public
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin publicus, « ce qui concerne les affaires communes » ; au sens moderne, « ensemble de ceux qui assistent à une activité publique ».
Esthétique
Notion née avec la vénération que suscitent les collections de reliques et de merveilles, particulièrement au cours de ce « dialogue avec l'image » qu'est l'acte pèlerin (A. Dupront), puis élargie à toute forme de participation à la vie culturelle. L'importance qu'elle a prise aujourd'hui reflète l'expansion démocratique des sociétés modernes.
Si l'admiratio traditionnelle se nourrit de l'émerveillement devant l'ordre du monde et la gloire de son Créateur, le phénomène d'opinion apparaît avec la cour et les institutions académiques, responsables de la progressive indépendance de l'artiste. Si l'on suit Habermas(1), les œuvres en viennent à participer de la sphère publique au terme de la critique de la domination menée par l'activité communicationnelle. Elles cessent alors d'être des outils de représentation, manifestant une autorité transcendante, pour devenir prétextes à commentaires et à discussions de la part d'un public composé d'individus, le cas échéant réunis au sein de clubs, de salons, de cafés, qui argumentent et débattent de leur intérêt. À un tel statut du public répond un idéal de pédagogie du grand art dont la muséologie allemande est la meilleure illustration, dessinant divers parcours initiatiques qui doivent permettre aux visiteurs de reconnaître le Beau.
Au cours du xxe s., l'avènement de l'État-providence étend le principe de citoyenneté en reconnaissant les exigences de l'instruction esthétique. Le jeune conservateur américain A. H. Barr annonce, en fondant le MOMA à New York, qu'il sera un « laboratoire » où « le public est invité à participer aux expérimentations ». Plus généralement, l'impératif de démocratisation du public veut répondre à ce que le sociologue J.-C. Passeron appelle – en détournant Riegl – Kunstwollen, ou « volonté de jouir de l'art ». Au cours des années 1960-1970, tandis que le musée traditionnel doit répondre aux reproches de confiscation de ses collections par un petit nombre de privilégiés (Bourdieu(2)), le Centre Pompidou semble illustrer le triomphe du principe démocratique, qui reprend à son compte des dispositions en faveur du « non-public » d'abord imaginées au T.N.P. de Jean Vilar.
Aujourd'hui, le public occupe une place centrale dans la politique des établissements culturels, même si les enquêtes internationales font état du pourcentage toujours limité de la population qui les fréquente. Cette orientation est liée à des exigences de financement qui requièrent l'appui du mécénat, ou font appel à la commercialisation de produits dérivés ; elle doit donc éviter les pièges du populisme ou de la marginalisation.
Le « public » fait aujourd'hui l'objet d'études sociologiques spécialisées, mais surtout il est devenu le champ d'intervention de services spécialisés, dans chaque grand équipement culturel. Le déploiement de cette ingénierie n'entretient pourtant pas de liens décisifs avec la manière qu'a eue l'esthétique de la réception de renouveler la question du public et de l'œuvre, non plus qu'avec les nouvelles approches de la transmission.
Dominique Poulot
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Habermas, J., L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, trad. M. de Launay, Payot, Paris, 1978.
- 2 ↑ Bourdieu, P. (en coll. avec A. Darbel et D. Schnapper), L'amour de l'art. Les Musées d'art européens et leur public, Minuit, Paris, 1966.
- Voir aussi : Belting, H., Image et culte : une histoire avant l'époque de l'art, trad. F. Muller, Cerf, Paris, 1998.
- Belting, H., L'image et son public au Moyen Âge, G. Monfort, Paris, 1998.
- Fabre, D., Domestiquer l'histoire, éditions de la Maison des sciences de l'homme, Paris, 2000.
- Fried, M., La place du spectateur, esthétique et origines de la peinture moderne, trad. C. Muller, Gallimard, Paris, 1990.
- Haskell, V., La norme et le caprice. Redécouvertes en art, Flammarion, Paris, 1986.
- Hienich, N., La gloire de Van Gogh. Essai d'anthropologie de l'admiration, Minuit, Paris, 1991.