Charles Spencer, dit Charlie Chaplin
Cinéaste et acteur britannique (Londres 1889-Corsier-sur-Vevey, Suisse, 1977), créateur du personnage de Charlot.
1. Le jeune migrant
Lorsque Charles Spencer Chaplin quitte sa Grande-Bretagne natale, où il a connu une enfance plutôt misérable – son père est mort à trente-sept ans, emporté par l'alcoolisme, sa mère a sombré peu à peu dans la folie –, il fait partie de ces cohortes d'émigrants venus tenter leur chance aux États-Unis. La déception attend un bon nombre de ceux qui ont poussé le cri d'espoir America ! America ! Mais d'autres connaissent des réussites spectaculaires. Le modeste acteur de la troupe de Fred Karno est de ceux-là.
2. La création du mythe « Charlot »
En trois ans, de 1914 à 1917, sa célébrité s'est étendue bien au-delà des frontières américaines, ce qui n'est pas une modeste victoire, le comique étant l'un des genres qui s'expatrient le plus difficilement. Cette soudaine renommée, Chaplin la doit à son double, ce personnage de « Charlot », qui, en une soixantaine de petits films (→ cinéma) burlesques, va s'imposer comme le plus populaire des « types » comiques de l'écran. Pendant les deux années passées à la Keystone et à la Mutual, Chaplin crée le « mythe Charlot », amalgame parfait du Juif errant et de don Quichotte, selon l'excellente formule du critique Marcel Martin. Quand il débute au cinéma, il a déjà derrière lui une longue expérience, celle d'un petit acteur de music-hall habitué à la pantomime, mais il n'a pas encore trouvé cette célèbre silhouette reconnaissable du premier coup d'œil par les spectateurs du monde entier. Quand Mack Sennett l'engage pour son premier film, il se fourvoie en adoptant le costume d'un lord anglais portant redingote, huit-reflets, guêtres et monocle. Très vite cependant, il parvient à faire accepter son nouveau personnage, celui d'un « tramp » (vagabond), frère spirituel de tous ces émigrants qui instinctivement se reconnaîtront en lui et partageront les aventures d'un pantin qui joue avec une égale conviction les Guignols et les Pierrots.
La légende rapporte qu'il constitua sa silhouette à partir d'éléments divers empruntés à la troupe de la Keystone : le pantalon appartenait au gros Fatty, les souliers taille 45 à Ford Sterling, le veston étriqué à Billy Gilbert et le melon trop petit au père de Minta Durfee. La moustache et la canne de bambou flexible complétèrent cet accoutrement, auquel Charlot devait rester longtemps fidèle. « Ce costume m'aide à exprimer ma conception de l'homme de la rue, de presque n'importe quel homme, de moi-même. Le melon est un effort pour paraître digne. La moustache est vanité, le veston boutonné, la canne et toutes ces manières tendent à donner une impression de galanterie, de brio, d'effronterie. [Charlot] essaie de faire bravement face au monde, de bluffer et il le sait, il le sait tellement bien qu'il peut se moquer de lui-même et s'apitoyer un peu sur son sort. »
3. Succès et scandales
À l'époque de ses débuts, Charlot « le paria misérable » ne peut manquer de susciter la sympathie des simples gens qui reconnaissent en lui l'image de ce que la société leur a fait. Pas étonnant alors qu'il soit devenu l'« idole des masses » (Hannah Arendt).
À partir de 1918 (Une vie de chien), Chaplin commence à percer sous Charlot. Sans abandonner ce qui a fait sa célébrité, son côté à la fois fruste et sensible, maladroit et astucieux, goujat et magnanime, anarchiste et redresseur de torts, le personnage commence à s'étoffer. Les poursuites endiablées et les coups de pied au derrière demeurent l'apanage de ce Roméo qui aimerait parfois se faire prendre pour don Juan. Mais la marionnette n'est pas dépourvue d'âme ni de sentiments. Prisonnier de son propre mythe, Chaplin essaie même de se débarrasser de Charlot dans l'Opinion publique, mais l'insuccès l'oblige à renouer avec la tradition. À la même époque, un événement survient qui aura des conséquences amères : Charles Chaplin est compromis dans un scandale que les échotiers s'empressent d'amplifier. Lita Grey, qu'il avait épousée secrètement en 1925, entame une tapageuse action en divorce, cherchant à ruiner le crédit de l'acteur, qui a toutes les peines du monde à terminer son nouveau film (le Cirque). Déjà une partie de l'opinion américaine est déchaînée contre celui que les ligues de la décence accusent de « vilenies sordides ». Chaplin laisse passer l'orage et entreprend non sans difficultés les Lumières de la ville. Il réagit avec quelque amertume devant la vogue du cinéma parlant, qui « détruit toute la technique que nous avons acquise ». Et encore : « Les Talkies ?… vous pouvez dire que je les déteste. Ils viennent gâcher l'art le plus ancien du monde, l'art de la pantomime. Ils anéantissent la grande beauté du silence. »
Son œuvre, d'abord essentiellement burlesque, s'est peu à peu encombrée d'une sentimentalité que d'aucuns lui reprocheront violemment. (On se souvient de la phrase vengeresse d'André Suarès : « Ce cœur ignoble de Charlot, je voudrais l'écraser comme une punaise. ») À partir des années 1930, elle évolue vers la satire. Satire contre l'aliénation du travail, la taylorisation de l'ouvrier dans les Temps modernes, satire prophétique contre le fascisme allemand dans le Dictateur (dont le scénario fut écrit dès 1938). Les attaques contre sa vie privée redoublent à l'occasion de son remariage avec Paulette Goddard : ses idées politiques, sociales et philosophiques sont brocardées. La sortie de Monsieur Verdoux déchaîne contre Chaplin l'opinion américaine. On parle de « l'intolérable ingérence dans les affaires américaines d'un étranger établi sur notre sol depuis trente-cinq ans, bien connu pour sa turpitude morale, ses énormes dettes, sa lâche attitude pendant les deux guerres mondiales et sa collusion avouée avec les communistes ».
4. Retour en Europe
Le 18 septembre 1952, Chaplin et sa quatrième femme Oona O'Neill s'embarquent sans espoir de retour à destination de l'Europe, où les Feux de la rampe (Limelight) est accueilli avec enthousiasme. Désormais, Charles Chaplin ne quitte plus guère sa semi-retraite au bord du lac Léman. En 1957, puis en 1965, il reprend le chemin des studios pour réaliser deux films qui apparaissent dans sa carrière comme des œuvres relativement mineures : Un roi à New York et la Comtesse de Hongkong. En 1964, il publie ses Mémoires (Histoire de ma vie). Bien que de nos jours l'œuvre longtemps méconnue d'un Buster Keaton semble avoir sans nul doute autant d'importance que celle de Chaplin, il n'en reste pas moins vrai que ce dernier, à la fois comme réalisateur et comme acteur, a pris depuis longtemps place parmi les figures majeures du septième art.
Filmographie de Charlie Chaplin
FILMOGRAPHIE DE CHARLIE CHAPLIN | ||
Dates de tournage | Ses films | Ses partenaires |
Films de la Keystone (35) | Mabel Normand, Fatty Arbuckle, Mack Swain, Minta Durfee, Edgar Kennedy, Chester Conklin, Marie Dressler, Ford Sterling | |
Films de la Essanay (16) | Edna Purviance, Ben Turpin, Leo White, Bud Jamison | |
Films de la Mutual (12) | Edna Purviance, Eric Campbell, Albert Austin, Henry Bergman | |
Principaux films de la First National | ||
Edna Purviance, Tom Wilson | ||
Edna Purviance, Sydney Chaplin | ||
Edna Purviance, Tom Wilson | ||
Edna Purviance, Jackie Coogan | ||
Edna Purviance, Mack Swain | ||
Edna Purviance, Mack Swain | ||
Autres films de C. Chaplin | ||
Edna Purviance, Adolphe Menjou (Chaplin ne joue qu'une silhouette furtive dans cette comédie dramatique) | ||
Mack Swain, Georgia Hale | ||
Merna Kennedy, Allan Garcia | ||
Virginia Cherrill, Harry Myers | ||
Paulette Goddard, Chester Conklin | ||
Jack Oakie, Paulette Goddard | ||
Mady Correll, Martha Raye | ||
Claire Bloom, Sydney Chaplin | ||
Dawn Addams, Michael Chaplin | ||
Sophia Loren, Marlon Brando |