Frédéric II
(Iesi, marche d'Ancône, 1194-château de Fiorentino, près de Foggia, 1250), roi de Sicile (1198-1250) et empereur germanique (1220-1250), fils de Henri VI de Hohenstaufen et de Constance de Sicile.
Le règne
Proclamé roi de Sicile à l'âge de quatre ans, après la mort prématurée d'Henri VI, Frédéric fut élevé à la cour de Palerme sous la tutelle du pape Innocent III. En 1212, l'empereur Otton IV cherchant à conquérir la Sicile, le pape, pour lui faire échec, suscita la candidature de son pupille au trône d'Allemagne. Frédéric franchit les Alpes, et, grâce à l'appui de l'Église, des princes fidèles aux Hohenstaufen et de Philippe Auguste, qu'il rencontra à Vaucouleurs, il fut couronné roi des Romains et sacré à Mayence.
Deux ans plus tard, après la défaite d'Otton IV à Bouvines (→ bataille de Bouvines), Frédéric était maître de l'Allemagne entière. D'abord fils respectueux de l'Église, il prit la croix et favorisa les évêques au détriment des villes. Mais contrairement à sa promesse de ne pas unir sous le même sceptre l'Allemagne et la Sicile, il fit proclamer roi des Romains en 1220 son fils Henri (VII) [né en 1211], déjà roi de Sicile depuis 1212. Néanmoins, le pape Honorius III le couronna empereur, dans l'espoir de hâter la croisade. Frédéric ajourna trois fois son départ, voulant au préalable rétablir son autorité dans son royaume sicilien, puis en Italie du Nord, où il échoua : Milan reconstitua contre lui la Ligue lombarde avec douze autres villes (1226).
Pour en savoir plus, voir les articles croisade, Sicile.
Dès son avènement, le pape Grégoire IX, exaspéré des atermoiements de Frédéric, l'excommunia (1227). Pourtant, l'année suivante, celui-ci s'embarqua pour la Terre sainte. Mais au lieu de la conquérir de haute lutte, il négocia avec le sultan ayyubide al-Malik al-Kamil et en obtint la cession de Jérusalem, Nazareth et Bethléem, ainsi que de deux couloirs reliant ces villes à la côte. Accueilli à Jérusalem par le sultan, il se couronna lui-même roi de Jérusalem.
Pour en savoir plus, voir l'article royaume latin de Jérusalem.
Indigné par cette politique, le pape fit jeter l'interdit partout où passait l'empereur. En même temps, les alliés du pape envahissaient l'Italie du Sud. Aussi, moins d'un an après son départ, Frédéric revint-il en Italie. Il préféra s'accorder avec Grégoire IX par la paix de San Germano (1230) et fut relevé de l'excommunication. Il put alors rétablir son pouvoir en Sicile, ébranlé par une révolte, mais ne réussit pas à obtenir la soumission des villes lombardes. En Allemagne, Henri (VII), ayant favorisé l'émancipation des villes, suscita l'animosité des princes, et Frédéric désavoua son fils. Celui-ci passa à la révolte ouverte et s'allia même avec la Ligue lombarde. Mais l'empereur n'eut qu'à paraître en Allemagne pour couper court à toute velléité de résistance, et la brillante diète de Mayence (1235) marqua l'apogée de son règne. Henri fut destitué et emmené captif en Sicile, où il se tua (1242).
Frédéric déclara la guerre à la Ligue lombarde et remporta à Cortenuova (1237) une éclatante victoire, mais qui fut sans lendemain. Grégoire IX, à présent persuadé de sa volonté d'hégémonie en Italie, l'excommunia pour la seconde fois (1239). De plus, le pape convoqua un concile pour le mettre en jugement. Mais un grand nombre de cardinaux se rendant à Rome par mer furent capturés par la flotte pisane et livrés à l'empereur : le concile ne put se réunir. La mort de Grégoire IX (1241) et l'avènement d'Innocent IV (1243) ne firent qu'exaspérer la lutte, par les armes et par la propagande.
Le pape s'enfuit à Lyon, où il se savait protégé par Saint Louis. Il y convoqua un concile général, auquel assistèrent presque uniquement des cardinaux français et espagnols, et fit proclamer la déposition de Frédéric II (1245). Celui-ci fut empêché de marcher sur Lyon par la révolte de Parme, dont les habitants, par une sortie subite, infligèrent un véritable désastre à l'armée impériale (1248), ce qui provoqua de nombreuses défections. En Allemagne, le roi Conrad (IV), second fils de Frédéric, voyait se former et se renforcer une opposition de prélats et de princes, qui élit comme antiroi d'abord le landgrave Henri Raspe, puis le comte Guillaume de Hollande. Lorsque Frédéric II fut emporté par la dysenterie, le 13 décembre 1250, son autorité sur l'Allemagne et sur l'Italie du Nord était profondément ébranlée.
La personnalité et le gouvernement de Frédéric II
La personnalité complexe de Frédéric, son comportement et les idées qu'on lui prêta scandalisèrent les contemporains. De nos jours, ce Hohenstaufen beaucoup plus italien qu'allemand (sur trente-huit années de règne, il n'en a passé en Allemagne que dix, en deux fois) a souvent été considéré comme une individualité hors série, étrangère à son temps. En fait, les singularités apparentes de sa pensée et de son action s'expliquent largement par la situation originale du royaume de Sicile, où s'entrecroisaient les influences normandes, byzantines et islamiques. D'une curiosité d'esprit universelle, parlant plusieurs langues, Frédéric s'intéressait à la grammaire, à la rhétorique, à l'astrologie, à la médecine, aux sciences naturelles. Il est l'auteur d'un traité de fauconnerie, De arte venandi cum avibus, et il composa, en italien, des poèmes d'amour à la façon des Minnesänger.
L'Empereur fit venir à sa cour des savants juifs et arabes ; lui-même étudia la philosophie d'Aristote et d'Averroès. Porté au faste, il s'entoura d'une cour brillante, semi-orientale : on trouvait de nombreux musulmans parmi ses soldats, ses pages, ses servantes, son harem.
Il fut traité d'antéchrist, de matérialiste, d'athée par ses adversaires. Il semble bien, selon divers témoignages, avoir manifesté quelque scepticisme en matière religieuse et une sympathie certaine envers l'islam. Par contre, il persécuta cruellement les hérétiques chrétiens, d'autant plus que c'était là le seul domaine où il pouvait s'accorder sans dommage avec la papauté.
De la dignité impériale, Frédéric avait sensiblement la même conception que ses prédécesseurs. Défenseur de la chrétienté, il revendiquait une supériorité universelle, qui cependant n'impliquait aucune domination temporelle sur les royaumes occidentaux. Il se considérait comme le successeur, non seulement de Charlemagne et de Constantin, mais aussi des premiers Césars, comme le montre la frappe en Sicile des « augustales », pièces d'or à l'effigie de l'aigle romaine. À ses yeux, l'Italie et Rome, bien plus que l'Allemagne, devaient être le centre de son empire.
Un aussi vaste empire ne pouvait être gouverné de façon uniforme. Du royaume de Sicile, Frédéric fit une monarchie centralisée, l'État le plus moderne du temps, qui lui procura les ressources nécessaires à ses guerres. Abolissant les privilèges, développant les monopoles royaux, renforçant la fiscalité, il dota le pays, par les Constitutions de Melfi (1231), d'une législation relativement uniforme qui lui assurait une autorité absolue. La fondation de l'université de Naples eut surtout pour but de lui fournir des juristes et des fonctionnaires capables et soumis.
Dans le royaume d'Italie, Frédéric tenta, surtout après 1240, de pratiquer une politique analogue. Au lieu d'Allemands, il nomma des Italiens capitaines généraux, véritables vice-empereurs, tout-puissants dans leurs circonscriptions ; il intervint dans la nomination des podestats, restreignant les libertés urbaines. Mais la diplomatie pontificale et les succès de la Ligue lombarde rendirent précaire cette œuvre de réorganisation.
En Allemagne enfin, l'Empereur fut contraint à de larges concessions aux princes ecclésiastiques et laïques par la Bulle d'or d'Egra (1213), le traité avec les princes ecclésiastiques (1220) et le statut en faveur des princes (ratifié en 1232). On ne pense plus aujourd'hui, comme jadis, que Frédéric ait délibérément sacrifié le pouvoir royal et ait transféré aux princes les attributs de la souveraineté. Les efforts sérieux qu'il fit pour renforcer et étendre le domaine royal, les prescriptions de son édit de paix de 1235 semblent montrer qu'il espérait, ici aussi, rétablir sa pleine puissance. Mais l'échec final de sa politique l'en empêcha.
La mort de Frédéric II marqua en effet l'effondrement du rêve d'empire universel poursuivi depuis trois siècles par les souverains germaniques. La Sicile, conquise par les Angevins, fut perdue, l'autorité impériale devint purement platonique en Italie, l'Allemagne sombra dans l'anarchie du Grand Interrègne, d'où elle ne sortit que pour rester morcelée entre de multiples principautés.
Pour en savoir plus, voir les articles Hohenstaufen, Saint Empire romain germanique.