Mais, sans l'ouverture des chantiers de Fos, sans le bouleversement économique et humain qu'ils ont déclenché, sans le désenclavement brutal de la Provence, il aurait tardé à se manifester. C'est en tout cas, sans aucun doute, l'événement marquant de 1972.
Corse
L'affaire des boues rouges
Pour l'île de Beauté, tout a commencé le 20 avril 1972. Ce jour-là, dans une fosse marine à 22 milles au nord du cap Corse, le Fond des veuves, la société italienne Montedison commence à déverser les déchets de l'usine de bioxyde de titane qu'elle a installée à Scarlino, sur la côte de Toscane.
Au début, les réactions sont mesurées. Suivant l'exemple du conseil municipal de Bastia, le conseil général de la Corse élève bien, le 29 avril 1972, une véhémente protestation. Des manifestations sont organisées durant l'été à Bastia et dans le Cap, toutefois sans grand écho. Mais, à quelques mois d'intervalle, on découvre des cétacés morts échoués sur le rivage. On accuse les boues rouges. Progressivement le ton monte chez tous les pêcheurs.
« Opposez-vous, même par la force, au rejet des boues rouges », lance aux Corses Paul-Émile Victor. Des comités antipollution se constituent à Bastia et à Ajaccio. Le 18 février 1973, plusieurs milliers de personnes manifestent dans les rues des deux villes ; à Bastia, la sous-préfecture est envahie et le sous-préfet molesté. Deux arrestations, celle d'un adjoint au maire, Vincent Duriani, et celle du secrétaire général de l'Action régionaliste, le docteur Edmond Simeoni, sont opérées ; des documents photographiques sur les manifestations sont saisis par les forces de police.
Pendant huit jours, Corses de l'île et Corses du continent (qui constituent aussi leurs comités) seront en ébullition. Sous la pression populaire, appuyée par une grève générale spontanée, les deux détenus sont remis en liberté.
La bataille va se poursuivre durant les mois qui suivent, bien que la Montedison ait déplacé à 70 milles au nord du cap Corse la zone des déversements et construit de nouvelles installations permettant de réduire les rejets.
Pour les insulaires, il s'agit surtout de préserver le cadre naturel dans lequel ils vivent. Mais, au-delà de cette croisade pour la défense de l'environnement, c'est toute la question du statut de l'île et de son sous-équipement qui est posée.
Rhône-Alpes
L'aventure urbaine de la Villeneuve de Grenoble
La construction des autoroutes rhônalpines, l'ouverture de l'aéroport international de Satolas (qui prendra la relève en 1975 de celui de Lyon-Bron), la naissance de la ville nouvelle de L'Isle-d'Abeau, qui sort tout juste des épures, ou la réalisation du centre d'affaires de la Part-Dieu à Lyon ont été loin, jusqu'à présent, de provoquer, en dehors de quelques réactions locales, les commentaires que suscite l'opération de la Villeneuve de Grenoble.
Ceux-ci sont encore plus nombreux depuis que le quartier de l'Arlequin, devenu en 1972 la colonne vertébrale de cette aventure urbaine, étire son architecture linéaire et abrite dans ses flancs polychromiques quelques milliers de résidents.
L'aventure a commencé en 1961. À l'époque, il s'agit de doter Grenoble d'un cœur de secours. L'ancien se révélait incapable de supporter une opération de restructuration sans connaître de graves traumatismes. D'où l'idée, reprise dans le schéma directeur d'urbanisme et imposée par un taux de croissance démographique supérieur à la moyenne, de créer un centre secondaire à la périphérie sud de l'agglomération, à cheval sur les communes de Grenoble (179 ha) et d'Échirolles (138 ha). En 1977, l'ensemble devrait être achevé, et les différents quartiers former une ville de 50 000 habitants environ.
Une ville, c'est précisément ce que les auteurs du projet – les municipalités s'appuyant sur l'Agence d'urbanisme de l'agglomération grenobloise – ont cherché à reconstituer en concentrant dans les derniers terrains libres de la cuvette grenobloise 15 000 logements, 75 000 m2 de bureaux, 50 000 m2 de boutiques et de commerces grandes surfaces et en réservant, soit à la périphérie, soit à l'intérieur même de cette zone d'habitat, 47 ha à l'implantation d'industries non polluantes.