Hamas
(« zèle, ferveur »), acronyme de Harakat al-Muqawama al-Islamiyya, Mouvement de la résistance islamique
Organisation politique palestinienne d'inspiration islamique favorable à la lutte armée contre Israël pour libérer les Territoires palestiniens occupés.
1. Origines
Héritier des Frères musulmans dont il prolonge l'action caritative et sociale auprès des réfugiés de la bande de Gaza puis de l'ensemble de la Cisjordanie, le Mouvement de résistance islamique, créé à Gaza en 1987 par le cheikh Ahmad Yassine, a originellement pour objectif la lutte contre l'occupation israélienne des Territoires palestiniens depuis 1967 via la réislamisation de la société palestinienne et l'encadrement social.
Grâce à son réseau diversifié d'actions caritatives, il parvient rapidement à s'ancrer profondément auprès des populations, notamment dans la bande de Gaza. Durant les années 1970 et jusqu'à la première Intifada, les membres des Frères musulmans qui n'ont pas encore intégré la lutte contre l'occupant à leur programme d'action politique, bénéficient de la bienveillance d'Israël, concentré sur la lutte contre l'Organisation de libération de la Palestine (OLP).
Pour en savoir plus, voir l'article Frères musulmans.
2. L'action armée
Adoptée en 1988, la charte du mouvement prône le djihad et affirme que la Palestine historique est un waqf, un bien arabe et musulman qui ne peut être ni négocié ni cédé. Elle s'oppose en cela à la stratégie de négociations diplomatiques désormais suivie par l'OLP ainsi qu'au nouveau programme politique de la « Centrale » palestinienne, qui fait de la proclamation d'un État de Palestine sur les seuls territoires de la Cisjordanie et de la bande de Gaza son principal mot d'ordre politique.
Le Hamas devient l'adversaire de l'OLP et est déclaré illégal par Israël, qui condamne son fondateur et chef spirituel, cheikh Ahmad Ismaïl Yassine, à une peine d'emprisonnement à vie pour son implication dans l'assassinat d'un soldat israélien (1989). Après avoir catégoriquement rejeté les accords d'Oslo (ou de Washington), conclus entre l'OLP et Israël en 1993, le Hamas se marginalise et rejoint les forces d'opposition politique. Dès lors, il s'implique – par l'intermédiaire de son bras armé, les brigades Izz al-Din al-Qassam – dans de nombreux attentats meurtriers en Israël. En 1997, une tentative d'assassinat ratée d'un de ses responsables en Jordanie, Khaled Mechaal, entraîne la libération d'Ahmad Yassine par le Likoud au pouvoir.
Redevenu le fer de lance de la lutte contre Israël lors de la seconde Intifada (septembre 2000), le Hamas organise, à partir de mars 2001, des attentats suicides contre la population civile israélienne, ce qui lui vaut d'être classé par les États-Unis puis par l'Union européenne « organisation terroriste », tandis que le Mossad élimine systématiquement ses cadres par des assassinats ciblés (Salah Chéhadé en 2002, cheikh Ahmad Yassine et Abdel Aziz al-Rantissi en 2004).
La lutte armée n'a cependant jamais constitué le seul répertoire d'actions du mouvement. Depuis sa création en 1987, le Hamas maintient des activités caritatives, qui s'avèrent d'une aide précieuse pour les populations dans les moments de crise économique et politique. En outre, bien qu'opposés à la paix, certains membres militent pour l'implication du mouvement dans la vie politique nationale palestinienne ainsi qu'au sein des institutions de l'Autorité nationale palestinienne (ANP), quand bien même la ligne officielle du Hamas est de boycotter les élections et les institutions nées des accords d'Oslo.
3. Le Hamas au pouvoir
Ainsi, en 1996, lors des premières élections générales organisées dans les territoires autonomes, le Hamas a appelé candidats et électeurs au boycott, sous prétexte qu'elles se déroulaient dans le cadre des accords d'Oslo. Mais plusieurs de ses membres se sont présentés et fait élire sous l'étiquette d'indépendants.
Dix ans plus tard, dans un contexte distinct d'échec du processus de paix et de vide politique lié à la mort du leader Yasir Arafat (11 novembre 2004), le Hamas change de stratégie et décide de jouer le jeu des institutions démocratiques. Il réalise d'abord d'excellents scores aux élections municipales de 2004-2005, en faisant une poussée remarquée dans les principales villes de Cisjordanie. Puis il retire les dividendes de la lutte armée et profite du rejet que suscite une Autorité nationale palestinienne jugée corrompue lors des élections générales de janvier 2006.
Sa large victoire aux élections législatives, à l'issue desquelles il remporte la majorité absolue au Conseil législatif avec 74 sièges sur 132, est suivie de la formation d'un gouvernement dirigé par Ismaïl Haniyeh, tête de la liste « nationale » du parti aux élections et ex-secrétaire particulier d'Ahmad Yassine.
Après plusieurs mois de violents affrontements avec le Fatah, le Hamas et les partisans du chef de l'Autorité nationale palestinienne, Mahmud Abbas, s'entendent, le 8 février 2007, pour former un gouvernement d'union nationale.
4. La « mésentente » nationale (2007-2011)
Mais cette entente est de courte durée et débouche sur de nouveaux affrontements armés entre le Fatah et le Hamas. À la mi-juin 2007, le Hamas s'empare militairement du contrôle de la bande de Gaza mais se trouve interdit d'action de facto en Cisjordanie, désormais tenue par le Fatah. Parallèlement, il doit gérer les effets économiques et sociaux du lourd embargo auquel l'État d'Israël et la communauté internationale le contraignent dans la bande de Gaza.
Ces derniers conditionnent, en effet, la fin du boycott à l'acceptation des accords d'Oslo, à l'arrêt de la lutte armée et à la reconnaissance de l'État d'Israël. Or le mouvement islamiste ne peut envisager de se plier aux « diktats » sans risquer de perdre une partie de son soutien populaire. De ce fait, pour alléger les effets de la fermeture de la bande de Gaza, le Hamas négocie avec l'État d'Israël un accord de cessez-le-feu qui prend effet en juin 2008 pour six mois.
Celui-ci s'achève sur fond de tensions politiques et débouche sur une offensive militaire israélienne d'envergure, aérienne puis terrestre, lancée le 27 décembre 2008 dans la bande de Gaza, qui a pour objectif de déstabiliser, voire d'éradiquer le Hamas. L'opération (dite Plomb durci) dure 3 semaines et se révèle très meurtrière côté palestinien (1 400 morts et plus de 5 000 blessés). Le coût matériel de la guerre de Gaza est également important (entre 700 et 900 millions de dollars selon la communauté internationale). Pourtant, dès la proclamation du cessez-le-feu, chaque partie crie victoire. Pour l'organisation islamique en particulier, le fait de se tenir encore « debout » à l’issue des combats constitue une preuve de sa combativité. Le mouvement négocie néanmoins un cessez-le-feu tacite avec l'État d'Israël à compter de février 2009, enjoignant à ses militants de le respecter, conscient qu'il ne peut répondre à une nouvelle offensive militaire du même type dans l'immédiat.
Il se concentre ainsi sur la gestion de la crise humanitaire d'ampleur qui sévit dans la bande de Gaza – la reconstruction des infrastructures détruites durant le mois de conflit étant rendue difficile par le maintien du blocus de la bande de Gaza par l'État d'Israël. À cet égard, l'ouverture du terminal frontalier de Rafah au sud de la bande de Gaza par le gouvernement égyptien « post-Moubarak », en juin 2011, suscite un sentiment d'espoir et d'amélioration de la situation socio-économique.
Au-delà, le traumatisme causé par la guerre et l’ampleur des dégâts à Gaza rendent l’opinion publique palestinienne particulièrement désireuse de mettre un terme à la « mésentente » nationale. Des négociations en ce sens sont impulsées sous l’égide de l’Égypte dès la fin de l’offensive israélienne, mais sont ajournées en octobre 2009. Plusieurs points de blocage subsistent entre les deux factions : la reconnaissance du bien-fondé des accords d'Oslo par le Hamas, la répartition des pouvoirs en matière de sécurité et le contrôle des forces de police, le calendrier électoral et les modes de scrutin utilisés, et l'entrée éventuelle du Hamas au sein de l'OLP.
Ainsi, l’absence de perspective de réconciliation nationale conduit de facto à une institutionnalisation de la scission politique et territoriale. De part et d’autre, les gouvernements en place jouent la carte du statu quo, chacun estimant que le facteur temps joue contre l’autre. Les dirigeants du Hamas comme ceux du Fatah (re)créent des réseaux de clientèles qui prennent appuient sur la canalisation des ressources financières et politiques existantes. Chacun des deux gouvernements rivaux accentue de la sorte son contrôle sur les populations de sa « zone », en limitant les espaces de la contestation politique et en arrêtant les opposants – ce qui nuit de plus en plus à leur popularité.
Le Hamas fait également l'objet d'une contestation sur le contenu de son programme politique. Certains groupes salafistes reprochent au gouvernement d'Ismaïl Haniyeh de ne pas aller assez loin dans la transformation des législations en vigueur et de faire obstruction à la mise en place d'un État véritablement islamique, tandis que des organisations de défense des droits de l'homme proches des milieux de gauche médiatisent tout ce qui leur apparaît comme des tentatives d'islamisation de la société (par exemple, le projet de loi visant à interdire aux femmes de fumer le narguilé dans les lieux publics).
Par ailleurs, l'absence d'une levée significative du blocus économique, couplée à l'imposition d'une trêve militaire vis-à-vis d'Israël, suscite une montée des protestations de la part de groupements politiques de faible ampleur et peu structurés, adeptes de la lutte armée. Ces derniers accusent le Hamas de faire le jeu d’Israël et d’abandonner son agenda nationaliste. En réalité, c’est la menace permanente d’une intervention militaire israélienne qui pousse l’équipe au pouvoir dans la bande de Gaza à endosser le rôle de « police des frontières » et à surveiller les différents groupes d’opposition. Mais il est certain que le Hamas est, de ce fait, placé dans une situation d’ambivalence délicate, entre gestion de l’occupation et lutte contre l’occupation.
Ainsi, confronté à une impasse politique à l'intérieur même du territoire qu'il a placé sous son contrôle depuis 2007 et sommé de répondre aux suppliques des manifestants qui, dans le sillage des « révoltes arabes » du printemps 2011, exigent de leurs responsables politiques qu'ils signent un accord de réconciliation nationale, le Hamas s'engage en mai 2011, dans des pourparlers avec le Fatah visant à la formation d'un gouvernement d'union nationale.
5. Le Hamas et le conflit syrien
Mais les négociations en la matière achoppent de nouveau. Et c’est dans un tel contexte que le Hamas doit affronter une importante crise organisationnelle due largement à l’évolution du contexte régional. En effet, la brutalité de la répression de la révolte populaire en Syrie conduit progressivement le mouvement islamiste palestinien à repenser ses liens d’amitié politico-stratégiques avec le régime de Bachar al-Asad, qui l’accueille pourtant depuis 2000. Cette prise de distance lui impose ensuite rapidement de rechercher un nouveau lieu d’implantation pour ses quartiers généraux. Elle l’oblige également à rechercher de nouveaux soutiens financiers, dans la mesure où l’Iran, allié de Damas et bailleur de fonds important du Hamas, n’a guère apprécié le changement d’alliance de ce dernier. Elle le trouve en la personne de l’émir du Qatar. Sur le plan politique, le Hamas – et notamment, l’Autorité de Gaza placée sous son contrôle – reçoit le soutien de l’Égypte dirigée par les Frères musulmans du président Mohamed Morsi à partir de juin 2012. Mais il le perd un an plus tard, en juillet 2013, lors de la prise de pouvoir par la force de l’armée et du général al-Sissi.
Isolé diplomatiquement, le mouvement doit ainsi redéfinir ses alliances, tâche incertaine et complexe dans un environnement régional en recomposition. Outre le Qatar – qui doit cependant répondre aux pressions de Ryad et du Caire pour qu’il cesse son soutien à la mouvance des Frères musulmans –, le Hamas conserve également l’appui de la Turquie.
6. Vers la réconciliation nationale ?
En panne de soutien international, le mouvement du Hamas est aussi affaibli sur le plan interne : sa politique de trêve militaire illimitée avec l’État d’Israël est loin de faire consensus localement, sans compter que les perspectives d’amélioration des conditions de vie économiques et sanitaires des populations s’étiolent, face aux mesures égyptiennes de rétorsion qui conduisent à la fermeture des tunnels de contrebande alimentant la bande de Gaza. C’est dans ce contexte que le mouvement est conduit à négocier avec le président de l’Autorité palestinienne, M. Abbas, un accord en vue de la formation d’un gouvernement d’union nationale. Au-delà, l’enjeu de la réconciliation porte sur l’entrée du Hamas au sein de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et la représentation du mouvement auprès des communautés de réfugiés établis en dehors de la Palestine. Les mésententes perdurent comme en témoigne la difficulté du gouvernement d’union formé en juin 2014 par Rami Hamdallah à imposer son autorité sur le territoire de Gaza dont la reconstruction est l’un des principaux défis depuis la rupture de la trêve et la nouvelle opération israélienne « Bordure protectrice » en juillet-août. Se soldant par de nombreuses victimes et d’importantes destructions, cette guerre ressoude provisoirement le camp palestinien. Bien que relancé en 2017, le processus de « réconciliation » s’enlise et l’organisation de nouvelles élections dans les territoires semble être nécessaire pour départager les deux « frères ennemis ».
Pour en savoir plus, voir l'article Question palestinienne.