Extrême-Orient
Ensemble des pays situés à l'extrémité du continent eurasiatique : Chine, Corée du Nord, Corée du Sud, Japon et Taïwan.
- Population : 1 617 837 000 hab. (estimation pour 2013)
Terminologies historique et actuelle
L'Extrême-Orient apparaît, de prime abord, comme une notion géographique puisqu'elle se réfère à l'extrémité du continent eurasiatique, comprenant la Chine, la péninsule coréenne et le Japon. Le terme d'Extrême-Orient pose toutefois un problème d'interprétation. Jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale, les empires russe, chinois et japonais se partageaient cette extrémité de continent. Pendant la période coloniale, l'empire russe, considéré comme « blanc » et « européen », n'était pas inclus dans la définition, ce qui du même coup éliminait la Mongolie russe. Quant au royaume de Corée, État vassal de la Chine, il n'avait pas droit de cité. La question de l'inclusion des deux républiques coréennes, de la république mongole (Mongolie), des républiques de l'Altaï, de Khakassie, de Bouriatie, de Sakha, et de l'extrémité orientale de la Russie dans la définition d'Extrême-Orient s'est donc longtemps posée, entraînant une certaine fluctuation du vocabulaire. Aujourd'hui, l'on conserve le terme d'Extrême-Orient pour la trinité Chine, Corée, Japon, et l'on recourt aux expressions d'Asie russe ou d'Extrême-Orient russe pour qualifier la zone qui dépendait auparavant de l'Union soviétique. La distinction entre pouvoirs « blanc » et « jaune », un temps exprimée ouvertement dans l'expression française d'« Asie jaune » (qui englobait la péninsule indochinoise, de même que l'expression d'« Asie des moussons », trop vaste puisqu'elle incluait l'Inde), demeure en filigrane.
Les Anglo-Saxons ont contesté ces expressions traditionnelles, à commencer par les Américains pour qui l'Asie est située à l'ouest. La critique a pris davantage de poids avec la décolonisation, en soulignant l'absence de la notion d'Extrême-Occident dans les géographies occidentales, et l'aspect « européocentré » du qualificatif d'Extrême-Orient. Aussi l'expression nord-américaine d'Asie orientale, neutre sur le plan politique puisqu'elle se réfère strictement à une position géographique par rapport aux points cardinaux, et au découpage des continents, tend-elle à s'imposer pour désigner l'ensemble formé par la Chine, la Corée et le Japon. Parallèlement, les expressions « géographiques », Asie du Nord-Est et Asie du Sud-Est (maritimes et continentales), sont de plus en plus utilisées. La question de l'Extrême-Orient russe demeure encore dans les limbes de la nomenclature géopolitique.
GÉOGRAPHIE
Géographie physique, la variété
L'Extrême-Orient se caractérise par la variété de son relief. La Chine est constituée d'un vaste plateau circonscrit par des chaînes montagneuses et qui descend, par paliers, d'ouest en est vers la mer. À l'ouest, la haute Asie est une région de haute montagne avec les monts de l'Himalaya (Chomo Lungma ou Everest, 8 848 m), du Kunlun et du Karakorum, et le plateau tibétain (5 000 m) ; l'Asie centrale débute dans le Xinjiang au nord-ouest, constitué de bassins (cuvette du Tarim) et de chaînes montagneuses (Tian Shan), et se prolonge avec les hauts plateaux mongols, les plaines de lœss (Shaanxi, Shanxi), les collines de Chine du Sud (Yunnan et Guizhou) et le bassin du Sichuan ; la basse Asie est formée de plaines, avec la plaine du nord-est, ou plaine de Mandchourie, depuis Pékin jusqu'à la péninsule du Liaodong, elle-même fermée par les monts de Mandchourie orientale (Changbai Shan ou mont Paektu, 2 744 m), les plaines alluviales et les deltas du Yangzi Jiang et du Huang He, les deux plus grands fleuves de Chine, et les plaines du littoral méridional le long du Xi Jiang. Une grande variété de climats se manifeste sur une telle étendue, depuis le climat tropical jusqu'au climat continental, avec des zones arides et des zones de climat montagnard.
La péninsule coréenne est traversée par une épine dorsale montagneuse, qui longe la côte orientale, cependant que le relief décline progressivement jusqu'aux plaines du littoral ouest. Le climat, typique de l'Asie des moussons, chaud et humide en été, froid et sec en hiver, contraste avec celui du Japon proche. Ce dernier, un archipel composé d'un chapelet de quatre grandes îles et d'une multitude de petites îles, traversées longitudinalement par des chaînes de montagnes et bordées de plaines littorales, est soumis à cause de son étendue à des climats très variés, depuis le tropical au sud jusqu'au continental au nord. Volcanisme et moussons le caractérisent. Beaucoup plus au sud mais appartenant au même relief sous-marin que le Japon, l'île de Taïwan est également traversée par une chaîne de montagnes longitudinales qui décline abruptement jusqu'à la plaine littorale le long de la façade occidentale. Île volcanique, elle bénéficie d'un climat tropical.
Géographie humaine, l'excès
L'Extrême-Orient représente deux milliards d'habitants, soit un tiers de la population mondiale. Cette partie du continent est caractérisée par des variations considérables de densité : d'une part, de vastes régions montagneuses et arides presque désertes, d'autre part, des zones qui connaissent les plus fortes densités mondiales de population. Le phénomène est particulièrement remarquable au Japon et à Taïwan, où les populations se concentrent sur les plaines côtières, en Corée du Sud, dans la mégapole de Séoul, et en Chine, le long du littoral et dans la zone des plaines orientales. Les conditions naturelles ne sont pas seules en cause dans cette inégalité de répartition des populations. Les guerres et les migrations économiques ont concouru également à donner un caractère singulier au peuplement de ces pays.
Les conséquences des guerres
L'influence des guerres est particulièrement sensible dans la péninsule coréenne. La conséquence la plus visible encore aujourd'hui de la guerre civile (1950-1953) est la différence de peuplement entre les deux Corées. Le Nord, la partie traditionnellement la plus prospère et la plus peuplée de la péninsule, compte aujourd'hui moitié moins d'habitants que le Sud (environ 22 millions contre 48 millions). Ce fort contraste résulte des migrations massives de populations du Nord fuyant le régime communiste au début des années 1950. Réfugiés et naissances dues au rattrapage de l'après-guerre ont permis à la Corée du Sud de doubler sa population en quarante ans, entre 1949 et 1988. Dans une moindre mesure, les populations de Hongkong et de Taïwan (hétérogènes par rapport à celles des provinces chinoises d'origine) résultent d'un phénomène identique caractérisé par l'arrivée massive de Chinois nationalistes fuyant devant les armées communistes victorieuses en 1949 (la population de Taïwan augmente de 44 % entre 1940 et 1949).
Les migrations économiques
Le second facteur déterminant dans les répartitions de populations est plus récent puisqu'il résulte des développements économiques. Ses conséquences se manifestent principalement dans l'urbanisation. La prospérité du Japon, pays le plus anciennement développé de la zone, a depuis la période de forte croissance des années 1960 transformé la région du Kanto, Tokyo (11 634 000 habitants), Yokohama (3 233 000 habitants) et l'agglomération totalisant 33 millions d'habitants, ainsi que la région du Kansai (ou Kinki), Osaka-Kyoto-Kobe (plus de 5 millions d'habitants), en conurbations autour d'anciennes zones d'activité portuaires et industrielles. Ce phénomène de la mégapole est apparent également en Corée du Sud avec la ville de Séoul (10 627 000 habitants, un quart de la population du pays) où le phénomène des réfugiés des années 1950 a été accentué par une émigration économique continue jusqu'aux années 1980. Hongkong (5 760 000 habitants) et Taïwan (Taipei, 2 654 000 habitants), en raison de leur exiguïté insulaire, n'ont pas connu d'apport démographique extérieur spectaculaire après l'impulsion initiale due aux circonstances historiques (voir § Les conséquences des guerres). En Chine continentale, par contre, l'émigration économique est en cours et crée des problèmes alarmants de santé publique, d'emploi et de sécurité. L'exemple le plus frappant est celui de Shanghai, dont le chiffre officiel de la population, 7 835 000 habitants, ne tient pas compte de la population « flottante », installée de façon définitive ou saisonnière (la distinction est très difficile à faire actuellement). Les déplacements de population en Chine sont d'autant plus inquiétants que la taille du pays favorise des flux complexes, intra-provinciaux (des villages vers les villes et les capitales provinciales) et inter-provinciaux (d'ouest en est, de l'intérieur vers les côtes). Le phénomène n'est pas nouveau, mais il a pris de l'ampleur avec le succès croissant des zones de développement économique sur le littoral depuis les années 1980, accentuant les déséquilibres économiques.
La chance offerte par les diasporas
L'émigration outre-mer, particulièrement importante en ce qui concerne la Chine et la Corée, est le résultat autant de circonstances historiques que des aspirations à un meilleur niveau de vie. La diaspora chinoise, originaire du continent ou de Taïwan, dépasse les vingt millions d'individus (ce chiffre varie selon les critères de nationalité employés) répartis sur les cinq continents. L'essentiel des effectifs est installé en Asie (Indonésie, Thaïlande, Malaisie, Singapour, etc.), un dixième en Amérique et environ un demi-million en Europe. Cette diaspora, dont l'élite est très éduquée et prospère sur le plan économique, a joué un rôle essentiel dans le « décollage » de la Chine continentale depuis 1979. Moins nombreuse, la diaspora coréenne est néanmoins importante et davantage concentrée géographiquement (1 630 000 aux États-Unis, 700 000 familles de nationalité coréenne au Japon et environ un million de Japonais d'ascendance coréenne, la plupart de la troisième et de la quatrième génération).
Géographie économique, le succès
L'état économique actuel de l'Extrême-Orient constitue sans doute l'un des événements les plus marquants de la fin du xxe s. Si le xixe s. fut le siècle d'or de l'Europe, du point de vue de son développement économique (grâce à la révolution industrielle et aux empires), et le xxe s., celui des États-Unis, il se pourrait que le xxie s. devienne celui de l'Extrême-Orient. La dimension du phénomène tient aux perspectives d'un « mieux-vivre » offertes au tiers de l'humanité, après des milliers d'années de précarité. Les « décollages » économiques ont débuté au Japon dans les années 1960, se sont poursuivis dans les années 1980 avec les « dragons » (Taïwan, Corée du Sud, Singapour, Hongkong) et ont, dans les années 1990, débouché sur l'accession au statut de puissance régionale de la Chine continentale. Le phénomène d'ailleurs n'est pas limité à l'Asie du Nord-Est puisque la Thaïlande, la Malaisie et, dans une moindre mesure, l'Indonésie appartiennent désormais aussi à ce qu'il est convenu d'appeler les nouveaux pays industrialisés (N.P.I.).
Les conditions de ces succès tiennent à la conjugaison de plusieurs facteurs, qui n'ont pu initier une dynamique économique qu'après l'apaisement politique dans la zone, après la Seconde Guerre mondiale (Japon, 1945) et les guerres civiles (Chine et Taïwan, 1949, et Corée, 1953). Ces facteurs déterminants ont été les hommes et l'aide extérieure.
Les acteurs du succès économique, les hommes
L'afflux de réfugiés, accentué par les « rattrapages » d'après-guerre, a été déterminant dans les « décollages » de Hongkong et de Taïwan. À la fin de la guerre civile, les anciens soldats nationalistes réfugiés, pour la plupart d'origine rurale, constituent une réserve de main-d'œuvre bon marché, cependant que les cadres bénéficient d'un haut niveau d'éducation et disposent souvent de moyens financiers pour investir. En Chine continentale par contre, passé l'ère maoïste (1949-1976), le facteur humain du « décollage » des années 1990 provient de l'explosion démographique des années 1970 (l'équivalent du baby-boom occidental) et d'une décision de Deng Xiaoping à la portée considérable : le retour en ville, en 1978 et 1979, de millions de citadins qui étaient astreints à travailler dans les campagnes depuis la Révolution culturelle (1966-1976), et, en 1980, la libération de millions de prisonniers et de condamnés politiques, souvent des intellectuels ayant reçu dans leur jeunesse une éducation de qualité. Le Japon connaît un flux comparable en 1945 avec le rapatriement de 4 millions d'anciens colons en Asie et la démobilisation de 5 millions d'hommes (pour des pertes de guerre estimées à 2,5 millions de victimes). La Corée profite elle aussi de la fin de la guerre avec le rapatriement massif des anciens travailleurs forcés coréens au Japon et en Mandchourie.
La source du développement économique, les capitaux
Le second facteur déterminant des après-guerres est l'aide extérieure, américaine surtout. Elle s'inscrit dans le contexte de guerre froide puisqu'elle vise à contenir les visées hégémoniques de l'U.R.S.S. et à contrer l'influence de la Chine populaire. La guerre civile en Chine prive les États-Unis de ses bases militaires. Le Japon peut y pourvoir, à condition de redevenir stable économiquement. À partir de 1947, les États-Unis accentuent notablement leur aide au Japon, en produits alimentaires et en matières premières, mais aussi par la formation aux méthodes américaines de management et de gestion des entreprises, des cadres et des chefs d'entreprise japonais. La vitalité des entreprises japonaises est alors exceptionnelle. L'impulsion américaine permet ainsi au Japon de retrouver dès 1952 un revenu national équivalent à celui de 1937. La Corée du Sud, dont la quasi-totalité du patrimoine industriel et la moitié de l'habitat ont été détruits pendant la guerre civile, entreprend sa reconstruction entre 1953 et 1957. Pendant cette période, l'aide extérieure, des États-Unis et de l'O.N.U., qui fournit une aide alimentaire et médicale, est déterminante pour la survie du pays puisqu'elle absorbe 70 % des productions coréennes jusqu'en 1962. En 1961, la junte militaire, dirigée par Park Chung-hee, estime le moment venu d'initier une véritable politique de développement. Taïwan profite longtemps également de la manne américaine. Le gouvernement nationaliste du Guomindang crée un outil de planification pour gérer notamment la distribution des ressources, parmi lesquelles les matières premières et les biens d'équipement extérieurs, qui affluent entre 1950 et 1964 (jusqu'en 1968 pour les aliments). La Chine populaire quant à elle obtient de l'aide de l'Union soviétique à partir de 1954, sous la forme de financement de projets, de biens d'équipement et d'une coopération dans les domaines de la recherche et de la science. Cette aide prend fin brutalement en 1959 à la suite de la rupture politique entre les deux puissances communistes, mais elle a permis à la Chine de poser les bases de son industrie lourde.
Des voies différentes de développement
Une fois les fondements des économies modernes établis au sortir des guerres grâce aux reconstructions, il reste aux responsables des différents pays à trouver les leviers qui permettront d'authentiques développements économiques. Sur ce point, les méthodes divergent selon les pays d'Extrême-Orient.
Une politique de promotion des exportations est choisie par le Japon et Hongkong. Le Japon est poussé à ce choix par les circonstances. Les commandes des troupes d'occupation américaines, le paiement sous forme de biens matériels des indemnités de guerre dues aux pays d'Asie du Sud-Est qu'il a occupés dopent la production japonaise. Hongkong exploite une position géographique avantageuse, en profitant de l'« économie d'entrepôt » qui existe déjà (infrastructures portuaires et de stockage, réglementation et organisation du commerce). Le territoire développe ainsi ses échanges avec les pays en voie de développement et avec la Chine continentale, qui devient le premier fournisseur de textiles en Asie, commercialisés via Hongkong. Les mécanismes de préférence au sein du Commonwealth permettent en outre à Hongkong de conquérir des marchés nouveaux en Afrique de l'Est et du Sud. Pendant les années 1970, Hongkong fait face à la concurrence montante des autres pays d'Asie en recourant à des productions plus sophistiquées, comme l'électronique, afin d'atteindre les marchés d'Occident.
Au contraire, Taïwan et la Corée du Sud adoptent, dans un premier temps, une politique de substitution aux importations. Taïwan, ancienne colonie agricole du Japon, entreprend de restaurer sa balance commerciale en favorisant spécialement les industries de main-d'œuvre (coton, bois, agroalimentaire). La subsistance de la population enfin assurée, Taïwan peut s'orienter à son tour vers la promotion des exportations, en attirant les capitaux étrangers grâce à l'abaissement des barrières douanières et à la création d'une première zone franche en 1964, qui va inspirer les zones économiques spéciales de la Chine populaire à partir de 1979. Pour la première fois en 1971, l'île connaît un excédent commercial. Par la suite, la concurrence des biens de consommation de Hongkong, de Singapour et des Philippines incitent Taïwan à recourir à la production de biens fondés sur les technologies avancées (sidérurgie, mécanique, chimie et, à partir des années 1980, électronique et pétrochimie). La Corée du Sud, après la reconstruction, trouve un marché extérieur pour ses produits primaires (minerais, agroalimentaire). À partir de 1961, la planification favorise les industries légères destinées au confort de la population (raffinage, ciment) et à forte consommation de main-d'œuvre (agroalimentaire, textile). En 1963 et 1964, le pays est à son tour en mesure de promouvoir ses exportations, de plus en plus diversifiées, jusqu'à conquérir les technologies de pointe dans les années 1980. Ce long effort aboutit en 1986 à un premier excédent commercial.
La Chine continentale, quant à elle, choisit une voie originale en utilisant l'agriculture comme moteur du développement. La production de biens d'équipement mécaniques, d'énergie électrique, d'engrais, etc., vise à assurer un surplus agroalimentaire, exporté, dont le revenu permet des investissements dans l'industrie lourde. L'inconvénient de ce schéma inspiré de l'expérience soviétique est l'obsolescence rapide des moyens de production et la trop forte concentration de ces moyens sur 10 % du territoire (six provinces maritimes orientales). Les échecs du maoïsme permettent aux planificateurs chinois, à partir de 1977, d'orienter le développement dans le sens d'un schéma plus familier. Hormis l'agriculture, qui reste un secteur privilégié, l'effort est porté de l'industrie lourde vers l'industrie légère, selon le modèle de substitution aux importations. L'objectif est donc d'assurer d'abord le développement intérieur grâce à l'accroissement de la consommation et à l'équipement en milieu rural. Cet objectif est soutenu en 1981 par l'introduction du système de responsabilité, qui intéresse directement les ruraux aux résultats de leur travail (autrement dit, qui met fin à l'expérience de l'agriculture collectiviste). Parallèlement, une première phase de libération des importations et des investissements étrangers est mise en place avec la création, en 1979, des zones économiques spéciales (Z.E.S.), dont les quatre premières jusqu'en 1984 sont Shenzhen, Zhuhai, Shantou et Xiamen. Ce n'est cependant qu'au milieu des années 1980 que la Chine s'oriente vers la promotion des exportations, suivie d'une politique de développement des régions côtières (1988) et de l'encouragement des investissements directs étrangers. En 1991, les exportations chinoises atteignent le niveau de celles de la Corée du Sud.
Ces succès ont éveillé des polémiques en Occident, car ils ne répondent pas au schéma classique de la révolution industrielle européenne et, surtout, ils mettent en cause la conviction en Occident – conviction renforcée avec la chute de l'U.R.S.S. – selon laquelle le capitalisme ne peut s'épanouir que dans une démocratie. Les régimes en Extrême-Orient étant plutôt de nature autoritaire, l'incompréhension règne avec l'Occident jusqu'à ce que la crise financière de 1997 donne raison, de façon éphémère, aux théoriciens occidentaux. Cette crise a en effet pour origine, dans les pays asiatiques concernés, les archaïsmes des structures sociales et économiques. Mais il apparaît depuis que Taïwan et la Chine ont évité la crise, et cette dernière a même été en mesure de soutenir Hongkong, cependant que la Corée du Sud repart plus que jamais sur la voie de la croissance et que le Japon donne des signes de redressement. La polémique au fond porte sur l'existence d'un modèle asiatique de capitalisme fondé sur l'autorité politique (Chine populaire), ou encore sur l'apparente nécessité en Asie d'une transition autoritaire qui permettrait d'aboutir au développement, en préalable à la démocratisation (Taïwan, Corée du Sud). Le Japon, « bon élève de l'Occident », semble promouvoir lui aussi un modèle alternatif, mais qui s'exprime en termes d'organisation sociale inédite (caractérisée par une forte capacité d'adaptation au marché) plutôt que sous la forme d'un quelconque préalable autoritaire.
Vers un renforcement de la coopération régionale ?
Avec la diminution progressive de l'influence du « gendarme américain » et la prospérité croissante des pays asiatiques – qui leur permet d'assurer leur propre défense mais aussi de donner corps à des ambitions internationales –, il apparaît nettement que la stabilité future de la zone passe par une prise en main des affaires régionales par les États concernés, donc par la coopération. Cette stabilité dépendra aussi de l'évolution politique et diplomatique de la Chine, compte tenu de sa puissance grandissante. Les embryons d'organisations de coopération régionale, telles que l'ASEAN dans le Sud-Est asiatique ou l'APEC, destinées à promouvoir les échanges économiques entre ses membres, sont un premier pas dans le sens du dialogue. Aujourd'hui l'idée d'une vaste zone économique Asie-Pacifique tend à laisser la place à celle d'une entité plus restreinte englobant les pays de l'ASEAN, la Chine, la Corée du Sud et le Japon (ASEAN plus 3).
La toute-puissance des organisations financières internationales dominées par les États-Unis lors de la crise financière de 1997-1999, ainsi que les effets de la mondialisation font prendre conscience aux pays de la région de la nécessité d'une intégration progressive de leurs économies. La crise asiatique a en outre révélé des comportements inédits de solidarité inter-asiatique. La Chine a soutenu Hongkong et a fait acte de responsabilité régionale en ne dévaluant pas sa monnaie. Tokyo a soutenu plusieurs pays en crise, en dépit du coût considérable que cela a entraîné. L'ASEAN est venue en aide à l'Indonésie. Il semble ainsi que la conscience d'appartenir à une communauté commence à se manifester, sentiment dont la maturité serait le meilleur gage à l'avenir de stabilité de la région.
HISTOIRE
De l'hégémonie chinoise à l'irruption de l'Occident
L'histoire de l'Extrême-Orient a été longtemps déterminée par l'évolution de l'Empire chinois. La taille même de la Chine et la cohérence de son « système », comparées à celles des royautés et empires voisins, expliquent pleinement son hégémonie culturelle et souvent politique. Mais hégémonie ne veut pas dire exclusivité. L'influence indienne s'est exercée, grâce aux comptoirs commerciaux et étapes de la route de la soie, en Asie du Sud-Est jusqu'au vie s. et, indirectement mais durablement, en Extrême-Orient, avec l'expansion du bouddhisme hinayana dans les premiers siècles de l'ère chrétienne (Inde). Pareilles influences n'ont pas non plus empêché les syncrétismes de donner naissance entre le viie et le xiiie s. à des cultures autochtones, telles que celle de l'empire angkorien (Angkor). Ces cultures d'Asie du Sud-Est ont brillé jusqu'à ce que la décadence des empires locaux permette à l'influence chinoise de pénétrer profondément à la suite des invasions mongoles (dynastie chinoise des Yuan). Il s'ensuivit une longue occultation de l'histoire des États du Sud-Est faute de la conservation des écrits, en dehors des témoignages laissés par les historiens chinois, jusqu'au xvie s., lorsque les premiers Occidentaux s'intéressèrent à ces cultures.
La Chine, passée les premières royautés qui voient la mise en place des fondements agraires de la civilisation, puis des fondements idéologiques du confucianisme, du taoïsme et du légalisme, et l'organisation de la bureaucratie (sous les Han), est régulièrement confrontée à la menace des peuples « barbares » – c'est-à-dire les nomades – du nord et du nord-ouest ; menace permanente, mais réellement dangereuse pour l'empire seulement quand les dynasties s'épuisent (grandes dynasties Han, Song, Ming, renversées par des conquérants allogènes). La Corée subit directement l'influence chinoise, dont elle reste aujourd'hui encore, à travers la pratique du confucianisme, le plus fidèle dépositaire. Mais elle sait également rayonner d'une culture propre (royaume de Silla, viie s.), en dépit de son histoire mouvementée (invasions chinoises, tentatives d'invasions japonaise au xvie s. et mandchoue au xviiie s.). Le Japon, quant à lui, est imprégné d'abord de l'influence de la Chine, en particulier à travers le bouddhisme chinois véhiculé par la Corée. Puis se développent à partir du xe s. une culture propre et des institutions durables (shogunat). L'insularité protège l'empire des tentatives d'invasion mongoles au xiiie s., jusqu'à ce que l'Empire japonais se tourne vers l'extérieur, en renouant au xve s. avec la Chine puis en tentant d'envahir la Corée au xvie s.
Ensuite, le destin de toute l'Asie orientale est déterminé par l'Occident. Succédant à l'expansion de l'islam en Asie (xive s.), et dans le prolongement des grandes découvertes, le monde ibérique fait irruption à son tour en Asie au xvie s., relayé par les Hollandais puis par les Britanniques. Ces premières installations sont de nature commerciale (les compagnies des Indes). Mais, au xixe s., la présence occidentale se transforme en impérialisme et ouvre l'ère du colonialisme, favorisé par l'industrialisation. En moins d'un siècle, d'ouest en est, les Occidentaux se partagent les terres et les peuples, attisent les rivalités ethniques, provoquant une onde de choc toujours perceptible. Les structures sociales, les systèmes de pouvoir et, dans le cas remarquable de la Chine qui perd dans le processus son système impérial pluri-millénaire, les cultures elles-mêmes en sont profondément bouleversées. À cet égard, le caractère le plus frappant des xixe et xxe s. en Extrême-Orient est la détermination des destins collectifs par les puissances européennes auxquelles se sont adjoints les États-Unis au début du xxe s. Cette ère de domination d'une moitié du monde sur une autre aurait perduré sans un autre bouleversement d'ampleur mondiale.
La fracture de la Seconde Guerre mondiale
L'histoire de l'Extrême-Orient contemporain est marquée par la fracture déterminante de la Seconde Guerre mondiale. Le Japon occupe la Corée à partir de 1910 et entreprend l'occupation de la Chine par étapes à partir de 1931 – Chine dans laquelle les puissances occidentales se sont taillé des territoires au statut semi-colonial (les concessions, territoires à bail et sphères d'influence) depuis les guerres de l'Opium (1840-1842, 1856-1860) et le « dépècement » de la fin du xixe s. La résistance chinoise contre le Japon en fait l'allié des États-Unis, ce qui assure son indépendance sous le gouvernement nationaliste de Jiang Jieshi (Tchang Kaï-chek) en 1945. Mais la lutte entre nationalistes et communistes chinois aboutit en 1949 à la victoire de ces derniers et à la fuite des nationalistes à Taïwan. Un même peuple est dès lors divisé entre deux systèmes politiques. Il en est de même avec la Corée, qui, ayant également retrouvé son indépendance de principe en 1943 (conférence du Caire), se trouve divisée en deux républiques concurrentes en 1948, sous influence soviétique au nord et américaine au sud, de part et d'autre du 38e parallèle. Il s'ensuit une guerre civile (1950-1953) à laquelle participent seize pays, dont la France (au titre de membre de l'O.N.U.) et la Chine. La guerre cesse avec la signature d'un armistice, toujours en vigueur (guerre de Corée). Le Japon, quant à lui, contraint à la démocratisation sous l'influence du général MacArthur et des États-Unis, force occupante du pays jusqu'au traité de San Francisco en 1951, s'oriente vers un modèle de monarchie parlementaire.
De la guerre froide à la nouvelle donne internationale
La montée en puissance de la Chine
De 1945 à la chute du mur de Berlin en 1989, l'Extrême-Orient est resté figé dans la confrontation idéologique qui résulte de la guerre froide. Mais les années 1990 ont permis une redistribution complète de la donne géopolitique dans la zone. Sous l'influence de Deng Xiaoping à partir de 1979, la Chine s'est ouverte sur le plan économique. Cette mutation a été rendue possible grâce à la démaoïsation (procès de la Bande des Quatre, 1980). Mais il n'est pas question pour le pouvoir chinois de renoncer à l'idéologie communiste. Sous la poussée démographique et le risque futur d'une explosion sociale majeure en cas de famine, les modérés du régime réussissent à imposer aux conservateurs une ouverture accentuée sur le plan économique, mais toujours étroitement encadrée par les autorités. Les tensions s'accroissent, jusqu'à ce que l'impatience de la jeunesse débouche sur la revendication d'une ouverture politique démocratique. Le massacre de Tian’anmen en 1989 marque les limites permises : chacun est libre de s'enrichir, mais nul ne peut contester la prééminence du régime communiste. Depuis 1989, le régime s'appuie sur le nationalisme pour détourner l'attention de la population des difficultés économiques et sociales (chômage) générées par une modernisation rapide. Sur le plan international, cette politique nationaliste menée par le président Jiang Zemin est une complète réussite, l'objectif étant de faire accéder la Chine au statut de grande puissance. Après un intermède autoritaire avec l'occupation militaire temporaire des îles Spratly en 1995, aux dépens du Viêt Nam et des autres prétendants à la souveraineté sur ces îles, et les gesticulations des forces navales à l'occasion des échéances électorales taïwanaises en 1996, Pékin a su faire renaître une certaine fierté chinoise. La restauration sans trouble de la souveraineté chinoise sur les territoires de Hongkong (1997) et de Macao (1999), respectivement britannique et portugais auparavant, est à inscrire au crédit de la maturité de la Chine en matière de politique internationale, maturité manifeste aussi dans la façon dont Pékin a négocié des compensations politiques à la suite du bombardement de l'ambassade de Chine à Belgrade par les forces de l'O.T.A.N. en 1999. Mais le succès le plus prometteur pour l'avenir de la Chine concerne le consentement accordé par les États-Unis en novembre 1999, après treize années de négociations, à l'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce (O.M.C.). Cette adhésion prend effet deux ans plus tard (décembre 2001). Les perspectives d'investissements directs étrangers devraient assurer le financement si nécessaire des nouvelles petites et moyennes entreprises, qui se multiplient. Cet accord toutefois risque d'accélérer le démantèlement du secteur des entreprises d'État, avec le risque d'un chômage endémique, dangereux pour le pouvoir. Il entraînera également l'abaissement des barrières douanières, et donc exposera la Chine à la concurrence des autres pays d'Asie, notamment dans les industries exportatrices.
Les nouveaux risques : l'évolution des relations de la Chine avec ses voisins et la péninsule coréenne
L'une des questions à long terme résultera des conséquences incertaines de l'émergence incontestable de la Chine comme puissance régionale, voire mondiale. Il apparaît désormais que deux grandes puissances nucléaires vont tôt ou tard se concurrencer en Asie : la Chine et l'Inde, la première conservant pour l'instant une certaine avance technologique dans le domaine nucléaire sur la seconde. Actuellement, la Chine a l'avantage tactique grâce à ses missiles situés au Tibet qui lui permettent de menacer l'Inde, tout en laissant ses propres centres névralgiques hors de portée. Cet avantage explique le refus catégorique de la Chine de perdre le contrôle du Tibet. Au contraire, Pékin accélère la colonisation et tente de maîtriser la question religieuse connexe. Cette dernière, sous l'influence du retour de la population chinoise aux traditions, et sous les menées des radicaux musulmans (les « Afghans ») dans les provinces de l'Ouest peuplées de minorités ethniques, devient de plus en plus prégnante. Cette tension croissante est à l'origine de la façon énergique dont le régime a répondu en 1999 et 2000 à la menace, pourtant toute symbolique, de la secte « bouddhico-taoïste » Falun Gong. Après les attentats du 11 septembre, la Chine, en choisissant de soutenir les États-Unis dans sa campagne contre le terrorisme, espère obtenir en échange une plus grande compréhension sur ses propres préoccupations de « sécurité nationale », et notamment dans la lutte contre toutes les formes de séparatisme : celui des musulmans des provinces de l'Ouest, celui des Tibétains et, surtout, celui des Taïwanais.
Le régime chinois, enfin – comme le régime sud-coréen –, s'inquiète de la montée de la puissance militaire du Japon. Les États-Unis, en effet, se désengagent progressivement sur le plan militaire de la zone. Le Japon, interdit depuis la Seconde Guerre mondiale de posséder une armée disposant de capacités offensives, se voit contraint par l'allié américain d'assumer de plus en plus le poids financier d'une défense autonome et une responsabilité stratégique régionale davantage à la mesure de sa puissance économique. Ainsi, fin 2001, le Japon participe, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, à une intervention militaire extérieure par l'envoi d'unités de marine en soutien à l'action des États-Unis en Afghanistan.
L'autre question fondamentale pour l'avenir de la région est l'évolution prochaine de la Corée du Nord. Depuis la mort de Kim Il-sung (1994), la situation intérieure n'a cessé de se dégrader (famine en 1996). Or, la Corée du Nord ne peut plus compter sur une aide extérieure depuis la réconciliation entre la Russie et la Corée du Sud. Le régime recourt désormais au chantage pour perdurer. La menace nucléaire nord-coréenne incite la Corée du Sud, les États-Unis et diverses organisations, comme l'O.N.U., à fournir une aide alimentaire et des biens d'équipement. La Chine, qui redoute un raz-de-marée de réfugiés nord-coréens sur sa frontière nord-est, tente également d'aider la population sans soutenir pour autant un régime devenu tragiquement grotesque. Séoul, surtout, redoute que le régime aux abois, dans un acte désespéré, ne lance une invasion. Des négociations quadripartites (les deux Corées, les États-Unis et la Chine) ont donc été menées pour transformer la convention d'armistice de 1953 en traité de paix et, ultérieurement, réunifier la péninsule. Depuis 1999, la Russie ne cache plus son ambition de reconquérir sa position de « puissance asiatique » et tente de s'immiscer dans le processus, cependant que le Japon, inquiet des menaces de tir de missile sur son territoire, cherche également à intervenir. Dans pareille conjoncture, qui n'a généré jusqu'à présent que piétinements et crises dues aux provocations nord-coréennes, le président sud-coréen Kim Dae-jung a pris l'initiative de bousculer le jeu diplomatique. Sa politique de rapprochement avec le Nord en 2000 – outre qu'elle lui a valu en 2000 de recevoir le prix Nobel de la paix – connaît quelque succès spectaculaires, comme le défilé commun des deux délégations sportives aux jeux Olympiques de Sydney ou les rencontres de familles divisées. La politique dite « de l'arc en ciel » d'aide au Nord grève cependant le budget sud-coréen, alors même que le redressement économique reste fragile et compromis par l'attitude des conglomérats industriels qui résistent aux tentatives de réorganisation. Surtout, le président, qui s'estime investi de la mission de réunifier le pays avant la fin de son mandat (2003), divise son opinion publique, et inquiète l'allié américain et les voisins chinois et japonais. Les concessions sud-coréennes sont de taille sans que le président nord-coréen Kim Jong-il ait donné de réelle contrepartie ; la population sud-coréenne ressent moins le danger d'invasion et commence à contester la protection militaire américaine sur son territoire ; le nationalisme sud-coréen s'exprime plus ouvertement contre les ingérences chinoise et japonaise dans le processus de paix.