surréalisme
Mouvement artistique, né en France, qui a connu son apogée dans l'entre-deux-guerres sous l'impulsion d'André Breton.
Voir aussi : surréalisme [littérature].
PEINTURE ARTISTIQUE ET SCULPTURE
Le mouvement surréaliste s’épanouit à partir de 1919, année de la publication des Champs magnétiques de Breton et Soupault et de la réalisation des premiers collages de Max Ernst. En 1969, il proclame, en France, sa propre dissolution.
Le problème des critères
Qu'est-ce qui distingue une œuvre d'art surréaliste ? À cette question, les surréalistes ont souvent répondu qu’est surréaliste ce qui est fait par les surréalistes ou encore ce qui a été jugé tel par les surréalistes. Ceci sous-entend que le mouvement ne se bâtit pas sur des activités séparées, mais réunies au sein d'une collectivité agissante et pensante. Cette dernière se définit en premier lieu par ses relations d'hostilité avec le milieu environnant. La qualification surréaliste désigne donc une activité collective, fondée sur un certain nombre de principes communément admis par les participants. Et le manquement à ces principes entraîne l'exclusion tant pour l'individu que pour les œuvres par lui produites. Le meilleur exemple en serait l'exclusion de Max Ernst lorsque celui-ci reçut en 1954 le Grand Prix de peinture de la Biennale de Venise. Aux yeux des surréalistes, en effet, il n'est pas concevable que les œuvres continuent d'être subversives lorsque leur auteur a fait acte de soumission à l'égard de l'idéologie dominante et de ses institutions. La qualification surréaliste apparaît donc avant tout comme une qualification morale, qu'elle porte sur un homme (ou une femme) ou sur une œuvre d'art. Mais il va de soi que cette qualification morale découle d'une relation avec les principes fondateurs du surréalisme, qui, eux-mêmes, ont un double aspect, à la fois éthique et esthétique.
Les principes de la création
En schématisant, on pourrait dire que, pour les surréalistes, une œuvre d'art ne se justifie que si elle contribue à « changer la vie ». Le mépris qu'ils affichent pour l'art en général comme pour la littérature en général vient justement de ce qu'ils les tiennent, sauf exception, pour totalement incapables de souscrire à cette exigence. Mais comment une œuvre d'art peut-elle contribuer à cette subversion de l'existence quotidienne ? En refusant de sacrifier les pouvoirs inventifs de l'artiste à la description du monde extérieur. La théorie du « modèle intérieur », telle que Breton la développe dès 1925, vise à détourner les artistes de la représentation réaliste : l'artiste, désormais, ne doit plus chercher à porter sur la toile que les seules images qui surgissent en lui-même. C'est aux images du désir que le surréalisme entend donner issue, comme les seules capables de mettre en cause l'ordre moral et politique, que sert un art attaché à décrire uniquement les apparences des biens terrestres.
La part de l'automatisme
L'automatisme constitue le principe moteur du surréalisme. Il représente la possibilité optimale d'accession de l'inconscient à l'expression picturale, en déliant le geste créateur de l'étroit contrôle de la raison et du savoir-faire. Qu'il soit producteur de formes, de textures ou de rythmes, selon les individus, selon les circonstances ou selon les procédés employés, il conduit obligatoirement l'artiste qui s'y rallie à une nouvelle conception de l'œuvre d'art, affranchie non seulement du « modèle extérieur », mais des lois de la composition ou du « rendu » traditionnel. Par lui, un nouvel espace tend aussi à s'imposer, qu'il s'agisse de l'espace purement bidimensionnel propre à Miró ou de l'espace cosmique dans lequel s'affirmeront Matta, Onslow-Ford et Paalen. Il suffit de songer à la considérable diversité de solutions que, grâce à lui, se découvrirent les peintres surréalistes, d'Arp à Tanguy et de Domínguez à Hantaï, pour s'assurer qu'ici nul danger d'académisme ne menace, pour peu que le recours à l'automatisme soit conçu comme le ressort d'une quête de la vérité profonde de l'artiste.
Aspects de l'automatisme surréaliste
Automatisme mécanique
Des procédés tels que le « frottage », le « grattage », le « fumage », la « décalcomanie », le « coulage », qui participent de cette catégorie de l'automatisme que l'on pourrait dire mécanique, ont pour résultat de produire des textures complexes, dans lesquelles l'œil a tendance à déchiffrer des figures fantastiques. Ce phénomène pourrait être rapproché d’une forme de tradition populaire de la divination (« lecture » du marc de café, du plomb fondu, voire des accidents géologiques ou des configurations nuageuses). Par opposition à la peinture traditionnelle, qui ne se préoccupe de peindre que ce qui est, l'automatisme permettrait ainsi de peindre ce qui sera. Aussi singulier qu'il y paraisse, cette conviction est inhérente à la peinture surréaliste, dans laquelle le hasard, provoqué ou non, d'où procède l'œuvre est volontiers accueilli comme oracle et, en tout cas, interprété jusqu'à ce qu'il livre son sens.
Automatisme sensoriel
L'automatisme surréaliste, c'est celle que l'on pourrait nommer l'automatisme sensoriel, selon la définition qu'en donnait le métapsychiste Frederic William Henry Myers (1843-1901) relativement aux « produits de la vision et de l'audition interne extériorisés de façon à revêtir le caractère de quasi-perceptions ». Cette catégorie conviendrait on ne peut mieux pour accueillir les œuvres de la période géniale de De Chirico, qui semble avoir peint comme « sous la dictée » d'un « guide » mystérieux, ainsi que prétendent faire les artistes médiumniques. À la différence de l'automatisme mécanique, producteur de « fonds » qu'il convient ensuite d'interpréter, l'automatisme sensoriel présente une image définitive, que l'artiste doit se contenter de transcrire sans le moindre effort d'interprétation. À ce stade, rarement atteint en dehors de De Chirico, si ce n'est par Giacometti entre 1930 et 1935, et peut-être dans quelques toiles de Toyen, l'artiste se comporte parfaitement en automate.
Automatisme moteur
L'automatisme moteur relève, toujours selon Myers, d'« impulsions motrices internes indépendantes de la volonté consciente ». C'est de cet automatisme-là que se réclameront aussi bien les « automatistes » canadiens groupés autour de Paul-Émile Borduas (1905-1960) que les expressionnistes abstraits américains. C'est lui aussi qui se fait jour dès 1924 dans les dessins automatiques d'André Masson, qui, périodiquement, assure la relance lyrique chez Miró, qui atteint enfin sa pleine dimension vers 1938-1939 chez Domínguez, Paalen, Matta, Onslow-Ford, Francès.
Bien entendu, l'œuvre surréaliste peut se situer à des degrés intermédiaires entre ces diverses catégories automatiques. Une infinie complexité régit néanmoins les relations de la peinture surréaliste avec l'automatisme, doctrine avouée et cependant secrète par sa nature même.
La part de l'objet
Introduction
Les surréalistes entendaient également accéder à davantage de réalité. L'investigation du « modèle intérieur », c'est-à-dire du désir jusque-là informulé qui se voit invité à prendre forme et sens, allait ainsi entraîner réciproquement et complémentairement le désir à se porter sur les objets existants afin de les charger de subjectivité. La relation dialectique entre le « modèle intérieur » objectivé et le « modèle extérieur » subjectivé allait, en peinture, inspirer la relation entre l'automatisme et ce que l'on nomme parfois l'« imagerie surréaliste », d'ailleurs souvent et abusivement donnée comme la plus caractéristique. Bien que ces deux tendances aient été parfois, et jusque dans le surréalisme lui-même, tenues pour antagonistes, elles ne le sont pas en fait, et, d'ailleurs, certains peintres surréalistes comme Ernst, Dalí, Domínguez et Paalen ont sacrifié tantôt à l'une, tantôt à l'autre. D'autre part, comme on a pu le voir à propos de De Chirico, cette imagerie est quelquefois le résultat d'un véritable automatisme, qui, au lieu de se traduire par des impulsions rythmiques, produit une image en quelque sorte « ready-made », issue non pas de l'industrie manufacturière, mais de l'inconscient. C'est ce qui explique que l'œuvre de Magritte, radicalement étrangère à l'automatisme, ait occupé depuis 1927 au sein du surréalisme une place de tout premier plan. Certes, chez le peintre belge, il est bien évident que la description attentive du « modèle extérieur » est mise au service d'une subversion généralisée des images reçues et, par conséquent, de l'ordre social et philosophique dont ces images sont l'expression convenue. Mais c'est aussi comme si, dans les tableaux de Magritte, les objets familiers rejetaient le fardeau de leurs obligations quotidiennes et se faisaient désormais les complices du désir : par là, ils répondraient aux mêmes exigences que celles qui, à partir de 1930, conduisirent à l'objet surréaliste et à ses conséquences sculpturales.
L'objet surréaliste et la sculpture surréaliste
C'est en 1924, dans son Discours sur le peu de réalité, que Breton émet le vœu que soient réalisés concrètement certains objets apparus en rêve. L'attention portée à l'« objet trouvé » comme « précipité du désir » va encourager les surréalistes à tenter d'établir un pont entre le rêve, ou le hasard, et la réalité en fabriquant des objets qui répondent de manière plus immédiate et plus palpable que la peinture aux exigences souterraines. Au projet de Breton répond pour la première fois, en 1930, une singulière sculpture mobile de Giacometti, l'Heure des traces. Une réflexion collective, dans laquelle Dalí occupe une place de premier plan, conduit à la notion d'objet surréaliste (1931).
Dalí, Breton, Valentine Hugo, Tanguy, Domínguez, Marcel Jean, Miró, Meret Oppenheim, Seligmann, Paalen comptent parmi les plus inventifs auteurs de tels objets avant la Seconde Guerre mondiale. Certains de ces objets sont d'une extrême complexité : ainsi ceux de Breton et de Dalí. Au contraire, Meret Oppenheim se contente de recouvrir de fourrure une tasse, une soucoupe et une petite cuillère, Paalen d'envelopper de lierre une chaise, Seligmann d'emplumer une soupière ou de composer un siège à l'aide de quatre jambes de femme.
Ainsi se développe avec une grande diversité de structure et d'apparence un nouveau type d'intervention plastique, qui se distingue tout autant de la peinture que de la sculpture. Pourtant, il paraît difficile de ne pas constater que cette initiative participe justement des nombreuses interventions du surréalisme dans le domaine sculptural. C'est en effet de 1929-1930 que datent les premières sculptures surréalistes de Giacometti et de Hans Arp, tandis que, dans le même temps, Picasso entreprend une synthèse originale entre l'objet et la sculpture. Par ailleurs, le Suisse Serge Brignoni tente une approche de la plastique océanienne, tandis que Calder essaie de concilier le cinétisme et la poésie, et que González esquisse les premiers totems de l'art moderne. Bientôt, ce sera le tour d'Henry Moore de se rapprocher du surréalisme. Alors que, jusqu'en 1930, la sculpture ne s'était pas délivrée des séquelles du cubisme et du constructivisme, il semble que c'est de l'objet surréaliste qu'elle reçoit une nouvelle impulsion.
Les grands initiateurs
Trois artistes jouent pour la peinture surréaliste un rôle indispensable d'initiateurs : Picasso, De Chirico et Marcel Duchamp.
Picasso
Il est certain, en effet, que, si Picasso n'avait, le premier, fait littéralement éclater l'image picturale du « modèle extérieur » à l'époque héroïque du cubisme, ni le surréalisme ni d'ailleurs l'art abstrait n'auraient été possibles. La prise en considération par les historiens d'art des seules répercussions architectoniques du cubisme les empêche, d'ordinaire, de remarquer quels prodigieux encouragements au subjectivisme furent, de ce fait, prodigués, notamment à Chagall et à De Chirico.
De Chirico
Ce dernier, on le sait, fait figure de prototype du peintre surréaliste, et il suscita dans une large mesure les vocations de Max Ernst, de Magritte, de Dalí, de Tanguy, de Brauner. Ce qui est chez lui à la fois exemplaire et inimitable, c'est qu'il est parvenu à fixer l'angoisse la plus profonde dans des images d'apparence on ne peut plus banales de paysages urbains, de natures mortes ou d'intérieurs. Mais c'est sa soumission totale à l'automatisme de la vision qui dote ses œuvres de tout leur retentissement.
Duchamp
Alors que la peinture surréaliste est née de la révélation de De Chirico et de Picasso, l'exemple de Duchamp agit sur elle plutôt comme un mythe qu'à travers les œuvres, dont la plus importante, le « Grand Verre », ne sera d'ailleurs connue que vers 1934. Mais l'ascendant de Duchamp se traduit par une mise en cause de l'art lui-même, la dénonciation de ses limites et la volonté implicite de le pousser à déborder ces limites.
Les grands modèles
Si les grands initiateurs du surréalisme dans les arts plastiques sont trois parmi les plus fortes personnalités artistiques du xxe s., par contraste on serait tenté d'affirmer que les grands modèles en sont, eux, anonymes ou presque. Ce sont en effet le sauvage, le schizophrène et le médium. L'artiste dit « sauvage », et plus particulièrement le sculpteur océanien de Nouvelle-Guinée ou de Nouvelle-Irlande, bénéficie d'une considération toute particulière de la part des surréalistes en raison de sa relation avec une mythologie authentique et de la fantastique invention métaphorique qui en résulte. En outre, il se fait l'interprète d'une pensée collective sans renoncer aux accents les plus aigus du génie individuel. Au contraire, l'artiste schizophrène semble tout tirer de lui-même, étant donné les conditions de relégation qui sont d'ordinaire les siennes. Mais, en fait, alors qu'il œuvre à refaire de toutes pièces un monde enfin habitable, sa démarche recoupe étrangement celle du sauvage. L'artiste médiumnique, enfin, s'il s'abandonne à l'automatisme pour entrer en communication avec les « désincarnés », reçoit en échange de cet abandon une merveilleuse sûreté créatrice, que celle-ci se déploie dans une profusion délirante de courbes ou, au contraire, selon une rigoureuse ordonnance de droites. De la peinture surréaliste, on serait en droit de dire qu'elle n'a pas de plus profonde ambition que celle de reconquérir l'« état de grâce » qui est celui du « sauvage », du schizophrène ou du médium. La technique de cette reconquête est évidemment l'automatisme, qui apparaît ainsi non seulement comme une pratique relevant de l'esthétique et de la mancie, mais aussi comme une ascèse.
Les principales étapes
Les débuts de la peinture surréaliste (1919-1928)
Si l'année 1919 est celle où De Chirico sombre dans l'académisme, c'est aussi celle des premiers collages obtenus par Max Ernst d'une perversion systématique des images. Ernst fait donc figure de premier peintre surréaliste stricto sensu, et c'est pourquoi, sitôt arrivé à Paris en 1922, il « tire le portrait » du groupe en formation (Au rendez-vous des amis). Man Ray est là lui aussi, mais il est alors surtout préoccupé de photographie (les « rayogrammes » ou « rayographes »).
Fin 1923-début 1924, André Masson et Joan Miró font leur apparition et proposent, le premier dans le dessin, le second en peinture, les premières applications plastiques de l'automatisme.
L'année 1925 sera décisive : en réponse à Pierre Naville, qui mettait en doute la possibilité d'une peinture surréaliste, Breton commence la publication, dans la Révolution surréaliste, du Surréalisme et la peinture, où il avance la notion de « modèle intérieur » ; Arp se rallie au mouvement ; Ernst exécute ses premiers « frottages » ; enfin a lieu la première exposition surréaliste, qui groupe Arp, De Chirico, Ernst, Klee, Masson, Miró, Picasso, Man Ray, Pierre Roy (France, 1880-1950).
En 1925, Picasso peint la Danse, toile par laquelle il se détache du cubisme pour se rapprocher du surréalisme. La même année, Tanguy et Magritte peignent leurs premiers tableaux surréalistes.
En 1927, Magritte s'installe à Paris et participe aux activités collectives. Au cours de cette période apparaissent les plus célèbres parmi les peintres surréalistes. Il est bon, aujourd'hui, de se souvenir qu'ils rencontrent cependant l'hostilité la plus vive de la part des marchands, des collectionneurs et de la presse.
L'époque de la diffusion internationale (1929-1939)
La deuxième période de la peinture surréaliste est marquée d'abord par l'arrivée de deux recrues de choix : Dalí et Giacometti. En 1929, Dalí fait sa première exposition, préfacée par Breton, laquelle, bien entendu, fait scandale ; déjà il fourbit sa « méthode paranoïaque-critique », qu'il entend opposer à l'automatisme. À partir de 1929, Giacometti construit sous la pression de son inconscient des œuvres singulières, véritables sculptures de rêve. C'est ce que fait aussi Arp, de son côté, mais en choyant des formes élémentaires, embryonnaires et pourtant voluptueuses. À partir de 1931, l'objet surréaliste va séduire la plupart des peintres surréalistes, aussi bien les aînés que les nouveaux venus. Entre 1932 et 1935, Hans Bellmer (Allemagne, 1902-1975), Victor Brauner, Oscar Domínguez (Espagne [Canaries], 1906-1957), Richard Oelze (Allemagne, 1900-1980), Meret Oppenheim (Suisse, 1913-1985), Wolfgang Paalen (Autriche, 1907-1959), Kurt Seligmann (Suisse, 1901-1962) font leur apparition à Paris.
À dater de 1935, la diffusion internationale du surréalisme se marque par des expositions au Danemark, aux Canaries, en Tchécoslovaquie, à Londres, à New York, au Japon, enfin à Paris (1938), où sont représentés soixante-dix artistes de quatorze pays différents. Un style particulier de présentation s'impose dans ces Expositions internationales du surréalisme par la création d'un climat étrange et parfois menaçant. En 1938-1939 se dessine, encouragée par les « décalcomanies » (1936) de Domínguez et les « fumages » (1937) de Paalen, une tendance vers l'« automatisme absolu » avec Matta, Gordon Onslow-Ford (Grande-Bretagne, 1912-2003) et Esteban Francès (Espagne, 1913-1976). Masson, qui s'était éloigné en 1929, réintègre le groupe, tandis que Dalí, qui professe de plus en plus des opinions réactionnaires, cesse toutes relations avec les surréalistes.
La peinture surréaliste pendant la guerre (1940-1946)
La guerre disperse les surréalistes. Ne restent en France, Picasso excepté, que Brauner, Domínguez et Jacques Herold (Roumanie, 1910-1987). Ernst, Francès, Masson, Matta, Onslow-Ford, Man Ray, Seligmann, Tanguy se réfugient aux États-Unis, Leonora Carrington (Angleterre, 1917-2011), Paalen, Remedios ( Espagne, 1913-1963) au Mexique. Miró retourne en Catalogne. Exilée aux Amériques, la peinture surréaliste va atteindre l'un de ses plus hauts sommets. C'est le cas notamment chez Masson, que l'influence des mythes amérindiens conduit à ses œuvres les plus lyriques ; chez Max Ernst, qui adopte la technique de la « décalcomanie » et en tire de fabuleux paysages de rêve ; chez Matta, dont les somptueuses visions cosmiques nées de l'automatisme cèdent le pas, en 1944, à l'image déchirée de l'homme de notre temps ; chez Tanguy enfin, qui, seul de tous les surréalistes, s'installera à demeure aux États-Unis. Le Cubain Wifredo Lam, qui fit la rencontre des surréalistes en 1940 à Marseille, inaugure une œuvre flamboyante inspirée par le Vaudou. Aux États-Unis, la présence des surréalistes agit comme un coup de fouet sur les artistes américains, pour lesquels l'automatisme sera la voie de l'émancipation. Parmi eux, Arshile Gorky atteint dès 1944 à un incomparable niveau d'émotion dans l'expression picturale. Mais il se suicidera en 1948.
La peinture surréaliste après la guerre (1947-1969)
L'Exposition internationale du surréalisme de 1947, à Paris, est l'occasion d'un regroupement de forces au lendemain de la guerre.
L'automatisme tient désormais le haut du pavé, mais il entraînera à diverses reprises des déviations du côté de l'abstraction lyrique (Francis Bott, Jean-Paul Riopelle, Iaroslav Serpan, puis Simon Hantaï et Antonio Saura). Installée à Paris depuis 1947, Toyen (Marie Čermínová, Tchécoslovaquie, 1902-1980) s'y révèle comme le peintre par excellence des hallucinations.
Accédant maintenant à une notoriété internationale, les premiers peintres surréalistes se détachent de l'activité collective : c'est le cas d'Arp, de Miró, de Magritte, de Tanguy. Des ruptures se produisent : en 1948 Matta et Brauner, en 1951 Herold, en 1954 Ernst. En revanche, de nouvelles adhésions interviennent, presque sans interruption : en 1949 Adrien Dax (France, 1913-1979), en 1953 Hantaï et Max Walter Svanberg (Suède, 1912-1994), en 1956 Agustín Cárdenas (Cuba, 1927-2001) et Pierre Molinier (France, 1900-1976), en 1957 Le Maréchal (France, 1928-2016), en 1958 Robert Lagarde (France, né en 1928), en 1959 Jean Benoît (Canada, 1922-2010), Yves Laloy (France, 1920-1999), Mimi Parent (Canada, 1924-2005) et Friedrich Schröder-Sonnenstern (Lituanie, 1892-1982), en 1961 Jean-Claude Silbermann (France, né en 1935), en 1962 Jorge Camacho (Cuba, 1934-2011), en 1963 Gabriel Der Kevorkian (France, né en 1932).
Autour de 1955, grâce au critique Charles Estienne, s'esquisse sous le signe du tachisme un rapprochement avec quelques abstraits lyriques, tels Degottex, Duvillier, Loubchansky, Messagier.
À partir de 1960, une alliance tactique avec le groupe « Phases », animé par Édouard Jaguer, permet à certains artistes, tels que Pierre Alechinsky (Belgique, né en 1927), Enrico Baj (Italie, 1924-2003), Alberto Gironella (Mexique, 1929-1999), Konrad Klapheck (Allemagne, né en 1935) et Hervé Télémaque (Haïti, né en 1937), d'entrer en contact avec les surréalistes.
Deux grandes Expositions internationales du surréalisme auront de nouveau lieu à Paris du vivant de Breton : « Eros » en 1959 et « l'Écart absolu » en 1965, qui marqueront avec force la position du mouvement sur le plan de l'érotisme et face à la société de consommation. Après la mort de Breton (1966), de nouveaux peintres indiscutablement surréalistes se révèlent encore, par exemple Theo Gerber (Suisse, 1928-1997) et Ivan Tovar (Saint-Domingue, né en 1942). Et si l'on découvre en 1969 l'œuvre à laquelle Duchamp avait travaillé vingt ans durant (1946-1966), Étant donnés : 1° la chute d'eau, 2° le gaz d'éclairage, doit-on l'interpréter comme le mot de la fin de l'aventure surréaliste dans le domaine des arts plastiques ou, plus vraisemblablement, comme le signe qu'une étape du surréalisme est close et qu'une autre s'annonce ?