Yitzhak Rabin
Officier et homme politique israélien (Jérusalem 1922-Tel-Aviv-Jaffa 1995).
Le soir du 4 novembre 1995, en quittant une grande manifestation de soutien à la paix, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin tombait sous les balles d'un extrémiste religieux juif. Cet assassinat mettait tragiquement fin à la vie d'un homme qui s'était dévoué à son pays, d'abord comme soldat, puis comme homme d'État. Il fit la guerre aussi longtemps qu'il fut persuadé qu'il n'y avait aucune chance de faire la paix. Mais en 1993, il sut résolument engager son pays dans la voie de la négociation avec les Palestiniens car il était désormais convaincu que le temps de la paix était venu. Ce choix lui coûta la vie.
1. Un sabra
Yitzhak Rabin incarnait parfaitement le sabra, le « Juif nouveau », décomplexé, fier et courageux. Contrairement à la plupart des dirigeants israéliens de sa génération, il était né sur la terre d'Israël, en 1922, dans une famille ardemment sioniste. Adhérant à l'idéal pionnier de retour à la terre, ses parents placèrent très vite le jeune Yitzhak dans une école agricole. Mais à la fin de sa scolarité, en 1940, il ne rejoignit pas un kibboutz mais une unité d'élite de l'armée clandestine juive, le Palmakh. Cette force avait été initialement constituée avec la bénédiction du mandataire britannique pour contrer les Allemands et leurs alliés vichystes au Moyen-Orient. Yitzhak Rabin participe ainsi à la campagne victorieuse des Alliés en Syrie en 1941. Le danger d'une invasion nazie une fois écarté, le Palmakh ne disparaît pas pour autant. Il va devenir une force essentielle dans le combat pour l'avènement d'un État juif, et Yitzhak Rabin y prend une part active. En 1945-1946, il est engagé dans de nombreuses activités de sabotage contre les Britanniques qui lui valent d'être emprisonné à Gaza durant six mois. À peine libéré, il devient commandant de la brigade Harel qui joue un rôle décisif dans le contrôle de la route de Jérusalem prise sous le feu des combattants palestiniens. À la fin de l'année 1948 (année de la naissance de l'État d'Israël), il est avec ses hommes dans le Néguev pour en chasser les Égyptiens. Il fait partie de la délégation qui négocie en 1949, à Rhodes, avec les États arabes les accords d'armistice qui mettent un terme à la première guerre israélo-arabe.
Yitzhak Rabin, qui est devenu un soldat aguerri, choisit de demeurer sous les drapeaux dans la toute nouvelle armée israélienne, Tsahal. Il y fera une carrière brillante. D'abord affecté à diverses missions au sein de l'état-major général, il devient en 1956 commandant du secteur nord où il se montre partisan d'une politique sans concession avec les Syriens. Chef des opérations en 1959, il est nommé chef d'état-major cinq ans plus tard, un poste qui aurait normalement dû lui échoir bien plus tôt mais qu'il ne put occuper qu'après le départ de David Ben Gourion, avec lequel les tensions étaient fortes. Responsable suprême de l'armée israélienne, il la réorganise afin d'accroître ses capacités offensives, un choix qui apparaîtra extrêmement judicieux en juin 1967. En six jours, Israël parvient en effet à rompre l'étau qui l'enserrait et à conquérir le Sinaï, le Golan, la Cisjordanie et Gaza. Auréolé de ce succès, Yitzhak Rabin quitte l'armée après vingt-six années passées sous l'uniforme.
2. Un général en politique
En 1968, il rejoint Washington où il vient d'être nommé ambassadeur. Il y restera cinq ans au cours desquels il œuvre au renforcement de la coopération stratégique entre les deux pays, qui se révèlera précieuse lors de la guerre du Kippour (octobre 1973). À son retour, il décide de se lancer en politique. Élu sur la liste du parti travailliste, il est nommé ministre du Travail dans le gouvernement formé par Golda Meir en mars 1974. Trois mois plus tard, il est Premier ministre. Il doit indirectement cette soudaine promotion à la guerre du Kippour. Jugeant sa responsabilité mise en cause par une commission d'enquête qui avait souligné l'impréparation de l'armée lors du conflit, Golda Meir préfère démissionner. Yitzhak Rabin se retrouve alors à la tête du gouvernement, au grand dam de Shimon Peres qui convoitait le poste. C'est le début d'une sourde rivalité entre les deux hommes, qui ne connaîtra un véritable apaisement qu'après la victoire du parti travailliste en 1992.
Le bilan de son premier passage comme chef de l'exécutif est mitigé. Sur le plan extérieur, Yitzhak Rabin finit par donner son aval, après bien des hésitations, à l'accord intérimaire avec l'Égypte (septembre 1975) qui ouvrira la voie au traité de paix signé par son successeur Menahem Begin en 1979 (→ accords de Camp David). Sur le plan intérieur, par contre, il se montre incapable de remédier à la dégradation de la situation économique et à la multiplication des scandales qui éclaboussent le parti travailliste. Une affaire relativement vénielle – la possession par sa femme d'un compte bancaire américain – devait d'ailleurs l'amener à abandonner au dernier moment la tête de liste aux élections législatives de mai 1977, que le parti travailliste allait perdre pour la première fois depuis la création de l'État d'Israël.
Yitzhak Rabin se retrouve un peu en retrait de la vie politique et en profite pour écrire ses Mémoires. Il obtient à nouveau des responsabilités ministérielles en 1984, année où il entre au gouvernement d'union nationale co-dirigé par son « frère ennemi », Shimon Peres, et le leader de la droite, Yitzhak Shamir. Cette coopération forcée était rendue nécessaire par la parité presque parfaite entre les camps. Yitzhak Rabin restera six ans ministre de la Défense dans ce cabinet de cohabitation. En 1985, il aide Shimon Peres à mettre en œuvre le retrait israélien du Liban – à l'exception d'une mince « zone de sécurité » au sud – afin d'entraver la guérilla du Hezbollah chiite.
À partir de décembre 1987, il doit faire face à un vaste mouvement de révolte dans les territoires occupés de Cisjordanie et de Gaza, l'Intifada. Sa réponse est d'abord purement répressive. Des milliers de Palestiniens sont arrêtés, certains expulsés vers le Liban. Il n'hésite pas à recommander de « briser les os des émeutiers », injonction que certains soldats suivront sans état d'âme. Pourtant commence peu à peu à se faire jour chez lui la conviction que la force est insuffisante pour venir à bout des Palestiniens auxquels il convient aussi d'offrir une porte de sortie politique. Son retour à la tête du gouvernement après la victoire électorale des travaillistes en juin 1992 lui en fournira l'occasion.
3. La révolution de la paix
La conférence de la paix réunie à Madrid à l'automne 1991 a permis d'amorcer des négociations entre Israéliens et Palestiniens mais très vite les discussions se trouvent dans une impasse prolongée. Yitzhak Rabin aura la sagesse de donner sa chance à des pourparlers parallèles et secrets menés en Norvège. D'abord très circonspect, il s'engage résolument dans cette voie car un accord historique est à portée de mains : ce sera la déclaration de principes du 13 septembre 1993 qui définit un processus politique destiné à régler définitivement le différend israélo-palestinien. Pour parvenir à ce succès diplomatique majeur qui lui vaudra en 1994 le prix Nobel de la paix avec Shimon Peres et Yasser Arafat, Yitzhak Rabin a accepté de briser un tabou : il a reconnu l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) comme représentant du peuple palestinien, Yasser Arafat reconnaissant pour sa part le droit à l'existence de l'État d'Israël (→ accord de Washington ou d'Oslo). Il ne reviendra plus sur cet engagement, poursuivant méthodiquement les discussions avec l'OLP malgré l'opposition de plus en plus agressive de la droite israélienne et la campagne terroriste menée par le mouvement islamiste Hamas.
Yitzhak Rabin était bien un militaire en politique : évaluant avec une infinie prudence le contexte global, il s'en tenait résolument à la stratégie arrêtée dès lors qu'il était persuadé, en son for intérieur, de sa justesse. Ce choix du dialogue direct avec l'OLP apporte à Israël des résultats assez rapides. En octobre 1994, un traité de paix en bonne et due forme est signé avec la Jordanie. Avec les Syriens, les choses s'avèrent plus compliquées mais en 1995, les parties parviennent à dresser les contours d'un futur règlement (arrangements de sécurité, lien entre normalisation des relations diplomatiques et retrait du Golan) sans toutefois qu'un accord formel soit conclu. Au niveau régional, de grandes conférences économiques sont lancées et Israël noue des relations diplomatiques avec certains États arabes du Maghreb et du Golfe.
Pourtant, ces indéniables succès s'accompagnent d'une contestation intérieure virulente. La droite israélienne, hostile à tout compromis territorial avec les Palestiniens, accuse Yitzhak Rabin de mettre en danger la sécurité du pays. Alors que les attentats à répétition perpétrés par le Hamas se multiplient, le Premier ministre est conspué comme un traître ou représenté en uniforme nazi dans les manifestations de l'opposition. Pour faire pièce à cette agitation croissante, le parti travailliste décide d'organiser une grande réunion publique de soutien au gouvernement, le 4 novembre 1995. Près de 100 000 personnes s'y rendent. Cruelle ironie du destin : au moment même où Rabin a pu mesurer qu'une partie non négligeable du peuple israélien soutient sa démarche de paix, deux balles tirées par un religieux ultra-nationaliste opposé à tout bradage de la « terre d'Israël » le fauchent. Cet assassinat bouleverse tout le pays. Un million d'Israéliens s'inclinent devant sa dépouille mortelle. Les représentants de plus de 80 nations assistent à ses obsèques. Sa fin tragique transforme Yitzhak Rabin en héros de légende, mort dans son combat pour la paix, victime du fanatisme d'un Juif né dans cet État d'Israël pour lequel il s'était tant sacrifié les armes à la main.
Pour en savoir plus, voir l'article histoire d'Israël.