La pression ainsi exercée sur le marché foncier s'est traduite, ici et là, par des flambées de prix. Un hectare qui, dans le Roussillon, valait en 1962 de 500 à 1 000 F était passé en 1968 à 4 000 F et en 1973 à 6 000 F. Dans les basses Cévennes du Gard et de l'Hérault, la spéculation a atteint la deuxième génération : on revend, restaurés, les anciens mas achetés délabrés il y a cinq ans. Ce qui conduit les agents immobiliers à rechercher des occasions de plus en plus haut dans les Cévennes, jusqu'en Lozère et en Ardèche.

Sur place, le phénomène est observé passivement. Les édiles locaux l'enregistrent avec une sorte de mauvaise conscience, que tempère très vite le sentiment de retombées positives : coup d'arrêt à la désertification et réinvestissement local de l'argent des transactions. Seuls réagissent, et vigoureusement, les jeunes agriculteurs et les militants occitanistes et catalanistes. Les jeunes agriculteurs parce qu'ils voient renchérir le coût d'acquisition de leur outil de travail. Leur réaction n'est pas toujours exempte d'une pointe de xénophobie. Fondant l'Association syndicale pour l'exploitation des pâturages de Batère, 7 jeunes agriculteurs du Vallespir (Pyrénées-Orientales) ont tenu à préciser dans les statuts : « Ne sont admis que les exploitants français. »

L'extrême gauche régionaliste (occitane et catalane) voit, elle, dans « l'aliénation progressive du territoire rural » une preuve supplémentaire de la colonisation de la région déjà amorcée au niveau industriel. Un tract du PSU roussillonnais affirme : « L'avenir des indigènes ? Gardiens de propriétés, femmes de ménage, agents de téléskis, garçons de café... Et encore faut-il qu'ils soient présentables ! »

Le Pr Raymond Dugrand estime que cette réaction reste sentimentale : « Les étrangers ont souvent mieux perçu le potentiel de la région que les Languedociens eux-mêmes. » Selon lui et un autre universitaire montpelliérain, le professeur Robert Badouin, économiste, l'ampleur de ce phénomène rend urgente une politique vigoureuse de réserves foncières.

En l'état actuel des moyens législatifs et de l'opinion régionale, cette politique n'est abordée qu'avec réticence par les autorités régionales. C'est ainsi que la Chambre d'agriculture et les notaires des Pyrénées-Orientales ont pu faire obstacle pendant neuf ans à l'instauration dans ce département du droit de préemption, reconnu ailleurs à la SAFER Languedoc-Roussillon.

Il est donc probable que la mainmise sur la terre du Languedoc-Roussillon ne trouvera sa limite que dans la saturation du marché foncier.

Provence-Côte-d'Azur

Bouleversement économique et humain avec l'industrialisation

L'intrusion du monde industriel dans la Provence des paysans et des négociants ne se fera pas sans dommages. Et d'abord sur le plan des rapports entre patrons et ouvriers.

Les inventeurs de Fos, et avec eux tous les promoteurs de la reprise économique, n'y avaient pas pensé. L'immense chantier où 15 000 hommes ont travaillé pendant deux ans, les entreprises isolées qui poussent entre Marseille et Nice n'auront pas seulement ébranlé l'équilibre séculaire d'un monde clos. Au boom économique s'oppose un nouveau style de revendication syndicale.

Le patronat provençal est probablement moins préparé que celui d'autres régions françaises à une telle évolution. Cela tient d'abord à la toute-puissance de la CGT. Et au fait que l'économie régionale a longtemps essentiellement reposé sur quelques secteurs clefs. La multiplication des entreprises, la diversification des branches industrielles et commerciales ont eu pour conséquence un émiettement de l'action syndicale.

La CGT se sent mal à l'aise, confrontée à cette fluidité. Elle préfère l'action de masse, localisée, encadrée. Les structures mêmes de l'économie provençale ont toujours facilité cette tactique. Trois centres principaux d'activité : à Marseille, le port et la réparation navale ; à La Ciotat (Bouches-du-Rhône), à La Seyne (Var), la construction navale ; à Toulon, l'arsenal de la marine. De grandes concentrations ouvrières, des entreprises dont l'arrêt provoque inévitablement des réactions en chaîne. Les seuls secteurs où les crises sociales ont eu, de tout temps, une portée régionale spécifique, en marge des grands mouvements nationaux.