Hafiz al-Asad ou Hafez el-Assad
Général et homme d'État syrien (Qardaha, près de Lattaquié, 1930-Damas 2000).
1. Ascension politique
1.1. Le milieu alawite
Hafiz al-Asad appartient à la communauté des Alawites, communauté religieuse hétérodoxe issue du chiisme. Les vicissitudes de l'histoire les ont amenés à se réfugier dans les montagnes syriennes proches de la Méditerranée. C'était une population de paysans pauvres, méprisés par les autres musulmans et durement traités par les autorités. Leur cohésion était assurée par un regroupement solidaire en tribus et en clans, ce qui n'empêchait pas de violentes luttes pour le pouvoir. Durant leur mandat sur la Syrie, les Français ont cherché à s'appuyer sur ce groupe humain en lui offrant un affranchissement social et économique. Le père de Hafiz était un petit notable rural particulièrement énergique, ce qui lui a valu le surnom d'al-Asad, « le lion ». Il s'est attaché à ce que ses onze enfants reçoivent une éducation moderne. À neuf ans, Hafiz est envoyé à l'école dans la grande ville littorale de Lattaquié. Il est un des rares dans son milieu à pouvoir faire des études secondaires durant les années chaotiques de la Seconde Guerre mondiale et de la fin du mandat français.
1.2. Le jeune militant
Dès l'âge de seize ans, le jeune homme devient un nationaliste arabe et un militant du parti Baath, qui vient d'être fondé. Ce mouvement politique attire déjà un nombre considérable de jeunes Alawites éduqués, qui y trouvent un dépassement des cadres communautaires, précieux pour des gens venus d'un groupe méprisé et accusé de collaboration avec les Français. Dès cette époque, le jeune homme s'oppose au mouvement islamiste sunnite des Frères musulmans dans des rixes politiques. Il combat aussi les courants politiques rivaux des communistes et du parti populaire syrien (PPS), qui veut une Grande Syrie et qui refuse l'identité arabe. En 1951, Hafiz al-Asad devient le président de l'Union des étudiants syriens, son premier poste d'envergure nationale. C'est déjà une réussite exceptionnelle pour un Alawite.
La même année, il entre dans l'armée, seul moyen pour lui de faire des études supérieures. En 1955, il devient officier pilote dans la toute jeune aviation syrienne. L'armée syrienne est en pleine expansion en raison du conflit israélo-arabe et recrute massivement dans les milieux minoritaires, la bourgeoisie sunnite urbaine n'envoyant pas ses enfants dans les institutions militaires. Et depuis 1949, l'armée s'est imposée par une série de coups d'État comme un acteur essentiel dans le jeu politique syrien.
1.3. Le comploteur
Militant politique dans l'armée la plus politisée du monde arabe, Hafiz al-Asad participe directement aux événements de la « lutte pour la Syrie ». Sa carrière militaire est favorisée par le poids croissant de son parti. Il suit des cours de formation en Égypte et en Union soviétique. C'est d'abord un partisan de l'union entre la Syrie et l'Égypte (la République arabe unie ou RAU), mais comme la plupart des Syriens, il est rapidement désillusionné. En 1959, il est transféré en Égypte, en 1960, il est l'un des fondateurs du « comité militaire » clandestin, composé d'officiers baassistes cherchant à reconstruire leur parti dissous depuis 1958. Après la dissolution de la RAU, il rentre en Syrie (fin 1961) et participe à une vie politique agitée de coups d'État successifs. Il est l'un des organisateurs du coup d'État du 8 mars 1963, qui amène le parti Baath au pouvoir.
1.4. La lutte pour le pouvoir
Le comité militaire cherche à prendre le contrôle du parti Baath. Après trois ans de conflit, cette faction se saisit du pouvoir et élimine les fondateurs du mouvement. Ce « néo-Baath », aux positions extrémistes, s'oppose au Baath iraquien, qui se veut le continuateur de la légitimité des fondateurs. Chef de l'armée de l'air à partir de 1963, Hafiz al-Asad devient ministre de la Défense en février 1966. L'armée se scinde alors en factions à base communautaire. Le groupe druze est éliminé au début de 1967. Trop impliquée dans la politique, l'armée syrienne est défaite lors de la guerre de juin 1967 contre Israël, qui se conclut par la perte du plateau du Golan (troisième guerre israélo-arabe). Hafiz al-Asad continue sa marche vers le pouvoir en éliminant successivement tous ses rivaux, y compris alawites. Après avoir refusé la participation de l'armée syrienne dans le septembre noir jordanien en 1970, il se saisit du pouvoir suprême le 13 novembre de la même année.
2. Au pouvoir
2.1. Le mouvement de rectification
Dès sa prise de pouvoir, Hafiz al-Asad se présente en « correcteur » des excès de la période précédente, ce qui lui vaut une certaine popularité. Le 12 mars 1971, il devient président de la Syrie, élu au suffrage universel. Il en est aujourd'hui à son cinquième septennat consécutif, après une suite de réélections triomphales. Le parti Baath devient une organisation de masse chargée d'encadrer la population et l'État. La Syrie rétablit des relations confiantes avec les autres États arabes et prépare, avec l'Égypte, la reprise du combat contre Israël. L'Arabie saoudite soutient cette collaboration. Durant la guerre d'octobre 1973, l'armée syrienne prend pour la première fois l'offensive et se bat courageusement (quatrième guerre israélo-arabe). Elle est repoussée par les Israéliens au prix de lourdes pertes. Israël réplique en détruisant l'infrastructure économique de la Syrie par une série de raids aériens. Hafiz al-Asad est prêt à lancer une contre-offensive quand Anouar el-Sadate accepte un cessez-le-feu soutenu par les États-Unis.
Faisant entrer son pays dans le processus de paix dirigé par les États-Unis en la personne de Henry Kissinger, Hafiz al-Asad obtient un accord de désengagement qui rend à la Syrie une partie du Golan (mai 1974). Il se prononce pour l'application des résolutions 242 et 338, qui, selon lui, prévoient l'évacuation de tous les territoires occupés en échange de la paix.
2.2. La vision politique régionale
Le président syrien se présente toujours comme un partisan de l'unité arabe ; il a d'ailleurs accepté une union, formelle et sans réalité concrète, avec l'Égypte et la Libye (1971). L'existence d'un régime baassiste en Iraq provoque un conflit de légitimité qui oppose les deux pays au lieu de les rapprocher.
Son champ d'activité réelle est la « Grande Syrie », ou « Syrie naturelle », qu'il considère, à l'instar de beaucoup de ses compatriotes, comme ayant été dépecée en 1920 par les Occidentaux. Dans ce cadre de réflexions, il a tendance à juger que la question palestinienne est trop importante pour être laissée aux seuls Palestiniens, que les Libanais et les Syriens forment un même peuple divisé en deux États et que Damas doit exercer une sorte de tutelle sur la politique jordanienne.
2.3. L'intervention au Liban
Au début de la guerre civile libanaise (1975), la Syrie se présente en médiatrice et garante d'un réaménagement constitutionnel. En 1976, elle s'engage militairement du côté du camp chrétien contre les « palestino-progressistes » en avançant comme motif la réintégration des chrétiens dans le camp arabe. Hafiz al-Asad veut aussi mettre fin à la concurrence idéologique des progressistes et des Palestiniens sur la scène arabe. La Ligue arabe impose un cessez-le-feu et transforme la présence syrienne en force arabe de dissuasion. Israël fait savoir, par l'intermédiaire des États-Unis, l'existence de « lignes rouges » interdisant l'entrée des forces syriennes au Liban-Sud, qui devient le sanctuaire des Palestiniens (octobre 1976). Les accords de Camp David (septembre 1978) entraînent un renversement des alliances, les chrétiens devenant la cible des bombardements, tandis que les Palestiniens prennent la fonction d'un allié encombrant.
2.4. La crise intérieure du régime
À partir de 1977, la Syrie est victime d'une série d'attentats qui visent les symboles du régime. On accuse d'abord les Iraquiens puis le mouvement des Frères musulmans. Il est certain que la population sunnite ne supporte pas la domination alawite. Hafiz al-Asad répond à ces attentats, qui se transforment en 1981-1982 en soulèvements sanglants, par une répression terrible faisant plusieurs dizaines de milliers de morts, en particulier à Hama en février 1982. Il s'ensuit une dépolitisation de la population qui s'accommode davantage du régime qu'elle ne le soutient.
À peine sorti de cette terrible épreuve de force, Hafiz al-Asad doit faire face à l'invasion israélienne du Liban en juin 1982. Après de furieux combats, l'armée syrienne est contrainte de se retirer de la région de Beyrouth. Le gouvernement d'Amine Gemayel, les Américains et les Israéliens se comportent comme si les Syriens ne jouaient plus aucun rôle au Liban.
2.5. La reconquête du Liban
Hafiz al-Asad décide de jouer sur l'utilisation des multiples fractures libanaises. Il suscite une mutinerie chez les Palestiniens pour éliminer les partisans d'Arafat du Liban. Il soutient la montée en puissance des chiites du mouvement Amal et du Hezbollah, qui sont le fer de lance de la lutte contre les Israéliens et le gouvernement légal libanais. Ses services participent à la préparation des attentats contre la force multinationale occidentale. En 1984, sa victoire est certaine. Mais il ne réussit pas à établir une paix syrienne au Liban.
Sur le plan interarabe, il prend une position intransigeante dans la question du processus de paix et s'oppose aux projets de conférence internationale avec une délégation commune jordano-palestinienne. Il s'allie avec l'Iran, en guerre contre l'Iraq baassiste, et reçoit l'appui de l'Union soviétique de Iouri Andropov, qui soutient sa tentative d'arriver à une parité militaire avec Israël. Durant toute cette période, les Syriens multiplient les actes « terroristes » au Liban et à l'étranger, considérés comme la réponse aux opérations de même type menées contre eux sur leur propre sol.
Pour en savoir plus, voir l'article guerre du Liban.
2.6. La recomposition de la politique syrienne
La politique de Mikhaïl Gorbatchev et le déclin de l'Union soviétique mettent fin au soutien de Moscou en faveur de la Syrie. Hafiz al-Asad est obligé de se rapprocher de l'Égypte d'Hosni Moubarak et de la Jordanie. Il abandonne le radicalisme de son discours et compose avec les Américains sur la question libanaise. Après la fin de la guerre entre l'Iraq et l'Iran (→ guerre Iran-Iraq, 1988), le Liban devient le nouveau champ d'affrontements entre les deux régimes baassistes. En 1990, le général Michel Aoun se lance dans une guerre de « libération » contre la Syrie. Mise un moment en difficulté, cette dernière voit son rôle reconnu par les accords de Taif (octobre 1989). Durant la guerre du Golfe, Hafiz al-Asad aligne son pays sur la coalition contre l'Iraq. Cela lui permet d'éliminer définitivement les partisans du général Aoun (octobre 1990) et d'établir un protectorat de fait sur le Liban en reconstruction.
2.7. La Syrie dans le processus de paix
Hafiz al-Asad engage son pays dans le processus de paix sous patronage américain. La position syrienne est intransigeante : la paix ne peut se faire qu'en contrepartie d'une évacuation totale des territoires perdus par les Syriens en juin 1967. La Syrie, semblant isolée à plusieurs reprises à la suite du progrès de la négociation entre Israéliens et Palestiniens et de la paix entre Israël et la Jordanie, utilise la guérilla du Hezbollah au Liban-Sud comme moyen de pression. En 1995-1996, des progrès sensibles sont enregistrés dans la négociation entre Israël et la Syrie. En 1999-2000, après le refroidissement de la période Netanyahou, celle-ci reprend sur les mêmes bases.
2.8. Le gouvernement intérieur
Hafiz al-Asad ne se borne pas à la seule répression pour gouverner son pays. Dans les années 1970, il tente une première ouverture économique dont les résultats n'ont été probants qu'en raison de l'afflux de la rente pétrolière. Dans la seconde moitié des années 1980, la crise économique conduit à une seconde ouverture qui augmente le champ d'action du secteur privé. Les résultats positifs se font sentir dans les premières années de la décennie 1990, mais le retour au marasme intervient à la fin des années 1990. Sur le plan social, le rôle du parti Baath décline au profit des « indépendants », nouvelle et ancienne bourgeoisies ralliées au régime. Des concessions sensibles sont faites au sentiment musulman à condition de se tenir à l'écart du champ politique. Il n'en reste pas moins que le régime reste autoritaire et policier et que le contrôle de l'information est un frein considérable au développement économique.
2.9. La succession
Malade depuis des années, Hafiz al-Asad a cherché à placer comme successeur son fils aîné Basil, mort accidentellement en janvier 1994. Il l'a remplacé par son second fils, Bachar, présenté comme un réformateur moderne. Le frère de Hafiz, Rifat, qui a été l'homme de maintes répressions sanglantes, s'est depuis longtemps posé comme l'ultime recours pour une communauté alawite inquiète de son avenir. La lutte entre les deux frères a été en effet une caractéristique essentielle du régime au cours des quinze dernières années. Rifat a été déchu de toutes ses fonctions officielles et exilé.
Pour en savoir plus, voir les articles Syrie : histoire, Syrie : vie politique depuis 1941, Question palestinienne.