Les tentatives de création d'un gouvernement d'union nationale comportant des somozistes, menées par les États-Unis, se heurtent à l'intransigeance des vainqueurs. Francesco Urcuyo, président du Congrès, nommé par celui-ci pour assurer une présidence intérimaire après la démission de Somoza, doit démissionner 36 heures plus tard sous les pressions conjuguées des pays du Pacte andin et des États-Unis. Sa volonté d'achever le mandat présidentiel en cours n'a fait que déclencher l'offensive finale des sandinistes, qui font une entrée triomphale à Managua, le 19 juillet 1979, dans une atmosphère de liesse populaire exceptionnelle.
La junte, qui arrive du Costa Rica le 20 juillet, est d'une composition très ouverte : un industriel, Alfonso Robelo ; la veuve du directeur de la Prensa assassiné en janvier 1978, Violetta Chamorro ; un universitaire socialiste, Sergio Ramirez ; le fondateur du Mouvement populaire sandiniste, Moïse Hassan, et, seul militaire de la junte, Daniel Ortega, l'un des neuf membres de la direction nationale du Front sandiniste.
Des membres de la direction du Front, comme Tomas Borge, le ministre de l'Intérieur, des ecclésiastiques et des technocrates coexistent également au sein du gouvernement provisoire, dont la composition est officiellement annoncée le 15 juillet. Incontestablement, la nouvelle équipe tient à rassurer les États-Unis et elle frappe par sa pondération.
Austérité
Dès le 21 août, des lois fondamentales confirment la restauration des libertés individuelles, autorisent la création des partis politiques et des syndicats, abolissent la peine de mort et la torture. Plutôt que de procéder à une épuration, le pays doit assurer sa survie. Ses dirigeants sont confrontés à une tâche écrasante : 40 000 personnes sont mortes ; certaines villes ont été détruites à 80 %. Les récoltes ont été gravement endommagées par la guerre. L'endettement extérieur est considérable (1,6 milliard de dollars) alors qu'il ne reste que 3 millions de dollars dans les caisses de l'État.
L'une des premières mesures du gouvernement est de nationaliser les biens de l'ancien dictateur et de ses fidèles, ce qui a l'avantage de mettre à la disposition de la collectivité près de la moitié du territoire national et la plupart des grands domaines spécialisés dans les cultures d'exportation. La nationalisation des banques et du commerce extérieur des principaux produits d'exportation assure également à l'État des moyens de contrôle puissants de la vie économique, même si le secteur privé est maintenu, voire encouragé.
Le Nicaragua tente, par ailleurs, de se procurer une aide internationale qui lui est indispensable. Il s'adresse à l'Ouest comme à l'Est, aux États comme aux organisations internationales, dont le Fonds monétaire international. Mais les quelque 500 millions de dollars recueillis en six mois restent insuffisants. Un plan d'austérité de 2 ans est adopté en janvier 1980 pour remettre en marche l'appareil productif. Les investissements sont relancés de manière à combattre un chômage qui touche 40 % de la population, et à juguler une inflation qui atteint 60 %.
Un vaste mouvement d'alphabétisation est lancé en février.
Radicalisation
Le rétablissement de la vie politique s'effectue sans précipitation. Les Comités de défense sandinistes (CDS) créés dans les quartiers et les villages constituent l'amorce d'un futur parti sandiniste qui, dix mois après la victoire, n'a pas encore pris forme. À partir de février 1980, des milices assistent l'armée populaire dans ses tâches. Il s'agit de rétablir l'ordre dans un pays où des armes sont disséminées un peu partout et où la pénurie engendre la délinquance.
La démission, le 19 avril 1980, de Violetta Chamorro et celle, trois jours plus tard, d'Alfonso Robelo, deux membres modérés de la junte qui protestent contre la décision du Front sandiniste de modifier à son profit la composition du futur Conseil d'État, rompt une unanimité politique encore officiellement intacte. Ils sont respectivement remplacés par deux modérés, l'avocat Rafaël Cordova et Arturo Cruz, un économiste, président de la banque du Nicaragua. Mais les sandinistes, déjà bénéficiaires du remaniement gouvernemental du 27 décembre 1979, obtiennent 24 représentants sur 47 au sein du Conseil d'État qui entre en fonctions le 4 mai 1980. Cette Assemblée, dont la création avait été prévue dès août 1979, ne devait initialement comporter que 33 membres, dont 13 pour les sandinistes.