C'est la montée en puissance du parti phalangiste (Kataeb, chrétiens conservateurs), incarné par son chef militaire Béchir Gemayel, 33 ans, qui domine la période de juin à décembre 1980.

En cinq heures, le 7 juillet 1980, à l'issue d'une série de raids lancés à Beyrouth et dans huit localités chrétiennes, les miliciens phalangistes investissent les principales casernes et permanences de leurs rivaux du PNL (parti national libéral), arrachent à ceux-ci le contrôle de deux ports, et leur enlèvent cinq chars Sherman. Bilan des opérations, que les adversaires des Kataeb comparent à la Nuit des longs couteaux : plus de 200 morts et des centaines de blessés.

Reconquête

Une ultime épuration, moins sanglante et plus localisée (7 morts seulement, dans le quartier de Aïn el-Remmaneh, à Beyrouth), se déroule le 28 octobre. Les phalangistes sont désormais le parti dirigeant de la zone chrétienne, devenue monolithique, où ils prélèvent souverainement taxes et impôts.

Les durs, partisans de cheikh Béchir, comme l'appellent ses familiers, conquièrent la majorité absolue au sein du bureau politique du parti, qui institue un service militaire obligatoire et envisage la création d'une garde nationale de 40 000 hommes.

Entre-temps, le président Sarkis, dont l'autorité est plus bafouée que jamais, éprouve les plus grandes difficultés à trouver un successeur au Premier ministre Sélim Hoss, démissionnaire le 7 juin 1980. Il faut attendre le 26 octobre pour que Chafic Wazzan réussisse à former un gouvernement. L'armée est, de son côté, ouvertement défiée par les Kataeb, qui n'hésitent pas à l'affronter à deux reprises, les 11 septembre et 31 octobre.

Les 30 juillet, 7 août et 10 novembre à Beyrouth, le 24 août à Reyfoun, des voitures piégées explosent dans la zone chrétienne, faisant 25 morts et plus de 200 blessés. Malgré l'émotion suscitée par ces attentats aveugles, cheikh Béchir estime ses arrières suffisamment assurés pour envisager la réalisation d'un projet ambitieux : la reconquête — à partir de la zone chrétienne (à peine 1 000 km2) —, avec l'aide d'Israël, de l'ensemble du Liban, au détriment de l'armée syrienne et des fedayin palestiniens.

Zahlé

Cette véritable reconquista doit passer par Zahlé, qui est à la fois la capitale historique du mont Liban chrétien, au temps de la domination ottomane ; le chef-lieu de la riche plaine de la Békaa occupée par les Syriens ; enfin, un relais obligé entre la zone chrétienne, les villages chrétiens du Sud-Liban contrôlés par les fedayin et l'enclave méridionale du major chrétien Haddad, allié inconditionnel d'Israël.

Déjà les phalangistes, profitant du gel des opérations syriennes au Liban — à cause des troubles auxquels doit faire face Hafez el-Assad en Syrie — s'étaient solidement implantés depuis 1978 à Zahlé, au nez et à la barbe des soldats de Damas.

Les Kataeb franchissent en décembre 1980 un degré dans l'escalade, en construisant une route stratégique reliant la zone chrétienne à Zahlé. Cheikh Béchir, qui bénéficie maintenant de la sympathie agissante de certaines unités de l'armée libanaise, estime qu'Israël empêchera — au besoin militairement — la Syrie de réagir trop brutalement et table sur une plus grande compréhension de la part du prochain président américain Reagan.

Mais les troupes de Damas, loin de se laisser intimider, répliquent violemment et passent à l'offensive : pilonnage systématique, fin décembre 1980 et tout au long d'avril 1981, de Zahlé, qui est totalement encerclée, et de Beyrouth-Est ; occupation, le 11 avril, des collines dominant Zahlé ; conquête, le 26 avril, par des unités syriennes héliportées des crêtes du mont Liban (Sannine).

Excuses

Les bombardements et les combats font des centaines de morts et de blessés, les hôpitaux et les écoles de la zone chrétienne devenant les cibles favorites de l'artillerie de Damas.

Face au bloc chrétien homogène, armé par Israël, fedayin palestiniens et miliciens islamo-progressistes libanais serrent les rangs derrière la Syrie. Certes, de nombreux antagonismes subsistent et les querelles dégénèrent souvent en rixes sanglantes. Damas se méfie de l'OLP qui s'est rapprochée de la Jordanie. Amal, milice chiite libanaise, soupçonne les Palestiniens de vouloir s'établir définitivement au Sud-Liban. Syriens et chiites pro-iraniens s'en prennent aux partisans de l'Iraq, dont plusieurs diplomates sont abattus à Beyrouth, en juillet 1980 et en février 1981. L'union sacrée de toutes ces forces se réalise cependant, dès qu'Israël entre directement en lice contre l'armée syrienne.