Iran : la République islamique d'Iran depuis 1979

Hachemi Rafsandjani
Hachemi Rafsandjani

1. La révolution islamique

En janvier 1979, le chah confie le pouvoir à Chahpur Bakhtiyar, chef du Mouvement de la résistance nationale (libéral, héritier de Mossadegh) et quitte définitivement le pays. Trois jours plus tard, 4 millions de personnes manifestent à Téhéran pour exiger le retour de l'ayatollah Ruhollah Khomeyni, qui rentre triomphalement en Iran le 1er février. C. Bakhtiyar tente d'imposer des réformes et de rétablir l'ordre, mais, entre le 9 et le 11 février, l'armée déserte en masse, des généraux sont exécutés, les casernes sont prises d'assaut et le Premier ministre est évincé par le Conseil islamique, mis en place par l'ayatollah Khomeyni, et remplacé par Mehdi Bazargan. C. Bakhtiyar s'exile en France ; en mars, le chah est condamné à mort par contumace ; le 1er avril, un référendum approuve la création d'une République islamique. De nombreux responsables politiques et militaires sont arrêtés par les Gardiens de la révolution (pasdarans), le bras armé du régime, et condamnés par les tribunaux islamiques avant d'être exécutés. Les répercussions régionales et internationales sont énormes, l'onde de choc provoquée par la révolution islamique se propageant dans tous les pays musulmans. L'influence idéologique et politique du mouvement iranien en fait l'un des événements les plus importants qui soient survenus dans le tiers-monde depuis la décolonisation.

1.1. La mise en place des institutions de la République islamique

Aux élections de septembre 1979, les représentants religieux groupés dans le parti républicain islamique (PRI), créé par l'ayatollah R. Khomeyni, remportent 75 % des sièges, cette victoire étant facilitée par le boycott du scrutin prôné par les marxistes, les libéraux et les minorités ethniques – notamment les Kurdes, qui réclament, à la faveur des troubles, une plus grande autonomie. Les nouveaux députés rédigent une Constitution – adoptée par référendum en décembre – qui, selon le principe de la théorie du pouvoir élaboré par l'ayatollah Khomeyni pendant son exil – le velayat-e faqih (littéralement : « pouvoir du docte ») confère au religieux la primauté sur le pouvoir politique. Selon ce principe, le « Guide de la Révolution » (ou Guide suprême) est le chef de l'État, premier personnage du régime, ayant la prééminence sur le président de la République.

La Constitution instaure également une différence de statut entre musulmans et non-musulmans. Les Kurdes sont sévèrement réprimés (10 000 morts en quelques mois) et les Gardiens de la révolution, soutenus par l'ayatollah Khomeyni, se livrent à une violente surenchère anti-américaine : l'ambassade des États-Unis à Téhéran est occupée en novembre par des étudiants islamiques qui exigent que le chah soit extradé vers l'Iran et procèdent à une prise d'otages qui durera plus de 400 jours. La société iranienne s'enfonce alors dans l'islamisation forcée : le tchador, qui couvre les femmes, devient le nouveau symbole du pays, devenu le chef de file d'une frange de l'islam qui réclame, à travers le monde, le retour à la tradition et à l'application de la loi islamique. Débordé par le mouvement révolutionnaire, M. Bazargan démissionne. Bien que déclarant se situer hors de la sphère politique, l'ayatollah Khomeyni, qui détient la réalité du pouvoir, fait élire à la présidence de la République, en janvier 1980, un jeune économiste, Bani Sadr. Durant les élections législatives de mars et de mai 1980, la position des intransigeants se renforce, les partis de la gauche, réprimés, entrant en dissidence. En juillet, le chah meurt au Caire.

1.2. La grande guerre patriotique

En septembre, les incidents frontaliers qui opposaient depuis plusieurs mois Irakiens et Iraniens dégénèrent : l'Iraq, soutenu et armé par l'Occident, envahit le Khuzestan, sans parvenir à y soulever la minorité arabe. Ce qui reste de l'armée iranienne se rue dans la bataille, y subissant d'emblée de sérieux et meurtriers revers : la → guerre Iran-Iraq, qui durera huit ans, vient de commencer. Même si les otages américains sont finalement libérés (sans doute en échange d'armes, en janvier 1981), la lutte contre « le grand Satan américain » s'intensifie en même temps que le pouvoir se durcit : qualifié de « contre-révolutionnaire pro-occidental », B. Sadr est destitué (juin 1981) et trouve refuge en France. Les partis libéraux sont interdits, les Gardiens de la révolution se déchaînent dans le Kurdistan. Le pays sombre alors dans une guerre civile qui prend la forme d'une guérilla urbaine organisée par les partis marxistes : sept jours après la destitution de B. Sadr, un attentat contre le siège du PRI fait 72 morts parmi l'élite du régime religieux, dont 10 ministres et 20 députés ; le président du Parlement, Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, est blessé ; deux mois plus tard, le nouveau président de la République, Mohammad Ali Radjai, meurt dans un attentat.

Alors que la répression s'accentue contre les libéraux, les Moudjahidin du peuple (MEK), les communistes du Tudeh et les Kurdes, les religieux, notamment à la faveur de l'élection à la présidence de la République, le 2 octobre 1981, de l'hodjatoleslam Ali Khamenei, prennent le contrôle de tous les rouages de l'État et décident d'exporter la révolution. Ils n'y parviendront pas, mais vont utiliser ces tentatives, notamment au Liban et au Soudan, à titre de surenchère pendant la guerre avec l'Iraq. Enrôlant des enfants, mobilisant le peuple iranien à l'aide d'une intense propagande, les religieux iraniens parviennent, en 1982, à reprendre l'initiative dans la guerre contre l'Iraq.

La poursuite de la guerre sauve paradoxalement le régime, qui l'utilise pour faire taire les contestations intérieures. Le conflit affaiblit cependant les deux pays – il y aura au total un million de morts –, dont les infrastructures et les industries sont détruites. Reconstituée, l'armée iranienne, après quelques gains territoriaux, soutient une guerre de position. Pendant cette période, l'isolement international de l'Iran se renforce : la République islamique rompt ses relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne (juin 1987), l'Arabie saoudite (juillet 1987, après le massacre de la Grande Mosquée de La Mecque) et la France (novembre 1987). Attaqué de toutes parts, le régime islamique se durcit d'autant : lors du « massacre des prisons » (août 1988-février 1989), entre 4 500 et 5 000 prisonniers politiques, dont des femmes, sont exécutés. En juillet 1988, l'Iran accepte cependant, le cessez-le-feu réclamé par l'ONU : le bilan du conflit est lourd en pertes humaines, les installations pétrolières ont été touchées et la situation économique est catastrophique.

2. La transition Rafsandjani (juillet 1989-mai 1997)

L'ayatollah Khomeyni – qui a dissous le PRI en juin 1987 – meurt le 4 juin 1989. En prononçant, quelques mois avant sa mort, une fatwa condamnant à mort l'écrivain britannique d'origine indienne Salman Rushdie, auteur de Versets sataniques jugés blasphématoires à l'égard de l'islam, il a accru l'isolement diplomatique de l'Iran, tout en hypothéquant les chances d'un rapprochement de son pays avec la communauté internationale.

Le 28 juillet 1989, l'ancien président du Majlis, l'hodjatoleslam Ali Akbar Hachemi Rafsandjani est triomphalement élu à la présidence de la République avec 94,5 % des voix. Il bénéficie de pouvoirs renforcés à la suite d'une réforme constitutionnelle qui institue un régime présidentiel et supprime le poste de Premier ministre. Succédant à l'ayatollah Khomeyni, l'hodjatoleslam Ali Khamenei est désigné Guide de la révolution en août. Le président Rafsandjani s'efforce de prôner une ouverture relative, tant sur le plan intérieur – négociations avec les Kurdes, libération des libéraux, marginalisation des radicaux, intégration des Gardiens de la révolution dans l'armée – que sur les plans économique et diplomatique.

Pendant la guerre du Golfe (1990-1991), l'Iran joue la neutralité, obtient la libération de tous ses prisonniers de guerre et la reconnaissance de sa frontière avec l'Iraq, telle qu'elle a été définie par le traité d'Alger de 1975. Son attitude modérée lui permet d'esquisser en outre – malgré la poursuite impitoyable de ses adversaires à l'étranger (une soixantaine d'exécutions, dont 37 en Europe ; assassinat de Chahpur Bakhtiyar en août 1991 à Paris) – un rapprochement avec l'Union européenne. Téhéran rétablit ses relations avec la Grande-Bretagne (septembre 1990) et règle son contentieux avec la France (décembre 1991). S'il restaure ses relations diplomatiques avec l'Arabie saoudite, il continue néanmoins de se poser en chef de file des opposants aux accords de Madrid et d'Oslo sur la question palestinienne, tout en accroissant son implication au Liban et au Sud-Liban.

À partir des élections législatives d'avril-mai 1992, qui voient la victoire des modérés et l'élimination de la gauche islamique et des extrémistes religieux, les troubles internes reprennent : mouvements clandestins de lutte armée, attaques du MEK contre les installations pétrolières et certaines ambassades, attaques sunnites contre le mausolée de l'ayatollah Khomeyni, ripostes chiites contre des édifices sunnites, violente contestation de la libéralisation économique, etc. Peu après sa réélection, le 11 juin 1993, avec 63 % des voix, le président Rafsandjani échappe à une tentative d'assassinat en février 1994, voit son influence se réduire sous la pression des conservateurs groupés autour du Guide suprême, et perd le contrôle de l'armée.

L'embargo total décrété en 1995 par les États-Unis contre l'Iran, accusé de soutenir le terrorisme international, le gel de ses avoirs financiers et les sanctions américaines contre tous ceux qui seraient tentés d'y investir (loi Kennedy-D'Amato, août 1996) aggravent les problèmes économiques. Le Kurdistan est toujours quadrillé par 150 000 soldats et forces paramilitaires iraniennes.

À l'issue des élections législatives de mars-avril 1996, l'Assemblée consultative islamique se partage entre partisans du Guide de la révolution, A. Khamenei, d'une part, et ceux du président Rafsandjani, d'autre part. Ce dernier n'est pas parvenu à imposer ses projets économiques ni à contrecarrer l'influence hégémonique des milieux conservateurs et islamistes devenus majoritaires au sein du régime dans les années 1990. Cependant, l'assouplissement relatif des contrôles et de la répression contribue à l'évolution de la société iranienne au sein de laquelle se développent la contestation, les aspirations au pluralisme (ce dont témoigne une floraison de journaux) à la modernité et à l'ouverture sur le monde.

3. La présidence Khatami (août 1997-août 2005)

3.1. Une soif de réformes

Le 23 mai 1997, l'ancien ministre de la Culture, Mohammad Khatami, modéré et libéral, est élu président de la République avec près de 70 % des suffrages. Une cohabitation tendue, ponctuée de règlements de compte, s'instaure entre conservateurs et réformateurs au pouvoir. Dans la sphère civile, le débat porte sur les places respectives du religieux et du politique. Par ailleurs, les assassinats de plusieurs opposants nationalistes et intellectuels en novembre et décembre, puis la mise en cause et la démission du ministre des Renseignements rendent la situation politique du pays particulièrement opaque.

Se présentant comme l'organisateur d'une nouvelle étape de la révolution islamique – celle de la stabilisation –, M. Khatami plaide pour la reconnaissance des libertés publiques, le multipartisme et l'ouverture internationale de son pays. En 1998, il s'engage à renoncer à faire exécuter la fatwa à l'encontre de S. Rushdie. En février 1999, l'organisation d'élections municipales au suffrage universel – une première en Iran –, grâce à la volonté du président et malgré l'opposition tenace des conservateurs, constitue une victoire pour les réformateurs, qui l'emportent, notamment dans de grandes villes, telles Mechhed et Chiraz, jusque-là acquises aux conservateurs. La société civile ne craint plus de s'exprimer ouvertement ; les jeunes, en particulier, réclament davantage de libertés et l'accélération des réformes. À la suite de la fermeture du quotidien réformateur Salam, des affrontements opposent les étudiants de l'université de Téhéran aux forces de l'ordre et aux milices intégristes, entraînant des manifestations dans plusieurs grandes villes (juillet 1999). Mais, ces événements tournent à l'avantage des conservateurs, qui profitent des hésitations du président Khatami pour procéder à une série d'arrestations et faire adopter par le Parlement plusieurs projets de loi visant notamment à restreindre la liberté d'expression. Les élections législatives de février 2000 confirment néanmoins la popularité des réformateurs, qui obtiennent, dès le premier tour, la majorité absolue des 290 sièges au Parlement. Les tentatives d'intimidation (nouvelles mesures contre la presse réformatrice) ou de révision des résultats par les conservateurs, entre les deux tours, ne parviennent pas à enrayer leur victoire spectaculaire.

3.2. Une réélection triomphale mais une marge de manœuvre étroite

En juin 2001, M. Khatami est réélu triomphalement à la présidence avec 77 % des suffrages, avec un taux d'abstention de 33 %. En dépit d'une marge de manœuvre qui paraît plus grande, le président se heurte toujours à l'âpre résistance des conservateurs et du premier d'entre eux, l'ayatollah A. Khamenei. Majoritaires au sein du Conseil des gardiens de la Constitution (chargé de superviser les élections et la conformité de la législation aux commandements de l'islam et à la Constitution), de l'Assemblée des experts (qui élit le guide à vie et a, sous certaines conditions, le pouvoir de le démettre) et du système judiciaire, les réformateurs s'opposent à la politique de réforme du président réélu qui ne peut nommer des femmes ministres et ne se mobilise pas contre les atteintes répétées aux libertés publiques (fermetures de journaux, arrestations et emprisonnements de journalistes, d'intellectuels, d'étudiants ou de militants des droits de l'homme).

Après avoir entravé l'application des réformes économiques, politiques et culturelles adoptées de 2000 à 2004 par le Parlement, alors constitué d'une majorité écrasante de réformateurs, les conservateurs optent pour une stratégie d'usure des revendications démocratiques de la population afin de pérenniser leur mainmise sur la société.

3.3. La renaissance d'une puissance régionale

Dès son arrivée au pouvoir, le président Khatami modifie sensiblement les relations extérieures de son pays. Il opère un rapprochement en direction des pays arabes, maintient de bonnes relations avec la Russie, noue des liens économiques avec les nouvelles nations d'Asie centrale et cherche à se rapprocher de l'Asie, notamment de la Chine, de l'Inde et du Pakistan. Si le « grand Satan américain » continue, mais plus mollement, à l'exclure de la scène internationale, l'Occident est ménagé et, sans attendre la levée de l'embargo, se réinstalle économiquement.

Riche d'énormes potentialités pétrolières, jouissant d'une position stratégique exceptionnelle à la jonction du Moyen-Orient, du golfe Persique et de l'océan Indien et se réarmant activement, l'Iran se pose en concurrent direct de la Turquie, mais c'est avec l'Afghanistan que les tensions s'aggravent. En 1996, la victoire des talibans – des fondamentalistes sunnites, naturellement opposés aux chiites iraniens – provoque l'afflux d'un million de réfugiés en Iran. À son inquiétude sur le sort de ses minorités ethniques en Afghanistan, s'ajoutent une grande incertitude sur le trajet du futur oléoduc en Asie centrale et la menace que représente la frontière irano-afghane, devenue un lieu de transit pour le trafic de drogue. En août 1998, l'assassinat de dix diplomates iraniens à Kaboul attise les tensions : 200 000 soldats iraniens sont massés à la frontière afghane et de violents affrontements opposent les deux armées en octobre. Le président Khatami joue cependant l'apaisement.

Déjà mises à mal par le regain de tension au Proche-Orient en 2000 – Téhéran jugeant la politique des États-Unis beaucoup trop favorable à Israël –, les relations irano-américaines se détériorent après les attentats du 11 septembre 2001. Après avoir hésité entre une attitude conciliante préconisée par M. Khatami et une position plus critique – voire franchement hostile – défendue par A. Khamenei, la République islamique opte finalement pour cette dernière, au moment même où les États-Unis l'accusent de chercher à se doter d'armes de destruction massive, de soutenir le Hezbollah libanais ou d'accueillir sur son sol des membres d'al-Qaida en fuite.

La République islamique se voit également reprocher de vouloir s'ingérer dans la politique afghane au risque de déstabiliser le gouvernement provisoire, et de renforcer son influence dans l'ouest de l'Afghanistan par une aide militaire aux commandants locaux. Dans son discours sur l'état de l'Union (30 janvier 2002), le président G. W. Bush inclut l'Iran dans l'« axe du Mal armé pour menacer la paix du monde ».

À la fin de l'année 2001, l'effondrement du régime des talibans sous le coup des bombardements américains modifie la donne régionale. Aux premières loges du conflit, l'Iran subit un nouvel afflux de réfugiés afghans. Par ailleurs, le renforcement de la présence américaine en Asie centrale avec l'installation de troupes dans plusieurs États de la région (Ouzbékistan, Kirghizistan…), est un sujet de préoccupation pour la République islamique. Le pétrole de la mer Caspienne et les grands projets stratégiques de développement énergétique du Caucase et de l'Asie centrale constituent les futurs enjeux de cette partie du monde, où l'Iran, la Russie et les États-Unis – pour ne citer que les plus grandes puissances – se livrent une bataille acharnée dans l'espoir de faire valoir leurs intérêts respectifs.

3.4. Le contentieux nucléaire

À la suite de la diffusion en décembre 2002 par les télévisions américaines de photos satellites de deux sites nucléaires iraniens (Arak, au sud-ouest de Téhéran, et Natanz, au centre du pays), l'Iran accepte une inspection de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). La découverte d'uranium enrichi à Natanz lors d'une inspection en février 2003, associée à la révélation du transfert de la technologie nucléaire pakistanaise à plusieurs pays dont l'Iran dans les années 1980 et 1990, resserre l'étau sur le régime islamique. Soumis à une importante pression internationale – notamment américaine et européenne – Téhéran signe le 18 décembre 2003 le protocole additionnel du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et suspend volontairement ses activités d'enrichissement d'uranium.

En juin 2004, l'AIEA relève à nouveau des traces d'uranium hautement enrichi sur trois sites différents. Conclu le 14  novembre 2004, un accord euro-iranien permet d'éviter que le cas iranien ne soit renvoyé par l'AIEA au Conseil de sécurité de l'ONU pour d'éventuelles sanctions, comme le souhaitent les États-Unis, partisans d'engager une politique répressive : au nom de l'Union européenne, la « troïka » (Allemagne, France et Grande-Bretagne) tente d'obtenir par la négociation un renoncement de l'Iran à tout enrichissement d'uranium en échange d'avantages commerciaux et d'une assistance à son programme nucléaire civil. En dépit des ouvertures prudentes effectuées par les États-Unis (levée de leur opposition à la candidature de l'Iran à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en mars 2005, ainsi qu'à la vente de pièces détachées aéronautiques à l'Iran), Téhéran annonce qu'il entend poursuivre ses activités nucléaires.

4. Le retour des ultraconservateurs

Pour la septième législature (2004-2008), le Conseil des garidiens de la Constitution invalide 3 600 des candidats réformateurs, parmi lesquels quelques personnalités marquantes. Cent vingt députés réformateurs sortants démissionnent en guise de protestation ; quatre-vingts d'entre eux entament une grève. Mais les principaux acteurs du mouvement de réformes – les femmes, les jeunes et les intellectuels –, mécontents du bilan du président Khatami et du blocage des institutions par les conservateurs, ne se mobilisent pas pour soutenir les députés grévistes ou démissionnaires lors de élections législatives (20 février et 7 mai 2004), remportées par les conservateurs et marquées par le taux de participation le plus faible depuis la révolution. Ils s'abstiennent largement de nouveau à l'élection présidentielle l'année suivante et permettent, ainsi, contre toute attente, l'accession à la présidence de la République d'un ultraconservateur.

4.1. L'accession au pouvoir de Mahmud Ahmadinejad

Le 24 juin 2005, Mahmud Ahmadinejad est largement élu au second tour de l'élection présidentielle avec 61,6 % des suffrages contre Ali Akbar Hachemi Rafsandjani (35,9 %), mais il doit son élection à une fraude électorale dite « modérée », impliquant le trucage de quelques millions de voix ; il a bénéficié en outre du soutien de l'establishment iranien, qui voit en lui le candidat le plus malléable pour accélérer la radicalisation religieuse, nationaliste et anti-occidentale et faire basculer la République islamique vers un gouvernement donnant aux religieux et à leurs alliés le contrôle total sur l'État, l'économie et la société.

D'origine modeste (ancien instructeur des bassidjis et ex-officier des Gardiens de la révolution devenu universitaire puis maire de Téhéran), M. Ahmadinejad se fait le porte-parole de la frange la plus déshéritée (les mostazafin) et la plus religieuse de la société iranienne. Effectuant d'incessantes tournées en province, il distribue directement l'argent, gagnant une certaine popularité mais accentuant l'inflation et le chômage. Cette politique clientéliste ne tarde pas à provoquer le mécontentement de la population, déçue par les promesses non tenues. En dépit de l'augmentation considérable des revenus pétroliers et gaziers de l'État, la crise économique ne permet pas l'ascension sociale des classes populaires et conduit à la paupérisation des classes moyennes. La dégradation des conditions de vie (hyperinflation, baisse du pouvoir d'achat, chômage des jeunes diplômés), sous les effets conjugués d'une gestion économique populiste et des sanctions internationales, pousse à des actes de violence dans plusieurs villes du pays lors de l'entrée en vigueur du rationnement de l'essence en juin 2007. Sur le plan politique, le durcissement du régime est orchestré par la montée en puissance des Gardiens de la révolution, forts de quelque 130 000 membres, qui intègrent les milices bassidjis, quadrillent l'État et prennent le contrôle de pans entiers de l'économie.

L'un des principaux enjeux des élections législatives du 14 mars 2008 est de forger une nouvelle alliance autour des conservateurs traditionnels et pragmatiques, emmenés par l'ancien président Ali Akbar Hachemi Rafsandjani (élu en septembre 2007 à l'Assemblée des experts), opposés à la politique du chef de l'État et cherchant à entraver sa réélection à la présidentielle de 2009. Se qualifiant de pragmatiques et de « troisième vague », un trio – regroupant Mohammad Baqer Qalibaf, maire de Téhéran, ancien chef de police et l'un des adversaires de M. Ahmadinejad lors de la présidentielle de 2005, Ali Larijani (principal négociateur sur le programme nucléaire iranien, démissionnaire en octobre 2007) et Mohsen Rezayi (ancien commandant des Gardiens de la révolution) – prend l'initiative. En l'absence d'influentes personnalités réformatrices du fait de leur disqualification massive par le Conseil de surveillance, les élections se jouent entre les ultras, les traditionalistes et les pragmatiques. Ces derniers l'emportent largement bien que les réformateurs constituent, comme en 2004, une minorité visible du nouveau Majlis avec 60 sièges sur 290. Alors que la situation économique continue de se dégrader, aggravée par la baisse du prix du pétrole, le régime étouffe toute revendication sociale et accentue sa répression sur la presse, les étudiants, les minorités ethniques et religieuses, les femmes, les organisations non gouvernementales (plus d'une centaine sont suspendues en 2007-2008), tandis que la peine de mort – plus de 600 exécutions au moins en 2007 et 2008 dont certaines publiques – continue d'être appliquée avec une sévérité extrême.

4.2. Un isolement international croissant

Sur le plan international, l'arrivée au pouvoir de M. Ahmadinejad ouvre une période de crispation et de défiance. Dès le 8 août 2005, l'Iran annonce la reprise de ses activités d'enrichissement d'uranium, au mépris des résolutions de l'AIEA et sur fond de propos anti-israéliens et négationnistes de son président. Cherchant à éviter, sur le court terme, la destruction de ses installations nucléaires, l'Iran ambitionne, sur le long terme, de devenir une puissance régionale.

Cette stratégie repose sur le refus de la reconnaissance de l'État d'Israël (assorti de déclarations publiques sur la « disparition » d'Israël ou sur la négation de la Shoah) et sur l'alliance stratégique de l'Iran avec des États (Syrie, Liban) ou des organisations (Hezbollah, Hamas) en conflit avec l'État hébreu. Elle suscite, outre la réprobation de la communauté internationale et l'hostilité affichée des États-Unis, la méfiance des régimes sunnites (Jordanie, Arabie saoudite et pays du Golfe), qui redoutent la création d'un « arc chiite » au Moyen-Orient (→ Orient arabe).

Le transfert du dossier nucléaire iranien au Conseil de sécurité des Nations unies vise à contraindre l'Iran à mettre fin à son programme d'enrichissement d'uranium par des sanctions. Or, ce dernier compte sur le soutien de la Russie (qui ne considère pas le programme nucléaire iranien comme une menace) et de la Chine, membres permanents du Conseil de sécurité, pour en limiter la portée et l'efficacité. Sommé de suspendre l'enrichissement d'uranium avant le 31 août 2006 (résolution 1696), l'Iran fait fi des sanctions qui lui sont imposées (décembre 2006) et annonce son intention d'accélérer son programme d'enrichissement. Les sanctions (embargo sur les exportations d'armes iraniennes, restrictions financières et commerciales) sont alourdies. Malgré le vote de nouvelles sanctions (mars 2008), l'AIEA constate le refus de Téhéran de faire toute la lumière sur son programme nucléaire. Une nouvelle proposition de coopération présentée par les Six (les cinq membres du Conseil de sécurité de l'ONU plus l'Allemagne) est rejetée par le président Ahmadinejad, qui défend le droit inaliénable de son pays à disposer d'un programme nucléaire.

5. La cohésion du régime menacée

Peu avant l'élection présidentielle du 12 juin 2009, le Conseil des gardiens de la Constitution ne valide que 4 candidats, sur 475, dont 42 femmes : le président sortant, M. Ahmadinejad, celle d'un autre conservateur, Mohsen Rezayi, et, dans le camp des réformateurs modérés, Mehdi Karoubi (ancien président du Majlis) et Mir Hossein Moussavi, un homme du sérail (Premier ministre de 1981 à 1989). Ce dernier, qui a fait symboliquement campagne avec son épouse, Zahra Rahnavard, directrice de 1998 à 2005 de l'université féminine al-Zahra de Téhéran, dispose également de l'appui de la plupart des réformateurs, dont l'ancien président Mohammad Khatami, qui, après avoir annoncé sa candidature, s'est finalement désisté.

5.1. La réélection contestée de M. Ahmadinejad

Pendant la campagne, le régime met tout en œuvre pour que l'apparence d'une élection démocratique soit préservée : des débats télévisés d'une liberté de ton inédite entre les candidats permettent la promotion du candidat réformateur M. H. Moussavi, qui attire dans son camp une « vague verte » d'étudiants, d'intellectuels ou de femmes. Le jour de l'élection, la participation est de 85 %. La proclamation hâtive de la victoire de M. Ahmadinejad, avec un score écrasant – plus de 63 % des suffrages – devant M. H. Moussavi – moins de 34 % des voix – provoque un soulèvement populaire spontané. Sans attendre la proclamation officielle des résultats, l'ex-Premier ministre dénonce avec force de nombreuses violations, une « manipulation » massive du scrutin, et réclame son annulation. Les jours qui suivent voient un mouvement de contestation – inédit depuis la révolution islamique de 1979 et clairement uni autour d'un même slogan : « Où est mon vote ? » – s'exprimer lors de manifestations quotidiennes et pacifiques dans la capitale comme en province. L'ayatollah Ali Khamenei, rompant avec son rôle traditionnel d'arbitre idéologique et moral de Guide suprême, place toute son autorité au service de M. Ahmadinejad et impose sa réélection. Se sentant menacé, le régime se réfugie dans la théorie du complot étranger à nouveau brandie, l'intimidation et la répression féroce (des milliers d'arrestations, une soixantaine de morts officiels [plus de 350 selon des organisations non gouvernementales], l'usage de la torture).

Le « régime des mollahs » a gagné la bataille de la rue mais sa légitimité est désormais atteinte. En dérogeant à son devoir d'impartialité, A. Khamenei s'est coupé d'un grand nombre d'Iraniens (dont le slogan devient « Mort au dictateur ! » puis « Mort à Khamenei ! »), y compris des principales figures religieuses du clergé chiite (les grands ayatollah Hossein-Ali Montazeri, Moussavi Ardebili ou encore Safi Golpayegani), qui critiquent ses méthodes répressives et s'interrogent sur la légitimité d'« un gouvernement né de tant d'irrégularités ». L'intensité et la durée des troubles créent le doute sur la stabilité du régime et affectent le statut de puissance régionale du pays.

Investi le 1er août, M. Ahmadinejad s'entoure de fidèles, pour la plupart issus des mouvances bassidjis, des Gardiens de la révolution et surtout des services secrets, les trois « piliers » qui l'ont soutenu jusqu'ici. Le durcissement politique et les lourdes tensions apparues au sein du régime rendent difficile un quelconque infléchissement de la République islamique sur la poursuite de son programme nucléaire. Face à la communauté internationale, Téhéran continue de louvoyer et de souffler le chaud et le froid. Après avoir autorisé, en août 2009, l'inspection du site d'Arak par l'AIEA, l'Iran apporte, en septembre, une fin de non-recevoir à l'offre présentée en avril par les Six conditionnée à un « gel » des activités d'enrichissement d'uranium.

Placé sous une forte pression internationale après la subite divulgation, le 25 septembre, par les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne d'un deuxième centre d'enrichissement de l'uranium aux environs de la ville de Qom, tenu secret pendant des années, le régime iranien rejette la politique instaurée par le président américain Barack Obama nouvellement élu, qui se dit prêt à un « respect mutuel » et à un « dialogue direct » avec la République islamique.

Le 17 mai 2010, l'Iran signe avec le Brésil et la Turquie un accord prévoyant que la République islamique accepte d'entreposer 1 200 kilos d'uranium faiblement enrichi en Turquie, et reçoive, en contrepartie, 120 kilos de combustible enrichi à 20 % mais rendu impropre à un usage militaire. Limité dans ses applications, cet accord complique l'adoption de nouvelles sanctions par les Occidentaux. Après un énième échec essuyé par l’équipe d’experts de l’AIEA et de nouvelles sanctions contre le secteur financier iranien adoptées par les États-Unis en février 2012, les discussions reprennent entre l’Iran et les représentants du « forum des 5+1 » (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU plus l’Allemagne) en avril et mai.

5.2. Les tensions à la tête de la diarchie et les élections législatives de 2012

L’unité de façade des conservateurs et le soutien apporté par le guide Ali Khamenei au président Ahmadinejad à l’issue du scrutin présidentiel de 2009 se fissurent au cours de ce second mandat, avec pour enjeux l’élection parlementaire de 2012 et surtout la succession du président sortant en 2013. Accusé de vouloir mettre à l'écart les religieux et instituer un pouvoir personnel – en tentant par exemple, mais en vain, de s’arroger le poste de ministre du pétrole –, M. Ahmadinejad se heurte à l’opposition de plus en plus ouverte du parlement et de la hiérarchie cléricale. La corruption ou la déviance religieuse d’une partie de son entourage sont ainsi dénoncées, tandis que le chef de l’exécutif est interpellé par les députés.

Désormais sur la défensive, y compris dans son propre camp, M. Ahmadinejad doit aussi renoncer à garder la haute main sur les services de renseignement ainsi que sur le dossier nucléaire avant de subir un nouveau désaveu lors des élections législatives de mars-mai 2012. Alors que la plupart des réformistes – dont les chefs de file M. H. Moussavi et Mehdi Karoubi sont placés en résidence surveillée depuis 2011 – ont boycotté le scrutin, les conservateurs, partisans de A. Khamenei, confortent en effet leur domination du Majlis.

6. La présidence de Hassan Rohani (2013-)

Les deux mandats de M. Ahmadinejad se soldent par un mécontentement croissant et par une aspiration au changement, principalement en raison de la forte détérioration de la situation économique du pays qui se traduit par l’effondrement de la monnaie, l’inflation galopante (plus de 30 % officiellement), l’aggravation du chômage, en particulier parmi les jeunes, la paupérisation de la population. En partie due à l’isolement international et aux sanctions américaines et européennes – qui ont conduit à une chute des recettes pétrolières et à l’isolement financier du pays – cette dégradation est également imputée à la gestion de l’économie nationale par le pouvoir en place depuis huit années.

6.1. La succession de M. Ahmadinejad

Le durcissement du régime ne suffit pas pour faire taire les oppositions et malgré le tri drastique des candidatures exercé par les autorités au profit des « conservateurs », c’est un religieux « modéré », l’hodjatoleslam Hassan Rohani, qui remporte l’élection présidentielle de juin 2013 dès le premier tour avec plus de 50 % des suffrages. Cet ancien conseiller de M. Khatami (qui lui apporte son soutien) est proche à la fois du guide suprême A. Khamenei et de H. Rafsandjani, écarté de la course de même que le « dauphin » pressenti par le président sortant dans un souci, semble-t-il, d’apaisement. Sa victoire inattendue s’explique par la dispersion du camp adverse ainsi que par le ralliement des réformateurs, dont le seul candidat, Mohammad Reza Aref, se retire en sa faveur, et la mobilisation du « mouvement vert » de 2009.

Compagnon de la première heure de l'ayatollah Khomeiny, membre du Conseil de discernement et de l’Assemblée des experts, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien entre 1989 et 2005, le nouveau président jouit d’une réputation d’ouverture et de pragmatisme acquise alors qu’il conduisait la délégation iranienne lors des négociations sur la question nucléaire en 2003-2005. Nourrissant les espoirs de toute une partie de la population dont la jeunesse et les femmes, son élection est ainsi également plutôt bien accueillie par la communauté internationale. Entré en fonctions le 3 août, H. Rohani forme un gouvernement dont quinze des dix-huit membres, pour la plupart des technocrates, reçoivent l’agrément du Parlement.

6.2. Vers un règlement de la question nucléaire ?

Après la signature, le 24 novembre 2013, d’un accord intérimaire destiné à rétablir la confiance, les négociations entre l’Iran et le groupe des « 5 + 1 » (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, plus l'Allemagne, auxquels se joint la Haute Représentante de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité) sont reprises jusqu’à la signature d’un accord final le 14 juillet 2015 à Vienne. Présentant des garanties solides quant au caractère purement civil et scientifique du programme nucléaire de l’Iran et couvrant une période de 8, 10, 15, 20 et 25 ans selon ses dispositions, ce « Plan d’action global conjoint » comporte trois volets très détaillés.

L’encadrement renforcé des activités nucléaires iraniennes prévoit notamment : la limitation de la capacité d’enrichissement de l’uranium de ses installations de Natanz à 5061 centrifugeuses de première génération pendant 10 ans (contre 10 000 opérationnelles actuellement, ce qui permet de porter le temps nécessaire à la fabrication d’une bombe atomique à un an, un délai suffisant pour permettre éventuellement de réagir en cas de nouvelles suspicions) ; le maintien du niveau d’enrichissement à 3,67 % et la réduction à 300 kg du stock d’uranium pendant 15 ans ; la transformation du site de Fordow en centre de recherche, ainsi que la reconception du réacteur à eau lourde d’Arak à des fins exclusivement industrielles et médicales.

Parmi les mesures de transparence et de confiance sont prévus le règlement, d’ici fin 2015, des questions litigieuses opposant depuis 2011 l’Iran et l’AIEA, une présence à long terme de cette dernière dans le pays et la surveillance facilitée et continue par ses inspecteurs de l’application des clauses de l’accord concernant en particulier l’enrichissement, la production d’uranium, les centrifugeuses anciennes et nouvelles, ainsi que le futur réacteur d’Arak.

En contrepartie, la plupart des sanctions financières, économiques et commerciales relatives à la question nucléaire imposées par les Nations unies, l’UE et les États-Unis seront levées à mesure que l’AIEA certifiera que l’Iran respecte le plan, cet engagement étant réversible dans le cas contraire.

Fêté à Téhéran par la population, l’accord est très mal accueilli par Israël et avec un optimisme modéré par les États arabes du Golfe au premier rang desquels l’Arabie saoudite en conflit avec l’Iran sur plusieurs théâtres au Moyen-Orient (Syrie, Yémen, Liban). En attente de ratification après le vote à l'unanimité par le Conseil de sécurité de l'ONU d’une résolution préparant la levée des sanctions internationales (20 juillet), il ouvre la voie à un recouvrement économique du pays, ainsi qu’à une normalisation de ses relations avec les États occidentaux et pourrait contribuer à un apaisement des tensions dans la région.

Après l’autorisation officielle par l’AEIA de la levée progressive et conditionnelle des sanctions en janvier 2016, l’accord contribue dans un premier temps à renforcer, lors des élections législatives de février 2016, le camp des « modérés », partisans de la politique d’ouverture de H. Rohani. Le scrutin donne ainsi au président davantage de marge de manœuvre face aux « conservateurs » qui conservent toutefois un poids important au Parlement.

6.3. Le second mandat de H. Rohani

Une réélection en demi-teinte

Misant sur le soutien du camp réformateur par des positions ouvertement libérales et sur la menace d’un retour en arrière en cas de défaite, n’hésitant pas à mettre en cause l’emprise des pasdarans sur l’économie nationale, H. Rohani est réélu dès le premier tour de scrutin, le 19 mai 2017, avec plus de 57 % des voix contre 38 % pour son adversaire conservateur Ebrahim Raïssi de l’Association du clergé militant et proche du guide suprême A. Khamenei dont il a obtenu l’appui. Une victoire sans appel allant au-delà du soutien attendu des jeunes, des femmes ou de la classe moyenne urbaine et diplômée.

La politique d’ouverture tarde toutefois à porter ses fruits sur la société et l'économie, malgré une croissance retrouvée (autour de 7 % en 2016-2017) et une nette désinflation. La lenteur des réformes conduit à des manifestations de mécontentement inédites depuis 2009 qui s’étendent en décembre dans plusieurs villes du pays. Celles-ci mobilisent davantage la classe ouvrière et la jeunesse défavorisée et dénoncent la corruption, les inégalités et les mesures de restriction budgétaire (réduction des subventions). Si elles sont rapidement étouffées, ces manifestations révèlent néanmoins une situation de crise sociale et interviennent dans un contexte international critique pour le pays.

Alors que l’engagement de l’Iran en Syrie et son programme balistique entretiennent les tensions régionales, l'Arabie saoudite cherche à isoler son grand rival depuis la rupture des relations diplomatiques en janvier 2016. Elle peut compter pour cela sur l’appui du nouveau président américain Donald Trump.

L'accumulation des tensions

Rompant avec la politique d'apaisement menée sous B. Obama, le nouveau président annonce en mai 2018 le retrait des États-Unis de l’accord nucléaire et ouvre une période de grande incertitude. Le rétablissement et le durcissement des sanctions contre les secteurs pétrolier et financier iraniens conduisent à un bras de fer tendu entre la République islamique et les États-Unis, alors que l’Union européenne tente, sans grande efficacité cependant, de contourner leur extraterritorialité.

Les incidents se multiplient autour du détroit d’Ormuz en mai-juin 2019 et prennent une tournure menaçante lorsque des installations pétrolières saoudiennes sont bombardées par drone en septembre. L'acte est revendiqué par les rebelles yéménites houthis ; certains y voient la main de leur « protecteur » iranien, une accusation rejetée par Téhéran, qui maintient cependant sa stratégie de la tension tout en laissant la porte ouverte à une relance du dialogue.

Le 4 novembre 2019, l'Iran annonce ainsi la reprise des activités d’enrichissement d’uranium, en exigeant des Européens qu’ils parviennent à compenser effectivement les sanctions américaines.

Le régime iranien semble pourtant en difficulté. Ses interventions extérieures sont de plus en plus contestées, en Iraq, où l’influence de Téhéran est ouvertement mise en cause dans les manifestations massives qui ont éclaté depuis le mois d’octobre, au Liban, où le pouvoir du Hezbollah est remis en question, mais également en Iran, où le coût économique et politique de ces interventions est dénoncé.

La situation économique et sociale se dégrade fortement avec la chute de la production pétrolière : la récession est estimée par le FMI à – 9, 5 % en 2019 et l’inflation à 35 % en moyenne, alors que la hausse du prix de l’essence contribue à la reprise de la contestation à partir de la mi-novembre. Ces nouvelles manifestations, qui tournent à l’émeute, sont violemment réprimées, à huis clos à la suite du blocage de l’accès à Internet.

Parallèlement, les tensions avec les États-Unis, accusés par ailleurs d’avoir fomenté les troubles, s’enveniment à la fin de l’année, conduisant à l’élimination à Bagdad, le 3 janvier 2020, sur ordre du président des États-Unis, du général iranien Qassem Soleimani, commandant de la Force Al-Qods des Gardiens de la révolution et principal responsable des interventions extérieures de l’Iran. Outre la promesse de représailles, cet assassinat a pour conséquence l’annonce par Téhéran d’une nouvelle étape vers son affranchissement de l'accord de Vienne sur le nucléaire, une décision toutefois réversible en cas de levée des sanctions américaines.