L'ambition proclamée du Premier ministre Sa Carneiro est double : reconduire à la victoire la coalition de l'Alliance démocratique (AD) qui lui a permis d'accéder au pouvoir en décembre 1979 (Journal de l'année 1979-80), et faire élire à la présidence de la République une personnalité favorable, qui lui permettra de conduire à sa guise le redressement du pays.
Majoritaire à la Chambre, le leader social-démocrate a pu mener à bien sa politique brutale mais efficace. En quelques mois, il a stabilisé les salaires réels, relevé les allocations familiales et les pensions de retraite, réduit plusieurs impôts — mais lourdement taxé les revenus du capital —, modéré la dévaluation de la monnaie et abaissé le taux d'inflation, qui passe en moins d'un an de 24 à 16 %. Le redressement économique ranime la confiance des milieux financiers internationaux et favorise les investissements.
Liquidation
Le chef du gouvernement désamorce les velléités indépendantistes des Açores en accordant, le 25 juillet 1980, un statut de large autonomie économique et financière à l'archipel, qui jouissait déjà d'une grande indépendance administrative.
Dénonçant ces « manœuvres électoralistes », les socialistes commentent avec amertume : « La gauche a géré la crise et la droite en a tiré profit. »
Certaines initiatives gouvernementales vont cependant fournir des terrains d'attaque à l'opposition. Ainsi le démembrement des unités collectives de production (UCP), mises en place dans les latifundia de l'Alentejo au lendemain de la révolution des œillets (Journal de l'année 1973-74), et dont plusieurs ont dû déposer leur bilan. Hostile depuis toujours à la réforme agraire, Sa Carneiro profite de cette faillite pour distribuer les terres aux petits et moyens propriétaires, provoquant de vastes manifestations populaires à travers le pays contre « la liquidation des grandes conquêtes de la révolution ».
Des grèves éclatent un peu partout. Une Association des militaires d'avril se crée afin de défendre le prestige de l'armée « dont la dignité est mise en cause à l'intérieur même du régime politique issu de la révolution d'avril ».
Triomphe
Le PS s'en prend à la vie privée de Sa Carneiro et réclame l'ouverture d'une enquête parlementaire sur la situation financière du chef du gouvernement, accusé de s'être « frauduleusement » dégagé en 1977 d'une dette de 35 millions d'escudos (3 millions de F). Tandis que le président Eanes se plaint d'être « censuré » par les organes d'information, « manipulés » par l'Alliance démocratique.
Les passions s'exacerbent dès l'ouverture de la campagne électorale, le 14 septembre 1980 : grèves de journalistes, affrontements entre militants, agression du leader socialiste Mario Soares lors d'un meeting à Viseu. Otelo de Carvalho n'hésite pas à comparer emphatiquement la situation à celle de l'Allemagne des années 30 « où sévissaient les groupes de choc nazis qui ont porté Hitler au pouvoir ».
Les législatives du 5 octobre 1980 sont un nouveau triomphe pour Sa Carneiro et l'Alliance démocratique, qui, avec 134 sièges, consolide sa majorité absolue, cependant que le Front républicain et social, conduit par le PS, stagne à 74 sièges et que l'Alliance du peuple uni, qui est dominée par le PC, en perd six.
Présidentielle
« Nous assumons notre défaite pleinement et j'aimerais croire que la droite n'abusera pas de sa victoire », commente Mario Soares. Mais, ivre de son succès, le vainqueur affirme sans modestie : « Jusqu'à présent, j'ai toujours joué et j'ai toujours gagné. » Puis, formulant son nouvel objectif, il lance : « Il n'est pas question que je reste à la tête du gouvernement si le général Eanes est réélu président de la République. Mais il vient de perdre la première manche de l'élection présidentielle, et le général Soares Carneiro, candidat de l'AD, gagnera le deuxième tour en décembre. »
Soares Carneiro, homme de droite chargé d'un lourd passé, s'est distingué en Angola par la création du camp de concentration de São Nicolau.
Le leader social-démocrate a l'intention de réviser la Constitution socialiste de 1976 dans un sens libéral mais, ne disposant pas à la Chambre de la majorité des deux tiers nécessaire, il souhaite un chef de l'État compréhensif qui lui permette d'organiser un référendum. Or il ne peut compter sur R. Eanes défenseur du statu quo institutionnel, avec lequel il est au plus mal.