Question palestinienne
HISTOIRE
1. Le mouvement national palestinien
1.1. Jusqu'à l'occupation britannique
Émergence de l'identité palestinienne
L'identité palestinienne moderne émerge dans la seconde moitié du xixe siècle. La conscience d'appartenance régionale se fonde aussi bien sur la spécificité d'une Terre sainte musulmane et chrétienne que sur les transformations administratives en cours. La création d'un sandjak (département) de Jérusalem indépendant de Damas fait de Jérusalem la capitale administrative de la région, tandis que les arrondissements du Nord dépendent de Beyrouth. Le terme « Palestine » redevient d'usage courant pour les Européens comme pour les Ottomans. Les grands notables des villes palestiniennes entrent au service de l'administration ottomane et font carrière un peu partout dans l'Empire. Ce sont des « ottomanistes », c'est-à-dire des partisans du maintien de l'Empire.
Après la révolution jeune-turque de 1908, ces notables maintiennent leur engagement « ottomaniste » et servent le nouveau régime. Mais une jeunesse éduquée, issue des branches cadettes de familles de notables ou des classes moyennes, commence à demander des mesures de décentralisation administrative. L'autonomisme arabe proprement dit a peu d'écho en Palestine, sauf dans la région de Naplouse qui, dès avant la Première Guerre mondiale, est déjà une place forte du nationalisme arabe. En revanche, dès 1908, l'antisionisme devient la base de l'activité politique palestinienne, tous courants confondus.
Durant la guerre, la jeunesse éduquée se rallie à la révolte arabe partie du Hedjaz, tandis que les anciens ottomanistes se voient confirmés dans leurs positions de pouvoir par les conquérants britanniques. En 1918, les notables établissent des comités « islamo-chrétiens » dans les principales régions de la Palestine et fédèrent le mouvement en un congrès. Ils veulent une Palestine sous mandat international mais sans Foyer national juif. La personnalité la plus importante est Musa Kazim al-Husayni, alors maire de Jérusalem. Les jeunes cherchent au contraire à faire de la Palestine la « Syrie du Sud » appartenant à une grande Syrie, indépendante de la domination européenne. Ils militent dans le cadre de clubs politico-littéraires.
Naissance du nationalisme arabe palestinien
Après l'échec du Royaume arabe de Damas en juillet 1920, ils reviennent en Palestine et élaborent un compromis politique avec leurs aînés. Le troisième congrès islamo-chrétien de Haïfa, qui se tient en décembre 1920, est l'acte de naissance définitif du nationalisme arabe palestinien : il se veut le représentant du « peuple arabe palestinien » qui rejette toutes les revendications sionistes et qui exige un « gouvernement national responsable devant une chambre des députés qu'éliraient les membres du peuple parlant la langue arabe et habitant en Palestine au début de la guerre ».
1.2. Sous le mandat britannique
Hadjdj Amin al-Husayni
Le haut-commissaire britannique en Palestine, Herbert Samuel (1870-1963), oriente le développement politique de la Palestine vers la voie communautaire. Il permet au nouveau et jeune mufti de Jérusalem, Hadjdj Amin al-Husayni (également connu sous le nom de Mohammed Amin al-Husayni), de prendre le contrôle des institutions religieuses musulmanes, ce qui lui donne des moyens importants. Tout en coopérant avec les Britanniques et en leur assurant le calme public, Amin al-Husayni s'affirme comme le représentant d'un nationalisme palestinien radical.
Ses adversaires, les « opposants », regroupés autour de la famille rivale des Nachachibi, se veulent des pragmatiques antisionistes, partisans d'une alliance durable avec la Grande-Bretagne. Cette rivalité de clans familiaux recoupe en partie des clivages entre différents programmes, régions et groupes sociaux. Les congrès arabes palestiniens des années 1920 établissent un « Exécutif arabe », dirigé par Musa Kazim al-Husayni, un vieillard respecté de tous. Son jeune cousin, Hadjdj Amin, tente progressivement de le supplanter. En 1934, à la mort de Musa Kazim, l'Exécutif palestinien est pratiquement dissous et les forces politiques palestiniennes se regroupent autour de partis politiques récemment créés. À côté des organisations de notables, on voit apparaître des groupes radicaux nationalistes arabes ou islamistes (groupe de al-Qassam, qui tente un soulèvement contre les Britanniques en 1935).
L'échec de la révolte arabe de 1936-1939
Lors de la grève générale de 1936, l'ensemble des organisations politiques se regroupe autour du Haut-Comité arabe, dominé par les Husayni (le fils de Musa Kazim, Abd al-Qadir al-Husayni, devient un héros de la lutte contre les Britanniques). En 1937, au moment du premier plan de partage, les Nachachibi font scission et coopèrent avec les autorités mandataires, tandis que les organisations proprement nationalistes sont interdites. Les Husayni choisissent la voie de la radicalisation et de l'exil. Le mufti se réfugie d'abord au Liban puis, en octobre 1939, en Iraq. La destruction de la classe politique palestinienne par les Britanniques fait des États arabes les partenaires de Londres dans la gestion du dossier palestinien.
La Seconde Guerre mondiale
Hadjdj Amin participe à la lutte antibritannique durant la Seconde Guerre mondiale et se réfugie en Allemagne nazie à la fin de 1941. Il espère que Hitler fera de lui le chef de l'ensemble du monde arabe. En 1945, il se livre aux autorités françaises, qui le mettent en résidence surveillée tout en négociant avec lui. L'année suivante, il « s'évade » et s'établit en Égypte, où il reste en contact régulier avec les Français.
La Ligue des États arabes, fondée en 1945, reconnaît la Palestine comme l'un de ses membres. Elle tente d'organiser une représentation politique palestinienne en recréant le Haut-Comité arabe ; dès son retour en Égypte, le mufti en prend la direction. Néanmoins, l'évolution économique et sociale permet l'émergence de nouvelles forces comme celle des premiers groupes marxistes arabes et des syndicats ouvriers. Le Haut-Comité arabe se montre intransigeant dans les négociations d'après-guerre et les Nachachibi optent pour la fusion avec la Jordanie du roi Abdullah.
En 1948, le mufti crée à Gaza un gouvernement de toute la Palestine pour essayer de constituer un État palestinien et s'opposer ainsi à l'annexion par la Jordanie. L'expérience avorte rapidement en raison des défaites militaires en Égypte, qui soutient le gouvernement. En 1949, l'ONU refuse de reconnaître la représentativité de l'organisation du mufti et cesse de considérer les Palestiniens comme des acteurs politiques : ils ont désormais un statut de simples « réfugiés ».
2. Les « réfugiés » palestiniens après 1949
Les réfugiés de 1948 se trouvent regroupés dans des camps établis en Cisjordanie, dans la bande de Gaza, en Transjordanie, en Syrie et au Liban.
L'Égypte refuse la constitution de camps sur son sol. La dispersion s'effectue en fonction des offensives israéliennes qui repoussent la population arabe vers les frontières. La constitution des camps se fait ensuite en fonction des origines géographiques. Les regroupements familiaux achèvent la formation d'ensembles cohérents sur la base d'agglomérations disparues de la Palestine mandataire.
L'ONU crée une institution spéciale, l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA), chargée d'apporter une aide à ces derniers en attendant leur rapatriement prévu par des résolutions de l'Assemblée générale, régulièrement répétées pendant un certain nombre d'années. L'UNRWA s'occupe très tôt du « recasement » de ses administrés, mais il se révèle impossible, au siècle de l'exode rural et de la croissance démographique rapide (souvent plus de 3 % par an), d'opérer le retour de ces personnes majoritairement d'origine rurale.
Les camps, installés le plus souvent à la périphérie des grandes agglomérations, deviennent ainsi des quartiers spécifiques de mégalopoles arabes en formation. L'UNRWA assure un minimum de rations alimentaires et de services sociaux, rendant ainsi l'utilisation de la main-d'œuvre réfugiée bon marché pour les pays hôtes. Sa plus grande réussite est une élévation considérable du niveau éducatif, en particulier des jeunes, correspondant à une forte demande sociale. La main-d'œuvre qualifiée, venant le plus souvent des villes littorales palestiniennes, émigre très tôt vers les pays du Golfe, dont elle est employée à bâtir les infrastructures. Dans les années 1960, elle est rejointe par des gens moins qualifiés. Les réfugiés sont généralement soumis à un strict contrôle policier de la part des pays hôtes.
La bourgeoisie palestinienne réfugiée s'installe dans les grandes villes arabes et forme un milieu d'affaires particulièrement actif dans des pays comme le Liban ou la Jordanie. En Cisjordanie et dans la bande de Gaza, la société traditionnelle d'inspiration rurale conserve ses structures avec la prédominance des relations familiales et claniques, plus atténuées dans la population réfugiée.
En Israël même, la communauté arabe se maintient grâce à sa croissance naturelle ; elle représente alors 14 à 16 % de la population totale de l'État, malgré l'importance de l'immigration juive. On lui accorde les droits politiques individuels tout en la soumettant jusqu'au milieu des années 1960 à la tutelle d'une administration militaire. Ses déplacements sont soumis à autorisation et l'État exerce des subterfuges juridiques pour la déposséder de ses terres. La conséquence de la politique suivie est l'absence d'exode rural et la transformation de villages en agglomérations de plusieurs milliers d'habitants. Les Israéliens fixent ainsi involontairement les Arabes palestiniens dans les campagnes.
3. Yasser Arafat et la résistance palestinienne (1958-2004)
3.1. Création de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP)
Le Haut-Comité arabe du mufti continue d'exercer un rôle politique jusqu'au début des années 1960, en particulier chez les réfugiés du Liban. Une fraction de l'ancienne classe politique palestinienne se rallie à la monarchie jordanienne ou se met au service des pays du Golfe. La relève se fait dans les années 1950 chez les étudiants issus de la bourgeoisie et non des camps. Ces nouveaux militants participent aux révolutions arabes de ces mêmes années.
À partir de 1958, la question palestinienne devient une arme politique dans la confrontation entre régimes arabes qui s'opposent sur la question de l'unité : reconnaître une identité palestinienne propre irait à l'encontre des projets de fusion des différentes parties du monde arabe. Néanmoins, les États arabes sentent la nécessité de canaliser la revendication montante des Palestiniens en constituant une « entité palestinienne ».
Celle-ci, l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), est fondée en 1964 sous le contrôle de la ligue des États arabes. La première OLP recrute essentiellement dans la bourgeoisie formée à l'époque du mandat britannique. Son programme de libération ne concerne ni la Cisjordanie, ni la bande de Gaza. Face à elle, la résistance armée est issue des cadres étudiants des années 1950.
L'organisation la plus importante est le Fatah, fondé en 1957-1958 au Koweït, qui commence ses opérations armées en 1965. Progressivement, Yasser Arafat se distingue des autres fondateurs. À sa gauche se trouve une série d'organisations « progressistes » d'inspiration marxisante ; leur maître à penser est Georges Habache qui s'oriente d'abord vers un nationalisme arabe unitaire. Après 1967, des pays comme la Syrie et l'Iraq suscitent l'apparition d'organisations qui leur sont dévouées.
La guerre des Six-jours (juin 1967)
Pendant la guerre des Six-Jours, Israël s'empare du reste de la Palestine mandataire et annexe la Jérusalem arabe et ses environs. L'occupation israélienne se veut « humaine », mais elle est, dès le début, répressive. Les tentatives d'implantations des organisations de résistance échouent rapidement en Cisjordanie, alors qu'il faut plusieurs années à l'armée israélienne pour parvenir à les éliminer de la bande de Gaza.
3.2. La résistance palestinienne
Dans les pays arabes, la résistance palestinienne devient le principal mouvement révolutionnaire arabe. Le Fatah prend le contrôle de l'OLP en 1968 et Y. Arafat en devient le président en 1969.
Très tôt apparaît la contradiction entre les intérêts des pays arabes désireux de récupérer leurs territoires perdus, quitte à faire la paix avec Israël, et les organisations armées dont le but est de libérer l'ensemble de la Palestine, qui se transformerait en un « État démocratique et laïque » où les Juifs non-sionistes auraient leur place.
Cet antagonisme conduit aux événements sanglants du « septembre noir » de 1970, lorsque la monarchie jordanienne chasse de son territoire les organisations palestiniennes. Pour éviter la répétition d'un tel drame, le sommet arabe de Rabat en 1974 reconnaît l'OLP comme « le seul et légitime représentant du peuple palestinien ».
Le 22 novembre 1974, l'Assemblée générale de l'ONU affirme le droit des Palestiniens à l'autodétermination, à la souveraineté et à l'indépendance nationales. L'OLP est admise aux Nations unies en qualité d'observateur.
3.3. Le conflit libanais
La lutte armée se déplace au Liban, où la résistance fait alliance avec les forces « progressistes » locales et est à l'origine de la guerre civile qui dure de 1975 à 1990.
De 1977 à 1982, l'OLP constitue un « quasi-État » au Liban et y multiplie les services sociaux. Mais elle perd progressivement ses alliés locaux. Politiquement, les accords de Camp David de 1978 entre l'Égypte et Israël prévoient une autonomie de « personnes » et non de « territoires » pour les régions occupées en 1967. Cela signifie une simple gestion des affaires courantes et l'absence de souveraineté, en particulier sur les ressources naturelles.
Afin de permettre l'application de ce règlement de la question palestinienne, Israël envahit le Liban en 1982 pour combattre directement l'OLP et la présence palestinienne dans ce pays. De cette politique découlent les massacres de réfugiés palestiniens à Sabra et à Chatila (septembre 1982).
De 1982 à 1991, la résistance palestinienne reste présente au Liban, mais elle se laisse entraîner dans les différentes guerres libanaises. Les pertes humaines palestiniennes, surtout civiles, sont considérables. Depuis 1991, la « seconde République » libanaise limite strictement les activités palestiniennes et la population des camps, le plus souvent interdite de travail, se paupérise dramatiquement.
Après le départ de Beyrouth en 1982, l'OLP établit son siège politique à Tunis. Y. Arafat se montre disposé à participer à un règlement de paix débouchant sur la constitution d'un État palestinien à Gaza et en Cisjordanie à côté d'Israël. Ce programme va dans le sens inverse des chartes palestiniennes de 1964 et 1968, tout aussi bien dans son contenu territorial que dans son ambition politique. Il ne peut être réalisé que si les États-Unis, maîtres du jeu, acceptent l'OLP comme interlocuteur et obligent les Israéliens à négocier avec celle-ci.
Dans ce but, des tentatives pour constituer une délégation jordano-palestinienne ont lieu. Mais elles échouent, l'OLP refusant d'abandonner la lutte armée, que les États-Unis assimilent au « terrorisme ». Ces tentatives provoquent des dissidences, encouragées et soutenues par la Syrie, qui débouchent sur une véritable guerre civile palestinienne au Liban (1983-1991).
Pour en savoir plus, voir l'article guerre du Liban.
3.4. La première Intifada (décembre 1987-septembre 1993)
L'arrivée de la droite israélienne au pouvoir en 1977 accélère le processus de colonisation des territoires occupés. Les habitants sont dépossédés d'une grande partie de leurs terres.
L'accroissement de la pression conduit au soulèvement palestinien de décembre 1987 ( → Intifada), qui contribue à transformer l'image d'Israël sur la scène internationale. C'est le premier soulèvement populaire parti des Territoires palestiniens qui a pour objectif de mettre fin à la situation d’occupation militaire. Le mouvement de protestation est rapidement repris en main par l'OLP qui le mène de concert avec l’ensemble des factions politiques palestiniennes, dont le Hamas, mouvement islamiste créé au début de l’Intifada.
Les leaders du mouvement sont, dans les Territoires palestiniens, plutôt issus des classes moyennes urbaines éduquées ; ils prônent l’utilisation de stratégies de lutte non violente (manifestations, boycott des produits israéliens, recherche d’autarcie dans le domaine économique, etc.).
Depuis Tunis, Y. Arafat fait alors un pas décisif en direction d'une paix négociée en acceptant les conditions américaines (renoncement au terrorisme et reconnaissance de l'État d'Israël) et en proclamant l'État de Palestine (novembre-décembre 1988) sur les seuls territoires de la Cisjordanie et de la bande de Gaza (22 % de la Palestine historique).
Pendant la guerre du Golfe (1990-1991), l'OLP se range cependant dans le camp favorable à l'Iraq contre les États-Unis : elle sort, dès lors très affaiblie du conflit et aborde les premiers pourparlers de paix diminuée sur la scène internationale.
3.5. Les accords de Washington (septembre 1993)
Le processus de paix entre dans une nouvelle phase avec la conférence de Madrid, déplacée bientôt à Washington (octobre-décembre 1991). Les Palestiniens sont représentés au sein d'une délégation jordano-palestinienne, théoriquement indépendante de l'OLP. Il s'agit de « Palestiniens de l'intérieur », avec des personnalités comme Faysal al-Husayni, fils de Abd al-Qadir al-Husayni.
Les négociations s'enlisent progressivement, mais le gouvernement israélien de Yitzhak Rabin et Shimon Peres accepte de traiter directement et clandestinement avec l'OLP dans la capitale norvégienne, à Oslo (d'où le nom d'accords d'Oslo).
Les accords signés à Washington, le 13 septembre 1993, reprennent un certain nombre de principes existant dans les différents plans de paix depuis Camp David, mais en y intégrant l'OLP et la reconnaissance du « peuple palestinien ». Dans une première phase, dite intérimaire, l’armée israélienne doit progressivement se retirer des Territoires palestiniens et transférer une partie de ses pouvoirs d’action vers l’Autorité nationale palestinienne (ANP), nouvelle institution palestinienne spécialement créée pour gérer les affaires civiles des populations de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.
Pour en savoir plus, voir l'article accords de Washington.
Dans une seconde phase, dite du statut permanent, les deux parties doivent discuter des questions sensibles qui les opposent, comme Jérusalem, les réfugiés, les colonies, les frontières et la sécurité. D'emblée, des oppositions aux accords de paix signés existent dans les deux camps. Côté palestinien, les islamistes perpétuent leurs premiers attentats sur le sol israélien contre des populations civiles pour marquer leur désapprobation.
Côté israélien, les militants de droite et d'extrême droite proches des milieux ultra-orthodoxes et de colons exercent des pressions sur le gouvernement pour que les « rendus territoriaux » soient minimes. Ils voient Y. Rabin, le Premier ministre en exercice comme un « traître » à la nation ; ce dernier est assassiné par l'un des leurs lors d'une cérémonie publique le 4 novembre 1995.
D'emblée également, les retards pris dans les engagements mettent en danger la dynamique du processus. La mise en place de l'« autonomie » palestinienne (1994) se révèle difficile : les retraits territoriaux israéliens sont lents et bien moindres qu'attendu malgré la signature, en septembre 1995, de l'accord dit « Oslo II », sur le désengagement israélien de la Cisjordanie.
Par ailleurs, l'Autorité nationale palestinienne, qui fonctionnne, certes, avec un président (Y. Arafat) et une assemblée de parlementaires, tous deux élus par le peuple en 1996, ne s'étend que sur un archipel de centres urbains sans véritables droits de souveraineté sur les ressources naturelles. On est loin de l'État souverain auquel aspirent les Palestiniens.
3.6. Un processus de paix laborieux
Alors que la colonisation se poursuit, notamment en Cisjordanie, au point d'assombrir les perspectives de continuité territoriale pour l'État palestinien en devenir, le successeur de Y. Rabin, Shimon Peres parie sur une paix économique qui assurerait une véritable intégration d'Israël dans la région.
Mais, côté palestinien, l'heure est au désappointement tant les retombées économiques sont moindres qu'espérées. Il est vrai que les flux de biens et de personnes et la vie quotidienne sont rendus difficiles par la multiplication des checkpoints aux portes d'entrée et de sortie des villes palestiniennes. Parallèlement, le gouvernement israélien poursuit sa politique d'assassinats ciblés envers les opposants islamistes palestiniens, ce qui conduit le Hamas à opérer une succession d'attentats en territoire israélien durant l'année 1996, qui est particulièrement sanglante.
Côté israélien, la population croit dès lors de moins en moins à la paix puisque celle-ci ne leur apporte pas la sécurité physique promise. La droite revenue au pouvoir avec Benyamin Netanyahou met plusieurs mois à accepter la reprise des négociations avec les Palestiniens. Sous la pression américaine, le mémorandum de Wye River (ou Wye Plantation) de 1998 énonce une nouvelle série d'étapes, mais leur application est immédiatement gelée par l'annonce de nouvelles élections israéliennes.
Initialement prévue le 4 mai 1999, la proclamation de l'État palestinien est retardée par l'Autorité nationale palestinienne afin de ne pas favoriser le candidat Netanyahou aux élections générales israéliennes.
La victoire du travailliste Ehoud Barak fin mai entraîne une reprise des discussions entre Israéliens et Palestiniens, notamment sur l'application de l'accord de Wye River. Au terme de difficiles négociations, un accord est signé le 4 septembre à Charm el-Cheikh (Égypte) sur une version révisée de l'accord de Wye River.
Cet accord prévoit un nouveau calendrier de retrait des militaires israéliens d'une nouvelle portion de territoire en Cisjordanie, la libération de prisonniers palestiniens, l'ouverture d'un passage entre la bande de Gaza et la Cisjordanie ainsi que la construction d'un port à Gaza. L'application de ces différents points est progressivement mise en route, mais les hésitations des négociateurs à s'engager de façon irrévocable retardent le démarrage des discussions sur le « statut définitif » des territoires palestiniens prévu par les accords de Washington.
La date butoir pour un accord définitif (13 septembre 2000) – avancée à l'automne 1999 – devient vite caduque. Devant le blocage des négociations imputé aux Israéliens, le conseil central de l'OLP menace de proclamer unilatéralement, le 13 septembre 2000, l'État de Palestine avec Jérusalem-Est pour capitale.
3.7. L'échec d'un règlement de paix définitif et la reprise de l'Intifada
Un sommet israélo-palestinien est convoqué en urgence à Camp David par les États-Unis qui veulent tenter d'arracher un compromis historique aux deux parties (juillet 2000). Son échec conduit à l'embrasement des territoires palestiniens, déclenché par la visite d'Ariel Sharon, chef du Likoud, sur l'esplanade des Mosquées (le mont du Temple, pour les Juifs) à Jérusalem, le 28 septembre, suivie, le lendemain, de la répression sanglante de manifestants palestiniens par l'armée israélienne.
Cette seconde Intifada (dite Intifada al-Aqsa), fruit des nombreuses frustrations accumulées par les Palestiniens depuis le début des négociations israélo-palestiniennes initiées il y a près de dix ans, enterre le processus de paix. En effet, les deux camps s'installent progressivement dans une logique d'affrontements, alors qu'un sentiment d'impuissance gagne la communauté internationale, les États-unis en tête, qui tarde à réagir.
Seule initiative notable, une commission internationale d'« établissement des faits » (dite commission Mitchell), chargée de déterminer l'origine des violences et de proposer des remèdes, est mise en place en décembre 2000. Ses conclusions, rendues publiques en mai 2001 et aussitôt approuvées par les deux camps – qui en font cependant une lecture différente –, ne seront finalement pas mises en œuvre.
En 2001, après les attentats du 11 septembre sur le territoire américain, le contexte international n'est guère favorable à une reprise du dialogue israélo-palestinien. En effet, les États-Unis laissent A. Sharon à peu près libre d'agir à sa guise, au nom du combat planétaire contre le terrorisme, tout en réaffirmant la nécessité d'un accord de paix fondé sur la coexistence de deux États – l'un israélien, l'autre palestinien –, et en refusant de mettre Y. Arafat « hors jeu », comme l'aurait souhaité le Premier ministre israélien. Prise dans ses propres contradictions, l'administration Bush ne cesse d'atermoyer alors que les cycles de la violence « attentat-répression » s'enchaînent : mitraillages de colonies juives, tirs de mortiers et attentats-suicides, côté palestinien ; bombardements aériens des principales agglomérations palestiniennes, assassinats ciblés de responsables d'organisations « terroristes », multiplication des incursions militaires dans les Territoires palestiniens autonomes, opérations de représailles et destructions massives dans des camps palestiniens (Djenin, avril 2002), côté israélien.
Le bilan humain est très lourd – plus de 2 800 morts fin 2002, plus de 4 000 fin 2004, dont presque les trois quarts sont palestiniens –, des milliers de blessés et deux sociétés traumatisées. De même que les Israéliens, inquiets pour leur sécurité, se rassemblent autour d'Ariel Sharon, les Palestiniens connaissent également un réflexe d'union sacrée, les nationalistes du Fatah collaborant avec les islamistes du Hamas, et Y. Arafat, reclus presque sans interruption à Ramallah depuis décembre 2001, retrouvant une nouvelle légitimité.
Ce dernier se résout à aborder la refonte des institutions de l'Autorité nationale palestinienne, sujet longtemps reporté. Il crée ainsi en 2003 un poste de Premier ministre, qu'il confie à son second au sein de l'OLP, Mahmud Abbas. Il évoque également l'organisation prochaine d'élections. Ces initiatives visent à la fois à prévenir les critiques (notamment sur la centralisation excessive des pouvoirs, l'inertie et la corruption) qui ne tarderont pas à renaître au sein de son propre camp et à répondre aux attentes de la communauté internationale et des bailleurs de fonds, qui ne cessent d'exercer des pressions dans ce sens.
3.8. Nouvelle tentative diplomatique : la « feuille de route » (2003)
Après la guerre contre l'Iraq au printemps 2003, une nouvelle tentative de paix – la « feuille de route » – est lancée à l'initiative du Quartet (États-Unis, Russie, ONU, Union européenne).
Elle propose un plan par étapes devant déboucher sur la constitution d'un État palestinien et le règlement définitif et général du conflit israélo-palestinien d'ici à 2005. Le contenu territorial de ce règlement n'est pas fixé. Le texte est publié le 30 avril 2003. L'Autorité nationale palestinienne accepte la feuille de route dans son intégralité, tandis qu'Israël énonce une série de conditions pour son application (25 mai 2003).
Soutenu par les États-Unis, le gouvernement de Mahmud Abbas négocie une trêve avec les mouvements armés, en premier lieu islamistes. Elle est conclue le 29 juin 2003 pour trois mois, les mouvements armés exigeant la fin de tout acte de violence de la part des Israéliens et la libération des prisonniers.
Ne se considérant pas engagé par cette trêve, le cabinet Sharon demande, avant toute autre mesure, le désarmement des mouvements armés et n'accepte que des libérations très partielles de prisonniers. Le cycle de la violence se poursuit et les attentats reprennent.
M. Abbas, qui n'a pas réussi à prendre le contrôle des forces de sécurité palestiniennes au détriment d'Arafat comme les Américains l'espéraient et qui apparaît aux yeux de sa population comme un « collaborateur » des États-Unis, est contraint de démissionner (septembre 2003). Il est remplacé par Ahmad Quray (Ahmed Qoreï), président du Conseil législatif palestinien et principal négociateur de Washington. Cependant, Quray ne parvient, pas plus que son prédécesseur, à prendre à Arafat le contrôle des forces de sécurité. Il tente de négocier une nouvelle trêve avec les islamistes. Échouant à son tour, il entre en conflit périodique avec Arafat qui refuse de se voir dépossédé de ses pouvoirs sur la question des services de sécurité et sur le contrôle des finances, mais il ne démissionne pas.
3.9. Poursuite de la colonisation juive en Cisjordanie
Parallèlement aux tentatives de solution diplomatique, le gouvernement israélien poursuit son entreprise de colonisation de la Cisjordanie en se lançant, en juin 2002, dans la construction d'un « mur de sécurité », destiné à être impénétrable. Initialement prévu sur 350 km, l'ouvrage empiète sur la Cisjordanie, intégrant plusieurs colonies israéliennes et entraînant de nouvelles confiscations de terres palestiniennes et des destructions de cultures.
L'affaire est portée devant la Cour internationale de justice (CIJ), qui donne un avis « historique » le 9 juillet 2004 : les territoires pris par les Israéliens en juin 1967 sont bien juridiquement « occupés », et donc s'y appliquent les conventions de Genève, ce qui implique l'interdiction de toute modification du peuplement. En conséquence, la colonisation et la construction du mur sont illégales. Lors des accords de Washington, Israël a reconnu l'existence du peuple palestinien et donc celle de son droit à l'autodétermination. En définissant l'espace où doit s'exercer l'autodétermination du peuple palestinien, la Cour donne aussi, pour la première fois, une définition juridique du territoire israélien.
3.10. Mort d'Arafat
La mort d'Arafat, le 11 novembre 2004, modifie les données politiques immédiates. Mahmud Abbas assure l'intérim et se fait investir comme candidat du Fatah à la nouvelle élection présidentielle. Il fait campagne sur le thème de la fidélité à l'héritage d'Arafat. Les islamistes s'abstiennent de présenter un candidat. L'élection, organisée dans le délai de 40 jours prévu par la Loi fondamentale, a lieu le 9 janvier 2005. M. Abbas est élu devant l'indépendant Mustafa Barghuti (19,80 %) et cinq autres candidats.
Soutenu par la communauté internationale, M. Abbas apparaît comme un partenaire fiable pour la reprise du processus de paix aux yeux des Américains, même si les deux parties sont loin de trouver un accord, ne serait-ce que sur l'interprétation à donner à la feuille de route. M. Abbas est également l'homme qui, sur le plan intérieur, impulse des réformes de démocratisation de l'Autorité nationale palestinienne tant attendues.
4. Les territoires palestiniens depuis 2004
4.1. Divisions politiques et territoriales
La montée du Hamas
Les premières élections à être organisées depuis le scrutin de 1996 sont les élections municipales, qui se déroulent en plusieurs étapes en 2004-2005. Ces élections sont très attendues dans les Territoires palestiniens, dans la mesure où les municipalités constituent le plus petit niveau administratif et territorial et peuvent, dès lors, contribuer à améliorer le quotidien des populations. La compétition politique s'y annonce rude car aucune faction politique n'appelle à boycotter les élections.
Les résultats électoraux marquent l'entrée en politique du Hamas, dont les candidats, qui bénéficient d'une réputation d'intégrité, remportent la majorité des suffrages, en particulier dans les grandes villes – que ce soit dans la bande de Gaza ou en Cisjordanie. La montée en puissance du Hamas conduit à la multiplication des heurts entre les militants de ce courant et les Jeunesses du Fatah épaulées par les forces de sécurité palestiniennes, sur lesquelles M. Abbas ne réussit pas à imposer vraiment son autorité. À partir de juillet 2005, le désordre devient permanent dans la bande de Gaza.
L'évacuation de la bande de Gaza par Israël
Au même moment, Ariel Sharon remet en avant son projet d'évacuation unilatérale de la bande de Gaza qui deviendrait une enclave hermétiquement close tandis que la colonisation de la Cisjordanie serait intensifiée.
Ce projet – approuvé par les États-Unis dès avril 2004, à condition qu'il soit inclus dans la feuille de route – est critiqué par une partie de la droite israélienne et des mouvements de colons qui demeurent hostiles au principe même d'une évacuation. Sharon l'impose néanmoins à ses différents opposants au mois d'août 2005. Le plan israélien d'évacuation de la bande de Gaza est salué par les membres du Quartet – États-Unis, Russie, ONU, Union européenne – qui y voient un moyen de renforcer la popularité de Mahmud Abbas, affaiblie sur le plan interne par le manque de perspectives d'amélioration de la situation matérielle des individus et l'absence de tout progrès vers une solution politique.
Mais dans les faits, ce plan qui n'a pas été négocié par les Israéliens, apparaît aux Palestiniens comme un signe de la faiblesse du gouvernement israélien et comme une victoire du Hamas et des défenseurs de la stratégie de la lutte armée sur les partisans du jeu diplomatique et de la poursuite du processus de paix.
Le Hamas au pouvoir
C'est dans ce contexte que des élections législatives palestiniennes sont organisées, pour la deuxième fois de l'histoire nationale, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Initialement prévues pour le 17 juillet 2005 et finalement reportées (« pour des raisons techniques ») au 25 janvier 2006, ces élections conduisent à la victoire du Hamas à la majorité absolue des sièges (74 sur 132) devant le Fatah (45 sièges) ; les petites formations se partagent 9 sièges, auxquels s'ajoutent 4 députés indépendants.
Pour le Hamas, dont c'est la première participation à un tel scrutin, il s'agit de donner la possibilité de représenter au Parlement la diversité des voix et courants idéologiques existant sur la scène politique dans le but de préserver l'unité nationale.
Dès la confirmation de la victoire électorale du Hamas, Israël suspend les reversements des taxes et des droits de douane au profit de l'Autorité nationale palestinienne, refusant de négocier « avec un pouvoir palestinien dont une partie est constituée d'une organisation terroriste armée qui appelle à sa destruction ».
Le Hamas, qui ne s'attendait pas à une victoire d'une telle ampleur et se voit contraint de composer un gouvernement, propose au Fatah de Mahmud Abbas et aux autres composantes de l'OLP de former un gouvernement d'union nationale dans lequel il serait prépondérant ; mais ces derniers refusent.
Le 29 mars 2006, Ismaïl Haniyah (ou Ismaël Haniyeh) – tête de la liste du Hamas aux élections et ex-secrétaire particulier d'Ahmad Yassine – prend ses fonctions de Premier ministre et annonce la composition de son gouvernement : ce dernier compte 24 membres, principalement (Hamas) (6 sont indépendants).
Peu après, l'Union européenne et les États-Unis décident de suspendre leurs aides directes à l'Autorité nationale palestinienne tant que le Mouvement de la résistance islamique n'aura pas répondu aux trois conditions qu'ils posent : renonciation à la violence, reconnaissance d'Israël, respect des accords de Washington.
Le Hamas, dont le programme politique a pourtant évolué vers l'acceptation d'un État palestinien sur les seuls territoires occupés de 1967, refuse de se plier aux « diktats » occidentaux qui font le jeu d'Israël. La principale victime du boycott financier et politique de l'Autorité nationale palestinienne est la population des Territoires elle-même, qui ne reçoit plus qu'une « aide humanitaire », mesurée chichement par rapport à ses besoins.
Luttes fratricides entre Palestiniens
Sur le plan intérieur, la lutte de pouvoir pour le contrôle des services de sécurité se poursuit, notamment dans la bande de Gaza, et débouche de plus en plus fréquemment sur des heurts meurtriers entre militants du Fatah et du Hamas, attisant les craintes de guerre civile. C'est dans ce contexte que le 10 mai 2006, des leaders politiques emprisonnés en Israël issus des différents mouvements palestiniens – y compris le Hamas – proposent un mémorandum d'entente nationale appelant d'une part, à la poursuite de la résistance armée dans les territoires occupés, et d'autre part, au retour des réfugiés en Palestine, ainsi qu'à la libération des détenus et à la création d'un État palestinien dans les frontières de 1967. Marwan Barghuti, ancien responsable du Fatah pour la Cisjordanie, emprisonné à vie en Israël, en est également un membre signataire. Peu après la publication de ce mémorandum « des prisonniers », face à l'enthousiasme populaire qu'il suscite, M. Abbas annonce son intention de le soumettre à référendum. Mais le mouvement islamiste s'y oppose, considérant que cette initiative est une tentative de « contourner la légitimité du gouvernement » Hamas au pouvoir.
Dans le même temps, la violence continue entre Palestiniens et Israéliens. Le 25 juin 2006, l’enlèvement du caporal franco-israélien Gilad Shalit par des groupes armés palestiniens provoque, en représailles, l'opération « Pluies d'été » – qui consiste en une série d'offensives militaires israéliennes d'envergure entraînant des destructions considérables d'infrastructures civiles et de lourdes pertes humaines dans la bande de Gaza (8 Israéliens et 595 Palestiniens tués lors du second semestre 2006).
Acculé financièrement et politiquement isolé, le Hamas est contraint de solliciter la formation d'un gouvernement d'union nationale auprès du président de l'Autorité nationale palestinienne Mahmud Abbas. Le 11 septembre, un accord en ce sens est annoncé entre le Fatah et la Hamas, mais les discussions finissent par échouer. M. Abbas menace d'avoir recours à des élections anticipées.
Formation d'un gouvernement d'unité nationale
Après de nouveaux affrontements meurtriers entre militants du Fatah et du Hamas en décembre 2006 et janvier 2007, l'Arabie saoudite impose sa médiation. Le 8 février 2007, après deux jours de négociations, le Fatah et le Hamas parviennent à un accord à La Mecque. I. Haniyeh est appelé à former un gouvernement d'unité nationale. Le 15 mars, après de difficiles tractations sur la direction du ministère de l'Intérieur responsable des forces de sécurité, le gouvernement d'unité nationale est définitivement composé (12 Hamas, 6 Fatah, 7 indépendants). ll s'engage à respecter les accords signés par l'OLP qui a pour mandat de poursuivre les négociations. Mais la légitimité de ce nouveau gouvernement palestinien est aussitôt rejetée par Israël, qui exige toujours du Hamas qu'il reconnaisse en préalable l'État d'Israël et les accords de paix passés et qu'il abandonne la lutte armée.
Le Hamas prend le contrôle militaire de la bande de Gaza
Côté palestinien, l'accord politique ne règle toujours pas la question du contrôle des forces de sécurité. Dans la bande de Gaza notamment, Muhammad Dahlan, chef de la Sécurité préventive et l'homme des « milices » du Fatah, tente d'en prendre le contrôle au nom de M. Abbas grâce à des financements américains, ce qui (ré)alimente le cycle de violences entre les deux factions. Dans la seconde quinzaine de mai, les heurts entre Palestiniens font plusieurs dizaines de victimes tandis qu'Israël lance une nouvelle campagne d'assassinats et d'arrestations de responsables du Hamas. Devant les craintes des islamistes d'un « coup d'État » dans la bande de Gaza de la part de M. Dahlan et la politique d'obstruction systématique du président Abbas, le Hamas décide de prendre le contrôle militaire de la totalité de la bande de Gaza en liquidant les milices affiliées au Fatah.
Dans la foulée (à la mi-juin), M. Abbas met fin au gouvernement d'union nationale qu'il déclare illégal et charge Salam Fayyad de former un nouveau gouvernement dont l'autorité réelle ne s'étend qu'à la Cisjordanie, territoire où le Hamas est interdit et ses militants pourchassés. Le gouvernement Haniyeh se concentre sur les questions de sécurité et le rétablissement de l'ordre public, mais une bonne part de l'administration cesse de fonctionner.
L'Union européenne décide la normalisation immédiate de ses relations avec l'Autorité nationale palestinienne et rétablit son aide directe mais la vie économique reste largement paralysée par le maintien des barrages israéliens.
Depuis lors, deux gouvernements rivaux se partagent le pouvoir dans les Territoires palestiniens : d'un côté un gouvernement « pro-Fatah » en Cisjordanie, dirigé par S. Fayyad ; de l'autre, un gouvernement « pro-Hamas » dans la bande de Gaza, sous la houlette de I. Haniyeh. Le premier reçoit désormais le soutien politique inconditionnel de la communauté internationale qui, par ailleurs, reprend son aide économique. Ainsi, à Annapolis, en novembre 2007, l'administration Bush et le Quartet s'engagent à faire appliquer la feuille de route et à œuvrer à la reprise des discussions sur les négociations finales. Une conférence internationale des donateurs au mois de décembre promet également un financement de plusieurs milliards de dollars en faveur de l'Autorité nationale palestinienne. La vie économique reste malgré tout largement paralysée en Cisjordanie par le maintien des barrages israéliens.
Le second gouvernement n'a pas de reconnaisance officielle de la part d'Israël ni de la communauté internationale. Les populations placées sous son contrôle dans la bande de Gaza pâtissent toujours de l'embargo international après juin 2007, même si ce dernier est légèrement atténué par le passage d'une aide humanitaire d'urgence. Paupérisées, privées de leurs ressources financières habituelles, elles voient leurs conditions de vie au quotidien se dégrader rapidement.
Du 23 janvier au 3 février 2008, l'ouverture par le Hamas du mur qui sépare la bande de Gaza de l'Égypte permet à des dizaines de milliers de Gazaouis de déjouer le blocus sévère auxquels ils sont soumis par Israël, tandis qu'un cessez-le-feu, forgé sous l'égide de l'Égypte et conclu entre le Hamas et Israël, entre en vigueur dans la bande de Gaza le 19 juin 2008 pour 6 mois. Des incidents continuent toutefois de se produire, notamment des tirs de roquette à partir de la bande de Gaza en direction de la ville israélienne de Sderot.
L'intervention israélienne dans la bande de Gaza (décembre 2008-janvier 2009)
La trêve est véritablement rompue au mois de novembre par une incursion de Tsahal pour détruire un tunnel, suivie de la reprise des tirs de roquette par le Hamas en riposte à la mort de six de ses combattants. Le 19 décembre 2008, le jour de l'expiration du cessez-le-feu conclu en juin, la branche armée du Hamas – les Brigades Ezzedine al-Qassam – annonce la fin de la trêve avec Israël. L'État hébreu choisit l'option militaire et lance, le 27 décembre, une attaque aérienne surprise contre le Hamas relayée, à partir du 3 janvier 2009, par une offensive terrestre d'envergure, qui font de nombreuses victimes civiles et aggravent une situation humanitaire déjà catastrophique dans le territoire palestinien.
Le 18 janvier 2009, Israël annonce la fin de l'opération « Plomb durci », suivie par le Hamas quelques heures plus tard, les deux parties revendiquant chacune la victoire. Le bilan humain s'élève à 1 400 victimes civiles et plus de 5 000 blessés côté palestinien, 13 (10 militaires et 3 civils) côté israélien, tandis que les dégâts matériels dans la bande de Gaza sont considérables.
Fin février 2009, en dépit de la persistance d'antagonismes profonds, le Hamas et le Fatah reprennent le dialogue et tentent, sous la médiation de l'Égypte, de se réconcilier dans le but de former un gouvernement d'union. En vain.
5. Une absence d'horizon politique
La scission politique, doublée d'une scission territoriale entre la bande de Gaza et la Cisjordanie, apparaît de plus en plus comme une donnée structurelle de la vie nationale palestinienne. Elle conduit à la mise en place, par effet de miroir, de deux régimes policiers qui resserrent leur contrôle politique sur les populations dont elles ont la charge respective.
5.1. Impasse à Gaza
Dans la bande de Gaza, l’appareil politique du Hamas, désorienté par la brutalité de la guerre de 2008-2009, se trouve face à une impasse. Sur le plan militaire, l’heure est à la trêve de longue durée avec Israël, car le bilan humain de la guerre et les dégâts matériels qu’elle a entraînés ont été lourds et que le mouvement n’est pas en mesure d’affronter une nouvelle confrontation armée d’ampleur dans un proche avenir.
Par ailleurs, le Hamas escompte de la stratégie du cessez-le-feu qu’elle débouche sur un relâchement du blocus économique imposé à la population de la bande de Gaza par l’État d’Israël. Or, sur le plan économique, la guerre de 2008-2009 a accentué l’impression d’isolement liée au blocus et la détresse que les populations éprouvent, d’autant que la reconstruction des infrastructures qui ont été détruites durant le conflit est lente.
En juin 2010, après l’affaire de la flotille de Gaza, la communauté internationale fait pression sur Israël pour qu’il accroisse les flux de biens entrants dans la bande de Gaza. Mais l’augmentation du nombre de produits de consommation courante a peu d’effets d’entraînement sur l’économie locale. La situation sanitaire et sociale reste préoccupante, en dépit de l'ouverture du terminal frontalier de Rafah en août 2011.
Enfin, sur le plan politique, plusieurs discours critiques à destination du Hamas sont audibles à compter de 2010-2011. Certains sont le fait de groupes djihadistes partisans de la lutte armée, qui reprochent au gouvernement de I. Haniyeh sa stratégie de trêve militaire avec Israël. D’autres groupes salafistes s’en prennent au programme politique du Hamas, qu’ils jugent trop « timoré ». Les autres voix dissidentes proviennent principalement des associations de défense des Droits de l’homme proches de la gauche palestinienne, qui reprochent au gouvernement des tentatives d’islamisation de la société.
Le parti islamiste, qui a rompu avec la Syrie de Bachar al-Asad, son ancien allié, ne pouvant plus cautionner la violence de la répression envers les protestations populaires, doit rechercher de nouveaux parrains (politiques et financiers) dans la région. La situation se tend de nouveau en 2012 avec la multiplication des confrontations entre Tsahal et les Comités de résistance populaire, les brigades Ezzedine al-Qassam (branche armée du Hamas) ou al-Qods (bras armé du Djihad islamique palestinien), qui culminent en novembre.
5.2. Les réformes et les initiatives diplomatiques de M. Abbas
En Cisjordanie, le président Mahmud Abbas et son Premier ministre, Salam Fayyad, font également face à une situation difficile.
Sur le plan extérieur, M. Abbas bute sur le terrain des négociations diplomatiques avec Israël. En novembre 2009, les Israéliens refusent de prolonger le moratoire sur le gel partiel de la colonisation adopté dix mois plus tôt, ce qui conduit M. Abbas à faire de cette question un préalable à toute reprise des discussions. Refusant, dans ce contexte, de reprendre le canal des négociations bilatérales, la direction palestinienne opte pour un changement de stratégie : elle cherche l’appui d’une enceinte plus large et mise sur la reconnaissance d’un État palestinien dans les frontières de la Cisjordanie et de la bande de Gaza par l'Assemblée générale des Nations unies.
Sur le plan intérieur, cette politique de « l'État d’abord » prend l’allure d’un vaste programme de réformes. Celui-ci, impulsé par Salam Fayyad, vise au remodelage de l’administration palestinienne dans un sens plus « professionnel » et « technocratique ». Il consiste également en la mise sur pied de forces de police « neutres » et « apolitiques », qui conservent néanmoins comme objectif premier le démembrement du Hamas en tant que force sociale et politique. Mais cette politique de « l'État d’abord » suscite de nombreuses réserves parmi la population, dans la mesure où elle ne s'attaque pas véritablement à la question de l'occupation israélienne des Territoires palestiniens.
Les deux gouvernements du Fatah et du Hamas paraissent ainsi fragilisés à l’issue de l’année 2010, alors que la région connaît des changements politiques d’ampleur à la suite des « révoltes » tunisienne et égyptienne. Embarrassés et craignant eux-mêmes des tentatives de déstabilisation, M. Abbas et I. Haniyeh s’entendent sur la conclusion d’un accord de réconciliation nationale en mars 2011, qui est censé contribuer à la formation d’un gouvernement d’union ainsi qu’à la préparation d’élections générales. Mais, une nouvelle fois, les négociations entre les deux factions achoppent. La fatigue sociale se fait sentir, en même temps que progressent l'individualisme, la recherche de profit rapide et les séductions de la société de consommation.
En Cisjordanie, l'absence de tout espoir de changement sur le plan territorial est confirmée par la perte de soutien de l'administration de Barack Obama sur la question de la colonisation. En février 2012, le président américain s'oppose, de manière très explicite, à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies visant à rappeler l'illégalité de la présence des colons en Cisjordanie au regard du droit international.
Sur le plan économique, l'afflux de fonds extérieurs – accru depuis la partition entre la bande de Gaza et la Cisjordanie – crée des effets de rente particulièrement préoccupants. Non seulement, ils créent l'illusion d'un boom économique, mais ils conduisent aussi à une accentuation des écarts de richesse qui s'accompagnent de la montée d'actes d'incivilité envers les « nantis » et de réflexes sécuritaires chez ces derniers, ainsi que de l'endettement croissant des ménages les plus modestes et des classes moyennes.
Au-delà, l'année 2011 est marquée par la volonté du président M. Abbas d'obtenir un vote en faveur de la reconnaissance d'un État palestinien à l'ONU. L'enjeu, du côté palestinien, est de sortir du cadre des négociations bilatérales dans lesquelles les Palestiniens se trouvent à l'étroit face aux Israéliens et aux Américains, pour obtenir un rééquilibrage des rapports de forces dans le cadre d'une diplomatie multilatérale. Il est aussi de rappeler aux États-Unis leur promesse de soutien à l'indépendance de l'État de Palestine, à l'heure où l'administration de B. Obama recule devant les pressions des conservateurs de tout bord.
Il est, enfin, de réaffirmer les contours des frontières du territoire palestinien revendiqué, alors que la fragmentation territoriale l'emporte sur le terrain. Très médiatisé, ce projet de reconnaissance de l'État de Palestine, dont l'horizon d'attente est fixé à septembre 2011, ne débouche pas, en raison des oppositions israélienne et américaine qu'il suscite. Toutefois, des avancées sont obtenues : l’admission de la Palestine à l’Unesco en décembre 2011, ainsi que le vote, le 29 novembre 2012, par l’Assemblée générale des Nations unies, d’une résolution rehaussant le statut de la Palestine à celui d’État observateur non-membre aux Nations unies.
5.3. Affaiblissement du Hamas, réconciliation et nouvelle crise israélo-palestinienne
Pouvant compter sur un nouvel allié dans la région à la suite de l’accession au pouvoir des Frères musulmans égyptiens en février-juin 2012, le Hamas se retrouve affaibli et isolé après la destitution de Mohamed Morsi et la répression qui s’abat sur ses partisans à partir de juillet 2013.
En avril 2014, une ligne conciliatrice l’emporte et un accord avec le Fatah conduit finalement à la formation d’un gouvernement d’union nationale en juin. Rami Hamdallah, Premier ministre depuis juin 2013, est reconduit dans ses fonctions. Mais le mois suivant, quatre ans après l’opération israélienne « Plomb durci » et moins de deux ans après l’escalade de violences à Gaza de novembre 2012, une nouvelle crise éclate en juillet 2014, à la suite de l’assassinat de trois jeunes Israéliens près de la ville d’Hébron en Cisjordanie, attribué par Israël au Hamas. Les opérations de représailles ayant entraîné une multiplication des tirs de roquettes depuis Gaza vers Israël, l'État hébreu déclenche l’opération militaire « Bordure protectrice » le 8 juillet. Après avoir causé la mort de plus de 2200 Palestiniens, la plupart civils, et de 72 Israéliens, dont 6 civils, cette nouvelle guerre se termine le 26 août avec l’acceptation par les parties d’une proposition égyptienne de cessez-le-feu. L’accord prévoit une cessation des hostilités, l’ouverture de points de passage entre Israël et la bande de Gaza ainsi qu’un rétablissement de la zone de pêche de 3 à 6 milles nautiques.
En septembre, un nouvel accord entre les deux mouvements palestiniens est conclu en vue de la reconstruction, du rétablissement de l’Autorité palestinienne sur le territoire de Gaza et des prochaines élections. Alors que cette alliance, qui s’avère rapidement précaire, est de nouveau dénoncée par le gouvernement israélien et qu’aucun accord n’a pu être trouvé quant au gel de la colonisation (de nouveau encouragée depuis 2012), les tentatives de sortir l’Autorité nationale palestinienne (ANP) de l’isolement international sont poursuivies par M. Abbas. Le 31 décembre 2014, après avoir essuyé un nouvel échec au Conseil de sécurité de l’ONU avec le rejet d’un projet de résolution sur le règlement du conflit sous trois ans, la Palestine signe une vingtaine de conventions internationales dont celle sur la Cour pénale internationale (CPI), à laquelle elle adhère en janvier 2015. Cette dernière ouvre un examen préliminaire sur des crimes présumés commis dans les territoires palestiniens lors du dernier conflit. Effective en avril, cette adhésion envenime les relations avec le gouvernement israélien et Benyamin Netanyahou, reconduit comme Premier ministre à la suite des élections législatives du 17 mars.
L’absence de perspective politique, la légitimité affaiblie des représentants palestiniens, le raidissement de la droite israélienne auxquels s’ajoutent les dérives extrémistes sont autant de facteurs qui contribuent au regain de la violence à partir de septembre. Cristallisée autour du statut de l’esplanade des Mosquées (ou mont du Temple), ce qui est vite baptisé « la guerre des couteaux » à la suite d’attaques à l’arme blanche de civils et militaires israéliens, ne fait qu’aggraver les tensions et fait planer la menace d’une nouvelle Intifada.
5.4. L’enlisement du processus de paix
Les actes de violence se multiplient entraînant un durcissement des mesures de sécurité par le gouvernement Netanyahou dont la droitisation s’accentue à partir de 2016 tandis que M. Abbas peine à rétablir son autorité. Les dissensions entre le Hamas et la Fatah se confirment, notamment à l’occasion des élections municipales prévues dans les territoires palestiniens en octobre qui doivent être reportées et finalement organisées, comme en 2012, dans la seule Cisjordanie en mai 2017, se soldant par une victoire du Fatah mais avec une assez faible participation (54%) comme lors du précédent scrutin.
Les territoires retrouvent un calme relatif – en partie grâce à la coordination sécuritaire entre l’ANP et le gouvernement israélien, qui bien que contestée et menacée d’être suspendue, reste en vigueur - alors que la communauté internationale semble prendre acte de l’enlisement du processus de paix malgré une initiative sans lendemain de la France avec l’organisation d’une conférence à Paris en janvier 2017.
La perspective d’une « solution à deux États » s’éloigne d’autant plus que l’accession à la Maison Blanche de Donald Trump conforte la ligne la plus intransigeante au sein de la droite israélienne. En dépit de l’adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU avec l’abstention des États-Unis (23 décembre 2016) d’une résolution la condamnant, la colonisation n’est pas remise en cause et la « loi de régulation », adoptée par la Knesset en février 2017, autorise rétroactivement l'implantation de colonies israéliennes sur des terres palestiniennes privées. Ouvrant la voie à l’annexion, cette légalisation des installations sauvages (tout au moins d’une grande partie de ces « avant-postes »), suscite de nombreuses protestations ainsi que les inquiétudes d’une partie de la population israélienne et son application doit être reportée.
Côté palestinien, une relance de la « réconciliation » entre le Fatah et le Hamas semble se dessiner en octobre 2017 mais elle fait long feu. Après avoir échappé à un attentat à Gaza en mars 2018, R. Hamdallah est remplacé par Mohammad Shtayyeh à la direction du gouvernement en avril 2019. Entretemps, la reconnaissance effective de Jérusalem comme capitale par la nouvelle administration Trump a entraîné la cessation de la communication entre les autorités américaine et palestinienne et constitue le premier jalon d’un tournant marqué notamment par la cessation de la contribution des États-Unis à l’agence de l’ONU dédiée aux réfugiés palestiniens et par la fermeture du bureau de l’OLP à Washington. Le plan de paix présenté en janvier 2020, jugé totalement biaisé en faveur d’Israël et considéré comme une violation du droit international, est catégoriquement rejeté par les Palestiniens. Toutefois, en juin, la Cour suprême d’Israël déclare inconstitutionnelle la « loi de régulation » de 2017. De quoi compliquer le projet déjà hasardeux d’annexion des territoires occupés de Cisjordanie qui est cependant maintenu avant d’être suspendu à la suite de l’accord de normalisation des relations entre Israël et les Émirats arabes unis annoncé en août 2020 et rejeté avec indignation par l’AP.