Asie du Sud-Est : histoire
1. Un carrefour du commerce maritime
1.1. Une implantation humaine très ancienne
L'implantation humaine en Asie du Sud-Est est très ancienne. Sans même évoquer les fossiles d'hominiens trouvés en particulier à Java et en Birmanie, le site protohistorique de Ban Chiang en Thaïlande a révélé de remarquables poteries et surtout des objets en bronze du IIe millénaire avant J.-C., qui prouveraient l'existence d'une civilisation avancée aussi ancienne que celle de la Chine. Les étonnants tambours de bronze (d'abord découverts à Dongson, au Viêt Nam) qu'on retrouve, presque identiques, du Yunnan chinois à l'est indonésien sont moins vieux (Ier millénaire avant J.-C.), mais ils démontrent la très longue continuité du commerce maritime à l'échelle régionale.
1.2. Le grand commerce
Les réseaux transrégionaux, puis mondiaux, des marchands-navigateurs chinois, indiens, moyen-orientaux, puis européens ne font pour l'essentiel que s'y greffer, sans guère les bouleverser, jusqu'au développement à grande échelle des mines et des plantations, vers le milieu du xixe siècle. Il s'agit pour tous de s'approprier les profits exceptionnels des produits propres à la région, au premier rang desquels les épices des Moluques.
C'est autour de la richesse acquise à la faveur du grand commerce que se constituent nombre de villes et d'États puissants, au moins en Insulinde. Les ports-emporiums, tel Melaka au xve siècle, naturellement ouverts aux étrangers et aux idées nouvelles, jouent un rôle-clé tant dans le brassage des populations (c'est là que s'établissent les premiers Chinois), que dans la diffusion de l'hindouisme, puis de l'islam. Ce sont aussi eux qui attirent les premières tentatives de colonisation européenne – les Portugais conquièrent Melaka dès 1511, avant de s'emparer des Moluques.
2. Empires et royaumes précoloniaux
Les premiers grands États d’Asie du Sud-Est ne semblent avoir pris forme qu'au milieu du Ier millénaire, bien plus tardivement que dans les mondes chinois et indien.
2.1. Angkor et le modèle khmer
L'empire le plus précoce – et aussi le plus prestigieux par les monuments qu'il a légués – est celui d'Angkor qui, du ixe au xive siècles, s'étend à partir de la plaine cambodgienne à une grande partie de l'Asie du Sud-Est continentale.
Le modèle khmer inspire de très près le royaume birman constitué dès le xe siècle sur le moyen Irrawaddy (→ Pagan, puis Ava, enfin Mandalay), l'État cham (→ Champa) du Centre-Viêt Nam (apparu au début du ixe siècle, et qui périt au xve siècle sous les coups des Vietnamiens), les principautés laotiennes (→ Luang Prabang et Vientiane), et plus encore la monarchie siamoise, installée au xiiie siècle à Sukhothai, puis à Ayuthia du xive au xviiie siècle.
2.2. L'État vietnamien
Quant à l'État vietnamien, mini-empire du Milieu, il se réduit jusqu'au xve siècle à son actuelle moitié septentrionale, souvent ravagée par les invasions venues du nord (Chinois) ou du sud (→ Chams), et peine de plus à constituer son unité, définitivement acquise (jusqu'à la conquête française, qui le redivise) en 1802 seulement.
2.3. L'Insulinde
La situation demeure longtemps plus confuse en Insulinde. Les Philippines ne connaissent aucune construction politique de quelque ampleur avant la colonisation espagnole, qui débute en 1565.
Le premier grand empire indonésien, Shrivijaya (viie-xive siècles), centré sur le sud de Sumatra, est probablement plus une confédération de cités thalassocratiques qu'un État centralisé, et les limites de son influence autant que son histoire demeurent floues. Majapahit (vers 1292-vers 1520) est, lui, constitué autour de l'est de Java ; son influence s'étend jusqu'à l'extrémité orientale de l'archipel indonésien ; il constitue autant un empire agraire qu'un État maritime.
Il cède la place moins aux Portugais et aux Hollandais (qui fondent Batavia – l'actuelle Jakarta – en 1619, et les supplantent rapidement) qu'aux nouveaux sultanats islamisés qui se partagent peu à peu l'archipel. Les plus notables sont Mataram (Java centre, xvie-xviiie siècles), bastion de la haute culture javanaise, et Aceh (xviie-xixe siècles), au nord de Sumatra, où les Britanniques viennent longtemps se ravitailler en poivre.
2.4. La péninsule malaise
La Malaisie, peu peuplée jusqu'au début du xixe siècle, est le champ des rivalités entre plusieurs sultanats construits chacun autour d'un petit bassin fluvial.
3. L'irruption des impérialismes occidentaux
La présence européenne en Asie du Sud-Est est précoce, mais son emprise demeure fort limitée en Insulinde jusqu'au milieu du xviiie siècle, et sur le continent encore un siècle plus tard. L'énorme distance et les « fièvres » terriblement meurtrières (paludisme surtout) assurent longtemps la survie des États autochtones. Les Occidentaux doivent se contenter de quelques comptoirs commerciaux et de petites îles aisées à contrôler, comme aux Moluques.
3.1. Les Britanniques
C'est en 1786 seulement que les Britanniques s'y implantent solidement, sur l'île de Penang (côte ouest de la Malaisie). Singapour la supplante dès sa fondation (1819), étant donné la supériorité de sa situation géographique et son précoce statut de port franc. Pour protéger l'hinterland de ces deux grandes places de commerce et pour s'assurer de la stabilité de leurs approvisionnements en matières premières (étain surtout), les sultanats malais sont réduits au statut de protectorats, entre 1874 et 1914.
Des colonisations « privées », au nord de Bornéo, sont entreprises à Sarawak (à partir de 1842) par l'aventurier écossais James Brooke, et à Sabah (1877) par une compagnie à charte britannique. Les deux territoires deviennent plus tard des protectorats.
À partir de leurs possessions indiennes, les Britanniques s'emparent de la Birmanie en trois étapes (1826, 1853, 1885), dont la dernière s'avère très difficile.
3.2. Les Français
Quant aux Français, ils prennent en compagnie des Espagnols Da Nang en 1858, et surtout l'année suivante Saigon, au débouché du Mékong. La Cochinchine (tiers méridional du Viêt Nam) est érigée en colonie en 1864, agrandie en 1867. Enfin le Centre (→ Annam) et le Nord (→ Tonkin) deviennent des protectorats entre 1883 et 1885, malgré de très vives résistances, et une guerre avec la Chine, suzeraine du Viêt Nam. Celui-ci sert de marchepied pour la mainmise, plus lâche, de la France sur le Cambodge (à partir de 1863) et les principautés laotiennes (1893), devenus des protectorats.
3.3. Les Néerlandais
Les Néerlandais, en revanche, étendent leurs « Indes » à l'ensemble de l'archipel indonésien, souvent par traités, parfois par la guerre, dont la plus dure permet la conquête d'Aceh (1873-1904).
3.4. Les Américains
Les Espagnols, à peine les Philippines entièrement maîtrisées (années 1840), s'en font chasser par une révolte majeure suivie de l'intervention américaine (1896-1898). Les États-Unis refont du pays une colonie, cependant très rapidement dotée d'institutions élues et d'une haute administration largement « philippinisée ».
3.5. Les Portugais
Quant au Portugal, il conserve jusqu'en 1975 la partie orientale de l'île de Timor, mais il s'agit d'un territoire marginal et peu peuplé.
EN SAVOIR PLUS
Presque toutes les puissances coloniales se sont donc en quelque sorte donné « rendez-vous » en Asie du Sud-Est. Seul le Siam (actuelle Thaïlande) parvient difficilement à demeurer indépendant, tout en devant renoncer à une vaste part de ses possessions périphériques au profit de l'Indochine française à l'Est (1893, 1904, 1907) et de la Malaisie britannique au Sud (1909).
3. La période coloniale
3.1. Des émancipations précoces
La vaste majorité de la région est donc passée en 1914 sous contrôle colonial, quoique fréquemment sous la forme quelque peu adoucie du protectorat qui laisse un certain rôle aux monarchies autochtones. Mais, en 1957, avec l'indépendance de la Malaisie, l'Asie du Sud-Est s'est émancipée, à l'exception des « confettis », territoriaux ou humains, de Sarawak et Sabah, au nord de Bornéo (rattachés à la Malaisie en 1963), de Singapour (indépendant en 1965), de Brunei (1984) et du Timor oriental (annexé par l'Indonésie en 1976, indépendant en 2002).
3.2. Continuité avec la période précoloniale
La période coloniale, dans sa phase de grande extension, a donc duré à peine trois quarts de siècle. Et, à la différence de l'Afrique, les nouveaux États peuvent revendiquer une forte continuité avec les monarchies précoloniales, du moins sur le continent.
La Birmanie, dotée d'un parlement élu dès 1937, et engagée (certes tardivement) dans l'effort de guerre contre le Japon qui l'a occupée en 1942 (comme la totalité de la région, la Thaïlande constituant pour lui un allié soumis), donne le coup d'envoi des décolonisations en 1948.
En 1954, après un dur conflit armé de huit années, la conférence de Genève consacre l'indépendance totale des pays d'Indochine, qui se séparent de l'Union française. Le Viêt Nam reste cependant divisé de facto, entre le Nord communiste et le Sud pro-occidental, ce qui constitue l'enjeu du second conflit indochinois (→ guerre du Viêt Nam, amorcée en 1960), conclu en 1975 par le triomphe de Hanoi.
3.3. Héritages de la colonisation
L'Indonésie et surtout les Philippines sont bien davantage les héritières de constructions coloniales – jusque dans leur nom, d'origine espagnole ou grecque. Les Américains, qui ont dès 1935 promulgué à Manille une Constitution garantissant une très large autonomie interne, se retirent comme prévu en 1946 (tout en conservant de vastes bases militaires), la puissance de la résistance philippine anti-japonaise ne leur laissant d'ailleurs pas d'autre choix.
Les Indes néerlandaises ont proclamé unilatéralement leur indépendance en août 1945, lors de la capitulation du Japon. Les Néerlandais, après avoir tenté diverses opérations (militaires ou politiques) de reconquête, doivent reconnaître leur échec en 1949 ; ils cèdent même en 1962 la Nouvelle-Guinée occidentale à la république indonésienne, qui l'annexe sous le nom d'Irian Jaya.
L'indépendance est d'emblée effective, même quand elle n'a pas été conquise les armes à la main : la solidité de la tradition étatique, la précocité fréquente d'un nationalisme populaire, l'importance des masses humaines (quatre pays sont plus peuplés que la France), enfin la capacité à organiser la croissance économique (sauf dans les pays en guerre : Indochine, Birmanie) sont souvent la source d'une rapide élévation au rang d'acteurs dans les relations internationales. La conférence afro-asiatique de Bandung (1955), à Java, en porte témoignage.
4. Enjeux géopolitiques
4.1. Des États-nations encore mal fondés
La constitution puis la préservation de l'unité nationale constituent, en Asie du Sud-Est comme partout dans le monde décolonisé, l'enjeu primordial. La faiblesse des moyens administratifs et financiers des États rendent sa réussite délicate, et parfois hasardeuse.
Birmanie et Indonésie
La pression autonomiste ou indépendantiste demeure forte dans ces deux pays. La Birmanie, face à l'insurrection généralisée des nombreuses minorités ethniques, a durablement perdu le contrôle de la plupart de ses régions frontalières. L'Indonésie, outre l'annexion injustifiable de Timor oriental et de l'Irian Jaya, a opposé aux rébellions d'Aceh, de Célèbes, des Moluques (pour ne citer que les principales) une répression très meurtrière et le traditionnel centralisme javanais, jusqu'en 1998 date de la chute de la dictature de Suharto.
Même là où la violence ne paraît pas menacer, comme dans les montagnes du Viêt Nam, en Malaisie orientale ou encore à Singapour, les violents contrastes entre niveaux de développement, ainsi que le manque de respect des cultures et modes de vie traditionnels, constituent des menaces potentielles.
Philippines
Les Philippines ont à faire face dans leur extrême Sud musulman à un irrédentisme plus limité en ampleur, mais sans doute encore plus insoluble, tant les guérillas sont puissamment armées et inaccessibles aux importantes concessions qui leur ont été faites depuis longtemps.
Thaïlande, Laos
La Thaïlande, pour sa part, a su modérer ses propres musulmans du Sud, mieux intégrés. Le Laos communiste, qui a fort mal traité sa minorité hmong (10 % de la population en 1975), largement poussée à l'exil car « pro-américaine », affronte depuis une irréductible guérilla au cœur de son territoire.
4.2. Le maintien de la paix et l'organisation régionale
Fondation de l'ASEAN
C'est pour éviter l'envenimement de ces tensions internes et pérenniser la normalisation de leurs relations récemment acquise que les États d'Asie du Sud-Est se sont résolus à se rapprocher au sein de l'ASEAN (Association of Southeast Asian Nations), au cours d'un lent processus amorcé dès 1967 à cinq (Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande).
En 1976, ces États fondateurs signent à Bali un traité d'amitié et de coopération (TAC) s'engageant à régler pacifiquement leurs différends, un Haut Conseil composé des représentants de chacun d'eux étant chargé de proposer ses bons offices en cas de non résolution par des accords bilatéraux.
Élargissement
L'ASEAN s'ouvre par la suite en 1984 à Brunei nouvellement indépendant, puis au Viêt Nam en 1995, au Laos et à la Birmanie en 1997, enfin au Cambodge en 1999 : les nouveaux venus se joignent au TAC, tandis que le traité sur la Zone exempte d'armes nucléaires de l'Asie du Sud-Est (Southeast Asia Nuclear Weapon-Free Zone, Bangkok) est en vigueur depuis 1996.
Au cours des années suivantes, d’autres États, asiatiques ou non, adhèrent de leur côté au TAC parmi lesquels la Chine et l’Inde (2003), le Japon, la Corée du Sud et la Russie (2004), la Nouvelle-Zélande et l’Australie (2005), la France (2007), le Timor oriental, candidat à l’adhésion à l’ASEAN (2007), la Corée du Nord (2008) et les États-Unis (2009).
La Déclaration sur la conduite des parties en mer de Chine méridionale (DOC)
Dans le même esprit, afin de prévenir des conflits en mer de Chine méridionale, objet d’un vieux litige réactivé au début des années 1990, Pékin et les États membres de l’ASEAN signent en novembre 2002 la « Déclaration sur la conduite des parties en mer de Chine du Sud » (DOC). Se référant notamment au traité d’amitié précédent, ainsi qu’à la Convention des Nations unies sur le droit la mer de 1982, les onze signataires s’engagent à respecter la liberté de navigation et de circulation aérienne, à régler pacifiquement leurs différends et à « s’autolimiter » dans leur conduite afin d’éviter toute aggravation de leurs différends qui pourrait menacer la paix et la stabilité dans la région.
Une action réussie
La principale réussite de l'association est ainsi d'avoir réduit le niveau de tension entre des pays économiquement très contrastés, politiquement longtemps opposés (l'Indochine communiste de 1975 a été séparée de la Thaïlande par une véritable ligne de front jusqu'à la fin des années 1980, chacun soutenant des guérillas à l'arrière de l'autre), et que de multiples contentieux frontaliers, souvent issus du partage colonial, auraient pu à plusieurs reprises pousser à des affrontements de grande ampleur.
La Communauté économique de l’ASEAN (AEC)
L'AFTA (zone de libre-échange de l'ASEAN), progressivement mise en place depuis 2002, est l'une des principales réalisations de l'ASEAN. En janvier 2007, l’organisation décide d’accélérer cette intégration en prévoyant, avec l’élimination de la plupart des barrières douanières, la création d’une Communauté économique de l’ASEAN (AEC) en 2015.
Reste à atteindre l’un des prochains objectifs qui est de réduire les disparités entre les membres fondateurs de l’association et les nouveaux adhérents beaucoup moins développés et intégrés sur les marchés internationaux que sont le Viêt Nam, le Laos, le Cambodge et la Birmanie.
4.3. L’avènement des « valeurs asiatiques »
À la fin des années 1980, la Banque mondiale saluait le « miracle asiatique » des nouveaux « tigres » et « dragons », mais l'essor économique rapide des États de l'ASEAN était individuel et ils étaient rivaux dans la course aux investissements et aux marchés. En revanche, le succès économique de l'Asie du Sud-Est et l'intérêt renouvelé de l'Europe et des États-Unis ont donné naissance à des ambitions qui se sont traduites par la formulation de « valeurs asiatiques », opposées par leurs promoteurs aux « valeurs universelles » (droits de l'homme) défendues par un Occident accusé d'impérialisme culturel et jugé sur le déclin.
Ces valeurs, définies principalement par le Singapourien Lee Kuan Yew et le Malais Mahathir bin Mohamad, donnaient priorité à l'intérêt collectif sur l'individualisme, au développement économique sur la démocratisation politique, au respect de l'autorité (avec référence au confucianisme) et du système familial, et à la recherche du consensus contre une opposition institutionnalisée. Elles étaient, en quelque sorte, une réponse aux « leçons » de démocratie de l'Occident.
En 1989, le « miracle asiatique » avait suscité la création de l'APEC (Asia Pacific Economic Cooperation) sous l'impulsion des États-Unis qui montraient ainsi leur volonté d'organiser une synergie entre l'Asie en développement et le continent américain. L'Europe, exclue de l'APEC, a répondu en créant le Dialogue Asie-Europe (ASEM) ; les États d'Asie du Sud-Est, tout en étant conscients que les États Unis, première puissance mondiale, restaient leur premier partenaire, étaient demandeurs de ce rééquilibrage. Puis, en 1992, la mise en place de l'ARF (Forum régional de l'ASEAN), où se concertent annuellement les responsables de la diplomatie et de la défense des principaux États d'Asie, de l'Union européenne et des États-Unis, a concrétisé le renforcement de la place de l'Asie du Sud-Est dans les relations internationales.
4.4. Modification de l’échiquier géopolitique asiatique
La crise économique de 1997
Depuis la fin des années 1990, l'échiquier asiatique a été considérablement modifié. En effet, la crise financière et économique de 1997, née de la libéralisation accélérée des marchés financiers mondiaux, d'une ouverture trop rapide des États nouvellement industrialisés à des flux financiers mal maîtrisés, avec accumulation de « mauvaises créances », a brutalement mis à bas, et pour plusieurs années, l'essor économique des États d'Asie du Sud-Est (en particulier la Thaïlande, l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines et le Viêt Nam), qui, tous, ont dû par la suite se livrer à des réformes structurelles en profondeur. Par ailleurs, les rencontres annuelles de l'APEC et de l'ASEM ont perdu de leur importance.
Le réengagement des États-Unis dans la région
Les attentats du 11 septembre 2001 ont entraîné un retour des États-Unis dans la région (notamment aux Philippines) avec de nouvelles exigences diplomatiques et militaires. Mais face à eux, la Chine s'affirme désormais de plus en plus comme une nouvelle force régionale – et bientôt mondiale – de premier plan grâce à son essor économique, diplomatique et même militaire : elle attire à elle les investissements étrangers au détriment de ses voisins, mais, parallèlement, adopte vis-à-vis des États d'Asie du Sud-Est une attitude qui se veut rassurante. Face à la Chine, l'Inde joue de plus en plus le rôle de contrepoids. Les membres de l'ASEAN doivent, par conséquent, s'insérer dans des relations impliquant les grandes puissances économiques mondiales que sont les États-Unis, la Chine, l'Inde et le Japon.
Le conflit territorial en mer de Chine méridionale
Le différend territorial en mer de Chine méridionale entre Pékin et les États d’Asie du Sud-Est – qui recouvre désormais un enjeu économique central – reste toutefois un des principaux facteurs de tension dans la région. Le litige porte principalement sur l’appartenance des archipels des Spratly et Paracel (outre les îles Pratas contrôlées de fait par Taïwan) et surtout de leurs eaux environnantes riches en ressources halieutiques et en hydrocarbures. Arguant de l’ancienneté de sa présence dans toute une zone s’étendant sur environ 1,7 million km² entre six pays riverains, la Chine juge sa souveraineté « indiscutable ». Cependant, les îles Paracel sont revendiquées par le Viêt Nam, tandis que les Spratly le sont en partie ou entièrement par ce dernier, les Philippines, la Malaisie et Brunei, mais aussi par Taïwan.
Pékin cherche surtout à éviter une internationalisation du conflit et l’ingérence des États-Unis, excluant par ailleurs tout arbitrage du Tribunal international du droit de la mer concernant ce différend ; le Viêt Nam et les Philippines émettant également des réserves à ce sujet. Malgré des accords passés entre compagnies pétrolières chinoise, vietnamienne et philippine en 2005 sur l’exploration commune d’une partie de ces fonds sous-marins, les tensions montent d’un cran en 2011 et l’ASEAN est saisie de la question. Soucieux d’éviter toute escalade, les différents gouvernements s’accordent finalement, le 22 juillet, pour se conformer à la déclaration commune de 2002 (DOC).
5. Enjeux politiques
5.1. Entre autoritarisme et démocratie
La diversité des régimes politiques reste extrême en Asie du Sud-Est. De façon très schématique, on peut subdiviser les onze États de la région en trois catégories :
– les seules démocraties à peu près authentiques (libre jeu des partis, presse et syndicats libres, élections permettant l'alternance au pouvoir) sont les Philippines, la Thaïlande et le Timor oriental. Depuis le rétablissement des libertés essentielles (1998) et l’élection du président Susilo Bambang Yudhoyono (2004 et 2009), l'Indonésie pourrait s'ajouter à cette liste, si la tradition démocratique n'était aussi récente et si l'armée ne conservait pas des pouvoirs extraordinaires dans les provinces insurgées.
– trois pays (Malaisie, Singapour et Cambodge) sont fortement marqués d'autoritarisme, tout en connaissant un certain pluralisme politique, des élections à peu près libres et ouvertes, et une limitation de la répression par le respect d'un minimum de règles de droit.
– quatre pays peuvent être considérés comme des dictatures : la monarchie absolue du sultan de Brunei, la Birmanie, dirigée d'une main de fer depuis quarante ans par une junte militaire, ainsi que le Laos et le Viêt Nam, encore communistes de stricte obédience.
Le principal clivage passe donc aujourd'hui entre autoritarisme et démocratie, sans que la tendance dominante soit bien nette : beaucoup dépendra de l'évolution encore incertaine de l'Indonésie, le plus vaste pays de la région.
L'Asie du Sud-Est conserve en tout cas certains des régimes les plus liberticides et corrompus du monde. Pour dissiper cette image et construire un système institutionnel qui aille au-delà de la simple zone de libre échange, l’ASEAN décide ainsi en 2007 de joindre à la communauté économique, une communauté politique et sécuritaire (APSC) définie comme une « communauté de valeurs et de normes partagées fondée sur des règles ». Elle vise avant tout à prévenir les conflits et à régler par la négociation les différends, mais affirme également promouvoir les principes de la démocratie, la « bonne gouvernance », la lutte contre la corruption ainsi que la défense des droits humains.
Toutefois le respect scrupuleux de la souveraineté des États et l’attachement au consensus dans la prise de décision collective sont deux principes qui semblent pour l’heure intouchables. C’est toute l’ambiguïté de la nouvelle charte de l’ASEAN entrée en vigueur en décembre 2008, qui, dans sa forme, intègre un certain nombre de valeurs universelles considérées auparavant comme « occidentales » et prévoit la création d’une Commission des droits de l’homme, mais qui demeure très vague en cas de non respect du texte par l’un des États membres. Il n’en reste pas moins qu’une évolution semble bien en cours et n’est pas étrangère à la libération de l’opposante birmane Aung San Suu Kyi en novembre 2010.
5.2. La place du religieux dans le politique
Les divergences entre États de la région à majorité ou à forte minorité musulmane ressortent nettement dans leurs réactions à la guerre antiterroriste lancée par le président G. W. Bush après les attentats du 11 septembre 2001. Tandis que les Philippines soutiennent pleinement les États-Unis et accueillent à nouveau des soldats américains sur leur territoire, l'Indonésie et plus encore la Malaisie se montrent très critiques.
C’est aussi pour dépasser leurs différences que les États d’Asie du Sud-Est instituent la communauté socioculturelle de l’ASEAN (APSCC) – troisième pilier de la future communauté de l’ASEAN après l’AEC et l’APSC –, l’un de ses objectifs étant – outre le développement humain et social, la préservation de l’environnement et la réduction du fossé socio-économique entre États – de favoriser la naissance d’une identité commune dans le respect de la diversité religieuse et culturelle.