cosmologie

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Terme formé au xviiie s. par le philosophe allemand Ch. Wolff, à partir du grec kosmos, « ordre, bon ordre, organisation, ordre de l'univers », et logos, « discours, raison, savoir ».

Épistémologie, Métaphysique, Philosophie Cognitive

Ensemble des disciplines qui étudient, avec les moyens et les approches qui leur sont propres, l'univers en tant qu'il constitue une totalité englobante. Plus précisément, la cosmologie se déploie à partir d'une interrogation sur tout ce qui permet à la réalité physique spatio-temporelle de constituer une totalité unifiée sous la forme d'un ordre de coappartenance dont il s'agit de déterminer la structure, l'origine et l'évolution.

La pensée des premiers sophoï à l'aurore de la philosophie grecque, presque entièrement investie dans une perspective cosmologique, orienta la destination de la philosophie non pas vers la totalité exhaustive du savoir, mais vers la recherche du savoir de la totalité. En effet, la belle totalité que désigne le terme de kosmos présuppose, à son tour, comme condition préalable de son intelligibilité l'unification et la totalisation du savoir. Ainsi, la tâche des toutes premières cosmologies ne consistait pas à accroître tant l'extension des connaissances que leur compréhension au sein d'un réseau de corrélations, de correspondances et d'oppositions multiples chargées d'en assurer la consistance globale, l'équilibre harmonieux et la signification philosophique. Ce n'est qu'à partir de cet arrière-plan cosmologique que purent émerger peu à peu et se dessiner, de façon dérivée, les divers objets particuliers de la réflexion philosophique. Ainsi, chacune des investigations particulières de la philosophie ancienne fut toujours considérée comme issue d'un vaste projet d'ensemble, cohérent et ordonné, permettant d'assigner à chaque élément la place qui lui revient organiquement au sein de cette totalité englobante.

Toutefois, le terme même de « cosmologie » ne reçut sa consécration traditionnelle ou institutionnelle qu'au xviiie s., chez le philosophe leibnizien Ch. Wolff, qui fit de la cosmologie l'une des pièces maîtresses de la métaphysique, dans sa célèbre classification des branches principales de la connaissance philosophique. La cosmologie figurait aux côtés de l'ontologie générale, de la théologie naturelle et de la psychologie naturelle. Dès son Discours préliminaire sur la philosophie en général, Wolff écrivait : « On appelle cosmologie la partie de la physique qui examine et enseigne l'étude de tous les corps du monde, ainsi que la manière dont ils constituent ce dernier. Par conséquent, la Cosmologie est la science du monde en tant que tel. »(1). Cette nouvelle partition systématique des sciences philosophiques fut approuvée plus ou moins implicitement et reprise par l'ensemble de la philosophie (on la retrouve dans l'Encyclopédie de Diderot) jusqu'au xixe s., sans que soit retenue pour autant sa méthode synthético-déductive procédant du tout à la partie.

Les schèmes et les concepts à pouvoir totalisant constituent les instruments privilégiés de la cosmologie, dans la mesure où ils permettent de soustraire la multiplicité des phénomènes naturels connus à leur dispersion spatio-temporelle et à la séparation ontologique, génératrice d'altérité, d'extériorité, d'incohérence et de désordre. Parmi ces concepts, celui de système manifeste d'une manière particulièrement prégnante comment la dépendance réciproque des parties permet à celles-ci de former une totalité cohérente et structurée. Quelle que soit la forme de systématicité envisagée par les diverses théories cosmologiques, celle-ci est toujours présente, et elle en constitue, pour ainsi dire, le fondement. Le réseau connexe des relations qu'entretiennent entre eux tous les éléments constitutifs de la réalité physique dans leurs interactions est précisément ce qui assure leur co-appartenance au sein de la totalité cosmique. La cosmologie est une entreprise de totalisation de l'ensemble des phénomènes et des événements physiques dans un ordre de co-appartenance unique et irréductible, avec les problèmes qu'entraîne la recherche d'un discours totalisant et intégralement autolégitimé. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle cette synthèse ultime n'est jamais totalement achevée de façon définitive. La cosmologie se trouve, par conséquent, déchirée entre l'impossibilité de totaliser de façon achevée son objet (sans résidu d'aucune sorte) et de le laisser dans une pure et simple indétermination chaotique. Cette entreprise de totalisation doit donc être prise en un sens inchoatif, qui se ressaisit périodiquement en fonction des progrès de l'outillage mental et de l'appareil conceptuel, propres à chacune des grandes étapes de son développement historique.

L'idée moderne d'univers implique une nouvelle définition des critères de totalité et de totalisation. Or, la question se pose de savoir si cette totalisation englobante est le fait du sujet épistémique ou, au contraire, la conséquence d'une co-appartenance factuelle des étants, en raison de leur nature propre, ou de leur réductibilité à des constituants élémentaires (au niveau quantique, par exemple), ou du système de leurs interactions qui les coordonne ou les subordonne, malgré leurs différences et leur dispersion spatio-temporelle (conformément à la théorie relativiste de la gravitation). Le concept de totalité cosmique implique celui de co-appartenance et d'interaction, mais il ne préjuge nullement des différences d'échelle ni de la hiérarchisation des différents ordres de complexité emboîtés ou non. D'un autre côté, si l'homme s'efforce de connaître et de penser cette totalité cosmique, c'est bien qu'il se situe, d'une certaine manière, qui reste à déterminer, à la fois au sein de cette totalité et au-delà d'elle.

La cosmologie contemporaine nous apprend (grâce aux enseignements de la théorie de la relativité générale qui s'accordent avec ceux de l'observation des objets métagalactiques) qu'il existe un temps unique : le temps de l'expansion de l'Univers. Désormais, il est devenu possible de retracer (au moins partiellement) l'histoire de l'Univers en s'appuyant, d'une part, sur une estimation correcte de la constante « H » de Hubble (qui reste encore à établir en toute rigueur), et, d'autre part, sur la physique nucléaire, qui nous permet d'estimer (entre autres) la durée nécessaire au cycle du carbone et au cycle proton-proton. Comme il s'agit là de transformations nucléaires irréversibles, on retrouve bien un temps unique muni d'une flèche, c'est-à-dire d'un sens irréversible. En prenant l'inverse de la constante de Hubble (1 / H), il devient possible de déterminer l'âge de l'Univers, c'est-à-dire le temps qui fut nécessaire à l'expansion pour que l'Univers présente les apparences qu'il offre actuellement, en partant de la singularité du big bang (désormais admise au sein du « modèle standard »). Ces indications peuvent être recoupées par celles de la physique des particules, car l'histoire de l'Univers, c'est aussi l'histoire des galaxies et des étoiles, donc celle des atomes et des particules subatomiques qui les constituent. Il semble que le point de rencontre de notre rapport vécu au monde et de la science de l'Univers se situe au niveau de la notion de présence, sans retomber pour autant dans l'impasse bergsonienne de la simultanéité non relativiste. Si les notions de présence et de présent renvoient nécessairement à un observateur, c'est que la cosmologie ne peut en faire pour autant l'économie.

C'est d'ailleurs ce que montre, de façon exemplaire, l'appel récent au « principe cosmologique anthropique », qui met en jeu la relation entre l'homme et l'Univers pour fixer des contraintes déterminées à la question des conditions initiales de la formation de l'Univers(2). En schématisant (car ce principe a reçu plusieurs formes faibles ou fortes), le principe anthropique revient à penser que l'Univers doit être constitué de telle façon que la cosmologie, les cosmologistes et les hommes existent ; ce qui ne serait pas le cas selon n'importe quel modèle cosmologique, pourtant compatible avec les lois actuelles de la physique. Le principe anthropique accorde donc une place déterminante à la présence de la vie et de l'homme dans l'Univers, ce qui implique un certain état de développement des amas galactiques, de la galaxie, des étoiles et des planètes, au sein duquel ils réussirent à émerger. C'est donc le retour d'une certaine forme de téléologie en cosmologie, puisque le principe anthropique assume au moins une « fonction régulatrice », comme dirait Kant. Autrement dit, les astrophysiciens ont à modéliser un Univers présentant des propriétés telles que la présence de la vie et celle de l'homme puissent aussi en être tirées.

Jean Seidengart

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Wolff, Ch., « Discursus praeliminaris de philosophia in genere », in Philosophia rationalis sive Logica, 1728, ch. III, § 77.
  • 2 ↑ Ce principe anthropique a été ainsi nommé par le physicien anglais Br. Carter et par R. Dicke depuis plus de vingt ans, puis il a été repris par J. A. Wheeler.
  • Voir aussi : Andrillat, H., Introduction à l'étude des cosmologies, Armand Colin, Paris, 1970.
  • Duhem, P., Le système du monde, t. I à X, Hermann, Paris, 1913-1959.
  • Heidmann, J., Introduction à la cosmologie, PUF, Paris, 1973.
  • Koyré, A., Du monde clos à l'Univers infini, Gallimard, « Tel », Paris, 1988.
  • Koyré, A., Études galiléennes, Hermann, Paris, 1966.
  • Koyré, A., La Révolution astronomique, Hermann, Paris, 1961.
  • Koyré, A., Les Études newtoniennes, Gallimard, Paris, 1968.
  • Koyré, A., Études d'histoire de la pensée scientifique, Gallimard, Paris, 1973.
  • Kuhn, T. S., La Révolution copernicienne, Fayard, Paris, 1973.
  • Collectif, Avant, avec, après Copernic. La représentation de l'Univers et ses conséquences épistémologiques, Blanchard, Paris, 1975.
  • Merleau-Ponty, J., Cosmologie du xxe siècle, Gallimard, Paris, 1965.
  • Merleau-Ponty, J., Morando, B., Les trois étapes de la cosmologie, Laffont, Paris, 1971.
  • Merleau-Ponty, J., La Science de l'Univers à l'âge du positivisme, Vrin, Paris, 1983.
  • Verdet, J. P., Astronomie et Astrophysique, Larousse, Paris, 1993.

→ cosmos, espace, matière, monde, temps, univers

Philosophie de la Renaissance

La visée principale de la cosmologie humaniste est la tentative d'unifier les mondes sublunaire et lunaire, en réduisant de différentes façons la césure héritée de la physique d'Aristote. On vise ainsi à dégager un espace d'autonomie pour la philosophie naturelle. Le monde est en effet considéré comme le lieu propre de l'homme, dont il peut interpréter les lois afin d'intervenir et de le transformer : le savoir naturel n'est pas tant un acte de contemplation qu'une connaissance efficace, solidaire d'un pouvoir et d'un savoir faire. Ce projet est mené suivant deux perspectives majeures : l'une met en avant la continuité et l'homogénéité des différents niveaux de l'ordre cosmologique ; l'autre souligne la césure entre le monde naturel et le monde divin. La première approche se rencontre surtout dans un milieu néoplatonicien et se traduit par une conception magique de l'univers ; la seconde approche, d'origine aristotélicienne ou stoïcienne, affirme le caractère radicalement naturel et nécessaire de l'ordre du monde. M. Ficin, dans sa Theologia platonica (1482), conçoit l'univers comme une hiérarchie des cinq différents niveaux de l'être : le corps, la qualité, l'âme, l'ange et Dieu. L'âme joue ici un rôle médiateur qui permet d'unifier les différents niveaux : il s'agit d'un univers graduel et continu. L'âme s'insère dans les choses mortelles sans en être et s'élève également aux choses célestes : elle est à la fois mobile et immobile, participe des différents mondes sans en abandonner aucun. Elle est, en définitive, toutes les choses puisqu'elle porte en elle l'image des choses divines, mais elle contient aussi les raisons exemplaires des choses sensibles, qu'elle produit d'une certaine façon. Ainsi, par son rôle médiateur l'âme humaine, qui exprime individuellement l'Âme du monde, peut comprendre et reconstituer les liens entre les degrés cosmologiques et interpréter les phénomènes de l'univers. Mais par cette participation à tous les niveaux de l'être, l'âme peut également s'insérer, prévoir, détourner et même transformer les événements du monde naturel. C'est à ce niveau que se situe l'engouement des humanistes platoniciens, avant tout Ficin, pour la magie qui n'est pas considérée comme une forme de sortilège, mais comme une méthode et une technique naturelle alliant un savoir et un pouvoir : la connaissance intime des lois de la nature et la possibilité d'intervenir sur elle. Une position particulière est occupée par G. Bruno qui, dans son De la causa, principio e uno (1584), formule l'hypothèse de l'infinité de l'univers et de la multiplicité des mondes, ce qui lui permet de concevoir d'une manière unifiée les mondes sublunaire et lunaire : cette exigence d'unification le conduit à une forme de panthéisme, où chaque chose est son contraire, la matière est divine, le divin matériel. Mais il est impossible de connaître Dieu sinon dans la nature, ce qui fait de cette limitation même la condition d'une recherche autonome.

Cette recherche d'autonomie est plus poussée chez des penseurs hostiles comme P. Pomponazzi et Telesio. Pomponazzi, dans son De incantationibus (1520) considère tout événement dans le monde comme soumis à des causes nécessaires, si bien qu'il interprète même l'histoire des hommes comme régie par un déterminisme naturel, c'est-à-dire un cycle nécessaire de génération et de corruption. L'approche de Telesio, dans son De rerum natura iuxta propria principia (1565), est plus innovatrice car il soutient décidément qu'il faut étudier la nature selon « ses propres principes », indépendamment de toute considération métaphysique ou théologique : Dieu n'est pas la cause des événements naturels, il en est tout au plus le garant. Ce qui compte est de savoir percevoir les qualités sensibles de la réalité des phénomènes : le naturalisme humaniste devient avec Telesio une philosophie axée sur l'expérience sensible, anticipant ainsi les exigences de la science expérimentale de F. Bacon et de G. Galilei.

Fosca Mariani Zini

Notes bibliographiques

  • Bruno, G., De la causa, principio e uno, trad. fr. Y. Hersant, intr. M. Ciliberto, De la cause, du principe et de l'un, éd. G. Acquilecchia, Paris, 1996.
  • Dagron, T., L'unité de l'être et dialectique. L'idée de philosophie naturelle chez G. Bruno, Paris, 1999.
  • Ficin, M., Théologie platonicienne, trad. et éd. R. Marcel, Paris, 3 vol., 1964-1970.
  • Garin, E., Rinascite e rivoluzioni, Bari, 1975.
  • Gilbert, N. W., Renaissance Concepts of Method, New York, 1960.
  • Pine, M., P. Pomponazzi : Radical Philosopher of the Renaissance, Padoue, 1986.
  • Pomponazzi, P., De incantationibus, Bâle, 1556.
  • Poppi, A., Causalità e infinità nella scuola padovana dal 1480 al 1513, Padoue, 1966.
  • Telesio, B., De rerum natura juxta propria principia, Naples, 1586 (= Hildesheim, 1971).
  • Zambelli, P., L'ambigua natura della magia, Milan, 1991.

→ micro / macrocosme, nature, science