Donatien Alphonse François, comte de Sade, dit le marquis de Sade
Écrivain français (Paris 1740-Charenton-Saint-Maurice, aujourd'hui Saint-Maurice, 1814).
Contestée, vilipendée, sujette à procès, l'œuvre du marquis de Sade fut longtemps considérée uniquement sous l'angle du sadisme. Plus fondamentalement, elle forme le double névrotique et subversif des philosophies naturalistes et libérales du siècle des Lumières.
Vie et mort du « Divin Marquis »
Né dans une famille d'ancienne noblesse provençale, Donatien Alphonse François fait ses études à Paris au collège Louis-le-Grand (1750-1754), puis sert dans l'armée durant la guerre de Sept Ans (1756-1763). Démobilisé en 1763 avec le grade de capitaine de cavalerie, il s'installe dans le château familial de Lacoste, dans le Vaucluse, où il épouse Renée-Pélagie de Montreuil (1741-1810), issue de la petite noblesse de robe. Ses débauches (flagellation, sacrilège, sodomie homosexuelle [passible de mort à l'époque]) lui valent des emprisonnements successifs (1763, 1768, 1772). Condamné à mort par le parlement d'Aix-en-Provence, réfugié en Italie, il est arrêté de nouveau en 1777, incarcéré à Vincennes, puis à la Bastille (1784-1789). Il écrit alors ses premiers ouvrages : Dialogue entre un prêtre et un moribond (1782), les Cent Vingt Journées de Sodome (1782-1785), Aline et Valcour (1786-1788, publié en 1795) et les Infortunes de la vertu (1787).
Transféré à l'hospice de Charenton, Sade est libéré en 1790 – année où, à peine divorcé, il s'installe avec Marie-Constance Quesnet, une comédienne qui restera à ses côtés jusqu'à sa mort. Il milite alors à la section révolutionnaire parisienne des Piques, dont il devient le président (1793). Il poursuit son œuvre romanesque avec Justine ou les Malheurs de la vertu (1791) et compose pour le théâtre des drames moraux, Oxtiern ou les Malheurs du libertinage (1791), le Suborneur (1793). Affirmant ses positions jacobines dans un Discours aux mânes de Marat et Le Peletier (id.), il est emprisonné pour modérantisme – terme qui désigne l'attitude des modérés pendant la Terreur –, avant d'être sauvé par la chute de Robespierre, puis libéré (1794). Il publie la Philosophie dans le boudoir (1795) et la Nouvelle Justine ou les Malheurs de la vertu, suivie de l'Histoire de Juliette, sa sœur, ou les Prospérités du vice (1797). Le scandale déclenché par ce dernier roman provoque de nouveau son arrestation, en 1801, lors de la remise en ordre politique et morale entreprise par Bonaparte au moment de la signature du Concordat.
Incarcéré d'abord à Sainte-Pélagie, Sade est de nouveau transféré à Charenton en 1803, organisant des représentations théâtrales avec les pensionnaires, rédigeant ses derniers romans : les Journées de Florbelle (1804-1807), l'Histoire secrète d'Isabelle de Bavière (1813), la Marquise de Gange (publié en 1813). Mort à 74 ans, un an après avoir entamé une liaison avec une jeune fille de 16 ans, il est enterré religieusement, contrairement aux souhaits formulés dans son testament.
Une œuvre de libération
Partiellement inédite jusqu'au xxe siècle – notamment les Cent Vingt Journées de Sodome, publiées pour la première fois en 1904 par le psychiatre allemand Iwan Bloch (1872-1922) –, entourée de silences prudents, d'anathèmes et de procès pour outrage aux bonnes mœurs (le dernier date de 1957), l'œuvre de Sade n'est guère reconnue avant Apollinaire et les surréalistes (dont Breton), qui saluent la revendication d'une liberté absolue face à la contrainte sociale, à la fois morale, religieuse et langagière.
Mais Sade est aussi un écrivain du xviiie siècle, qui procède à un détournement ironique des valeurs et des dogmes de la bourgeoisie des Lumières : le culte de la Nature, le droit au bonheur peuvent légitimer tous les crimes, le sensualisme invite à nourrir l'intellect avec les sensations les plus violentes et les plus singulières. D'où une structure narrative originale, caractérisée par l'alternance d'une scène libertine souvent insoutenable et d'un discours philosophique où figurent en bonne place ceux que nous considérons comme les inventeurs des droits de l'homme. L'ironie aristocratique de Sade oblige ainsi à une remise en cause idéologique, que la notion de sadisme – définie, d'un point de vue psychanalytique, comme une perversion dans laquelle la satisfaction sexuelle ne peut être obtenue qu'en infligeant des souffrances physiques ou morales au partenaire – permettra longtemps d'esquiver.