art

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin ars, « pratique », « métier », « talent », mais aussi « procédé », « ruse », « manière de se conduire », et seulement tardivement « création d'œuvres » ; terme traduisant le grec tekhnè. La signification du terme art s'est historiquement déplacée du moyen vers le résultat obtenu.


Au sens le plus neutre et le plus large, l'art est technique et se pose comme une activité de transformation du donné naturel. Si un processus peut mériter le nom d'art, c'est bien en vertu de l'existence de règles à partir desquelles même la représentation la plus abstraite, même l'art le plus conceptuel ne peuvent éviter d'être jugés. Recouvrant un champ d'expression humaine bien plus large que celui du langage ou de la pensée, l'art devance de très loin l'expression d'un besoin de rationalité. Notre perception contemporaine de l'art est marquée par deux événements majeurs : d'une part la critique kantienne du jugement de goût, qui a déplacé la question de l'œuvre, typiquement renaissante, vers celle du sujet pensant enfin réconcilié avec sa sensibilité. D'autre part l'abstraction grandissante des expressions de l'art contemporain, qui n'est en rien contraire à l'esthétique kantienne. L'art n'a donc sans doute pas de nos jours le sens qu'il possédait dans les premières figurations cavernicoles et rupestres, puis dans les premières scènes animales minoéennes connues. Écartelé entre les approches esthétiques, liées au romantisme allemand, historiques, philosophiques ou sociologiques, l'art a néanmoins retrouvé, au-delà des interrogations classiques sur le beau auquel il a été réduit, une fonction salutaire d'interrogation et de perturbation de la perception.

Philosophie Générale, Esthétique

Ensemble d'activités en général productrices d'artefacts disponibles pour une appropriation esthétique.

« Art » possède une extension restreinte (le système des beaux-arts) et une acception plus large qui englobe toute forme d'activité réglée. La crise de la première a entraîné un examen critique de chaque paramètre associé jusque-là à la notion de l'art, et provoqué une mutation sans précédent de ses formes, à la fois fuite en avant et retour aux sources.

La notion commune de l'art est celle d'une activité libre, détachée des tâches de la vie ordinaire et poursuivie pour la seule qualité de l'expérience qui s'y manifeste. Sans remettre en cause la prévalence de cette conception aujourd'hui, il convient cependant de ne jamais perdre de vue qu'elle est relativement récente et qu'elle se trouve par ailleurs au centre d'interrogations qui mettent en jeu la définition même de l'art.

Quelle identité historique ?

Dans le monde grec qui a fourni au classicisme le modèle jugé indépassable de perfection formelle, il n'existe pas à proprement parler d'art ou d'esthétique. Le terme de tekhnè renvoie au savoir-faire en général, et s'emploie le plus souvent accompagné d'un génitif qui le détermine : l'art de faire ceci ou cela, au sens d'une compétence maîtrisée. Ce modèle technique comporte d'ailleurs une tension interne entre une version aristocratique, fondée sur la parole, et une version démocratique, qui s'appuie de préférence sur les activités manuelles (d'où l'indignation des interlocuteurs de Socrate devant les exemples tirés du monde de l'artisanat(1)). Ce n'est qu'à l'époque hellénistique, et à Rome, que s'est développé un goût pour la collection de ce qu'on appellera plus tard des « antiques ».

Jusqu'à la Renaissance, il n'existe aucune frontière précise entre l'artiste et l'artisan. Cela ne signifie pas qu'on méconnaît la valeur du travail bien exécuté, mais au contraire que la dignité de l'artiste est celle d'un artisan supérieur. Ainsi le terme de « chef-d'œuvre » désigne à l'origine le produit par lequel un apprenti témoigne de sa capacité à devenir maître à son tour. La distinction entre arts libéraux et arts mécaniques est en fait relative à une hiérarchie de ses objets : d'un côté, les activités qui sont relatives au corps (G. Duby rappelle que le chirurgien entre dans la même catégorie que le barbier et le bourreau, alors que le médecin est plus proche du juriste et du théologien), de l'autre, celles qui s'adressent à l'âme et mobilisent des facultés d'ordre intellectuel faisant de l'art una cosa mentale. Pour les artistes, la reconnaissance officielle de cette différence coïncide avec leur émancipation vis-à-vis des corporations et leur allégeance aux académies et à la commande nobiliaire.

En réaction contre la théorie romantique de l'inspiration, l'époque moderne a vu se multiplier les tentatives de réintégration de l'art dans la culture matérielle. Du mouvement Arts and Crafts autour de W. Morris(2) au « Manifeste du Bauhaus »(3) et au-delà, une double tendance s'affirme qui réclame non seulement la fusion des arts mais la réconciliation entre beaux-arts et arts appliqués, puis entre art et vie.

Le problème de la définition

Du xve s. à la fin du xixe s., il y a eu consensus sur la notion de l'art ; les seules contestations envisageables étaient relatives au style, au sujet ou à l'expression, et menées sur la base d'arguments identiques : ainsi, les querelles autour du maniérisme ou de la couleur ne portaient jamais sur ce qui pouvait ou non entrer dans l'art. L'avant-garde transforme la situation en introduisant une fracture entre l'art reconnu par le public et les institutions et une frange émergente qui revendique d'être porteuse d'une conception plus authentique ou plus radicale et destinée à devenir la norme future.

Devant la perte des repères qui en découle, la réaction immédiate consiste à dire que l'art cesse désormais d'être définissable puisqu'il n'existe pas de conditions nécessaires et suffisantes d'appartenance de ses objets à un même ensemble. M. Weitz(4) leur applique le critère wittgensteinien des « ressemblances de famille » : il n'y a pas de propriétés que tous les membres d'un groupe doivent partager en commun pour recevoir le même nom mais cela n'empêche pas qu'ils soient apparentés de multiples manières ; et il se présente en permanence des cas ambigus qui ne cessent de modifier les catégories admises. L'art serait donc un concept « à bords flous », ouvert et évolutif.

Loin de mettre un terme à une recherche dénoncée comme vaine, ce constat a eu pour effet une floraison de nouvelles définitions. S. Davies(5) a montré qu'on peut classer celles-ci en fonction de deux types de stratégie : soit l'art a une essence au sens où quelque chose est une œuvre d'art s'il possède telles propriétés caractéristiques (quoique non nécessairement exhibées), par exemple celles qui le distinguent formellement et sémiotiquement et qui lui assurent des capacités de signifiance, de représentation et d'expression ; soit l'art a un statut au sens où quelque chose est une œuvre d'art s'il résulte de la procédure adéquate (théories institutionnelles). Dans le premier cas, l'art reste inséparable d'une démarche esthétique d'évaluation et de la spécificité de chaque médium ; dans le second il est seulement tributaire d'une instance de qualification (monde de l'art) et l'artiste tend à faire indifféremment usage de n'importe quel médium.

Lorsqu'on envisage l'art en tant qu'objet culturel et philosophique, la difficulté est en définitive d'éviter l'écueil de la diversité qualitative sans tomber pour autant dans le piège de l'anachronisme, qui aboutirait à tenir la notion elle-même pour intemporelle. L'avantage des définitions procédurales est de faire abstraction de toute spécificité de contenu intrinsèque et, en conséquence, de faire l'économie des querelles qui accompagnent sa détermination, mais on peut se demander si elles ne font pas trop bon marché de l'histoire(6) et de régularités d'ordre fonctionnel. Au-delà d'une définition nominale, il est en effet probable que la compréhension de ce qu'est l'art passe par l'identification correcte de conventions explicites ou tacites, et comporte donc une référence nécessaire à de multiples aspects qui coexistent à différents niveaux de son fonctionnement, ainsi qu'aux relations diverses qu'il entretient avec d'autres disciplines.

Jacques Morizot

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Platon, Gorgias 490b-491b, Hippias 291a, la République, 338c.
  • 2 ↑ Morris, W., « Les arts mineurs » (1877), trad. in Contre l'art d'élite, Hermann, Paris, 1985.
  • 3 ↑ Gropius, W., « Manifeste du Bauhaus » (1919), trad. in Whitford, F., le Bauhaus, Thames and Hudson, 1989.
  • 4 ↑ Weitz, M., « Le rôle de la théorie en esthétique » (1956), trad. in Lories, D., Philosophie analytique et esthétique, Klincksieck, Paris, 1988.
  • 5 ↑ Davies S., Definitions of Art, Cornell, U.P., Ithaca, 1991.
  • 6 ↑ Levinson, J., « Pour une définition historique de l'art », trad. in l'Art, la musique et l'histoire, éd. de l'Éclat, Paris, 1998.
  • Voir aussi : Carroll, N., Philosophy of Art, Routledge, London and New York, 1999.
  • Wollheim, R., l'Art et ses objets (1980), Aubier, Paris, 1994.

→ académie, artiste, beaux-arts, esthétique, ontologie

→  « La symbolisation est-elle à la base de l'art ? »




approche 1 : philosophie de l'art

Esthétique

Elle désigne à la fois l'intérêt presque constant des philosophes pour l'art depuis l'Antiquité et une discipline plus ou moins conçue comme autonome depuis la fin du xviiie s. La question du beau domine dans la première acception, la seconde vise plus précisément une théorie de l'art. La définition de ce qu'est l'art fait actuellement l'objet d'une discussion sans cesse renouvelée dans laquelle les « sciences de l'art » ont parfois la prétention d'intervenir.

Il convient de distinguer deux manières d'aborder la philosophie de l'art. D'un premier point de vue, elle recouvre tout le corpus des textes philosophiques qui, depuis l'Antiquité, abordent la question de l'art (de Platon à Kant) ; d'un second point de vue, la discipline appelée explicitement « philosophie de l'art » est née au début du xixe s. sous la plume de Schelling. Parmi les arguments qui militent pour le premier point de vue, on peut remarquer que les considérations les plus intéressantes sur l'art ne figurent pas seulement dans les livres qui arborent le titre de « philosophie de l'art » ; de même, le plus grand livre qui lui ait été consacré s'appelle Esthétique, Hegel ayant décidé de s'aligner sur la popularité de ce terme en dépit de son inexactitude. D'un autre côté, si la philosophie de l'art revendique d'être une discipline à part entière, il convient d'être attentif à sa définition en tant que telle. C'est, en fait, une question d'épistémologie plutôt que d'étiquette.

L'apport de l'Antiquité tourne autour de la mimésis, que sa critique suscite une définition du domaine de l'art (Platon, Sophiste) ou que son principe introduise le projet d'une poétique (Aristote). Cette double voie accompagne une grande partie de l'histoire occidentale. Mais c'est avec sa mise à l'écart que la première théorie de l'art, comme activité du génie, émerge chez Kant, quoiqu'il ne parvienne pas à dégager une théorie autonome de l'art de sa perspective esthétique ; s'il distingue l'œuvre d'art (poème, morceau de musique, tableau) d'autres choses faites avec art (service de table, dissertation morale, sermon), il déplace le principe intime du caractère artistique vers le pôle de la réception, l'assimilant à l'idée esthétique en tant qu'elle est susceptible de mettre en branle le jeu libre de l'entendement et de l'imagination(1).

Schelling avance d'un grand pas dans le sens d'une théorie autonome de l'art, dans son cours intitulé Philosophie de l'art (1802-1803), où non seulement il rejette le nom d'esthétique, mais encore avance l'idée que la philosophie est la seule à même de développer « une vraie science de l'art »(2). Considérant, toutefois, que cette science est susceptible de « former l'intuition intellectuelle des œuvres d'art, et aussi tout particulièrement former le jugement sur elles », il reste tributaire du projet esthétique. Le cours de Hegel (1828-1929), alors même qu'il consent à le nommer Esthétique, propose en revanche l'avancée la plus significative vers une « vraie » philosophie de l'art(3). Cette avancée est d'abord épistémologique : le philosophe réfléchit très précisément sur le statut de la science de l'art, à la fois dirigée vers un objet spécifique (le beau et l'art) et moment de la philosophie globale. Sa théorie est prise entre ces deux tendances. D'un côté, il s'agit de cerner la définition propre à l'art vis-à-vis de la religion et de la philosophie (l'art comme sensible spiritualisé) ; de l'autre, il s'agit de faire rentrer l'art dans le mouvement de l'esprit absolu, ce qui implique son dépassement, d'abord par la religion, puis par la philosophie. Avec Hegel, comme avec Schelling, le débat est de savoir si la philosophie sert l'art ou si elle se sert de l'art.

Peu de philosophes ont participé directement à ce débat entre Hegel et la période « moderne », où il s'est quelque peu réveillé, sous d'autres formes. On n'en finirait pas, toutefois, d'énumérer les contributions à la théorie de l'art ou à la définition de l'œuvre d'art (Schopenhauer, Nietzsche, Heidegger, etc.). La période « moderne » est dominée par deux grands courants qui ont relancé le débat épistémologique sur la philosophie de l'art. Le premier, représenté par Adorno(4), héritier émancipé de Hegel et de Marx, a posé essentiellement la question de l'autonomie de l'art. L'art cherche à se distinguer de son autre, principalement du social, mais ne peut le faire sans assumer dans sa forme immanente le rapport à cet autre ; l'art ne peut réussir sans rivaliser avec le social. Le second, représenté par l'esthétique analytique, a posé essentiellement la question de la définition de l'art(5). Débat intense opposant, sur des bases souvent comparables (la logique et sa philosophie), les tenants de l'analyse des usages du mot art (tendance Wittgenstein(6)) et les tenants de la théorie du fonctionnement de l'art (tendance Goodman(7)).

Problématique esquissée dès l'Antiquité, la philosophie de l'art s'est longtemps inscrite dans le projet totalisant de la philosophie. Resserrée sur son autonomie à partir de la fin du xviiie s., elle cherche à singulariser la notion de l'art, à travers sa nature et ses objets. Les interrogations contemporaines, particulièrement en France, relancent la question de la capacité de la philosophie à poursuivre le débat sur l'art, concurrencée qu'elle serait désormais par l'anthropologie et la cognitique.

Dominique Chateau

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Kant, E., Critique de la faculté de juger (1790), § 48, trad. A. Philonenko, Vrin, Paris, 1974.
  • 2 ↑ Schelling, F. W. J., Philosophie der Kunst (1859), « Introduction », trad. in Lacoue-Labarthe, P., et Nancy, J.-L., l'Absolu littéraire, théorie de la littérature du romantisme allemand, Seuil, Paris, 1978.
  • 3 ↑ Hegel, G. W. F., Esthétique, trad. Bénard, 2 vol., le Livre de Poche, Paris, 1997.
  • 4 ↑ Adorno, T. W., Théorie esthétique (1970), trad. M. Jimenez, Klincksieck, Paris, 1974 et 1995.
  • 5 ↑ Cf. Chateau, D., la Question de la question de l'art, Presses universitaires de Vincennes, Paris, 1994.
  • 6 ↑ Cf. Weitz, M., « Le rôle de la théorie en esthétique » (1956), trad. in Lories, D. (éd.), Philosophie analytique et esthétique, Méridiens Klincksieck, Paris, 1988.
  • 7 ↑ Goodman, N., Manières de faire des mondes (1978), trad. M.-D. Popelard, J. Chambon, Nîmes, 1992.
  • Voir aussi : Chateau, D., la Philosophie de l'art, fondation et fondements. Qu'est-ce que l'art ?, Harmattan, Paris, 2000.
  • Genette, G., l'Œuvre de l'art, t. 1 et 2, Seuil, Paris, 1994 et 1997.
  • Schaeffer, J.-M., les Célibataires de l'art, pour une esthétique sans mythes, Gallimard, Paris, 1996.

→ art, arts plastiques (art), critère, esthétique, phénoménologie de l'art, sociologie de l'art (art)

→  « Quelle ontologie pour l'œuvre d'art ? »




approche 2 : phénoménologie de l'art

Esthétique, Phénoménologie

→ phénoménologie




approche 3 : sociologie de l'art

Esthétique, Sociologie

Domaine de la sociologie consacré à l'étude des phénomènes artistiques dans leur dimension socialisée.

Par rapport à la double tradition de l'histoire de l'art et de l'esthétique, la sociologie de l'art pâtit à la fois de sa jeunesse et de la multiplicité de ses acceptions, qui reflète la pluralité des définitions et des pratiques de la sociologie.

On connaît, tout d'abord, la « sociologie de l'art » au sens allemand, qui est plutôt une spéculation à base philosophique ou esthétique, mettant les œuvres en relation avec un certain état de la culture, dans la tradition de l'école de Francfort (Adorno), avec un état de la technique (Benjamin) ou des superstructures idéologiques, dans la tradition marxiste (Lukacs, Hauser ou Goldman).

Cette forme d'esthétique sociologique est contemporaine d'autres courants issus de l'histoire de l'art, qui en élargissent les limites de façon à englober l'ensemble des « formes symboliques » d'une société en tant qu'elles trouvent leur correspondant dans les œuvres d'art : c'est – malgré bien des différences – le point commun entre les démarches d'un Panofsky et d'un Francastel. Les auteurs de cette première génération, autour de la Seconde Guerre mondiale, mettent en avant l'art et la société, en postulant entre les deux une relation (l'un étant volontiers perçu comme le reflet de l'autre) ; celle-ci implique toutefois qu'ait été posée préalablement une disjonction, inévitable dès lors que le point de départ est l'œuvre d'art.

La deuxième génération, à partir des années 1960, s'intéresse plutôt à l'art dans la société. Issue de l'histoire littéraire (Jauss en Allemagne, Viala en France) ou de l'histoire de l'art (Antal, Haskell, Boime, Martindale, Baxandall, Castelnuovo, Montias, Alpers, Warnke, Bowness, De Nora), elle s'intéresse avant tout au contexte de production ou de réception des œuvres, auquel sont appliquées les méthodes d'enquête de l'histoire : c'est ce qu'on nommera l'histoire sociale de l'art qui se caractérise donc avant tout par ses méthodes, à savoir son recours à l'investigation empirique.

Celle-ci fait également la spécificité de la troisième génération : celui, issu de la sociologie d'enquête (plutôt française ou anglo-saxonne), qui va considérer non plus l'art et la société, ni l'art dans la société, mais l'art comme société, en s'intéressant au fonctionnement du milieu de l'art, ses acteurs, ses interactions, sa structuration interne. Lorsque l'enquête porte sur des périodes du passé (le xixe s. avec H. et C. White sur les carrières des peintres, le xviiie s. avec T. Crow sur l'espace public de la peinture, le xviie s. avec N. Heinich sur le statut d'artiste), la différence avec l'histoire sociale de l'art se réduit au refus d'accorder un privilège de principe aux œuvres sélectionnées par l'histoire de l'art : ce qui ne signifie pas nier les différences de qualité artistique, mais prendre en compte l'ensemble du fonctionnement de l'art.

Appliquée au temps présent et avec les méthodes d'enquête modernes (sondages, entretiens, observations de terrain), cette nouvelle approche donnera la sociologie du « champ » artistique selon Bourdieu, restituant les différentes positions occupées par les créateurs et leurs homologies avec celles des récepteurs ; la sociologie du marché selon R. Moulin, donnant la parole à l'ensemble des acteurs en présence ; la sociologie de la production selon Becker, centrée sur l'observation des interactions entre toutes les catégories d'acteurs présidant à l'existence des œuvres ; la sociologie de la médiation selon Hennion, explicitant les dispositifs articulant l'œuvre et sa réception ; la sociologie du jeu sur les frontières de l'art selon Heinich, analysant la logique structurelle de l'art contemporain ; ou encore la sociologie des institutions culturelles et la statistique des publics de l'art, particulièrement développée, à partir des années 1970, grâce aux services d'études des administrations et des établissements publics.

Reste une dernière génération qui commence à émerger, non pour se substituer aux précédentes mais pour les compléter : celle qui élargit les limites de la sociologie en s'intéressant non seulement au réel mais aussi aux représentations que s'en font les acteurs, et ce non pour les critiquer ou les « démythifier » (tel Etiemble à propos de Rimbaud ou Bourdieu sur les musées) mais pour en comprendre la logique. Croisant la tradition de la « sociologie compréhensive » de M. Weber avec l'histoire des idées et l'anthropologie, cette perspective n'étudie plus l'art et la société, ni l'art dans la société, ni même l'art comme société, mais la sociologie de l'art elle-même comme production des acteurs, lesquels ne cessent de prouver leurs capacités à interpréter les liens entre l'art et le monde vécu, que ce soit pour les affirmer (version matérialiste) ou pour les nier (version idéaliste).

Dans la lignée de quelques grands précurseurs – Zilsel sur la notion de génie, Kris et Kurz sur l'image de l'artiste, Elias sur les ambivalences du statut de Mozart –, cette sociologie des représentations de l'art applique la démarche constructiviste à la discipline elle-même (la sociologie) et non plus seulement à son objet (l'art). Aussi ne craint-elle pas de partir des grands noms de l'histoire de l'art, tel Van Gogh, en raison non plus de leur sélection par les savants mais de ce qu'ils représentent pour toute une société. Et c'est probablement par là que la sociologie de l'art a toutes chances de rejoindre les préoccupations de la sociologie générale, et l'art de prouver son impact bien au-delà de ses frontières consacrées.

Nathalie Heinich

Notes bibliographiques

  • Becker, H. S., les Mondes de l'art, Flammarion, Paris, 1988.
  • Bourdieu, P., les Règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire, Seuil, Paris, 1992.
  • Castelnuovo, E., « L'histoire sociale de l'art, un bilan provisoire », in Actes de la recherche en sciences sociales, no 6, 1976.
  • Francastel, P., Études de sociologie de l'art. Création picturale et société, Denoël, Paris, 1970.
  • Hauser, A., Histoire sociale de l'art et de la littérature, 1951, Le Sycomore, Paris, 1982.
  • Heinich, N., la Gloire de Van Gogh. Essai d'anthropologie de l'admiration, Minuit, Paris, 1991 ; le Triple jeu de l'art contemporain, Minuit, Paris, 1998 ; Ce que l'art fait à la sociologie, Minuit, Paris, 1998.
  • Hennion, A., la Passion musicale. Une sociologie de la médiation, Métaillé, Paris, 1992.
  • Zolberg, V., Constructing a Sociology of the Arts, Cambridge U. P., 1990.

→ monde de l'art (art), artiste




approche 4 : histoire de l'art

Esthétique

Commémorant les œuvres de l'homme qui passent aux yeux de la postérité pour des œuvres d'art, elle s'efforce de formuler les lois qui président à leur évolution, tant du point de vue de leur forme que de leur signification, selon qu'on les considère comme des constructions plastiques ou comme les monuments d'une culture, ou d'une civilisation.

L'histoire de l'art ne fut pendant longtemps qu'une histoire des artistes. C'est pendant la Renaissance italienne que les cités, revendiquant farouchement leur indépendance, fières de leurs traditions et de leur culture, incitent les chroniqueurs à vanter le génie des artistes locaux, dont l'art vient d'être promu à la dignité des arts libéraux, et qui se distinguent maintenant des artisans, assujettis au travail simplement manuel des arts mécaniques. L'éloge prend la forme d'une biographie, qui tend à faire de l'artiste un véritable héros national.

Telle est l'origine d'un genre qui se prolonge jusqu'à nos jours, et qui cherche la clé de l'œuvre dans l'aventure de sa création. Une telle démarche est, sinon romantique, du moins épique, et tend à transformer l'artiste en un héros valeureux qui ne réussit sa prouesse, à l'image du chevalier des romans courtois, qu'en triomphant des épreuves, et qui ne devient ce qu'il est qu'au terme d'une vie romancée à la façon d'un parcours initiatique. Certaines « vies passionnées de Vincent Van Gogh » continuent aujourd'hui cette inusable veine. Le premier ouvrage de ce genre est composé à la fin du xive s. par un riche marchand de Florence, F. Villani, qui se met en tête d'écrire, à la façon de Plutarque, les vies des hommes illustres de la cité de Dante, et compte parmi eux les peintres. Mais le plus célèbre auteur de biographies historiques reste Vasari, qui publie à Florence en 1550 (il y aura une seconde édition, considérablement augmentée, en 1568) les Vite de' più eccellenti Architetti, Pittori e Scultori Italiani(1). Il s'agit d'une œuvre considérable qui apporte une quantité remarquable d'informations, et dont la documentation a longtemps dominé, parfois à ses dépens, l'histoire de l'art.

Pourtant, Vasari cherche moins à construire une histoire (il s'en tient sur ce plan au cycle approximatif de la naissance, de la maturité et du déclin) qu'à proposer en exemple à la postérité les plus fameux exploits des virtuosi de l'art. Les Vies sont construites comme des fables qui, après un préambule chantant les vertus du courage et de la constance, concluent sur une sage maxime composée en forme d'épitaphe. Aussi faut-il les lire comme autant de modèles intemporels proposés à l'imitation des jeunes artistes, plutôt que comme des témoignages destinés à la réflexion de l'historien. C'est seulement avec Winckelmann que, dans la seconde moitié du xviiie s., l'art est l'objet d'une histoire, récollection raisonnée d'un passé à jamais révolu, et non plus galerie de génies commémorés pour l'émulation des modernes.

Winckelmann, pourtant, ne parvient que progressivement à cette idée, et commence par l'imitation avant d'en venir à l'histoire. Son premier écrit, qui le fait connaître, Pensées sur l'imitation des œuvres grecques en peinture et en sculpture (1755)(2), conseille aux artistes de puiser à la source des Anciens, insurpassable modèle de l'art éternel : « L'unique moyen pour nous de devenir grands et, si possible, inimitables, c'est d'imiter les Anciens. » Mais en 1764, dans sa grande Histoire de l'art de l'Antiquité(3), Winckelmann réalise que la Grèce idéale, qu'il situe au sommet de l'art, est irréversiblement perdue, éloignée de nous par l'abîme des siècles, et que l'intemporel même est englouti dans le temps. Dans les dernières lignes de son ouvrage, il se compare à une amante éplorée qui verrait disparaître à l'horizon le navire emportant son bien-aimé, sans espoir de retour. Dès lors, la recherche de l'imitation paraît vaine, puisque imiter, c'est rendre présent, et que la Grèce est à jamais perdue, que l'âge d'or ne reviendra plus. Il reste aux modernes à ramasser les débris mutilés de ce qui fut autrefois vivant, à restaurer patiemment l'image ruinée d'une grandeur qui n'est plus. Désormais l'œuvre d'art apparaît moins comme un modèle que comme une ruine, le témoin précieux et dévasté d'une grandeur abolie. Elle est un document pour une histoire. L'histoire de l'art se fait archéologie et ne devient vraiment elle-même que par la neuve conscience de l'irréversible et du révolu. Elle est le travail d'un deuil plutôt que la résurrection des morts.

Cependant, si l'histoire de l'art n'est pas l'histoire des artistes, de quoi sera-t-elle donc l'histoire ? Depuis des siècles, les théories cycliques de l'histoire se réglaient sur le modèle de l'évolution naturelle de l'individu, selon la suite de l'enfance, de l'adolescence, de la maturité et de la vieillesse. Winckelmann substitue à ce schéma le devenir proprement esthétique de l'évolution des formes : au sublime et au « grand goût » d'un Phidias, origine et source de l'art grec, succèdent le beau et le gracieux de l'art hellénistique ; le génie se tarissant, l'art n'a bientôt plus d'autre ressource, pour demeurer, que s'imiter lui-même – les Romains seront d'excellents copistes – jusqu'à ce qu'il décline dans la « manière » et succombe enfin sous le poids de l'ornement et de l'artifice. Les formes ont un destin, et ce qui était vivant symbole chez les Anciens dégénère nécessairement en froide allégorie chez les modernes. L'histoire de l'art sans artistes est une morphologie de la beauté. En ce sens, Winckelmann est à l'origine de l'école allemande dite de la « pure visualité » (Reine Sichtbarkeit) qui se développe en Allemagne à la fin du xixe s., dans le cercle formé par le philosophe K. Fiedler, le peintre H. von Marées et le sculpteur A. von Hildebrand(4) ; elle inspirera, au début du xxe s., les travaux d'un Wölfflin, qui voulut à son tour entreprendre une « histoire de l'art sans nom », Kunstgechichte ohne Nahmen(5).

Pourtant, si l'histoire des formes rend bien compte de l'épanouissement d'un style et de sa pleine maturité, si elle sait être encore attentive à la secrète éclosion de l'origine, elle conduit en revanche à déprécier les époques tardives, à les refouler en une incertaine et confuse « décadence ». Le goût pour l'antique était indissociable, dans l'esprit de Winckelmann, du dégoût pour le « baroque », la profusion ornementale qui dominait au xviiie s. dans les cours allemandes, et dont il rejetait abusivement la responsabilité sur l'art du seul Bernin. Il faudra attendre le début du xixe s. pour que l'on retrouve la grandeur du style gothique, qui depuis la Renaissance paraissait barbare aux yeux de ceux qui admiraient les Anciens, et la fin de ce même siècle (1888) pour que Wölfflin réhabilite, encore bien timidement, l'esthétique « baroque ». Et c'est seulement au xxe s. que le gothique tardif, ou « flamboyant », le « maniérisme », mais encore le « néoclassicisme » (dont le théoricien est Winckelmann, qui dut ainsi ironiquement subir lui-même le sort qu'il réservait aux époques de décadence) sont rétablis dans la plénitude de leur affirmation.

Cette prolifération des écoles et des styles conduit à remettre en question le point de vue strictement morphologique de « l'histoire de l'art sans nom ». L'œuvre d'art doit être plutôt conçue comme l'expression d'une idée, comme le témoin privilégié d'une « vision du monde », un emblème muet dont l'historien, qui se fait alors interprète, doit délivrer le sens. Art, culture, civilisation : ces trois notions deviennent indissociables. Les travaux de Warburg, de Gombrich ou de Panofsky donneront à cette orientation un splendide développement au cours du xxe s.

Cette méthode, à son tour, n'est pourtant pas sans faille : elle tend à nier la singularité de l'œuvre dans un relativisme volontiers sociologique, et plus encore à la recouvrir sous le poids des références, à dissoudre le fait de la beauté plastique dans le réseau des textes, à traduire dans le champ du discours l'énigmatique et souveraine manifestation de l'événement esthétique. L'histoire de l'art court alors le risque de perdre son autonomie, et de n'être plus qu'un simple appendice ajouté à la leçon d'histoire. C'est ainsi que la méthode oscille entre la morphologie et l'herméneutique, la phénoménologie et l'iconologie, la vie des formes et l'antagonisme des cultures. Cette contradiction, qui n'est peut-être qu'apparente, entre le fait et le sens, la force plastique et l'expression de l'idée, ne semble guère dépassée et nourrit de nos jours encore le débat entre les historiens de l'art.

Jacques Darriulat

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Vasari, G., les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, trad. A. Chastel, Berger-Levrault, Paris, 1981.
  • 2 ↑ Winckelmann, J. J., Réflexions sur l'imitation des œuvres grecques en peinture et en sculpture, trad. M. Charrière, J. Chambon, Nîmes, 1991.
  • 3 ↑ Winckelmann, J. J., Histoire de l'art chez les Anciens, trad. M. Huber, Barrois, Savoye, Paris.
  • 4 ↑ Sakvini, R. (éd.), Pure Visibilité et formalisme dans la critique d'art au début du xxe s., Klincksieck, Paris, 1988 ; Junod, P., Transparence et opacité. Pour une nouvelle lecture de K. Fiedler, L'Âge d'homme, Lausanne, 1976.
  • 5 ↑ Wolfflin, H., Réflexions sur l'histoire de l'art, trad. R. Rochlitz, Flammarion, coll. « Champs », Paris, 1997.
  • Voir aussi : Bazin, G., Histoire de l'histoire de l'art, de Vasari à nos jours, Albin Michel, Paris, 1986.
  • Hegel, G. W. F., Cours d'Esthétique, trad. J.-P. Lefebvre, et V. von Schenck, 3 vol., Aubier, Paris, 1998.
  • Kubler, G., Formes du temps (1962), trad. Champ libre, Paris, 1973.
  • Kultermann, U., Geschichte des Kunstgechichte. Der Weg einer Wissenschaft, Munich / New York, 1990-1996 ; Storia della storia dell'arte, trad. E. Filippi, Vicence, Neri Pozza, 1997.
  • Pächt, O., Questions de méthode en histoire de l'art, trad. J. Lacoste, Macula, Paris, 1994.
  • Venturi, L., Histoire de la critique d'art, trad. J. Bertrand, Flammarion, coll. « Images et Idées », Paris, 1969.



l'art en question 1 : monde de l'art


Décalque de l'anglais artworld.

Esthétique

Notion qui vise d'abord à expliquer que des objets de consommation courante puissent être exposés comme des œuvres d'art, en raison d'une ambiance théorique qui en remet en cause la définition « traditionnelle ». Dans une acception ultérieure, contexte (puis ensemble des contextes) socioculturel qui sert de support à l'activité artistique. REM. Notion introduite par Danto pour résoudre un problème d'histoire de l'art et par la suite approfondie (ou pervertie ?) dans une optique sociologique.

La notion de monde de l'art apparaît dans un article de Danto : « Voir quelque chose comme de l'art requiert quelque chose que l'œil ne peut apercevoir – une atmosphère de théorie artistique, une connaissance de l'histoire de l'art : un monde de l'art »(1). Cette phrase fait écho à une longue discussion au sein de l'esthétique analytique : doit-on, dans la lignée de Wittgenstein(2), s'attacher aux propriétés apparentes des œuvres d'art ou bien, à l'instar de Mandelbaum(3), s'intéresser à leurs propriétés relationnelles, structurales ? Danto choisit la seconde solution pour rendre compte du fait que Warhol expose comme œuvre d'art des fac-similés de cartons d'emballage en 1964 à New York. Au-delà de ce fait, l'auteur s'intéresse à la définition de l'art. Le monde de l'art qui détermine le geste warholien correspond à un moment historique et théorique où, la définition de l'art étant radicalement remise sur le tapis, l'art entre en dialogue avec la philosophie.

Les successeurs de Danto, contre son gré, donnent à sa notion un sens sociologique. Le monde de l'art, pour Dickie, devient « la vaste institution sociale où les œuvres d'art prennent place »(4). Par institution, il n'entend pas un organisme (ministère ou musée), mais le système global qui règle la pratique d'un art (y compris des organismes) et dans le cadre duquel une œuvre fait « candidature » à l'appréciation esthétique. La prise en compte de la diversité des systèmes des arts (plastiques, théâtral, musical, etc.) implique une extension de la notion de monde de l'art, qui porte en germe le passage au pluriel des « mondes de l'art » proposé par le sociologue H. Becker. Ce dernier désigne par là tout réseau de personnes, y compris les artistes, dont l'activité consiste à gérer la production des œuvres d'art(5). Dans la variété de ces réseaux, il considère autant les arts mineurs (peintres du dimanche, musiciens de rock, etc.) que le microcosme new-yorkais de l'art contemporain auquel se restreignait Danto, puisque la sociologie s'intéresse moins aux conséquences esthétiques des innovations artistiques qu'au champ social réel de l'art (en un sens voisin de Bourdieu(6)).

Dominique Chateau

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Danto, A., « The Artworld » (1964), trad. in Lories, D. (éd.), Philosophie analytique et esthétique, Méridiens Klincksieck, Paris, 1988. Voir aussi la Transfiguration du banal, une philosophie de l'art (1981), trad. C. Hary-Schaeffer, Seuil, coll. Poétique, Paris, 1989.
  • 2 ↑ Wittgenstein, L., Investigations philosophiques (1936-1949), trad. P. Klossowski, Gallimard, Paris, 1986.
  • 3 ↑ Mandelbaum, M., « Family Resemblances and Generalization Concerning the Arts », in The American Philosophical Quaterly, vol. II, no 3, juillet 1965.
  • 4 ↑ Dickie, G., Art and the Aesthetics, an Institutional Analysis, Cornell University Press, Ithaca-London, 1974, p. 29.
  • 5 ↑ Becker, H., les Mondes de l'art (1982), trad. J. Bouniort, Flammarion, Paris, 1988, p. 159.
  • 6 ↑ Bourdieu, P., les Règles de l'art, genèse et structure du champ littéraire, Seuil, Paris, 1992.

→ exposition, musée, philosophie de l'art (art), public, sociologie de l'art (art)




l'art en question 2 : l'art pour l'art


Formulation employée incidemment par B. Constant (1804), puis par V. Cousin dans son Cours de 1818 (publ. 1936), et qui s'impose avec la préface que T. Gautier compose pour son sulfureux roman Mademoiselle de Maupin (1835).

Esthétique

Courant issu du romantisme qui revendique une autonomie formelle de la sphère artistique par rapport à la société. Cultivant la perfection formelle pour elle-même (Parnasse, symbolisme), il n'en affirme pas moins dans les faits une posture emblématique et datée de la figure de l'artiste.

Soucieux de préserver l'art des pressions d'une société en pleine mutation, l'artiste romantique défend son indépendance vis-à-vis des tutelles institutionnelles, qu'elles soient d'ordre politique, moral ou artistique. Le mot d'ordre de la bohème, à rebours de l'utilitarisme saint-simonien, clôt le procès d'émancipation amorcé à la Renaissance (Alberti, Vasari) par lequel l'artiste conteste son statut servile d'artisan, mais cette religion de l'art qui sanctionne son changement de statut signale aussi la difficulté d'avoir troqué dépendance artisanale, protection de l'Académie, régime du mécénat aristocratique, ecclésiastique et étatique, contre l'emprise aveugle du marché(1) ; « l'art pour l'art » réclame pour l'œuvre une liberté de composition que son statut de marchandise, proposée à la vente, à la consommation, contredit formellement.

En tant que manifeste esthétique, la notion annonce la solidarité entre formalisme et avant-garde, qui caractérise une part importante de l'art du xxe s. Dégagée de toute prescription à l'égard du contenu, la forme pure prétend n'être jugée que sur sa valeur esthétique, sans être assujettie à aucun discours, ni à aucune norme extérieure à elle-même. Ce repli souverain confère à l'artiste la posture prophétique du génie solitaire, qui anticipe sur le devenir de l'art autant que sur celui de la société. « L'art pour l'art » annonce le goût pour l'invention formelle qui atteste, au xxe s., la subordination de l'idée (contenu) à la forme productrice, mais l'autonomie ne suffit guère, non plus que l'isolement, pour valider l'effet de l'art. Il est aujourd'hui clair qu'on ne peut rapporter la création dans la culture à la seule individualité géniale, héraut de l'art futur : le pathos de la rupture, l'isolement messianique ont fait long feu.

Anticipant sur les multiples courants qui émaillent le xxe s., « l'art pour l'art » rompt avec son usage populaire en affirmant la position extérieure, solitaire, du créateur qui refuse de se soumettre à aucune autre norme que celle qu'il invente lui-même ; il exige apparemment pour l'art une indépendance à l'égard du social, mais il contribue de fait à institutionnaliser ce nouveau statut : la figure de l'« artiste » de la modernité.

Anne Sauvagnargues

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Benjamin, W., Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l'apogée du capitalisme, chap. i, trad. J. Lacoste, Payot, Paris, 1979, rééd. 1990.
  • Voir aussi : Adorno, T. W., « Engagement » (1962), in Notes sur la littérature, trad. S. Muller, Flammarion, coll. « Champs », Paris, 1999, pp. 285-306.
  • Bourdieu, P., les Règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire, Seuil, Paris, 1992, pp. 112-122.
  • Cassagne, A., la Théorie de l'art pour l'art en France chez les derniers romantiques et les premiers réalistes, rééd. Champ Vallon, Seyssel, 1997.
  • Gadamer, H. G., l'Actualité du beau, trad. E. Poulain, Alinéa, Aix-en-Provence, 1992, pp. 23-24.
  • Sartre, J.-P., l'Idiot de la famille, t. III, I, iii, D, 1 et 3, Gallimard, Paris, 1972, pp. 202-205.

→ académie, avant-garde, critique d'art, formalisme, moderne, modernisme, modernité




l'art en question 3 : fin de l'art

Esthétique

Expression qui, pour répandue qu'elle soit devenue, n'en est pas moins équivoque, sinon contradictoire : elle peut désigner la finalité de l'art, c'est-à-dire le point de son plus extrême accomplissement, ou bien au contraire sa mort, c'est-à-dire l'aveu de son impuissance.

En un geste inusable et toujours recommencé, le xxe s., à la suite de la provocation dadaïste, n'a cessé de proclamer la « fin de l'art » et d'en porter l'interminable deuil. On peut même dire, de l'art contemporain, qu'il vit de se savoir mourir et, tel le roi renaissant le jour de ses funérailles, qu'il doit son acte de naissance à son certificat de décès : l'art est mort, vive l'art !

Il y a pourtant loin de la déclamation sur la « mort de l'art » – qui aura théâtralisé l'histoire de la création depuis la Première Guerre mondiale – au constat peut-être plus subtil de la « fin de l'art ». L'expression est en effet équivoque, puisqu'elle désigne également la limite et la finalité, l'échec et l'accomplissement, la disparition et l'assomption.

Au xixe s. déjà, Baudelaire ne voyait en Manet que « le premier dans la décrépitude de [son] art » (lettre du 11 mai 1865). Nostalgique d'un temps où le rêve l'emportait sur le réel, le poète ne discerne, dans l'indifférence ennuyée, dans l'indécence hébétée de l'Olympia, que ce qui s'achève, et non ce qui commence. Zola saura pourtant deviner, dans l'art de Manet, la naissance d'une autre peinture, jeu de sensations colorées qui prétend valoir pour lui-même, et ne renie plus la platitude du tableau. La fin, c'est-à-dire la mort de la peinture prophétisée par Baudelaire, est aussi la révélation d'une peinture pure qui, devenue indifférente au sujet, ne veut avoir d'autre fin qu'elle-même. Devenue autotélique, l'œuvre d'art ne célèbre sa fin qu'en se faisant elle-même finalité sans fin, et la revendication de l'autonomie accompagne invariablement la proclamation de la rupture, la dénonciation militante d'une ère révolue. La peinture sera le champ privilégié où s'exerce cette mise à mort qui vaut pour une délivrance. Hegel n'avait-il pas mis en lumière la nécessaire dissolution de l'œuvre dans l'art romantique ? Il fallait en effet que la pensée fasse l'expérience de son inadéquation au sensible, que l'Idée s'élève à la reconnaissance de son irréductible excès sur sa représentation phénoménale, pour que la conscience, devenue rationnelle en devenant malheureuse, se détourne du phénomène et s'effectue par le seul développement dialectique du concept.

Depuis plus d'un siècle, le geste de l'artiste semble prisonnier du double sens qui travaille la « fin de l'art » : selon qu'il se réclame de Duchamp, qui réalise en 1918 sa dernière toile intitulée Tu m', prenant ainsi péremptoirement congé de la peinture, ou de Kandinsky, qui date de 1910 sa première aquarelle abstraite, régie par la seule « nécessité intérieure » et affranchie des contraintes externes de la représentation, le peintre décline la fin de l'art en en célébrant inlassablement les funérailles, ou en élevant au contraire l'œuvre à la dignité de l'absolu. Cette ambivalence, source d'une infinité de variations, est cultivée avec délices. Il ne semble pas qu'elle soit encore dépassée.

Jacques Darriulat

Notes bibliographiques

  • Bataille, G., Manet, Skira, Genève, 1955.
  • Clair, J., Sur Marcel Duchamp et la fin de l'art, « Art et artistes », Gallimard, Paris, 2000.
  • Danto, A., Après la fin de l'art, trad. C. Hary-Schaeffer, Seuil, Paris, 1996.
  • Démoris, R., les Fins de la peinture, actes du colloque organisé par le Centre de recherches « Littérature et arts visuels » (9-11 mars 1989), Desjonquières, Paris, 1990.
  • Hegel, G. W. F., Cours d'esthétique, trad. J.-P. Lefebvre et V. von Schenck, 3 vol., Aubier, Paris, 1998.



focale 1 : art et nature

Esthétique

Autant que de l'art, l'esthétique se préoccupe du sentiment de l'homme devant le beau naturel. Le jardin occupe à cet égard une situation privilégiée puisqu'il est une œuvre humaine inscrite dans la matérialité même du paysage. Le moment crucial dans l'histoire du jardin, celui qui en fait un révélateur irremplaçable de l'évolution de la sensibilité, se place au bout d'une évolution des trois siècles, au xviiie s., lorsque le succès européen du jardin formel français (théorisé par Dézallier d'Argenville en 1709) cède la place au parc paysager anglais et à la flambée des jardins anglo-chinois.

Le changement fondamental ne porte pas tant sur les éléments du locus amoenus (l'eau, le végétal, la lumière) que sur un changement de paradigme à la base des réalisations in situ : celui de la peinture (Pope) et de la poésie (Girardin) remplace celui de l'architecture et d'une géométrie quasi abstraite. L'art authentique des jardins et du paysage n'est plus un spectacle qui se montre de manière ostentatoire, il devient un art caché qui procède par l'éveil d'un état de l'âme plutôt que par une mise en scène des corps inspirée par la danse et le théâtre. Si scénographie il y a, c'est celle d'une nature certes artificielle mais qui se donne comme une imitation des formes et éléments de la nature capable d'éveiller des affects correspondants, désirés en même temps que révélés.

C'est pourquoi la ligne serpentine (Hutcheson) est omniprésente : les formes de l'eau sont des étangs mélancoliques ou des lacs aux contours dissimulés plutôt qu'un canal, des bassins ou des fontaines éclatantes. Des chaos rocheux et sauvages prennent la place des statues équestres et autres incarnations des dieux antiques. Les pelouses se répandent jusqu'au seuil de la demeure, recherchant un enveloppement, voire un enfouissement, de l'architecture dans le végétal plutôt que sa prééminence. Des chemins étroits, sinueux et courbes s'ajoutent aux grands axes et allées droites, larges et claires, qui matérialisaient l'emprise et l'efficacité des lois de la perspective sur l'organisation de l'espace, voire les remplacent. Des folies et des fabriques dispersées accrochent et impressionnent le regard plutôt que le détail minutieux des parterres de broderies. Des tableaux et scènes presque indépendantes l'une de l'autre se présentent tout à tour aux yeux du promeneur, reliées entre elles par le pas d'une promenade méditative plutôt que par une lecture impérative ou démonstrative.

La maîtrise symbolique et économique d'un territoire agricole étant accomplie, le jardin devient une évocation nostalgique d'un paradis perdu (Stourhead) ou d'une Arcadie retrouvée. Toute la terre peut être vue comme un jardin qui s'étend à l'infini, note Walpole au sujet de William Kent. Il ne s'agit pas seulement de perception, mais d'une interrogation sur la place de l'homme au sein de la nature – comme en témoigne le dispositif du « ha-ha » (ou « saut de loup ») – et de la société. En exaltant la solitude et la rêverie, la promenade prédispose au souci de l'intériorité et favorise un sentiment d'harmonie cosmique. Terrain de prédilection qui flatte l'expression et l'expansion de la sensibilité humaine, le jardin est pourtant menacé dans ses codes esthétiques par l'excès du pittoresque (justement critiqué par Quatremère de Quincy en 1820) et ensuite par les effets de la mécanisation et de l'urbanisation.

Le xviiie s. constitue ainsi un tournant fondamental. Au moment même où les cadres esthétiques et épistémologiques qui étaient les moteurs de la création plastique (la mimésis, conçue comme augmentation iconique, et l'ut pictura poesis) sont radicalement contestés (Hegel), l'art des jardins meurt en tant qu'art, mort exemplaire et quasi tragique puisque cet événement coïncide avec son accomplissement. Incarnant le lieu de l'aura de l'art classique, le jardin, élargi au paysage, anticipe la perte d'aura caractéristique de l'art moderne et contemporain.

Philippe Nys

Notes bibliographiques

  • Baltrusaïtis, J., « Jardins et pays d'illusion », in Aberrations. Essai sur la légende des formes, Flammarion, Paris, 1983 (rééd. Champs, 1995).
  • Dixon Hunt, J., et Willis, P., The Genius of the Place, MIT Press, Cambridge, 1988.
  • Dixon Hunt, J., l'Art du jardin et son histoire, Odile Jacob, Paris, 1996.
  • Martinet, M.-M. (textes présentés par), Art et Nature en Grande-Bretagne au xviiie s., Aubier, Paris, 1980.
  • Wiebenson, D., The Picturesque Garden in France, Princeton U. P., 1978.

→ esthétique




focale 2 : art et science

Esthétique, Philosophie des Sciences

Un lieu commun tenace oppose l'activité rationnelle de la science, dont l'objet est la connaissance des lois de la nature, et la démarche Imaginative sinon fantasque de l'art, dont la visée serait de plaire et d'embellir. Cela n'a pourtant de sens que si l'on réduit l'art à une conduite de divertissement ou tout au moins de substitution. Il est beaucoup plus pertinent de remarquer que cette bipolarisation excessive est un sous-produit d'une conception exagérément positiviste du savoir et qu'elle ne rend pas justice à l'investissement théorique considérable dont ont su faire preuve les artistes à toutes les époques.

L'art ne cesse en effet d'emprunter à la pensée scientifique des outils de conceptualisation : rôle des mathématiques dans l'élaboration de la perspective, avec les traités de Piero della Francesca (vers 1490) ou, Dürer (1528), et dans la déduction des lois harmoniques par Rameau (1722), et il participe d'un questionnement qui s'alimente volontiers aux mêmes sources intellectuelles. En retour, les artistes ont mis leur talent graphique au service des sciences naissantes : dessins anatomiques illustrant la Fabrica de Vésale (1543), cartographie et images de choses vues au microscope (Hollande, xviie s.). Nombre d'entre eux ont entretenu un rapport privilégié avec la spéculation, que ce soit sur le plan de leurs motivations personnelles, du contenu et de l'organisation de leurs œuvres ou de la portée sociale de leurs idées, jusqu'à s'élever comme Léonard de Vinci à la condition d'esprit universel. À l'inverse, les adhésions à l'irrationnel sont souvent une réponse maladroite à une présomption, justifiée ou non, de scientisme.

Ces arguments n'ont nullement pour résultat une confusion entre domaines, laquelle n'intervient qu'en cas de contrainte idéologique forte (constructivisme russe) ou d'une restriction de l'art à l'expérimentation. En fait, art et science ne font pas fonctionner au même niveau les éléments qu'ils partagent : alors que la pensée scientifique procède verticalement, par réduction et hiérarchisation des connaissances, l'art tisse des réseaux adjacents d'association qui multiplient les modes de présentation et il ne cesse de se réapproprier leur contenu. Même lorsqu'il s'abrite derrière l'apparence la plus objective ou la plus anonyme, l'enjeu reste de sensibiliser chaque paramètre et de renouveler à partir de lui l'expérience du rapport avec le monde. D'où en retour la facilité à appliquer des prédicats esthétiques pour caractériser le travail scientifique (élégance d'une démonstration, symétrie de propriétés, équilibre ou tension créatrice de nouvelles investigations).

Loin d'être ennemis ou étrangers l'un à l'autre, art et science se révèlent des partenaires irremplaçables dans le procès humain d'appréhension de la réalité.

Jacques Morizot

Notes bibliographiques

  • Art et science : de la créativité (colloque de Cerisy, 1970), UGE, Paris, 1972.
  • Kemp, M., The Science of Art : Optical Themes in Western Art from Brunelleschi to Seurat, Yale U P, 1992.
  • Salem, L., la Science dans l'art, Odile Jacob, Paris, 2000.
  • Sicard, M., la Fabrique du regard. Images de science et appareils de vision (xve-xxe s.), Odile Jacob, Paris, 1998.

→ arts technologiques




focale 3 : art et politique

Philosophie Générale, Esthétique, Politique

Si le rapport entre production d'art et institutions se révèle déterminant dans toutes les sociétés, ce n'est qu'avec l'émergence de l'art comme sphère autonome de la culture que se pose la question de l'interaction entre le pouvoir qui prescrit ou restreint l'usage des arts et l'action en retour de la création artistique sur la société : puissance critique ou ornement apologétique du pouvoir ?

La production d'art relève du politique au sens large et se lie à l'exercice du pouvoir depuis l'apparition des sociétés sédentaires centralisées, comme le montre l'architecture, sacrée, militaire ou civile. La pratique artistique, même dans les sociétés qui ne reconnaissent aucune indépendance ni spécificité à l'art, s'inscrit dans le rituel et relève du « fait social total » (Mauss). C'est dans les sociétés qui pensent le politique que le statut de l'art fait essentiellement problème : en chassant le poète de la cité, Platon(1) inaugure le lien entre l'art et les mœurs. Par la séduction qu'il exerce, l'art agit sur le peuple dont il transforme le goût. Il relève donc de la politique comme administration et gestion de la vie commune, qu'elle soit effective ou prescriptive. Le rapport de l'art à la politique renvoie alors aux diverses modalités par lesquelles l'instance du pouvoir régit, utilise ou censure la production et l'usage des arts, et à l'influence en retour que l'initiative artistique exerce sur l'équilibre social.

Le mouvement historique d'émancipation des beaux-arts à partir de la Renaissance favorise une liaison plus étroite entre l'artiste et le pouvoir. Les cours princières italiennes, la Rome papale, l'État centralisé en France se disputent l'artiste de génie pour diffuser l'image d'un pouvoir raffiné et puissant. Ainsi, l'art baroque du Bernin manifeste l'éclat de la Contre-Réforme à Rome, tandis qu'à Versailles, Boileau, Lully ou Le Brun assurent la représentation et le rayonnement du pouvoir royal. La théorie normative du chef-d'œuvre à l'antique et la poétique du beau se figent en doctrine académique, pendant que l'art devient une valeur sociale autonome. Cette géopolitique du style subit au xviiie s. l'impact de la théorie kantienne du jugement subjectif ; Schiller, suivi par les romantiques, fait de l'art l'organe de libération suprême, la grâce esthétique œuvrant pour la dignité morale et le progrès cosmopolitique de l'humanité(2). L'artiste devient l'instituteur, puis le « médecin de la civilisation »(3).

À l'époque moderne, l'autonomie de l'art permet à l'artiste de s'engager en son propre nom. L'artiste occupe vis-à-vis du social une fonction médiatrice : chroniqueur lucide (roman réaliste), mais aussi acteur partisan, opposant (Picasso, Guernica) ou suppôt du régime (les films de propagande nazie de L. Riefenstahl). Même un patient styliste comme Mallarmé se comporte en prophète qui résiste au présent et s'engage pour l'avenir. Enrôlant l'artiste dans l'action politique, la critique marxiste fait coïncider militantisme et révolution formelle (Lukacs, Brecht). Mais le pouvoir totalitaire (nazisme, stalinisme) écrase la création. Le lien entre recherche formelle et conscience sociale n'est ni immédiat ni causal, comme le montrent Adorno(4) ou Sartre(5). Tandis que l'industrie et la propagande attestent l'inféodation de l'art à l'exercice du pouvoir (Benjamin), l'idéologie du progrès n'unit plus l'art à la politique, même si l'art conserve sa fonction critique de résistance.

Aujourd'hui, l'art est en quête d'un nouvel usage social capable de compenser la fracture entre art populaire et institutionnel, entre tentative isolée et récupération médiatique. Il s'agit de penser le rapport entre création et mutation des cultures, en art comme en politique.

Anne Sauvagnargues

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Platon, République, not. III 398a et X 607e, trad. R. Baccou, Flammarion, Paris, 1966.
  • 2 ↑ Schiller, F. von, Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme, Lettre xxiv, trad. R. Leroux, Aubier, Paris, 1943. Voir également : Schelling, F. W., Textes esthétiques, Klincksieck, Paris, 1978 ; et Hegel, G. W. F., Esthétique, t. 1., Aubier, Paris, 1994, pp. 84 sq.
  • 3 ↑ Nietzsche, F., le Livre du philosophe, II, trad. A. Kremer-Marietti, Flammarion, Paris, 1991.
  • 4 ↑ Adorno, T. W., Théorie esthétique, trad. M. Jimenez, Klincksieck, Paris, 1996.
  • 5 ↑ Sartre, J.-P., Situations II, Gallimard, Paris, 1948.
  • Voir aussi : Bourdieu, P., les Règles de l'art, Seuil, Paris, 1992.
  • Bourdieu, P., et Haacke, H., Libre échange, Seuil / Les presses du réel, Paris, 1994.
  • Gerz, J., la Question secrète, Actes Sud, Arles, 1996 ; Esthétique et marxisme (Raison Présente), U.G.E., 10 / 18, Paris, 1974.
  • Michaud, E., Un art de l'éternité. L'image et le temps du national socialisme, Gallimard, coll. « Le temps des images », Paris, 1996.



genre 1 : arts plastiques


Du grec plastikos, plassein, « modeler », « former ».

Esthétique

Héritée du vocabulaire grec, notion qui a un sens matériel – formel : le modelage, la mise en forme de la matière, et un sens plus abstrait qui soit s'applique à l'idée de plasticité, soit implique cette idée (au-delà des arts plastiques eux-mêmes). Des Grecs jusqu'à la période actuelle, on assiste à une série de variations autour de ces deux significations plus ou moins concurrentes. REM. Notion très étroitement liée à l'histoire de l'art et de la Kunstwissenschaft, d'abord transformée en concept par des philosophes (Shaftesbury, Taine), surtout alimentée aujourd'hui par le discours des praticiens-critiques.

La notion d'arts plastiques(1), qu'elle soit simplement classificatoire ou renvoie au concept plus abstrait de plasticité, n'a jamais renié son étymologie : plastikos est associé au modelage, lequel non seulement s'applique à la matière malléable, mais encore s'étend, dès Platon(2), à la forme et / ou idée (eidos). Jusqu'au début du xviiie s., « la plastique » désigne tantôt la classe restreinte des arts du modelage de la matière molle, tantôt la classe plus étendue des arts de la mise en forme d'une matière. La notion même d'art plastique ou d'arts plastiques émerge avec un sens plus abstrait à la faveur de la rencontre, dans la pensée de Shaftesbury(3), entre l'expérience esthétique qu'il fait en Italie à la fin de sa vie et une théorie philosophique atypique (inspirée par les néoplatoniciens de Cambridge), celle de la « nature plastique », une notion qui désigne le dynamisme de la nature tel qu'il s'incarne dans le processus inconscient de la croissance des êtres et dans la puissance libre et consciente du sens interne humain. Shaftesbury prend en compte aussi bien le travail de la matière (former, façonner, rectifier, polir, etc.) que son rapport à la forme dont la détermination est d'abord intérieure, dans l'optique de l'ut pictura poesis.

L'influence du philosophe britannique sur la pensée germanique est connue(4). La diffusion de sa pensée est favorisée par la richesse du vocabulaire allemand. Du grec procède Plastik, « sculpture » (Skulptur) et « architecture », tandis que la notion plus générale d'« arts plastiques », y compris la peinture, est traduite par bildenden Künste, où l'adjectif est dérivé de Bild, « image », et bilden, « former ». Le sens classificatoire de bildenden Künste est mis en évidence par divers philosophes, tel Kant(5) qui les définit comme « arts de l'expression des Idées dans l'intuition des sens », y incluant la Plastik et la peinture. Cette richesse de vocabulaire, croisée avec plusieurs influences philosophiques (du côté britannique : Berkeley, Locke ; du côté français : Rousseau, Diderot), explique l'importance que devait prendre dans la Kunswissenschaft allemande, de Herder à C. Einstein en passant par Fiedler et Riegl, le débat sur les valeurs tactiles et les valeurs optiques (notion d'haptique, de visibilité pure, etc.).

La notion d'arts plastiques apparaît plus tardivement en France, mais dans un contexte théorique fort, à travers l'intuition de Lamennais(6) puis le travail plus approfondi de Taine qui, avant M. Denis, met clairement en évidence la spécificité du plan plastique : « Un tableau est une surface colorée, dans laquelle les divers tons et les divers degrés de lumière sont répartis avec un certain choix ; voilà son être intime (...) »(7). C'est toutefois dans le monde de l'art, sous la plume des critiques et des artistes, que la notion d'arts plastiques prend son essor, en Europe et, par contamination, aux États-Unis dans la première partie du xxe s. Conformément à son étymologie, elle se développe dans un sens matériel-formel autant que dans un sens abstrait, les deux niveaux étant souvent imbriqués, parfois mis en contradiction. Le postimpressionnisme, le cubisme (et l'art nègre), le futurisme, le néo-plasticisme et maints autres mouvements d'avant-garde connaissent le langage de la plasticité, non moins étendu rétroactivement à l'art ancien et revendiqué par des mouvements de retour à l'ordre, tel Valori plastici.

Après 1945, une orientation contraire se dessine, notamment aux États-Unis. La notion de plastique est refoulée en même temps que la perspective des mouvements d'avant-guerre. B. Newman, par exemple, oppose le « plasmique » au plastique(8), préconisant, contre l'héritage de l'art moderne (transmis notamment par Bell et Fry), de faire passer l'expression de l'idée de l'artiste avant les qualités de l'œuvre. On notera, toutefois, qu'en France, au début des années 1970, la notion d'arts plastiques non seulement était toujours vivace, mais reprit de la vigueur avec l'introduction de leur enseignement à l'université (et l'usage de leur enseigne dans l'institution culturelle), selon un schéma d'interaction de la pratique et de la théorie qui, une fois de plus, renvoie à l'origine du mot plastique.

Sur le plan strictement philosophique (bien que les philosophes aient déserté le terrain), l'intérêt de ces discussions d'une extension considérable réside, bien entendu, dans l'approfondissement de la question de la forme, figurative ou abstraite, mais aussi dans un processus de généralisation qui associe la plasticité à toute forme d'art, y compris la musique (Mondrian) et le langage (Duchamp).

Dominique Chateau

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Chateau, D., Arts plastiques : archéologie d'une notion, J. Chambon, Nîmes, 1999.
  • 2 ↑ Platon, République VI, 510e - 511a ; voir aussi IX, 588be, et Timée 55de.
  • 3 ↑ Shaftesbury, A., Plastics or the Original Progress and Power of Designatory Art (1712-1713), in B. Rand (éd.), Second Characters or the Language of Forms, Cambridge University Press.
  • 4 ↑ Cf. notamment Larthomas, J.-P., De Shaftesbury à Kant, Atelier national de reproduction des thèses, Diff. Didier érudition, 2 tomes, 1985.
  • 5 ↑ Kant, E., Critique de la faculté de juger (1790), § 48, trad. A. Philonenko, Vrin, Paris, 1974.
  • 6 ↑ Lamennais, F. de, Esquisse d'une philosophie, Pagnerre, Paris, 1840.
  • 7 ↑ Taine, H., Philosophie de l'art (1864-1869, puis 1882), Fayard, Corpus des œuvres de philosophie en langue française, Paris, 1985.
  • 8 ↑ Newman, B., « The Plasmic Image » (1945), in Selected Writings and Interviews, éd. John P. O'Neill, New York, Alfred A. Knopf, 1990.

→ formel, immatériel, matériau, philosophie de l'art (art)




genre 2 : arts technologiques

Esthétique

Ensemble des arts qui requièrent l'usage de technologies « de pointe » rompant non seulement avec les techniques traditionnelles (peinture, sculpture, dessin, etc.), mais aussi avec les techniques considérées comme modernes, telles que la photo ou le cinéma.

Certains artistes utilisent, par exemple, l'image (ou le son) électronique, l'image holographique, le laser, le néon, les métaux à mémoire de forme ou des matières plastiques, voire, depuis peu, les biotechnologies et, de plus en plus, les technologies numériques (images et sons de synthèse, hypertextes, etc.) et les technologies de la communication et de l'information. L'expression strictement technique « arts technologiques » n'augure en rien de la singularité artistique des œuvres extrêmement variées qui en sont l'expression. Elles reflètent néanmoins chez leurs auteurs une certaine conception de la technologie en tant que champ d'expérimentations perceptives et logiques, liées à la science et mises au service de l'art.

Les arts technologiques s'inscrivent dans une problématique liant art, technique et science, qui s'affirme au début du siècle (avec le constructivisme, le futurisme et le Bauhaus) et qui se développe jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Ils rebondissent autour des années soixante-dix, tout en évoluant, avec notamment les recherches de l'EAT (Experiments in Art and Technology) et celles du MIT sous l'impulsion de la cybernétique, du cinétisme et, plus tard, des arts de la communication. L'explosion de la micro-informatique et, au tournant des années quatre-vingt-dix, l'apparition des réseaux (Internet) relancent encore une fois l'intérêt des artistes pour la technologie.

À travers le numérique qui tend à contrôler la quasi-totalité du technocosme, le champ de l'expérimentation artistique s'élargit considérablement en même temps qu'il se redéfinit. Qu'il s'agisse de dispositifs de réalité virtuelle, de multi- ou d'hypermédias, d'œuvres « hors ligne » ou « en ligne », une esthétique commune se dessine sous la diversité des œuvres. Elle interroge le corps et la subjectivité dans le dialogue avec la machine et refonde les relations entre l'auteur, l'œuvre et le spectateur.

Edmond Couchot

Notes bibliographiques

  • Couchot, E., Images. De l'optique au numérique, Hermès, Paris, 1988.
  • Lovejoy, M., Postmodern Currents. Art and Artists in the Age of Electronic Media, Prentice Hall, 1997.
  • Popper, F., l'Art à l'âge électronique. Hazan, Paris, 1993.

→ art et science, virtuel




L'art contemporain est-il une sociologie ?

L'art contemporain ne constitue pas seulement une avancée dans la progression des avant-gardes : il opère une véritable rupture dans les conceptions mêmes de l'art, instaurant un nouveau paradigme artistique. Contemporain de l'émergence de la sociologie, celui-ci en épouse également le mouvement : d'une part, en expérimentant en actes ce que la sociologie analyse conceptuellement ; et, d'autre part, en opérant avec les conceptions de sens commun une rupture analogue à celle que la sociologie opère avec la tradition philosophique.
Les démarches conceptuelles inaugurées au moment de la Première Guerre mondiale – minimaliste avec les monochromes de Malevitch, dadaïste avec les « ready-mades » de Duchamp – réduisent l'intervention de l'artiste à une dimension « infra-mince ». Le lieu de la création se déplace ainsi de la matérialité de l'objet fabriqué par l'artiste à l'immatérialité du geste instituant comme œuvres d'art des propositions privées des caractéristiques habituellement requises.

De Mauss à Duchamp

Ce déplacement des frontières de l'acceptabilité artistique, qui alimentera un demi-siècle plus tard les différentes déclinaisons du conceptualisme, entraîne une radicale relativisation des critères de l'art, qui rejoignait des mouvements analogues apparus à la même époque non seulement dans d'autres arts (musique, poésie, théâtre, danse) mais aussi dans les premières avancées des sciences sociales.

Peu auparavant en effet, l'anthropologue M. Mauss avait fourni la raison théorique, dans le domaine de la magie, de ce que M. Duchamp allait expérimenter en pratique dans le domaine de l'art, en analysant le fait magique comme représentation collective, qui assure à la fois la reconnaissance du magicien en tant que tel et, à travers cette représentation, l'efficacité de son acte. De même que l'artiste, selon Duchamp, ne se définit plus par la nature de ses œuvres mais par sa reconnaissance comme artiste, doté du pouvoir de rendre un objet artistique par la seule puissance d'une signature investie de la croyance en son authenticité, de même le magicien selon Mauss ne se définit pas par la nature de ses actes mais par sa reconnaissance comme magicien, doté du pouvoir de rendre un geste efficace par la seule puissance d'un rituel investi de la croyance en son efficacité.

Si, désormais, n'importe quel objet du monde ordinaire peut être traité comme une œuvre d'art à condition que ce traitement soit le fait d'un artiste, alors l'œuvre d'art n'est rien d'autre que ce qui est produit par un artiste – artiste qui lui-même se définit comme celui qui a la capacité à faire œuvre d'art. La question se déplace alors vers les processus de validation de cette capacité, qui constituent précisément l'objet du sociologue. « Ce sont les regardeurs qui font les tableaux », selon le mot fameux de Duchamp : ce ne sont pas les propriétés des tableaux qui en font des tableaux, mais les propriétés du regard porté sur eux. Le ready-made constitue bien un « nominalisme pictural », homologue du constructivisme anthropologique : de Mauss à Duchamp s'est opérée une double désubstantialisation – l'une en théorie, l'autre en acte – des valeurs, magique et esthétique.

La transgression des frontières

Tentée par les pionniers de ce qui deviendra l'art contemporain, cette transgression des frontières de l'art – du moins dans leur acception de sens commun – constituera, après la Seconde Guerre mondiale, le fil directeur de ce qu'on peut considérer aujourd'hui comme un véritable genre : élimination des contenus, avec les différentes tendances du minimalisme ; déconstruction des contenants, avec les mouvements du type « support-surface » et l'invention de nouvelles techniques ou expressions (vidéo, installation, performances) ; transgression des frontières entre l'art et le monde ordinaire, ou des règles du bon goût, avec le nouveau réalisme et l'hyperréalisme.

S'y ajoutent la transgression des frontières du musée, avec le land-art, les performances ou les interventions dans l'espace public ; la transgression des frontières de l'authenticité, avec les multiples jeux sur la déconstruction de l'auteur individuel et sur la sincérité de ses intentions ; la transgression des frontières de la morale, avec les œuvres jouant sur le blasphème, l'indécence ou la provocation idéologique ; enfin, la transgression des frontières du droit, avec les performances en forme de vandalisme, les atteintes à la vie privée, voire à la propriété ou au corps des personnes. Provocations gratuites pour les uns, subversions positives pour les autres, ces transgressions constituent le point commun à ce nouveau genre de l'art qu'est l'art contemporain, lequel coexiste – difficilement – avec les tendances actuelles de l'art moderne, voire, marginalement, de l'art classique.

Tentés par les artistes, acceptés ou refusés par les spectateurs, enregistrés par les institutions puis, éventuellement, radicalisés par d'autres artistes, les mouvements de transgression inversent les critères de la valeur artistique : ce sont moins désormais des critères positifs, basés sur l'attestation de la qualité technique ou de la maîtrise des codes esthétiques, que des critères négatifs, basés sur la maîtrise des limites à ne pas franchir, sur la fuite en avant dans le dépouillement minutieux de l'objet d'art qui, à la limite, se trouve ramené à son concept. Cette « dé-définition de l'œuvre », selon l'expression suggestive de Rosenberg, ou cette « vidange généralisée du concept de peinture », cette « dialectique nominaliste qui emporte l'histoire des avant-gardes », selon T. de Duve, déplace la question de la valeur sur celle de la nature de l'œuvre : il ne s'agit plus tant de déterminer la place d'une œuvre sur une échelle de qualité – qu'est-ce qu'elle vaut ? – que sa place de part ou d'autre de la frontière entre art et non-art – qu'est-ce qu'elle est ?

D'une ontologie à une sociologie des frontières

On est confronté ici à la question des frontières de l'art : non pas au sens géographique, qu'étudient l'histoire de l'art ou l'ethnologie ; ni au sens hiérarchique, avec la distinction entre « grand art » et « art mineur », « art d'élite » et « art de masse », « beaux-arts » et « arts populaires », qu'étudie la sociologie ; mais en un sens plus général, celui du statut ontologique des objets, entre art et non-art.

La « frontière » peut s'entendre ici soit comme frontière matérielle, déterminée par les lieux d'exposition, les appartements des collectionneurs, les pages des revues spécialisées, les murs des musées ; soit encore, de façon moins visible, comme catégorie découpant la représentation de l'expérience, portée par le langage. Qu'est-ce exactement qu'un « auteur » ? Les « ready-mades » de Duchamp (art conceptuel) sont-ils des œuvres d'art, ainsi que les dessins d'aliénés (art brut), d'autodidactes (art naïf) ou d'enfants ? Faut-il accepter les délimitations instituées ou, au contraire, considérer que la cuisine, la typographie ou l'œnologie sont des arts au même titre que la peinture, la littérature ou la musique ? Doit-on étudier les « pratiques culturelles » au sens large (loisirs, pique-nique, spectacles sportifs) au même titre que les activités artistiques nobles (théâtre, musées, opéra) ? Comment se répartissent, dans une société, les représentations et les pratiques permettant à certains objets de bénéficier d'une perception et d'un jugement esthétiques, et quelles sont les logiques sous-jacentes à ces catégorisations ? Telles sont les grandes questions posées aux sciences sociales, notamment à propos de l'art contemporain, auxquelles elles ont commencé à produire des réponses non plus, comme l'esthétique, par la spéculation ou l'introspection, mais par l'enquête.

Quel que soit l'angle sous lequel on la considère, cette question des frontières de l'art a l'intérêt de mettre la sociologie à l'épreuve de sa propre définition, en l'obligeant à spécifier clairement sa position. En effet, prendre parti pour l'un ou l'autre côté d'une frontière, chercher à justifier l'inclusion ou l'exclusion d'un objet dans la catégorie « art », ou au sommet d'une échelle de valeur esthétique, c'est s'inscrire dans une perspective normative, celle de l'esthétique, de la critique et de l'histoire de l'art, ou encore du droit. En revanche, abandonner toute visée normative au profit d'une analyse des valeurs et des pratiques que les acteurs appliquent aux objets investis d'une qualité esthétique ou artistique, c'est s'inscrire dans une perspective descriptive qui est plus spécifiquement celle de l'anthropologie, de la sociologie, voire de la philosophie analytique.

Le statut de la frontière

Penser en termes de « frontière » implique un découpage clairement marqué entre dedans et dehors, art et non-art, qui instaurerait une discontinuité ontologique, un saut dans la nature même de l'objet. La frontière alors ne tiendrait pas à une simple question de circonstances (liée à des critères externes, relevant du contexte historique) mais à une question de qualités substantielles, de définition intrinsèque (liée à des critères internes, relevant de l'esthétique). Plutôt que d'avoir à choisir entre ces deux perspectives, externe (sociologique) et interne (esthétique), mieux vaut admettre que la frontière entre art et non-art est à la fois historiquement relative et fonctionnellement absolue : les gens doivent y croire comme à une frontière naturelle, trans-historique, interne à l'objet, pour pouvoir en faire un repère stable et consensuel ; mais cette absolutisation fonctionnelle n'est nullement exclusive d'une relativité de fait, laquelle permet de comprendre les variations de frontières de l'art d'une époque à une autre, d'une culture à une autre.

Ainsi les frontières de l'art sont discontinues et esthétiquement fondées lorsqu'elles servent à édicter des normes esthétiques ; elles sont soumises à des variations continues, selon leurs contextes et leurs usages, lorsqu'elles font l'objet d'une description détachée d'un projet normatif. Dans cette dernière perspective, il est désormais possible, comme le suggère Jean-Marie Schaeffer, de « dédramatiser » la question des frontières de l'art et, plus précisément, d'en observer le fonctionnement sans tenter de l'accrocher à une définition sémiotique. On voit ici comment l'art contemporain oblige la philosophie comme la sociologie à spécifier leur posture dénonciation, notamment par rapport à la conception traditionnellement normative de l'esthétique.

L'art contemporain est une sociologie

Selon le paradigme moderne, la valeur artistique réside forcément dans l'objet, et tout ce qui est extérieur à celui-ci ne peut exprimer quoi que ce soit de la valeur intrinsèque de l'œuvre ; selon le paradigme contemporain, la valeur artistique réside dans l'ensemble des connexions – discours, actions, réseaux, situations, effets de sens – établies autour ou à partir de l'objet, lequel n'est plus que l'occasion, le prétexte, le point de passage. La valeur de Fountain ne réside pas dans la matérialité de l'urinoir présenté au Salon des indépendants de 1917 (et qui a d'ailleurs disparu), mais dans l'ensemble des objets, des discours, des actes et des images que continue de susciter l'initiative de Duchamp.

Récits de la fabrication de l'œuvre, légendes biographiques, traces de performances, réseaux relationnels, écheveau des interprétations, murs des musées sollicités pour intégrer ces objets qui leur font violence, contribuent à faire l'œuvre, tout autant, sinon plus que la matérialité même de l'objet. Les œuvres elles-mêmes ne suffisent pas alors à trancher entre le premier degré, qui signe l'appartenance à la tradition classique ou moderne, et le second degré, qui signe l'appartenance à l'art contemporain. Il faut faire appel à des indices périphériques pour déterminer la catégorie d'appartenance de l'œuvre et, concrètement, sa capacité à être intégrée dans le monde de l'art contemporain, reconnue et achetée par les collectionneurs et les institutions. Très souvent, c'est l'itinéraire de l'artiste et, surtout, son discours, qui sont alors convoqués par les experts. C'est dire que les critères d'appartenance à l'art contemporain sont, pour une large part, des critères « sociaux », c'est-à-dire associés à la personne de l'artiste ou au contexte de production plus qu'aux caractères proprement plastiques de l'œuvre : l'art contemporain, en tant qu'il expérimente systématiquement les capacités d'intégration artistique, est bien une sociologie en pratique.

Ce que l'art contemporain fait à la philosophie

Mis à l'épreuve de l'art contemporain, le discours philosophique tend à osciller entre la recherche d'une règle universelle, d'une ontologie perdue de l'esthétique, et l'illusion désillusionnée d'un relativisme absolu, où l'art ne serait plus soumis qu'à la pure liberté individuelle de l'artiste, à la contingence, à l'émiettement des libres choix, ou encore à l'arbitraire des institutions. Or ces deux positions extrêmes sont également illusoires eu égard à la réalité observée par le sociologue : les gens n'ont nullement besoin d'un absolu, d'une ontologie universelle pour prononcer des jugements sur les œuvres, même lorsqu'ils se réclament d'une conception universaliste de l'art, et les artistes, comme les institutions, n'évoluent nullement dans un univers libéré des contraintes d'acceptabilité.

Le double développement de la philosophie analytique et de l'art contemporain a suscité en esthétique un considérable mouvement de réflexions sur la nature de l'œuvre d'art, s'éloignant de la voie frayée par la métaphysique kantienne mais développée par l'idéalisme spéculatif post-kantien dans une direction incompatible avec elle ; il ne s'agit plus de faire une ontologie normative du beau ou du sublime, mais une sémiotique de l'œuvre et, mieux encore, une phénoménologie de sa perception ou une analytique de sa désignation. De Dickie à Danto et à Goodman aux États-Unis, ou de G. Genette à J.-M. Schaeffer en France, les tendances les plus avancées de l'esthétique inspirée par l'art contemporain rejoignent asymptotiquement – dans leur nominalisme, leur institutionnalisme, leur pluralisme, leur relativisme, voire leur subjectivisme – l'observation empirique des conduites menée par les sociologues. Mais le « relativisme » à quoi l'on aboutit ainsi ne peut plus se confondre avec l'arbitraire ou l'instabilité qu'y voit la tradition substantialiste : il ne fait que décrire la pluralité des rapports à l'art et leur vulnérabilité à ces effets de contexte – ni arbitraires ni contingents – que sont les institutions, le langage, l'époque historique, les normes sociétales.

Ainsi, de même que l'art contemporain pousse la sociologie vers le constructivisme, de même il pousse la philosophie de l'art à prendre en compte les critères externes à l'œuvre proprement dite, en tant que l'art est devenu une expérimentation réglée des catégorisations et des effets d'étiquetage, ce en quoi il rejoint, voire anticipe, le savoir sociologique. Autant dire qu'il est, sur le plan des pratiques artistiques, l'homologue de ce que la sociologie peut faire, sur le plan conceptuel, à l'ontologie philosophique.

Nathalie Heinich

Notes bibliographiques

  • Danto, A., la Transfiguration du banal. Une philosophie de l'art (1981), Seuil, Paris, 1989.
  • De Duve, T., Nominalisme pictural. Marcel Duchamp, la peinture et la modernité, Minuit, Paris, 1984.
  • Genette, G. (éd.), Esthétique et poétique, Seuil, Paris, 1992.
  • Genette, G., l'Œuvre de l'art. 2. La Relation esthétique, Seuil, Paris, 1997.
  • Goodman, N., Langages de l'art (1968), J. Chambon, Nîmes, 1990.
  • Heinich, N., le Triple Jeu de l'art contemporain, Minuit, Paris, 1998.
  • Heinich, N., Ce que l'art fait à la sociologie, Minuit, Paris, 1998.
  • Heinich, N., Pour en finir avec la querelle de l'art contemporain, L'Échoppe, Paris, 2000.
  • Moulin, R., l'Artiste, l'institution, le marché, Flammarion, Paris, 1992.
  • Mauss, M., Sociologie et anthropologie, PUF, Paris, 1902.
  • Rochlitz, R., Subversion et subvention. Art contemporain et argumentation esthétique, Gallimard, Paris, 1994.
  • Rosenberg, H., la Dé-définition de l'art (1972), J. Chambon, Nîmes, 1992.
  • Schaeffer, J.-M., les Célibataires de l'art. Pour une esthétique sans mythes, Gallimard, Paris, 1996.



L'art est-il en question ?

Une différence essentielle entre la révolution apportée par l'art « visuel » contemporain et les innovations artistiques du passé, même récent, tient peut-être à ceci : ces innovations-là ré(tro)agissaient constamment sur la perception des œuvres antérieures, en sorte que Cézanne modifiait notre vision de Chardin, Braque, notre vision de Cézanne, de Staël, notre vision de Braque, etc., et ces modifications successives semblaient à chaque étape procéder d'un aspect jusque-là méconnu des formes passées.

L'illustration la plus frappante et la plus massive de ce processus (la dernière, apparemment) fut la peinture « abstraite », qui, par un effet en retour aussi simple qu'efficace, invite à considérer l'ensemble de la peinture figurative comme autant d'objets formels, indépendamment de leur contenu iconique – considération qui, bien entendu, ne se substitue pas à celle de ce contenu, mais qui s'y ajoute plus intensément que par le passé : je continue de regarder un Vermeer comme une toile hollandaise (presque) classique, mais j'y vois en outre ce que la contemplation de Klee ou de Mondrian me permet aujourd'hui d'y voir, et que nul ne songeait à y chercher avant l'émergence de ce nouveau paradigme. C'est un peu ce que Proust appelait, sur un autre terrain, le « côté Dostoïevski de Mme de Sévigné » : le côté Mondrian de Vermeer existait, si l'on veut, avant Mondrian, mais il fallait que Mondrian fût passé par là pour que ce « côté » vînt au jour. C'est encore ce qu'on appelle, depuis Borges, « inventer ses précurseurs » : chaque artiste ou groupe d'artistes (impressionnistes, fauvistes, cubistes, abstraits...) n'invente en réalité qu'un style dont l'effet sur notre perception de ses prédécesseurs contribue à les convertir en ses « précurseurs ».

Deux paradigmes : vision et définition

Le propre de l'art dit contemporain, donc, tient sans doute à ce qu'au lieu d'agir sur notre vision (du monde et, par contrecoup, de l'art antérieur), il déplace le point d'application de l'accomplissement artistique, et de la relation esthétique du public à cet accomplissement, du champ de la vision vers un autre champ que l'on a qualifié, un peu en cours de route (après Warhol et le pop art, et donc bien après Duchamp), de « conceptuel ». Ce qualificatif, qui n'est revendiqué stricto sensu que par un courant contemporain parmi d'autres, s'applique assez légitimement, en un sens élargi, à l'ensemble de ce nouvel « état de l'art », dont la sanction revendiquée, et parfois obtenue, n'est plus à proprement parler une appréciation esthétique – avec ce que cette notion peut comporter d'adhérence à ce que Kant appelait les « attraits » du plaisir d'agrément –, mais une sorte de reconnaissance intellectuelle qui ne doit plus rien à la satisfaction des sens. Dans un premier temps, cet art ne cherche ni ne parvient à plaire, mais seulement à surprendre son public – en espérant ou non que cet effet premier de surprise procurera un effet second d'admiration. Je dis « seulement », parce que l'effet de surprise n'a jamais manqué aux innovations antérieures ; mais, comme le disait encore Proust à propos de Renoir (et, dans l'ordre fictionnel, de son Elstir), il procédait d'un changement de vision, et cédait progressivement la place à une sorte d'élargissement du champ visuel : « on peut maintenant voir les choses comme ça ». La surprise déterminée par les productions de l'art contemporain ne procède pas d'un tel changement de vision, mais plutôt, comme le suggérait dès 1972 le titre d'un ouvrage célèbre de H. Rosenberg(1), d'un changement de définition – sinon peut-être d'un abandon de toute définition. Comme toute définition, celle-ci porte sur un concept, et le concept ici modifié, ou plutôt déconstruit (« dé-défini ») est celui de l'art lui-même ou, pour le moins, de l'art en question – et l'on peut donner ici leur sens fort aux mots en question.

Le mode présentatif dans les arts plastiques

On pourrait bien, rétrospectivement, chercher dans l'avènement de l'art abstrait un changement de paradigme aussi radical, puisque la peinture y perdait un trait jusque là définitoire (de et par sa fonction) : la représentation d'objets du monde, mais l'autre trait (de et par son moyen) subsistait : la présence de formes et de couleurs étalées sur un support, cette présence que M. Denis avait déjà érigée en critère décisif (« surface plane couverte de couleurs en un certain ordre assemblées »). Avec Kandinsky et Mondrian, la peinture cessait d'être « au service » d'une mimésis et passait d'une fonction « représentative » à une fonction seulement « présentative » (Souriau), mais elle ne faisait de la sorte que s'émanciper, et donc s'accomplir glorieusement en se recentrant, comme le proclamera à peu près C. Greenberg, sur son « essence »(2) – ce qui suppose que l'essence d'un art consiste dans ses moyens plutôt que dans sa fin. Cette supposition n'a rien d'absurde, si l'on considère que les moyens d'un art (par exemple, l'emploi de lignes et de couleurs disposées sur un support à deux dimensions) lui sont plus spécifiques que sa fin : par exemple, une représentation du monde que la peinture figurative partageait depuis toujours, par d'autres moyens, avec la sculpture ou la littérature, et depuis peu avec la photographie.

On peut encore justifier le propos de Greenberg d'une autre façon : Souriau explique que les arts représentatifs se caractérisent par un « dédoublement ontologique » de leurs « sujets d'inhérence » ; par exemple, un tableau représentant un paysage comporte deux « sujets d'inhérence » : son propre aspect visuel, lignes et couleurs, et le paysage qu'il représente (Panofsky a montré de son côté que ce « dédoublement » pouvait, dans d'autres cas, comporter plus de deux niveaux iconologiques, ce que Souriau confirme sans doute en parlant aussi de « pluralité des sujets d'inhérence »). Un morceau de musique (art seulement « présentatif ») ne comporte aucune dualité ni pluralité de cet ordre, puisqu'il ne comporte aucune aboutness ou « structure de renvoi » à autre chose qu'elle-même : « dans les arts présentatifs, œuvre et objet se confondent »(3) – Greenberg dira, comme en écho : « Le contenu doit se dissoudre si complètement dans la forme que l'œuvre, plastique ou littéraire, ne peut se réduire, ni en totalité ni en partie, à quoi que ce soit d'autre qu'elle-même. »(4). Par cet abandon d'un « sujet d'inhérence » extérieur à son objet (d'immanence) que constituait le passage au mode « présentatif », la peinture non-figurative constituait ses œuvres en objets absolus, délivrés de toute fonction extérieure à eux-mêmes, et semblait ainsi accéder à un statut plus purement esthétique – celui, comme on l'a dit si souvent au tournant du siècle, de la musique, auquel tous les arts étaient censés aspirer(5) – et l'on sait comment cette aspiration se manifeste, ou du moins se proclame, en littérature dans l'opposition (chez Mallarmé, Valéry, Sartre, Jakobson, entre autres) entre discours ordinaire et « langage poétique », ou, de façon peut-être moins utopique, dans l'idée qu'un texte poétique est essentiellement « intraduisible » dans une autre langue ou par un autre texte : à la confusion posée par Souriau entre « œuvre et objet » répond ici l'« indissolubilité du son et du sens », qui fait selon Valéry la « valeur d'un poème »(6).

Il peut sembler difficile de concilier ces deux justifications, l'une par la spécificité du médium propre à chaque art, l'autre par l'aspiration commune de tous les arts aux « conditions » d'un seul d'entre eux : la musique. La conciliation consiste sans doute en ceci que la musique offre l'exemple d'un art capable de s'en tenir à (de se « concentrer sur ») la spécificité de son matériau, exemple que chacun des autres devrait suivre en s'en tenant à la spécificité du sien propre : que la peinture, par exemple, se rende aussi « purement » picturale que la musique a su depuis toujours être « purement » musicale. La vraie question est peut-être de savoir si l'exaltation de cet effort – si j'ose dire – de purification esthétique(7) ne procède pas d'une conception un peu naïve, ou simpliste, de l'investissement esthétique : si, comme je le crois, la relation esthétique peut affecter n'importe quel objet, matériel ou idéal, il n'y a aucune raison pour qu'elle n'investisse pas aussi bien la fonction (représentative, utilitaire, etc.) d'une œuvre, ou du moins la manière dont elle s'en acquitte ; l'accomplissement artistique d'un édifice ou d'un discours tient autant à son efficacité pratique qu'à son aspect formel. S'il est ontologiquement légitime, et même nécessaire, de distinguer en art les statuts représentatif et présentatif, et s'il est historiquement correct de décrire l'évolution de la peinture, du milieu du xixe s. au milieu du xxe s. (de Manet à Pollock), comme un mouvement progressif et presque continu du premier au second « état », rien ne justifie en principe une valorisation esthétique du second par rapport au premier, valorisation – ou, si l'on veut, interprétation de l'adjectif progressif comme signifiant : « porteur d'un progrès esthétique » – qui ne peut résulter que d'une préférence, individuelle ou collective.

Les limites de la dé-définition

Le paradigme de l'art contemporain consiste, lui, non plus à émanciper ses œuvres en élargissant sa définition (par abandon d'un trait fonctionnel comme la représentation), mais plutôt à s'émanciper lui-même de toute définition. Cette formule (que je ne fais encore une fois qu'emprunter à Rosenberg) me semble plus large et plus radicale que celle qui prendrait seulement en compte, et à la lettre, comme je le faisais plus haut, le propos d'art « conceptuel » – si décisif soit-il dans le processus de dé-définition. Ce propos-là, en lui-même fort définissable, n'est après tout nullement impossible à appliquer, rétroactivement, à certains accomplissements de l'art (peinture ou autre) antérieur, puisque toute œuvre peut, avec ou sans perte, être réduite à son concept. Mais une dé-définition radicale, qui apparaît comme le geste le plus caractéristique de l'art contemporain, n'est apparemment susceptible d'aucune application rétroactive – ni d'ailleurs, me semble-t-il, d'aucune application d'aucune sorte, hors d'une revendication, plus ou moins largement acceptée, d'appartenance – sans autre spécification – aux manifestations du « monde de l'art ». Que cet état de l'art soit esthétiquement difficile à respirer n'est peut-être pas une raison suffisante pour le rejeter. Pour parodier Valéry parlant d'autre chose, « indéfinissable entre dans [sa] définition... l'impossibilité de [le] définir combinée avec l'impossibilité de [le] nier » constitue peut-être l'« essence » de cet art sans essence.

Mais on ne devrait jamais oublier non plus que cette révolution-là, davantage encore que les précédentes, ne touche que les arts dits, beaucoup plus commodément que correctement, visuels, quelque part entre peinture, sculpture, aménagements d'intérieurs (« installations ») et d'extérieurs (land art). Elle ne touche que très marginalement la musique, la littérature – et même l'architecture, qui doit bien se contenter du qualificatif moins engagé, et plus évasif, de « post-moderne ». En faire le paradigme de l'« art contemporain » dans son ensemble procède donc d'une généralisation abusive, ou peut-être d'une illusion de spécialiste. Même si « l'art » en général est aujourd'hui « en question », la question n'est sans doute pas la même pour tous les arts.

Gérard Genette

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Rosenberg, H., la Dé-définition de l'art, trad. J. Chambon, Nîmes, 1992.
  • 2 ↑ C'est du moins par cette formule que l'on résume couramment sa prédication moderniste. « Il semble, écrit-il lui-même, que ce soit une loi du modernisme [...] que les conventions non essentielles à la viabilité d'un moyen d'expression (médium) soient rejetées aussitôt que reconnues. Ce processus d'autopurification... » (« Peinture à l'américaine » 1955-1958, in Art et culture [1961], trad. Macula, Paris, 1988, p. 226). Il s'agit en effet d'« éliminer [tout] élément quel qu'il fût, susceptible d'être emprunté au médium de quelque autre art ou d'être emprunté par lui » (« Modernist Painting » [1960], The Collected Essays and Criticism, vol. IV, Chicago UP, 1993, p. 86).
  • 3 ↑ Souriau, E., la Correspondance des arts, Flammarion, Paris, 1947, p. 65.
  • 4 ↑ Greenberg, C., « Avant-garde et kitsch », in Art et culture, trad. par Hindry A., Macula, Paris, 1988, p. 12.
  • 5 ↑ La formule originale (« Tout art aspire constamment aux conditions de la musique ») est dans les Studies in the History of the Renaissance de W. Pater publiées en 1873, trad. Payot, Paris, 1917.
  • 6 ↑ Valéry, P., Œuvres, t. I, Gallimard, Pléiade, Paris, 1957, p. 1333.
  • 7 ↑ Greenberg, on l'a vu, parle d'« autopurification » et précise par ailleurs : « “pureté” voulait dire autodéfinition » (« Modernist Painting », loc. cit.).