futurisme
(italien futurismo, de futuro, futur)
Mouvement esthétique et littéraire du début du xxe s., essentiellement italien, mais aussi russe, fondé sur le refus du passéisme et sur l'adoption de notions clés du monde moderne (vitesse, machinisme, etc.).
Le futurisme parcourt l'Europe d'avant la Première Guerre mondiale, entre deux pôles privilégiés, l'Italie et la Russie.
Il est, pour l'essentiel, une réaction aux formes surannées de sensibilité et d'expression qui persistent au milieu du bouleversement de la société du début du xxe siècle : les phénomènes de masse, la ville industrielle, le développement du machinisme, la vitesse qui transforme la conception de l'espace et du temps ne sont traduits ni par les symbolistes, ni par les décadents, ni par les esthétiques néoclassiques.
Le futurisme se fonde sur une vision dynamique de la vie, créatrice de rapports surprenants et paradoxaux. Son action est une agitation qui s'incarne dans des manifestes provocants et des manifestations tapageuses, dont les modèles proposés par l'initiateur du mouvement, Filippo Tommaso Marinetti, seront « la gifle et le coup de poing ».
Le futurisme, parti de la littérature en 1909, gagne rapidement tous les arts et toutes les formes de comportement : il y aura un Manifeste de la peinture futuriste (1910), un Manifeste des musiciens futuristes (1911), un Manifeste de la femme futuriste et un Manifeste technique de la sculpture futuriste (1912), un Manifeste futuriste de la luxure, un Manifeste du bruitisme et un Manifeste du music-hall (1913), une définition de l'Architecture futuriste et un Programme politique futuriste (1914).
Le futurisme jouera même un rôle bien au-delà du domaine esthétique, puisque l'intervention de ses membres pèsera d'un poids décisif dans l'entrée en guerre de l'Italie contre l'Allemagne et l'Autriche.
En littérature, le futurisme se fixe des objectifs à la fois thématiques (rejet du patrimoine culturel, exaltation des forces collectives, célébration des produits de la technique moderne) et techniques : donner la « liberté aux mots », en abandonnant les contraintes de la syntaxe et de la graphie traditionnelles. La suppression de la ponctuation, la substitution des signes mathématiques aux termes de liaison, le jeu sur les dimensions des caractères typographiques rapprochent l'écriture des idéogrammes et appellent à une « visibilité » émotionnelle du texte plus qu'à son parcours logique.
Pour en savoir plus, voir l'article futurisme [littérature].
Marinetti : une déclaration de guerre au passé
Entre des débuts traditionnels d'homme de lettres dans le Paris fin-de-siècle et une fin de pontife nationaliste en marge des liturgies mussoliniennes, Marinetti a eu l'intuition de l'agonie d'un monde et de l'inadaptation de l'art à dire la modernité : avant de chercher la vérité dans le « tactilisme » qui transforme « le baiser et l'accouplement en des transmissions continues de la pensée », il a préconisé des solutions plus radicales.
La guerre, hygiène du monde
Au cœur du Manifeste du futurisme, qui paraît en français dans le Figaro du 20 février 1909 sous la signature de Marinetti, il y a la guerre et la destruction. Il faut raser les musées, les bibliothèques, les académies : mot d'ordre qui fait d'autant plus scandale qu'il est proféré par un Italien et s'adresse d'abord à ce pays-musée qu'est l'Italie. Finie la poésie qui chante l'harmonie, l'équilibre, la paix de la nature, ou qui se fait l'écho de l'intimité de l'individu solitaire. La littérature doit exalter le mouvement, un mouvement agressif, d'audace et de révolte. Elle doit chanter les foules et, singulièrement, les masses au travail ou dans la colère des sursauts révolutionnaires. Elle doit magnifier les locomotives, les bateaux, les avions, tout ce qui crève les vieilles cloisons de l'espace et du temps. « La voiture de course est plus belle que la Victoire de Samothrace. » La littérature futuriste est une littérature de la vitesse, qui seule permet de retrouver « la ferveur des éléments primordiaux ».
Pour réaliser ce programme, Marinetti se donne dix ans : après quoi les pionniers futuristes seront balayés par une génération plus jeune et encore plus exigeante, « car l'art ne peut être que violence, cruauté et injustice ».
Les mots en liberté
Dans sa recherche de la plus grande liberté d'expression, Marinetti s'était d'abord fait le défenseur du vers libre, théorisé et illustré par les symbolistes. Mais le désir de rapprocher la littérature de la peinture et des arts du mouvement l'incite à aller plus loin dans l'innovation technique.
Pour mettre le mot en prise directe sur l'objet réel en mouvement, Marinetti est conduit à définir et à préciser une méthode : le Manifeste technique de la littérature futuriste (1912) suivi du Manifeste de la cinématographie futuriste (1916) puis des Mots en liberté futuristes incitent à la subversion de la syntaxe, à l'abolition des adjectifs, à l'élimination des signes de ponctuation ; le verbe doit être employé à l'infinitif, le substantif suivi d'un double : ainsi le poète sera capable d'exprimer des analogies de plus en plus profondes et ramifiées ; celles-ci traceront à travers le monde des circuits transversaux qui mineront les voies classiques de la représentation de la beauté.
Les mots futuristes se disposant dans la page comme les éléments d'une formule chimique, la typographie devenant par elle-même expressive permettent ainsi de saisir de nouvelles relations entre les objets et les signes, et font de la création littéraire une « imagination sans fils ».
Maïakovski : un chant d'amour à la Révolution
Le futurisme fut révélé en Russie en décembre 1912 par le scandale d'un manifeste, la Gifle au goût du public, lancé par le groupe « Hylea » et signé par un jeune étudiant de l'École des beaux-arts de Moscou connu pour son militantisme au sein du parti bolchevik, Vladimir Maïakovski.
Une tradition d'anticonformisme
Le mouvement a emprunté à l'avant-garde italienne son sens de la provocation et son mépris pour les écoles poétiques périmées (symbolisme, acméisme russe). Mais il se réclame d'une tradition critique slave et païenne, dont les multiples composantes s'incarnent dans des groupes rivaux : « égofuturistes » de Saint-Pétersbourg, « cubo-futuristes » de Moscou, « centrifuges » moins iconoclastes à l'égard du passé culturel.
Le futurisme se répand rapidement grâce à des récitals en province (en Ukraine, dans le Caucase, à Vladivostok), au cours desquels se font remarquer la haute silhouette et les dons d'orateur d'un poète qui se met lui-même en scène dans un véritable happening : Vladimir Maïakovski. Tragédie (1913).
Il va d'ailleurs résumer dans les quatre points du Nuage en pantalon (1915) l'idéologie du futurisme russe : « À bas votre amour, à bas votre art, à bas votre système, à bas votre religion ! »
De la révolution poétique à la poésie de la révolution
Dans leur désir de créer un nouveau langage poétique, une langue « transmentale » comme la souhaite Khlebnikov (l'Incantation par le rire, 1909), les futuristes lient l'abolition des cloisons esthétiques et celle des classes sociales. La saisie immédiate de la réalité les pousse à user de matériaux bruts qu'ils insèrent dans le tissu poétique (collages, extraits de journaux) ; elle les conduit aussi à chercher à intervenir sur le réel social, le quotidien.
En 1917, la plupart des futuristes se rallient à la Révolution. Maïakovski lance une série de poèmes-manifestes : Ordre du jour de l'armée de l'art, le Poète-ouvrier. Avec ses compagnons du Journal des futuristes (qui n'aura qu'un seul numéro, le 15 mars 1918), puis de l'Art de la Commune, il s'efforce de faire reconnaître une cellule de « communistes-futuristes » : Lénine, choqué par leur rejet du patrimoine esthétique et par leur tendance au monopole littéraire, ne le permettra pas. Jamais Maïakovski ne sera considéré comme un « compagnon de route » parfaitement sûr.
Il célèbre pourtant le premier anniversaire de la révolution d'octobre avec un Mystère-bouffe inspiré du théâtre médiéval, puis il exalte les 150 000 000 (1921) qui construisent le monde nouveau. Il participe à la propagande politique en unissant ses quatrains aux dessins satiriques des affiches de l'Agence russe Rosta. Il compose sur commande des slogans et des poèmes de circonstance ; il entreprend une carrière de journaliste (à Berlin, à Paris, à New York, à Cuba) qui lui permet, dans le plus pur style futuriste, d'évoquer les prouesses techniques de l'Occident, tout en les opposant aux tares de sa société bourgeoise (le Pont de Brooklyn, 1925).
Mais il ne pourra refréner sa vigueur satirique ni son inspiration contenue : l'écart de plus en plus grand entre son idéal révolutionnaire et la réalité politique lui inspire une comédie (la Punaise, 1929) sur les prolétaires embourgeoisés et un « drame en six actes avec cirque et feux d'artifice » (les Bains, 1930), qui dénonce la nouvelle bureaucratie. Il cherche à faire partager sa conception de la littérature en fondant le LEF (« Front gauche de l'art ») et en définissant sa poétique dans Comment faire des vers (1926). En février 1930, il est contraint d'adhérer à la RAPP (« Association russe des écrivains prolétariens »), qui réduit l'art à une esthétique industrielle. Le 14 avril, il se suicide.
Maïakovski a cherché consciemment à abolir toute frontière entre son moi intime et son personnage littéraire puis politique. Mais cette recherche reposait sur la démesure d'une personnalité poétique impatiente de remodeler le monde à son image : sa vie et son œuvre ardentes composent une hyperbole monumentale qui déforme le réel selon les catégories du grandiose ou du grotesque.
L'avenir du futurisme
Intimement lié aux avant-gardes plastiques de son époque, le futurisme a donné naissance à de multiples courants poétiques, qui ont cherché la plus grande authenticité de l'expression dans la liberté la plus absolue des éléments du langage.
Le lettrisme
Lancé à Paris par Isidore Isou, le lettrisme se veut une poésie des lettres et non des mots, qui inaugure une réforme totale des moyens d'expression (Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique, 1947 ; Traité d'économie nucléaire, 1948 ; Essai sur la définition et le bouleversement total de la prose et du roman, 1950).
Le lettrisme privilégie les éléments matériels des mots au détriment de leur unité significative. Il rejoint par là certaines recherches musicales contemporaines sur l'autonomie des sons, des hauteurs et des timbres.
La poésie concrète
Se plaçant dans la lignée du poète russe Khlebnikov, du dadaïste allemand Hugo Ball, du peintre Kurt Schwitters, des calligrammes d'Apollinaire, la poésie concrète s'attache à la matière graphique, sonore, voire tactile de l'expression. Théorisée par le philosophe allemand Max Bense (Aesthetica, 1954-1965) et, à partir de 1953, par l'écrivain suisse Eugen Gomringer (Constellation, 1969), la poésie concrète s'est particulièrement développée dans l'Allemagne (avec Helmut Heissenbütell, Claus Bremer), l'Autriche (H. C. Artmann, Ernst Jandl) et la Suisse (Diter Rot) des années 50, en réaction à la fois contre les condamnations artistiques du nazisme et le néoréalisme du roman.
La poésie concrète a également suscité des expériences originales au Brésil, avec le « concrétisme » d'Haroldo et Augusto de Campos et Décio Pignatari et le Plan-Pilote pour la poésie concrète (1958) du groupe de São Paulo.
Le spatialisme
Le spatialisme, défini par Pierre Garnier (Manifeste pour une poésie nouvelle visuelle et phonique, 1963 ; Spatialisme et poésie concrète, 1968), place la poésie dans un univers débarrassé des mythes, des religions et des philosophies et qui se déploie dans l'entière liberté des mots, livrés à l'état sauvage. La langue poétique n'est plus utilisée pour traduire des idées, des sentiments : elle devient un espace de sensations qui ne transmet pas de signification, mais sa propre réalisation. Le « poème spatial » impose une conversion du regard, moins une lisibilité qu'une visibilité de la page.