 personnes, vont en faire progressivement les frais ;
– priorité aux produits à forte valeur ajoutée, c'est-à-dire aux produits plats (tôles minces pour l'automobile, tôles fortes pour les gros équipements) au détriment des aciers peu sophistiqués (ronds à béton, poutrelles) dont le marché est moins demandeur et qui, de toute façon, sont fabriqués à meilleur prix par les sidérurgistes exotiques. D'où le sort réservé aux ouvriers des vieilles aciéries lorraines de Longwy, Denain et Valenciennes, alors que ceux de Dunkerque et Fos tireront leur épingle du jeu.
Assainissement
L'ensemble de ces opérations doit théoriquement déboucher sur une sidérurgie assainie financièrement, libérée de ses effectifs en surnombre, axée sur des produits plus rémunérateurs, et gouvernée par des patrons dynamiques.