Sébastien Le Prestre, seigneur de Vauban
Maréchal de France (Saint-Léger-de-Foucheret, aujourd'hui Saint-Léger-Vauban, Yonne, 1633-Paris 1707).
Un ingénieur de génie
Issu d'une famille de noblesse nivernaise, il s'enrôle en 1651 dans le régiment de Condé. Formé par le chevalier de Clerville, excellent ingénieur militaire, il participe à diverses opérations comme officier d'infanterie du régiment de Picardie et montre des qualités d’ingénieur lors des sièges de Clermont-en-Argonne (1652) et de Sainte-Menehould (1653). Rallié à Mazarin (1653) et nommé ingénieur du roi (1655), il est chargé, en 1662, de fortifier la ville de Dunkerque que Louis XIV vient de racheter aux Anglais. Il dirige, en présence du roi, les sièges victorieux de Tournai, de Douai et de Lille (1667), puis fortifie les places de Flandre à la demande de Louvois qu'il aidera puissamment dans son œuvre militaire. Nommé brigadier (1674), maréchal de camp (1675), lieutenant général (1668), puis maréchal de France (1703), il reçoit en outre, en 1678, la charge de commissaire général des fortifications, qu'il conservera jusqu'à sa mort. Il conduit avec succès cinquante-trois sièges, dont les plus remarquables sont ceux de Maastricht (1673), de Valenciennes, de Cambrai (1677), de Philippsburg (1688), de Mons (1691) et de Namur (1692). Constructeur de près de 300 places fortes (dont 33 nouvelles) aux frontières du royaume (Dunkerque, Lille, Longwy, Neuf-Brisach, Sarrelouis, Besançon, Briançon, Entrevaux, Montlouis, Perpignan, Villefranche-de-Conflent, etc.), il porte la fortification bastionnée à son plus haut degré d'efficacité et surclasse son rival hollandais M. Van Coehoorn par la souplesse de ses ouvrages. Depuis l'emploi systématique de l'artillerie lors des guerres d'Italie, on a commencé à construire des fortifications rasantes protégées par des fossés et des talus gazonnés. Perfectionnant le système des contre-mines et des casemates, Vauban réduit les angles morts en adoptant le plan en étoile plus ou moins régulière. Il porte à sa perfection l'art des fortifications enterrées : remplaçant les hautes murailles (fortifications dominantes) par des fortifications rasantes recouvertes de terre, il ajoute aux enceintes continues les forts détachés, qui n'enserrent pas la population et permettent d'étendre la défense plus loin. Défenseur hors de pair, il est aussi un remarquable attaquant : il imagine les feux croisés et les boulets creux pour disperser les terres, généralise l'usage des grenades et des pétards, dote l'infanterie du fusil (1703), complété par la baïonnette, et invente le tir à ricochet pour démonter les pièces des assiégés et détruire les angles des bastions, les cavaliers de tranchée (remparts de terre destinés à couvrir les assaillants contre les feux de la place) et les parallèles (fossés pour approcher des remparts), tout cela en vue de prendre les places plus facilement, mais aussi de ménager la vie des hommes. Avec les ingénieurs de l'armée, qu'il dirige et regroupe en un corps structuré, le génie (1692), il réalise la « frontière de fer », chaîne de places fortes qui barre, au nord et à l'est de la France, les routes d'invasion et qui se révélera très efficace dès la guerre de la Succession d'Espagne. D’autre part, il aménage, outre Dunkerque, les ports militaires de Toulon, Perpignan, Rochefort, Brest… En dehors de ces travaux militaires, il dirige la construction de l'aqueduc de Maintenon et celle du canal des Deux-Mers (aujourd'hui du Midi).
Un esprit réformateur
Bon connaisseur du royaume grâce à sa participation aux guerres et à ses incessants voyages aux frontières, Vauban fait part au roi de ses observations, critique sa politique et préconise des réformes : il signale ainsi dès 1686 les conséquences économiques de l'exode des protestants provoqué par la révocation de l'édit de Nantes et condamne cet acte arbitraire. Économiste très préoccupé d'analyser les remèdes à la misère du peuple et les conditions économiques du maintien de la puissance française, il fait procéder en Flandre aux premiers recensements et, en 1696, fait réaliser une grande enquête statistique sur les paroisses de l'élection de Vézelay ; dans ses conclusions, il démontre la nécessité d'un allégement et d'une meilleure répartition de l'impôt, d'une simplification et d'une accélération des procédures judiciaires, de l'amélioration des rendements agricoles. En 1694, il a déjà présenté un projet de capitation, impôt que paieraient tous les Français ; dans son Projet d'une dîme royale (imprimé secrètement en 1707, l'ouvrage ayant déplu à Louis XIV en raison de sa franchise de ton), il réclame une profonde réforme fiscale qui instituerait l'égalité de tous devant l'impôt : l’idée est de substituer à la multitude des taxes existantes (taille, aides, traites...) un impôt unique, pesant sur tous, égal au dixième du revenu. Décrivant la misère des classes populaires, victimes de la fiscalité royale galopante, la Dîme enseigne encore que le souverain doit égale protection à tous ses sujets ; que le travail est le principe de toute richesse, et que l'agriculture est le travail par excellence ; qu'il faut éviter les emprunts ; que toutes les entraves apportées au commerce et à l'industrie sont nuisibles au pays ; que le menu peuple qu'on méprise et qu'on accable est le véritable soutien de l'État. Apprécié de Louis XIV comme ingénieur et homme de guerre (à 73 ans il est encore appelé à diriger les travaux de défense de Dunkerque [1706]), Vauban s'aliène la faveur royale par son activité réformatrice : le 14 février 1707, la Dîme royale est proscrite par un arrêt du conseil quelques semaines avant la mort du maréchal qui avait osé dénoncer les inconvénients de l'arbitraire royal et affirmer la nécessité de réformes institutionnelles profondes à l'instar de certains de ses contemporains, tel Fénelon.
Outre des ouvrages exclusivement militaires, dont les plus importants sont un Traité de l'attaque et de la défense des places (1739) et un Traité des mines (1740), Vauban a laissé une œuvre intitulée Oisivetés (1842-43), recueil de ses écrits militaires, scientifiques et économiques. Il fut reçu à l'Académie des sciences en 1699.