humanisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin médiéval (xive - xve s.) humanista., du latin humanitas, « humanité », mais aussi « culture humaine ». Le substantif « humaniste » est employé en français depuis le xvie s.


« Humanista », celui qui se consacre à l'étude de l'humanitas(1) ou des « humanités », à savoir la culture de l'humain en général et sous tous ses aspects, que sont censées dispenser les littératures grecque et latine. Attesté d'abord au sens de « philanthropie » (France, 1765), ce n'est qu'en 1818 que le substantif « humanisme » est usité pour désigner la culture humaniste(2).

Philosophie Générale, Philosophie de la Renaissance, Sciences Humaines

En philosophie, « humanisme » désigne toute pensée soulignant le rôle central de l'homme dans la cosmologie, voire l'ontologie, et mettant en relief sa capacité d'émancipation et d'autodétermination par un processus d'éducation.

On appelle en général humanisme la culture propre à l'Italie des xive - xve s., dont l'apport spécifique, exporté ensuite dans toutes les cours d'Europe, fut de promouvoir l'étude des littératures grecque et latine en tant que modèle idéal d'éducation et de civilisation. L'attitude intellectuelle principale de l'humanisme est le retour à l'authenticité des textes des Anciens, considérés comme fondateurs de la culture, si bien que l'humanisme est étroitement lié à la naissance de la philologie comme art de la restitution et de l'interprétation des œuvres du passé. Le caractère principal de la philosophie humaniste est la position centrale donnée à l'homme, médiateur entre les degrés de l'être et même, à l'égal du démiurge de Platon, artisan du monde politique et historique. Ainsi l'humanisme donne-t-il à la vie active la primauté sur la vie contemplative, et conçoit-il la nature de l'homme comme constitutivement morale et politique : l'humanité est considérée comme le produit d'une éducation qui permet à l'homme de s'élever aux niveaux suprêmes de l'être, s'arrachant à l'animalité, à laquelle il appartient par son corps et ses pulsions. L'élévation de l'homme est donc le fruit d'une volonté d'émancipation et d'autodétermination par la raison. Une image récurrente de l'homme à la Renaissance était celle du centaure, tiraillé entre le sensible et l'intelligible.

L'humanisme comme catégorie historique

C'est avec Pétrarque (1304-1374) ou Coluccio Salutati (1331-1406) qu'apparaît le terme humanista pour désigner celui qui s'adonne aux études littéraires, studia humanitatis, héritage des disciplines « libérales » des anciens écrivains latins(3). C'est donc un geste d'auto-définition qui signifie avant tout un refus, la mise à l'écart de toutes les préoccupations savantes qui, portant sur la nature, l'être, ou Dieu, négligent ce qui fait réellement l'homme : son passage transitoire et mondain qui doit être jugé par la qualité morale et politique de ses actions. C'est ainsi que l'on a pu définir l'humanisme comme un mouvement essentiellement « civil », celui de Salutati ou de Leonardo Bruni (1374-1444), qui cherche par l'éducation, en particulier par la familiarité avec les humanités, à former l'homme nouveau, c'est-à-dire le civis, le « citoyen », défini par son action au sein d'une communauté historique et politique. L'humanité devient ce que l'on conquiert en entrant dans une communauté politique, par une éducation morale qui doit libérer l'homme de toute parenté initiale avec les instincts de l'animal. Ainsi la place centrale de l'homme dans l'univers humaniste est-elle celle d'un médiateur entre plusieurs niveaux, le sensible, l'intelligible, la matière et l'esprit, liés dans l'âme humaine.

Le projet éducatif humaniste va de pair avec le refus de l'enseignement universitaire médiéval, notamment du langage technicisé de la scolastique, tenu pour être une source de vaines ergoteries, sans aucune prise sur le réel. En revanche, les arts du discours (grammaire, poésie, rhétorique) permettent à l'humaniste d'articuler sa pensée dans un discours adapté aux situations singulières et contingentes de l'existence. C'est pourquoi les humanistes adoptent en particulier l'argumentation du discours rhétorique, fondé sur le « sens commun » et attentif à saisir toutes les circonstances de chaque situation.

Mais l'originalité de l'humanisme tient aussi au fait que le retour à la tradition se traduit par une nouvelle façon de lire les Anciens, et par là, de les interpréter. Le souci d'authenticité conduit les humanistes à mettre au point des stratégies de restitution et de lecture des textes qui peuvent être définies comme philologiques. La tradition cesse d'être une source d'autorité pour être soumise à une approche critique : l'humaniste est conscient que les textes que l'on considère comme originaux sont souvent le résultat d'une transmission lacunaire, éventuellement manipulée. Les humanistes deviennent ainsi les premiers historiens de la philosophie au sens moderne, grâce à leur lecture critique des œuvres de Platon, d'Aristote, mais aussi de Lucrèce.

L'humanisme comme idée de l'homme

C'est du Discours sur la dignité de l'homme (1486) de Jean Pic de la Mirandole que l'on peut dater l'idée de l'homme, centre et médiation de l'univers. Bien plus tard, Ludwig Feuerbach(4) adopte le terme « humanisme » pour remplacer par une anthropologie les conceptions théologique et métaphysique de l'homme. Après avoir partagé l'humanisme de Feuerbach(5), Karl Marx lui reprochera de renvoyer somme toute à une nature humaine universelle(6), tandis que pour Marx l'anthropologie doit être radicalement historique, sociale et économique, refusant tout reliquat d'« essence ».

C'est en soulignant que l'homme n'a pas d'essence mais seulement une existence que Jean-Paul Sartre présente l'existentialisme comme un humanisme, mettant au centre la notion de projet par laquelle l'individu constitue son humanité(7). Mais Martin Heidegger, dans la Lettre sur l'Humanisme(8), prend position contre l'interprétation humaniste et existentialiste de la phénoménologie que proposait Sartre. Pour Heidegger, en fait, Sartre n'a fait qu'inverser les termes de la métaphysique occidentale, remplaçant l'essence par l'existence. L'existence est, au contraire, ek-sistence, ouverture au véritable être et non simple opposition à l'essence. En définitive, l'humanisme ne constitue pour Heidegger qu'une étape de l'histoire de la métaphysique.

Considéré longtemps comme une époque littéraire ou artistique, l'humanisme représente aujourd'hui une véritable position philosophique dont le trait principal est : une position anthropologique non anthropocentrique, considérant l'humanité comme le résultat d'un processus de libération et d'une éducation dont le succès n'est pas garanti a priori.

Fosca Mariani Zini

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Cicéron, De oratore, 1, 71 ; 2, 72, etc.
  • 2 ↑ Niethammer, F., Der Streit des Philanthropismus und Humanismus in der Theorie des Erziehungsunterrichts unserer Zeit, Jena, 1818.
  • 3 ↑ Cicéron, Pro Archia, I. I-III. 4.
  • 4 ↑ Feuerbach, L., Principes de la philosophie de l'avenir, 1843.
  • 5 ↑ Cf. Marx, K., Manuscrits économico-philosophiques, 1844 (publiés en 1932).
  • 6 ↑ Id., Thèses sur Feuerbach, 1845 (publiées par Friedrich Engels en 1888).
  • 7 ↑ Sartre, J.-P., L'existentialisme est un humanisme, Nagel, Genève, 1946.
  • 8 ↑ Heidegger, M., Lettre sur l'humanisme, Gallimard, Paris, 1966.
  • Voir aussi : Pic de la Mirandole, J., Discours sur la dignité de l'homme, Œuvres philosophiques, trad. fr. O. Boulnois et G. Tognon, PUF, Paris, 1993.
  • Schiller, F.C.S., Études sur l'humanisme (1906), trad. fr. Paris, 1909.
  • Schmitt, Ch.B. & Skinner, Q. (edd.), The Cambridge History of Renaissance Philosophy, Cambridge, 1988.

→ action, active / contemplative (vie), cosmologie, dialectique, éthique, interprétation, microcosme-macrocosme, philologie, platonisme

Morale, Politique

Conception indissociablement pédagogique, éthique et politique du savoir, selon laquelle ce dernier est indispensable à la perfection humaine. Cette conception est fréquemment identifiée aux courants littéraires et philosophiques de la Renaissance qui l'ont développée, au point que le mot lui-même est très souvent utilisé dans son sens historique et critique plutôt que dans son sens philosophique.

La conception latine de la culture englobe sous le nom d'« humanité » la plénitude de la réalisation de la nature humaine dans l'individu et les savoirs humains (en particulier, les belles-lettres) en tant qu'ils contribuent à la culture et à l'achèvement de cette plénitude. On parlera ainsi de « toutes les parties de l'humanité » pour désigner toutes les branches du savoir humain(1).

C'est à cette conception du savoir et des lettres comme éléments déterminants de l'humanisation de l'homme que les philologues, les poètes et les philosophes de la Renaissance se réfèrent. Leur humanisme désigne alors l'accomplissement, par le savoir, de l'homme conçu comme puissance. Dans cette perspective, l'humanisme marque une rupture importante avec la projection dans l'au-delà des fins ultimes de l'homme, puisque la thèse de l'actualisation des puissances de l'humanité fait fond sur une conception intellectuelle (et non spirituelle) de la félicité. Ainsi, les outils philologiques rigoureux par lesquels les humanistes restituent à l'Occident le legs culturel païen sont aussi les outils philosophiques de la naissance de la modernité comme affirmation de l'universalité de la forme humaine dans chaque homme(2). Il n'y a pas de rupture entre les puissances naturelles de l'humanité et les moyens techniques de l'érudition qui les développe, et il n'y a donc pas de rupture entre la bonne nature de l'homme et la perfection de la culture qui réalise cette nature. Cette double continuité constitue le sens philosophique de l'humanisme.

Cependant, le mot même d'« humanisme » n'apparaît qu'au xviiie s., dans le cadre d'une histoire littéraire puis philosophique qui l'identifie à la Renaissance. Le concept historico-critique a, dès lors, tendance à recouvrir le concept philosophique en n'y lisant qu'une « anthropolâtrie » simpliste(3), en l'élevant au rang de philosophie de la modernité par excellence, ou en le réduisant à sa composante morale(4).

L'enjeu de l'humanisme est alors par métonymie celui d'une philosophie de la modernité dont on se borne à constater l'obsolescence : dégradé, d'un côté, dans l'humanitarisme du bon sentiment ; et renié, de l'autre, comme paradigme du subjectivisme bourgeois(5), l'humanisme philosophique n'échappe à ses détracteurs qu'en se réfugiant dans une confusion historique savante. Ne subsiste alors plus qu'une question : la philosophie peut-elle penser l'universalité de la condition humaine sans se borner à généraliser sa condition présente ?

Sébastien Bauer et Laurent Gerbier

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Cicéron, De l'orateur, I, 71, tr. E. Courbaud (1922), Les Belles Lettres, Paris, 1967, p. 30.
  • 2 ↑ Montaigne, M. de, Essais (1580-1595), III, 2, édition P. Villey (1924), PUF, Paris, 1992, vol. III, p. 805.
  • 3 ↑ Heidegger, M., Lettre sur l'humanisme (1946), tr. R. Munier, in Questions III, Gallimard, Paris, 1966, rééd. Tel, 1990.
  • 4 ↑ Sartre, J.-P., L'existentialisme est un humanisme (1946), Nagel, Genève, 1970.
  • 5 ↑ Engels, F., et Marx, K., La Sainte Famille, ou critique de la critique critique (1845), tr. M. Rubel (1982), dans Philosophie, Gallimard, Folio, Paris, 1994, pp. 248 sq.

→ culture, éducation, homme, sujet

→  « L'humanitaire est-il un humanisme ? »