Finalement, après avis de doctes rabbins de Jérusalem, de Tel-Aviv et de New York, le Parti national religieux refuse sa participation. Pour le faire revenir sur sa décision, Golda Meir devra menacer d'abandonner sa tâche et mener dix longues semaines de tractations tortueuses. Investi de justesse par 62 députés, son gouvernement, qui, à quelques détails près, ressemble au précédent, ne survivra que cinq semaines aux assauts de l'opinion publique et aux premières conclusions de la commission Agranath chargée d'enquêter sur les mehdalim (négligences, lacunes) commises par les responsables avant et pendant la guerre du Kippour.

Démission

Depuis plusieurs mois, Moshé Dayan joue à cache-cache avec une hostilité populaire qu'un rescapé du désastre de la ligne Bar Lev relance par des manifestations et des pétitions : l'ex-officier Motti Ashenazi. Soudain, le 2 avril, tombe le couperet : la publication d'une première partie du rapport Agranath, qui porte sur les deux premières journées tragiques de la guerre et réclame la destitution du chef d'état-major, David Elazar, qui démissionne aussitôt, et le retrait du service actif de deux généraux (le chef du front égyptien et celui du 2e Bureau) ainsi que de trois officiers supérieurs.

Moshé Dayan sort blanchi de l'épreuve, mais on parle de boucs émissaires. L'indignation monte. Le 11 avril, démissionne le gouvernement éphémère de Golda Meir, qui met le point final à sa carrière politique. Une formule différente du précédent replâtrage est aussitôt recherchée par le parti, où les anciennes fractions se reconstituent dès l'élection du futur Premier ministre. Le Mapai a fait désigner l'ex-généralissime de la guerre de Six Jours, Itzhak Rabin, contre l'ancien ministre Shimon Perès, du clan Rafi dirigé par Moshé Dayan. Avant de disparaître en coulisses, celui-ci tente une dernière manœuvre pour faire échouer l'opération : son chef de cabinet convainc le général d'aviation Ezer Weizman, nationaliste de droite, de transmettre au chef du parti travailliste, l'ex-ministre des Finances Pinhas Sapir, un dossier accablant pour le candidat qu'il va soutenir, Itzhak Rabin. Le vieux Sapir n'en tient pas compte.

Le document est transmis à la presse pour publication et chacun apprend officiellement ce que tout le monde chuchotait déjà depuis longtemps : à la veille de la guerre de Six Jours, une dépression nerveuse a paralysé le chef d'état-major Itzhak Rabin, écrasé par ses responsabilités, qu'il a totalement abandonnées pendant deux jours à son adjoint Ezer Weizman.

Le premier sabra

De tous les chefs du gouvernement, Itzhak Rabin est le plus jeune (52 ans) et le premier sabra : né à Jérusalem, il appartient tout de même au clan ashkenaze, d'origine européenne.

Dès l'âge de dix-huit ans, il participe aux luttes clandestines du Palmach et sort des camps britanniques pour combattre en 1948 et collaborer aux négociations d'armistice de Rhodes. Suit une brillante carrière militaire jusqu'au poste suprême : chef d'état-major en 1964. Trois ans plus tard, à la veille de prendre sa retraite, il devient le vainqueur de la guerre de Six Jours, puis est, de 1968 à 1973, ambassadeur à Washington. Il gagne la confiance et l'amitié de Henry Kissinger. Au point que ses adversaires lui reprochent d'être un Premier ministre un peu trop idéal pour la Maison-Blanche. Ses ennemis les plus acharnés : l'ex-ministre des Affaires étrangères Abba Eban, qui ne lui adresse plus la parole après lui avoir reproché d'être une colombe opportuniste, et l'ex-ministre de la Défense Moshé Dayan, qui aurait inspiré contre lui le terrible document Weizman. Un élément de sa popularité : pendant la guerre du Kippour, il était chargé de collecter l'argent pour sauver Israël, qui, sur ce terrain, lui doit encore une victoire.

Échéance

Faut-il confier la direction du pays à un homme dont les nerfs sont aussi fragiles ? Oui, répond le Comité central, qui le désigne quand même. La bombe fait long feu, épisode entre cent de la guerre civile des généraux-politiciens, constante au cours de cette longue année électorale où tous les coups bas sont permis. Itzhak Rabin encaisse celui-là, et, bon stratège, offre au porte-parole de Moshé Dayan, Shimon Pérès, qui l'accepte, le portefeuille de la Défense que son ancien patron croyait détenir à vie.