Muhammad Abd-al Rauf Arafat, dit Yasser Arafat
Homme politique palestinien (Le Caire 1929-Clamart, Hauts-de-Seine, 2004).
1. Une jeunesse militante
Les premières années de la vie de Yasser Arafat sont d'autant plus mal connues qu'il en a donné des versions contradictoires. Il serait né en 1929 au Caire dans une famille de la classe moyenne musulmane palestinienne installée en Égypte, mais apparentée à de grandes familles palestiniennes. Il passe son enfance entre l'Égypte et la Palestine et est certainement influencé par l'ambiance très politisée qui règne dans ces deux pays. Sa participation à la guerre israélo-arabe de 1947-1949 reste controversée. Il apparaît clairement comme leader des étudiants palestiniens au Caire à partir du début des années 1950.
C'est aussi un proche des Frères musulmans égyptiens, organisation qui milite le plus activement en faveur de la cause palestinienne. Son activisme politique explique qu'il obtient tardivement son diplôme d'ingénieur (1956). En 1958, il se rend au Koweït pour se lancer dans une carrière de chef d'entreprise. C'est dans cet émirat qu'il fonde en 1959, avec plusieurs compagnons ayant une trajectoire semblable à la sienne (Palestiniens exilés issus des classes moyennes et ayant fait des études supérieures), le Mouvement de libération de la Palestine, ou Fatah.
2. La lutte armée
Le Fatah est une organisation secrète qui recrute essentiellement parmi les jeunes exilés palestiniens instruits. Des contacts sont pris avec les mouvements révolutionnaires et progressistes de la région, en particulier, en Algérie. En 1964, la création de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), sous la direction d'Ahmad Chuqayri et sous le contrôle de l'Égypte nassérienne, pousse le Fatah à l'exécution de son programme, la lutte armée contre Israël. L'organisation, qui ne dispose que de moyens dérisoires, lance sa première opération le 31 décembre 1964. Elle obtient le soutien de la Syrie baassiste. Mais cette dernière veut prendre le contrôle du mouvement, d'où des relations tumultueuses entre les deux partenaires, qui valent à Yasser Arafat plusieurs arrestations en 1966 à Damas et le début d'une inimitié durable avec Hafiz al-Asad.
Au lendemain de la défaite de juin 1967 (→ troisième guerre israélo-arabe), dont le Fatah porte une partie des responsabilités, Yasser Arafat tente de créer un mouvement de résistance en Cisjordanie occupée.
Devant la répression israélienne et après avoir risqué plusieurs fois de se faire arrêter, il se replie en Jordanie, destinée à devenir la base arrière des opérations de lutte armée. La tentative israélienne de frapper durement le camp de réfugiés palestiniens de Karameh se traduit par un combat où les Israéliens essuient des pertes relativement lourdes (mars 1968). Cette demi-victoire donne à la révolution palestinienne un élan impétueux. Elle permet aux organisations de résistance de prendre, au nom de la lutte armée, le contrôle de l'OLP. Yasser Arafat quitte la clandestinité pour devenir le porte-parole du Fatah puis, en février 1969, le président de l'OLP.
Pour en savoir plus, voir l'article Organisation de libération de la Palestine (OLP).
3. Le chef de l'OLP
3.1. La crise palestino-jordanienne : « septembre noir »
Cumulant rapidement la direction du Fatah et de l'OLP, Yasser Arafat devient la principale personnalité palestinienne. Néanmoins, la direction du Fatah reste collégiale, et le président de l'OLP impose difficilement son autorité sur la nébuleuse d'organisations qui compose la centrale palestinienne. La lutte armée se révèle contradictoire avec l'acceptation par les États arabes d'une solution politique fondée sur la résolution 242 de l'ONU (novembre 1967). Le comportement anarchique et indiscipliné des combattants palestiniens multiplie les occasions de confrontation avec l'armée jordanienne. L'épreuve de force devient inévitable quand Nasser puis le roi Husayn de Jordanie acceptent le plan américain de paix, en juillet-août 1970. La crise éclate au mois de septembre 1970 et l'armée jordanienne brise les forces palestiniennes (« septembre noir »). Celles-ci seront chassées du territoire jordanien dans les premiers mois de 1971.
3.2. La reconnaissance internationale
Yasser Arafat installe la direction palestinienne au Liban, où la lutte armée contre Israël a été acceptée par les accords du Caire en 1969. En même temps, par le biais de l'organisation Septembre noir, le Fatah choisit la voie terroriste pour venger les victimes de la tragédie jordanienne. Au Liban, la gauche musulmane et progressiste se rallie aux Palestiniens, tandis que l'État perd progressivement le contrôle d'une partie de son territoire. Les « chrétiens conservateurs », inquiets, prennent les armes. La quatrième guerre israélo-arabe (octobre 1973) se fait sans la participation des Palestiniens. Mais les États arabes qui s'engagent dans le processus de paix ne veulent pas d'un second « septembre noir », et décident donc de faire de l'OLP un acteur indispensable du règlement final : au sommet arabe de Rabat, en octobre 1974, l'OLP est reconnue comme seule représentante légitime du peuple palestinien. Dans la foulée, l'ONU reconnaît à la centrale palestinienne le statut d'observateur et le droit des Palestiniens à l'autodétermination. Yasser Arafat devient une personnalité mondiale qui s'adresse à l'Assemblée générale de l'ONU (novembre 1974).
4. Dans la tourmente libanaise
Voulant éviter un « septembre noir » au Liban, les Palestiniens s'engagent dans la guerre civile libanaise en appuyant le « mouvement national » libanais (avril 1975). De terribles atrocités sont commises par les combattants. En 1976, le mouvement national semble l'emporter, mais la Syrie de Hafiz al-Asad intervient militairement pour imposer sa tutelle sur les belligérants. Les « palestino-progressistes » combattent les troupes syriennes. Les combats cessent en octobre 1976, sans qu'une réelle solution politique ait été trouvée.
L'OLP de Yasser Arafat constitue alors au Liban un véritable « État dans l'État », avec de multiples services sociaux. Le chef de l'organisation a imposé son autorité grâce au contrôle des finances et à la multiplication des relations de clientèle. Les contacts restent malaisés avec la Syrie, qui, pourtant, s'oppose à partir de 1978 au camp chrétien. Yasser Arafat essaie de placer son organisation dans les futures négociations en faisant reconnaître la possibilité de créer un État palestinien dans les territoires occupés. Les accords de Camp David (1978-1979) éloignent cette perspective et les Israéliens tentent d'éliminer l'OLP en 1978 en menant l'« opération Litani ». Et surtout, en 1982 en envahissant le Liban.
Yasser Arafat incarne la résistance d'un Beyrouth-Ouest assiégé de juin à septembre 1982 et obtient l'évacuation négociée de ses hommes vers la Tunisie et le Yémen. Le siège de l'OLP est déplacé à Tunis.
En 1983, la Syrie suscite une mutinerie au sein du Fatah. Yasser Arafat se précipite au Liban pour reprendre le contrôle de la situation. Il est encerclé avec ses partisans dans la ville de Tripoli, qu'ils finissent par évacuer sous protection française (décembre 1983). Dès lors, son mouvement tente à plusieurs reprises de reprendre pied au Liban, d'où des confrontations sanglantes avec les forces chiites. À la fin des années 1980, les Palestiniens sont éliminés de fait de la scène politique libanaise, toutes les composantes de la société les rejetant massivement.
5. L'abandon de la lutte armée
5.1. Vers une solution politique
Yasser Arafat abandonne sans le dire le programme de la lutte armée pour la solution politique. Il se rapproche du roi Husayn et de l'Égypte de Hosni Moubarak après des négociations complexes, destinées à obtenir la constitution d'une conférence internationale de la paix où les Palestiniens seraient représentés. Ces tentatives échouent. Pourtant le Fatah, se désengageant progressivement du Liban, se retrouve de plus en plus présent dans les territoires occupés, alors que la question palestinienne semble passer au second plan des préoccupations arabes. Le mouvement joue un rôle de premier plan dans le soulèvement palestinien de l'Intifada, déclenchée en décembre 1987. Il redevient un acteur essentiel pour tout règlement de paix dans la région.
5.2. La condamnation du terrorisme et la reconnaissance de l'État d'Israël
Renforcée par l'abandon des prétentions jordaniennes sur les territoires palestiniens, l'OLP peut, dans un même mouvement, proclamer la création de l'État palestinien, la reconnaissance de l'État d'Israël et l'arrêt du terrorisme (novembre-décembre 1988). Les États-Unis acceptent d'ouvrir un dialogue politique avec la centrale palestinienne, mais Israël s'opposant à cette démarche, ils échouent à débloquer la situation.
5.3. Les accords de Washington
En 1990, l'OLP, déçue de l'absence de résultats, se rapproche de plus en plus de l'Iraq. Durant la crise provoquée par l'occupation du Koweït par les forces irakiennes en août 1990, l'organisation est manipulée par Saddam Husayn. En dépit des réticences d'une partie de son entourage, Yasser Arafat s'engage du côté irakien, ce qui lui vaut la perte du soutien des pays du Golfe. En 1991, la centrale palestinienne apparaît comme une grande perdante de la guerre du Golfe.
Elle joue néanmoins un rôle essentiel dans la composition d'une délégation conjointe jordano-palestinienne lors de la conférence de Madrid et des négociations de Washington. Yasser Arafat, soucieux d'éviter toute émergence d'une représentation politique indépendante, exerce un contrôle permanent sur les entretiens de Washington tout en multipliant les canaux secrets de négociation avec Israël par le biais de l'Égypte et de la Norvège. Il approuve ainsi l'accord de Washington ou d'Oslo, conclu en septembre 1993, ce qui lui vaut le prix Nobel de la paix avec Yitzhak Rabin et Shimon Peres en 1994.
6. Le président de l'Autorité nationale palestinienne
Grâce à cette négociation, Yasser Arafat retrouve une place de premier rang en tant qu'organisateur de l'autonomie palestinienne. En juillet 1994, il s'installe à Gaza et en Cisjordanie. Il tente de négocier des compromis politiques avec les islamistes, qui ont repris à leur compte la doctrine de la lutte armée. L'exécution de l'accord de Washington, au contenu flou, se révèle difficile. Le processus est ponctué de crises avec Israël.
En septembre 1995, l'accord dit Oslo II permet la tenue d'élections en janvier 1996. Yasser Arafat est élu président de l'Autorité nationale palestinienne (ANP). Il réussit la transformation de l'OLP, expression politique des Palestiniens de l'extérieur, en Autorité nationale palestinienne, représentant les Palestiniens de l'intérieur par la multiplication des compromis avec les structures sociales conservatrices du pays.
Pour en savoir plus, voir l'article Autorité nationale palestinienne (ANP).
Pour asseoir son autorité et lutter contre les islamistes, Yasser Arafat constitue un régime policier et autoritaire. Après la crise permanente de l'époque du gouvernement israélien de Benyamin Netanyahou, il entreprend une nouvelle négociation malaisée avec le gouvernement d'Ehoud Barak élu en mai 1999. Lors du sommet de Camp David (juillet 2000), les deux parties rapprochent considérablement leurs positions sur les frontières du futur État palestinien, le partage de Jérusalem et le sort des réfugiés, sans toutefois parvenir à un accord.
7. La seconde Intifada (2000-2004)
7.1. Isolé sur la scène internationale
Si Yasser Arafat ne semble pas responsable de l'explosion de violence de la fin septembre 2000, il paraît avoir voulu l'utiliser pour faire avancer ses revendications. La dernière phase des négociations jusqu'en janvier 2001 permet, en effet, des avancées considérables en faveur des thèses palestiniennes, mais les Israéliens font immédiatement savoir qu'ils ne se sentent pas liés par les conclusions des médiateurs internationaux.
Après l'arrivée au pouvoir d'Ariel Sharon, les deux parties s'enfoncent dans la violence. Yasser Arafat accepte toutes les propositions de médiation américaines mais, semble-t-il, sans vouloir sérieusement les appliquer. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, il multiplie les démonstrations de solidarité avec les États-Unis tout en continuant de faire l'apologie du soulèvement et en lançant épisodiquement des épreuves de force avec les islamistes. Sa crédibilité diminue régulièrement. En mars 2002, il est assiégé par les Israéliens dans son quartier général de Ramallah, en grande partie détruit. En juin, George Walker Bush exige des réformes drastiques de l'Autorité nationale palestinienne qui impliquent l'éviction d'Arafat de toutes ses positions de commande.
7.2. Bilan
Vieilli et malade, Yasser Arafat doit faire face à une montée des oppositions internes, mais celles-ci sont disparates et contradictoires. Reclus à Ramallah (décembre 2001-mai 2002), il conserve un important capital de popularité au sein de la société palestinienne et il contrôle toujours les deux principaux leviers de pouvoir que sont les ressources financières de l'ANP et les services de sécurité. En dépit du boycott organisé par les Américains et les Israéliens, il reste le personnage essentiel sur la scène politique palestinienne. La tentative de faire émerger une solution alternative, telle la mise en place du Premier ministre Mahmud Abbas, échoue, et tout règlement politique, tel celui proposé par la « feuille de route », passe par son approbation préalable.
À la fin octobre 2004, Arafat tombe malade et est hospitalisé en France. Il meurt le 11 novembre avant d'être inhumé à Ramallah. L'élection de son successeur, Mahmud Abbas, est organisée dans le délai de 40 jours prévu par la Loi fondamentale.
Chef de guerre révolutionnaire et redoutable tacticien politique rompu à la lutte pour le pouvoir, il avait assis son autorité par sa capacité à incarner la revendication palestinienne. Mais par son jeu permanent de construction de clientèles et de division des institutions, il n'a pas su montrer les indispensables qualités de bâtisseur d'État que l'on attendait de lui. Il n'en reste pas moins qu'il a été la seule personnalité palestinienne qui se soit montrée capable de proposer un compromis historique avec les Israéliens.
Pour en savoir plus, voir les articles Palestine, Question palestinienne.