Salman Rushdie

Écrivain britannique d'origine indienne (Bombay 1947).

L'auteur des Versets sataniques

Salman Rushdie s'est installé en Grande-Bretagne en 1961. Après deux romans, écrits en anglais, portant déjà sur des sujets religieux, il publie les Enfants de minuit (1981, Booker Prize ; traduction française, 1991), qui obtient un grand succès, aussi bien en Grande-Bretagne qu'à l'étranger. Suivront la Honte (1983), roman dans lequel il caricature la société pakistanaise et la famille Bhutto, puis le Sourire du jaguar (1987), dont l'action se situe en Amérique latine.

Dans tous ces ouvrages, Rushdie fustige l'obscurantisme sous toutes ses formes : regard d'un émigré qui porte témoignage sur les sociétés indienne et pakistanaise.

Au moment où il publie les Versets sataniques, jugé blasphématoire contre l'islam, il est donc un écrivain confirmé. Son brûlot paraît le 26 septembre 1988 à Londres. C'est un gros roman qui narre les aventures de deux Indiens dont l'avion a été détourné par des fanatiques ; l'avion explose, et ils échouent à Londres, où ils fréquentent les milieux d'émigrés. Les Versets constituent donc une œuvre de fiction, foisonnante et picaresque. Mais son auteur a donné à ses héros des noms qui se réfèrent à la culture musulmane et introduit des références au Coran : sont évoqués la période préislamique et un certain Mahound, homme d'affaires véreux, ainsi que des prostituées qui portent les noms des femmes du prophète Muhammad (Mahomet). Il y est fait surtout allusion aux fameux versets sataniques.

De quoi s'agit-il ? Le Coran mentionne en deux endroits, et plus particulièrement dans la sourate LIII (versets 19 à 23), que le Prophète, à un moment donné de sa vie, fut prêt à tout pour réussir, y compris à rendre hommage aux divinités païennes des peuples arabiques. L'interprétation orthodoxe de cet épisode postule que le Prophète a été abusé par Satan. Reste que s'il a pu être trompé en cette circonstance, pourquoi ne l'aurait-il pas été à d'autres moments de sa vie ? Les musulmans de toutes les époques n'ont pas manqué de se poser et de poser le problème, et la littérature arabe ne manque pas d'écrits sacrilèges sur ce point.

Salman Rushdie n'a donc fait que puiser dans le patrimoine arabo-musulman, et encore cet épisode n'occupe-t-il que trois paragraphes d'un roman de plus de 500 pages. Pour ceux qui ont manifesté leur réprobation, le problème se situe donc ailleurs.

Le « décret » de Khomeyni

Les manifestations contre les Versets sataniques commencent en Inde en octobre 1988, dans un contexte marqué par la préparation des élections législatives : le Premier ministre Rajiv Gandhi interdit l'ouvrage, espérant ainsi récupérer quelques voix musulmanes. Le Pakistan, où les adversaires de Benazir Bhutto mènent campagne pour le maintien des lois islamistes, suit le mouvement. Des émeutes, derrière lesquelles on devine la main des organisations intégristes, se produisent dans ce pays. À la fin du mois de janvier 1989, les manifestations gagnent la Grande-Bretagne, où les Versets sont brûlés dans la rue. C'est alors seulement qu'intervient l'Iran.

La fatwa de Ruhollah Khomeyni est diffusée le 14 février 1989. Que dit-elle exactement ? « [...] Je tiens à informer les courageux musulmans du monde entier que l'auteur du livre les Versets sataniques, qui a été écrit, édité et publié contre l'islam, le Prophète et le Coran, ainsi que les éditeurs qui en connaissaient le sujet sont condamnés à mort. Nous demandons aux musulmans courageux de les tuer immédiatement, où qu'ils se trouvent, afin que nul ne puisse désormais profaner la sainteté de l'islam ; tout être tué dans cette voie sera considéré comme martyr [...]. »

Ce texte, assorti par la suite d'une prime, fait des Versets sataniques une machine de guerre contre Benazir Bhutto, contre l'Arabie Saoudite, cible préférée de l'iman, et aussi contre les Soviétiques qui quittent ce jour-là l'Afghanistan.

Mais l'autre cible du clan Khomeyni est, en Iran même, le dauphin désigné du « guide de la Révolution », l'ayatollah Montazeri. Ce dernier avait dénoncé, quelques jours auparavant, à Qom, les « erreurs graves » des dix dernières années. La fatwa de Khomeyni est donc avant tout un acte politique. La preuve en est apportée par les réactions venues des milieux musulmans, où la position de Khomeyni ne fut approuvée que par trois clercs : le cheikh Fadlallah du Liban, un mufti de Tunisie et le directeur de l'Institut islamique de Hébron. Tous les autres exégètes musulmans ont réagi d'une façon négative en contestant la pertinence de la décision de Khomeyni.

De nombreux ulémas, de Paris au Caire, expliquent que l'islam n'impose aucune contrainte en matière religieuse et que, lorsque la religion est menacée, la seule action des vrais musulmans consiste à produire un ouvrage qui réfute les thèses du blasphémateur. En septembre 1998, la décision annoncée du président Khatami de ne plus offrir de prime pour tuer l'écrivain britannique, pouvait être interprétée comme un signe encourageant dans le cadre de la politique étrangère iranienne ; mais il reste que cette décision est toujours fortement contestée au sein même des factions qui se disputent le pouvoir en Iran, les autorités religieuses de ce pays faisant valoir que la prise de position du président Khatami n'engage pas la République islamique et que la fatwa prononcée par l'imam Khomeyni est imprescriptible. Depuis 1988, de nombreux attentats (contre les traducteurs et éditeurs de Rushdie), autodafés ou incendies ont ainsi été perpétrés.

Hermétique aux menaces et aux intimidations, décoré du titre de chevalier par la reine d'Angleterre (2007), Salman Rushdie poursuit une œuvre riche en essais (Patries imaginaires, 1992), nouvelles (Est, Ouest, 1994) et romans (Haroun et la mer des histoires, 1990 ; le Dernier Soupir du Maure, 1995 ; la Terre sous ses pieds, 1999 ; Furie, 2001 ; Shalimar le clown, 2005 ; l'Enchanteresse de Florence, 2008 ; Joseph Anton, 2012).