Aménagement du territoire
La réforme régionale remet en question la vocation de Paris
Davantage qu'une timide réforme régionale, qui ne commencera à s'appliquer sur le terrain qu'à l'automne 1973, c'est toujours la question du difficile équilibre entre Paris et la province qui, en 1972, s'est trouvée à nouveau posée.
Pour le gouvernement, la solution passe par la réhabilitation des villes dites moyennes, « ces villes existantes, mesurées, qui ne demandent qu'à vivre, et où l'on ne demande qu'à vivre », selon la formule d'Olivier Guichard, grand maître de l'Aménagement du territoire et de l'Équipement. C'est la condamnation – du moins en paroles – des gigantesques mégalopoles, ingouvernables et invivables, des énormes concentrations industrielles et humaines et même des grands ensembles, « puits véreux du gigantisme et de l'urbanité ».
Pourtant, force est bien de constater que, sur le plan du développement urbain, le déséquilibre ne cesse de s'accroître entre l'agglomération parisienne et le reste du pays. Bien sûr, l'émigration qui dépeuplait des régions entières comme la Bretagne a diminué des deux tiers ; toutes les métropoles d'équilibre – sauf Lille – croissent maintenant plus vite que la capitale. Et, pour la première fois, les départs de la région parisienne sont presque aussi nombreux que les arrivées de provinciaux à Paris.
Impérialisme
Mais, et la DATAR (Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale) le reconnaît franchement (dans le rapport annexe au projet de loi de finances pour 1973 concernant la régionalisation du budget d'équipement), « ce bilan apparemment brillant masque bien des incertitudes et des insuffisances ». Car, si la région parisienne se développe moins vite que par le passé, il n'empêche qu'elle se gonfle toujours, comme le montrent les statistiques de l'INSEE (Statistiques et indicateurs des régions françaises, 1972) : 7 317 000 « grands Parisiens » recensés en 1954, 9 250 000 en 1968 et 9 774 000 au début de 1972. Soit près de 2,5 millions d'habitants supplémentaires en moins de dix-huit ans sur les bords de la Seine, l'équivalent de la population totale des agglomérations de Lyon–Grenoble–Saint-Étienne et de Marseille–Aix–Fos !
Mais, plus grave encore que cette expansion démographique, la DATAR constate que « la décentralisation, telle qu'elle a été appliquée jusqu'à présent, a créé un déséquilibre nouveau : ceux qui décident sont à Paris, les exécutants en province. La distance grandit entre les lieux d'exécution et le lieu où se trouvent les moyens de commandement, de réflexion ».
Les statisticiens de l'INSEE expliquent bien les raisons de cette inquiétante évolution : « Les mesures prises au cours du Ve Plan pour limiter l'implantation des entreprises industrielles n'ont eu d'action que sur une population en accroissement modéré, celle du secteur secondaire. Pendant le même temps, la population du secteur tertiaire, particulièrement bien représentée en région parisienne, augmentait chaque année de 2,5 % en moyenne. »
Cette politique – ou cette absence de politique – a eu des conséquences fâcheuses sur deux plans :
– sur le plan de l'emploi, le déséquilibre constaté dans l'évolution de la population active entre la région parisienne et les autres régions s'est encore accentué. L'emploi a en effet progressé au rythme moyen annuel de 3,1 % pour la région parisienne de 1968 à 71, et de 1,3 % pour l'ensemble de la France. De 1962 à 68, les écarts étaient sensiblement moins marqués, avec 1,1 % d'augmentation pour la région parisienne et 0,8 % pour l'ensemble de la France ;
– mais c'est surtout sur le plan du « déséquilibre intellectuel » et du pouvoir de décision que le fossé se creuse de plus en plus. Après avoir constaté que Paris recueille la très grande majorité des emplois de haut niveau de qualification (avec, par exemple, 61 % des chercheurs), la DATAR constate : « Les régions fournissent ainsi à Paris une prestation invisible qui compromettrait à terme la possibilité d'une politique d'aménagement du territoire en privant les régions de l'infrastructure intellectuelle qui conditionne toujours davantage le développement », et elle conclut : « La réussite des métropoles d'équilibre, la promotion du rôle de certaines villes importantes de province passent par une répartition plus homogène des activités tertiaires auxquelles sont attachés des pouvoirs de commandement (...) car il est difficile d'imaginer un pays où toutes les régions, sauf une, seraient condamnées à n'accueillir que des tâches d'exécution. »
Désenchantement
De tels constats n'ont pu, il est vrai, que renforcer la hargne des provinces sacrifiées devant l'impérialisme parisien.