cubisme
(de cube)
Courant artistique qui apparaît en France vers 1906-1907 et se développe dans les années 1910.
Qu'est-ce que le cubisme ?
La radicalité des propositions du cubisme, les recherches fondamentales qu'il engagea, les applications qui en découlèrent dans des domaines aussi variés que la musique, l'architecture ou l'esthétique industrielle ont fait de ce mouvement l'apport artistique le plus important du début du xxe s. : le paysage culturel occidental s'est enrichi grâce à lui d'une nouvelle manière de voir.
Avec le cubisme, l'art cesse de se considérer comme un interprète au service de la nature extérieure visible ou de la nature intérieure exprimable ; il ne prend plus position que par rapport à lui-même, cherche en lui-même et dans ses moyens propres son unique raison d'être.
Révolution plastique sans précédent, le cubisme doit sa vitalité et son influence sur toute l'avant-garde dans les années qui précèdent la Première Guerre mondiale aux tempéraments artistiques exceptionnels de ses inventeurs : Picasso et Braque, que suivent de peu Juan Gris, Léger et Delaunay.
Influences majeures
Trois événements préparent l’apparition du cubisme : l’exposition des toiles de Seurat au Salon des indépendants de 1905, la rétrospective Cézanne de 1907 et la découverte de la sculpture nègre.
Seurat
Au travers de son œuvre, Seurat avait tenté de formuler avec une certaine rigueur des lois mentales difficiles à dégager et qui trouvaient leur application dans la structure du tableau ; il soumettait à la méthode scientifique non seulement la poursuite de la vérité, premier dogme de l'art, mais encore celle de la beauté, son but, interprété comme harmonie. En croyant étendre les garanties de la science au domaine de l'esthétique, il avait posé la première pierre de l'édifice que le xxe s. dédiera à la plastique indépendante et abstraite sur les ruines du dogme « vériste », perspective au bout de laquelle se dessine le cubisme.
Cézanne
Cézanne, concurremment avec Seurat, assure le passage de l'impressionnisme aux mouvements qui réagissent contre lui, équilibrant la sensation par la réflexion, passant du sensoriel au mental. Les théoriciens du cubisme, Gleizes et Metzinger, remarquent : « Il prophétise que l'étude des volumes primordiaux ouvrira des horizons inouïs », et concluent : « Qui comprend Cézanne pressent le cubisme. »
Une marche fatale conduit ainsi de l'impressionnisme à Cézanne et de Cézanne au cubisme. L'exemple de Cézanne, qui réédifie la nature sur des structures primordiales et des plans colorés, exerce une influence déterminante. À la lumière de son œuvre, de nouveaux questionnements s’élaborent. Pourquoi garder le respect des apparences qui, sous nos yeux, font la nature ? Pourquoi ne pas partir seulement de celle-ci pour s'enfoncer librement dans l'invention des formes qu'elle suggère ? Pourquoi ne pas la décomposer par cette analyse et ne pas assembler les éléments qu'elle propose selon des lois qui ne seront plus désormais les siennes, mais celles de l'arrangement du tableau : le cubisme est né.
Avec lui, l'art se détourne des zones affectives et instinctives, et revient à l'exercice tout contraire de ces facultés intellectuelles d'organisation et de construction qui se sont manifestées dans le langage plastique à maintes époques, de l'Égypte au néoclassicisme en passant par la Grèce et l'Italie de la Renaissance.
La prééminence de la forme dans l'art, mise en lumière par l'exposition rétrospective de Cézanne en 1907 et la publication de ses lettres à Émile Bernard (« traiter la nature par le cylindre, la sphère, le cône »), se trouve confirmée et accentuée par la découverte de la sculpture nègre.
La sculpture nègre
Le retentissement de cet apport nouveau est d'abord perceptible chez les fauves. Derain, Matisse achètent des masques et des sculptures qui les inciteront à une stylisation archaïsante, mais ce sont les futurs cubistes qui comprennent le mieux l'intérêt de cette plastique où tout est ramené à des plans fondamentaux joints à arêtes vives. Picasso, déjà célèbre par ses œuvres des périodes « bleue » et « rose », déjà intéressé par un art primitif, celui des sculptures ibériques, comprend aussitôt tout le parti que l'on peut tirer de cette esthétique nouvelle et l'exprime dans un tableau fondamental, les Demoiselles d'Avignon (1907), où l'on peut suivre de la partie gauche à la partie droite le passage de la frontalité ibérique au style abrupt et agressif de l'art nègre, et remarquer l'analyse des formes, qui deviendra un procédé caractéristique du cubisme.
Naissance du mouvement
À la fin de 1907, par l'intermédiaire d'Apollinaire et de Daniel Henry Kahnweiler, qui vient d'ouvrir rue Vignon sa galerie, futur temple du cubisme, Picasso entre en relation avec Braque qui, l'année précédente, a travaillé à l'Estaque, site cézannien entre tous.
À partir de 1908, les deux hommes se voient quotidiennement ; leurs discussions, leurs études, leurs confrontations, leur idée (déjà avancée par Cézanne) de ramener la forme aux plans constitutifs de sa surface recevant diversement la lumière vont trouver leur solution dans la décomposition prismatique du paysage traditionnel qu'esquissent Braque à La Roche-Guyon et Picasso à Horta de Ebro. Celui-ci parvient, tout en restant fidèle au plan, à y rappeler les éléments du volume par la juxtaposition des facettes à quoi l'analyse peut ramener le relief. Dans son premier enseignement, la méthode cubiste exige que l'esprit procède d'abord par une décomposition du donné en le ramenant à ses éléments fondamentaux et irréductibles.
Le cubisme analytique
Ce cubisme analytique est celui de la première phase cubiste.
Caractéristiques
Entraînés par leur logique, les artistes allègent encore la part de la réalité en se vouant à la nature morte, où les volumes, souvent réguliers, se prêtent à la grammaire des formes. Celles-ci sont tirées de la nature, mais d'une nature réduite au rôle de point de départ, d'où il est licite de s'éloigner autant qu'on le désire. La rupture de toute attache avec la couleur constituera une étape nouvelle, inaugurera une véritable ascèse requise par ce culte exclusif de la forme. Un chromatisme sourd de beiges, de gris bleutés et de bruns marque ces œuvres, où reviennent en leitmotive guitares, pipes et bouteilles dessinées à l'équerre et au compas. Face au fauvisme, instrument d'expression, le cubisme est aussi un instrument de délectation ; il joue librement de son vocabulaire de lignes, de formes et de couleurs pour en tirer les ressources les plus neuves et les plus autonomes. Le monde visible, ce que le public appelle la réalité, cesse d'être intangible ; l'artiste le disloque, le concasse et, de ces débris épars, il recompose, selon des lois qui ne sont plus celles de la vraisemblance, le tableau, objet gratuit et neuf.
Regard scientifique
Comme la science moderne, l’artiste remplace la véracité des apparences par des rapports d'harmonie presque mathématiques : « Il n'est pas nécessaire, écrit Gleizes, que la peinture évoque le souvenir d'un pot à eau, d'une guitare ou d'un verre, mais une série de rapports harmonieux dans un organisme particulier au moyen même du tableau. »
À partir du cubisme, l'œuvre d'art n'est plus livrée sans fin à des impulsions, elle est prise en main par un dogmatisme qui veut trouver en elle son application et même sa démonstration. Il est aisé de reconnaître dans cette démarche la marque de l'époque. Elle se rattache au nouvel esprit que le développement des sciences avait imposé depuis près d'un siècle : on révère, on admire, on imite, fût-ce par un mimétisme inconscient, l'esprit scientifique ; le lyrique compagnon des cubistes, Apollinaire, s'y réfère souvent : « L'art doit étudier scientifiquement […] l'immense étendue de son domaine. » Juan Gris, l'un des peintres les plus lucides du groupe, admettait d'ailleurs que l'école nouvelle ne pouvait être séparée de la mentalité générale : « Le cubisme doit avoir forcément une corrélation avec toutes les manifestations de la pensée contemporaine. On invente isolément une technique, un procédé, on n'invente pas de toutes pièces un état d'esprit. »
Approche intellectuelle
Les intellectuels jouent un rôle important dans l'élaboration de ces doctrines. Le critique Maurice Raynal découvre aux artistes les philosophes de l'absolu. Ainsi, pour Platon, « les sens ne perçoivent que ce qui passe, l'intelligence ce qui demeure » ; pour Malebranche, « la vérité n'est pas dans nos sens, mais dans l'esprit ». Le mathématicien Maurice Princet écrit des textes esthétiques (préface à l'exposition Delaunay-Laurencin, 1912) et montre comment les mathématiques procèdent en se donnant à elles-mêmes leur objet et comment, se fiant au mécanisme de leur enchaînement logique, elles ne reculent devant aucune de ses conséquences, dût-elle heurter l'évidence physique. Chaque écrivain a ses peintres : Cendrars a Delaunay et Léger ; Max Jacob, Picasso ; Reverdy, Braque ; Salmon et Apollinaire, tout le monde.
Élargissement du groupe
L'enchaînement audacieux des propositions s'accentue avec les derniers venus au cubisme (les frères Duchamp, La Fresnaye, Léger, Kupka), qui, d'abord réunis à la Closerie des Lilas, puis dans l'atelier des Duchamp à Puteaux, adoptent la formule de la Section d'Or, clef mathématique de l'harmonie dont la rigueur séduit les jeunes artistes. À partir de 1911, tous ceux qui se sont ralliés à l'esthétique cubiste, groupe du Bateau-Lavoir (sans Braque et Picasso) et groupe de Montparnasse-Puteaux, s'imposent par des expositions retentissantes au Salon des indépendants, puis au Salon d'automne.
La brutalité sans concession de la révolution cubiste, sa réprobation pour l'individualisme et les excès de l'expression personnelle entraînèrent rapidement la nécessité d'une évolution.
Le cubisme synthétique
Vers 1912, le cubisme entre dans une nouvelle phase : à la suite d'essais concluants, il se risque à la synthèse des éléments. Avec le « cubisme synthétique », des innovations techniques, comme l'introduction de lettres peintes au pochoir ou d'éléments étrangers à la peinture – le papier journal, par exemple –, se révèlent déterminantes pour la poursuite du questionnement cubiste.
Papiers collés et collages
C’est avec la Nature morte à la chaise cannée que s'inaugure, dès le printemps 1912, cette seconde période. Dans cette petite peinture ovale, le cannage est figuré par l'imprimé d'un morceau de toile cirée. Il s'agit probablement, dans le riche et vif dialogue existant entre Picasso et Braque, d'une réponse hardie aux propositions de ce dernier qui vient, quant à lui, d'introduire dans ses œuvres des surfaces de faux bois réalisées à l'aide d'un peigne de plâtrier-peintre; à la fin de l'été de la même année, il créera les premiers papiers collés. Toutes ces inventions dénotent une volonté de synthétiser la forme, c'est-à-dire de la simplifier en la débarrassant de tout élément parasite et superflu, voire de l'évoquer seulement en jouant sur l'analogie de la couleur ou de la matière. Les bandes de papier « faux bois » collées à même la toile suggèrent parfaitement la présence d'un violon ou d'une mandoline, l'étiquette imprimée celle d'une bouteille de Suze. Ces innovations permettent, en outre, d'affirmer le caractère concret de la toile, qui, en recevant des éléments solides, est plus que jamais définie comme objet. Elles permettent enfin de signifier de manière radicale et ironique une prise de distance avec la peinture illusionniste, pour laquelle la réalité doit être, parfois jusqu'à la copie servile, le référent absolu. Papiers collés et collages divers sont en fait la conséquence directe d'une autre invention, celle de la sculpture-construction, que l'on peut dater du début 1912. Due à Georges Braque, elle est poussée plus loin par Picasso. Ces sculptures murales en papier puis en tôle seront intégrées par de nombreux artistes à leurs propres recherches.
La période synthétique, à laquelle participeront activement Léger et Gris, va donner des libertés croissantes aux audaces de Braque et de Picasso. Ces recherches systématiques seront poussées par certains jusqu'à leur plus extrême conséquence : l'abstraction pure et géométrique, à laquelle aboutissent, après leur passage à travers la discipline cubiste, Mondrian, fondateur du Stijl, et Auguste Herbin, fondateur de « Abstraction-Création ».
La question de la durée
Curieusement, vers 1911, les artistes qui nient la troisième dimension (« La surface plane est un monde à deux dimensions, […] prétendre l'investir d'une troisième dimension, c'est vouloir la dénaturer dans son essence même ») s'intéressent à la quatrième dimension, où ils voient la dimension de la durée. Ils pensent que, si l'analyse des volumes par plans segmentés a permis de faire rentrer le relief et la profondeur dans la loi stricte de la surface unie, il devrait être possible analogiquement d'y ramener le successif en introduisant sur la toile ce qui peut se découvrir seulement par des regards échelonnés dans le temps. Combinant les formes frappantes retenues par cet examen en une reconstruction gratuite, on obtenait une représentation simultanée qui utilisait la durée tout en l'annulant. Cette simultanéité, Apollinaire la rêve pour la poésie, et Delaunay médite sur ses précédents néo-impressionnistes.
La réapparition de la couleur
Sous l'impulsion de Delaunay une nouvelle tendance, baptisée orphisme par Apollinaire, se fait jour au sein du cubisme même, redonnant à la couleur son rôle dynamique, faisant appel à l'une des clefs de notre temps : l'énergie. Associant la lumière-couleur au lyrisme, si durement réprimé par ses camarades, Delaunay donne libre cours à la virulence éclatante et explosive des « formes couleurs » pures, donne forme à l'énergie dans le tourbillonnement irradiant des Disques de 1913.
Chez les cubistes orthodoxes, la couleur réapparaît comme un contrepoint : présence du ton local, alternance des valeurs froides et chaudes, étalements égaux et application par points, rayures, etc. Les témoignages se multiplient, prouvant que l'évasion hors du cubisme est cherchée dans une conversion à la couleur, à l'intensité, au mouvement. Jacques Villon affirme : « Je suis le cubiste impressionniste, j'avais trop d'amour de la vie mouvante pour être cubiste sectaire. » Léger, « en cherchant l'éclat et l'intensité », rencontre le symbole le plus matériel du modernisme : la machine. Delaunay et Kupka ouvrent la porte à l'abstraction chaude, et le futurisme, utilisant les innovations du cubisme à des fins opposées, prélude à l'art cinétique.
Fin du mouvement
Le cubisme synthétique, exploitation plénière des initiatives et des découvertes nouvelles, vit son élan brisé en 1914 avec le début de la Première Guerre Mondiale. Certains étaient déjà trop marqués par la nouvelle doctrine pour la remettre en question. S'ils y restèrent fidèles, du moins l'humanisèrent-ils. Ainsi, Braque, sans rien perdre de la distance que sa vision avait su prendre à l'égard des apparences, ne se crut plus obligé de s'isoler dans l'ascétisme de la nature morte, mais, à l'amour de l'objet, ajouta celui de la nature, abandonné depuis ses débuts cubistes, et celui de l'être humain. Picasso, que l'épouvante de devenir prisonnier d'une formule précipitera toujours vers d'autres recherches (« Répéter, a-t-il dit, c'est aller contre les lois de l'esprit, sa fuite en avant »), rompit le cercle enchanté du cubisme et se dirigea momentanément vers les exemples de la tradition gréco-latine.
Les autres cubistes subirent aussi une grave crise de conscience, que leurs adversaires célébrèrent presque comme un revirement. Les artistes de tempérament proprement français tels que Roger de La Fresnaye et André Lhote affirmèrent leur position personnelle, qui se refusait à rompre avec la représentation du réel et même de la vie contemporaine, ne gardant du cubisme qu'une forte concentration des lignes et des couleurs. Les plus jeunes, Le Fauconnier, Henri Hayden, Robert Lotiron, Paul Elie Gernez, ceux qui n'avaient pas participé à la fondation du groupe, mais qui, lors de leurs débuts, en avaient subi l'envoûtement, s'en dégagèrent plus complètement encore, et le cubisme ne laissa dans leurs œuvres d'autres traces qu'un sens affirmé de la forme.
Chronologie du cubisme
CHRONOLOGIE DU CUBISME | |
Renouvellement de l'art des fauves au contact de l'art nègre. Juan Gris arrive à Paris et s'installe 13, rue Ravignan, à Montmartre, dans un immeuble d'ateliers dénommé par Max Jacob le « Bateau-Lavoir » et où logent Picasso, Mac Orlan, Salmon, Gargallo, puis Reverdy. | |
Picasso termine les Demoiselles d'Avignon. Paysages cézanniens de Braque à La Ciotat et à l'Estaque. Rétrospective de Cézanne au cinquième Salon d'automne (56 œuvres) et publication de ses lettres à Émile Bernard. Influence de Cézanne sur de nombreux jeunes peintres : Fernand Léger, André Lhote. Ouverture de la galerie Kahnweiler rue Vignon. Rencontre Picasso-Braque. | |
Picasso organise dans son atelier un banquet en l'honneur du Douanier Rousseau. Géométrisation cézanienne chez Braque à l'Estaque. Développement du groupe du Bateau-Lavoir : Apollinaire, Braque, Juan Gris, Max Jacob, Kahnweiler, Marie Laurencin, Metzinger, Picasso, Princet, Raynal, André Salmon, Gertrude et Leo Stein. Passage Dantzig, dans l'immeuble dit « la Ruche », un autre groupe se constitue autour de Fernand Léger, d'André Mare, d'Archipenko ; ces artistes se lient avec Apollinaire, Max Jacob, Reverdy. Le jury du Salon d'automne refuse cinq toiles de Braque sur sept (Matisse parle à leur sujet de « petits cubes ») et une toile de Lhote, la Grappe. Braque retire tout son envoi et n'exposera plus à ce Salon jusqu'en Séjour de Picasso à La Rue-des-Bois (Oise) : cubisme cézannien. Exposition Braque chez Kahnweiler : préface d'Apollinaire. | |
Extension du cubisme cézannien chez Delaunay, Gleizes, Herbin, Le Fauconnier, Léger, Lhote, Metzinger, Picabia. Ralliement des sculpteurs Archipenko et Brancusi. Delaunay expose un autoportrait au Salon des indépendants. Braque expose pour la dernière fois à ce Salon ; il n'y reviendra qu'en Vacances de Braque à La Roche-Guyon, de Picasso à Horta de San Juan (ou « de Ebro »), où il fait la synthèse des styles nègre et cézannien. Septième Salon d'automne : Léger, Metzinger, Brancusi, Le Fauconnier. Picasso quitte le Bateau-Lavoir pour le boulevard de Clichy, expose chez Vollard (dernière exposition parisienne jusqu'en Larionov organise à Moscou une exposition d'avant-garde française. Bref séjour de Braque et de Derain à Carrières-Saint-Denis. | |
Développement du cubisme analytique chez Braque et Picasso. Les autres artistes pratiquent encore un cubisme cézannien. Adhésion au cubisme du sculpteur Csáky, des trois frères Duchamp (Gaston, dit Jacques Villon, Raymond, dit Duchamp-Villon, et Marcel), de Roger de La Fresnaye et de Marcoussis. Léger rencontre chez Kahnweiler Braque et Picasso. Salon des indépendants : Delaunay, M. Duchamp, Gleizes, Le Fauconnier, Léger, Lhote, Metzinger et les sculpteurs Archipenko, Brancusi et Duchamp-Villon. Braque passe l'été à l'Estaque, Picasso à Cadaquès avec Derain, que tente un instant le cubisme. Picasso : série de portraits (Uhde, Vollard, Braque, Kahnweiler). Salon d'automne : M. Duchamp, La Fresnaye, Gleizes, Le Fauconnier, Léger, Metzinger, Picabia et Duchamp-Villon. L'Association des artistes de Munich, organisée par Kandinsky, expose des œuvres cubistes. Exposition André Lhote à la galerie Druet. | |
Premières œuvres cubistes de Juan Gris. Formation du groupe de Puteaux (les Duchamp, Gleizes, La Fresnaye, Léger, Metzinger, Picabia, Kupka). Lieu de réunion : l'atelier de Jacques Villon, 7, rue Lemaître, à Puteaux. Ces artistes s'engagent déjà sur la voie de l'abstraction et organisent le premier Salon de la Section d'Or. Georges Valmier et Serge Férat se rapprochent du mouvement. Première exposition d'ensemble des cubistes au Salon des indépendants ; dans une même salle : Exposition cubiste au Cercle des indépendants à Bruxelles. Première exposition Picasso aux États-Unis, à la Photo Secession Gallery de New York. Gris, Picasso et le sculpteur Manolo passent l'été à Céret, qualifié ensuite de « Mecque du cubisme ». Mondrian s'installe à Paris Salon d'automne ; les cubistes sont réunis dans une même salle : Gleizes, M. Duchamp, Kupka, La Fresnaye, Le Fauconnier, Léger, Lhote, Metzinger, Picabia, Reth, J. Villon, Archipenko, Csáky et Duchamp-Villon. Delaunay participe à la première exposition du Blaue Reiter à Munich. | |
Généralisation de l'influence cubiste sur des étrangers fixés à Paris : adhésion du Russe Léopold Survage, du Néerlandais Mondrian, du Mexicain Diego Rivera. Expositions cubistes en Europe : à la galerie Dalmau à Barcelone, au Sturm à Berlin, au Sonderbund à Cologne, au Blaue Reiter à Munich, au Valet de Carreau à Moscou, à la Kunsthaus à Zurich, à la deuxième exposition postimpressionniste de Londres. Retour à la couleur et à une certaine lisibilité. Delaunay et Lotiron peignent la cathédrale de Laon. Première exposition Léger chez Kahnweiler. Première exposition Delaunay et Marie Laurencin à la galerie Barbazanges. Salon des indépendants. Le clou en est Delaunay commence la série des Fenêtres. Premier dîner des Artistes de Passy, présidé par Paul Fort, rue Raynouard, dans la maison de Balzac : Apollinaire, Duchamp-Villon, Laurencin, Le Fauconnier, Léger, Mare, Metzinger, Picabia, Henry Valensi, Villon. Salon d'automne : Duchamp, Gleizes, Kupka, La Fresnaye, Laurencin, Le Fauconnier, Léger, Marcoussis, Metzinger, Picabia, Rivera, Csáky. Premier numéro de la revue | |
Salon des indépendants, caractérisé par l'affirmation du dynamisme et de la couleur chez les tenants de l'orphisme (Delaunay, Kupka, Picabia) et les synchromistes américains (P. H. Bruce, A. B. Frost, Morgan Russel et Stanton Macdonald-Wright). Exposent aussi Gleizes, Laurencin, La Fresnaye, Lhote, Marcoussis, Mondrian, Metzinger, Reth, Valmier. Braque, Gris, Picasso séjournent à Céret. Expression plus tranchée de la personnalité de chacun et développement du cubisme synthétique. Salon d'automne : Gleizes, Kupka, La Fresnaye, Le Fauconnier, Lhote, Metzinger, Picabia, Rivera et Duchamp-Villon. Picasso expose à Berlin, à Munich, à Cologne et à Prague ; Delaunay et Braque, à Berlin. Extension des expositions cubistes à l'étranger : au Sturm à Berlin, à la Moderne Galerie à Munich, au premier Salon d'automne allemand, aux Doré Galleries à Londres. Aux Etats-Unis, très importante manifestation de peinture moderne de l'Armory Show, mais présentation non groupée des œuvres cubistes. | |
Expositions Picasso et Braque en Allemagne et aux États-Unis (« Galerie 291 » et « Secession Art Gallery »). Gleizes, Metzinger, les Duchamp exposent au Sturm. La sculpture cubiste s'affirme avec l'adhésion de Laurens, de Lipchitz, de Zadkine et de Duchamp-Villon (le Cheval). Picasso : constructions en bois et en tôle peinte. Trentième Salon des indépendants : Delaunay, Férat, Gleizes, Laurencin, Lhote, Marcoussis, Metzinger, Mondrian, Picabia, Survage, Sonia Terk-Delaunay, Villon, Archipenko, Csáky, Zadkine. Séjours de Gris à Collioure, de Braque à Sorgues, de Picasso à Avignon. Déclaration de guerre et dispersion du groupe cubiste. |
Les grands créateurs
Picasso
En 1906, Picasso rompt avec la virtuosité des œuvres de ses périodes bleue (1901-1904) et rose (1905-1906).
L’influence de l’art ibérique et de l’art nègre
Les sculptures archaïques ibériques marquent de leur forte plasticité (larges yeux, lourdes arêtes nasales) le portrait de Gertrude Stein (1906) et les deux figures centrales des Demoiselles d'Avignon (Museum of Modern Art, New York). Les trois autres figures, préparées par de nombreuses études, dénotent l'influence de l'art océanien et de l'art nègre, que Picasso a connus au musée du Trocadéro. On y note des traits qui deviendront spécifiques de l'esthétique cubiste : association d'éléments vus sous des angles différents (yeux vus de face, nez de profil), rabattement du dos et des membres dans un même plan. Cette première période « nègre » aboutit au Nu à la draperie (1907, musée d'Art moderne occidental, Moscou), où les volumes sont exprimés par l'imbrication dans le plan de secteurs anguleux tout en hachures divergentes.
La leçon de Cézanne
Picasso traverse ensuite une phase cézannienne caractérisée par les paysages de La Rue-des-Bois, les natures mortes de l'hiver 1908-1909 et les paysages de Horta de Ebro (été 1909). Travaillant de mémoire depuis trois ans, il insiste de plus en plus sur la géométrie de petits secteurs équilibrés et sur la synthèse d'un maximum d'informations réunissant en une même image des vues prises sous des angles différents.
Cubisme analytique
Le cubisme analytique amorcé dans la Jeune Fille à la mandoline (1910, collection particulière, New York) se développe dans les toiles de Cadaquès (été 1910) et ne cesse de gagner en acuité (Portrait de Kahnweiler, 1910, Art Institute, Chicago). Toute profondeur véritable fait place à la pulsation à fleur de toile de petits plans qui se chevauchent, s'interpénètrent avec un raffinement extrême dans une gamme restreinte de gris, de beiges et de verts sourds, tandis qu'apparaissent des signes graphiques : crosses, cartes à jouer ou flèches (l'Oiseau blessé, 1911, collectionMarc Chadourne).
Naissance du collage et cubisme synthétique
Un renouveau d'audace aboutit en 1912 à l'invention du collage dans la Nature morte à la chaise cannée, où est fixé un morceau de toile cirée à motif de cannage imprimé. Le réel colonise donc la surface du tableau par l'intermédiaire de bouts de tissus, de papiers froissés, de fragments métalliques ; il intervient aussi sous une forme illusionniste, avec la technique du faux bois pratiquée par l'artiste pendant l'été 1912, passé à Sorgues en compagnie de Braque.
La couleur réapparaît dans la série de natures mortes Ma jolie, inspirée par une chanson à la mode, O Manon, ma jolie. L'objet ne se trouve plus analysé, mais synthétisé ; une stylisation géométrique à la fois plus détendue, plus figurative et plus humoristique marque les années 1913-1914. Dans un Violon de 1913, des reproductions imprimées de fruits figurent le contenu d'un compotier ; un collage de papier froissé représente le velours de la faluche dans l'Étudiant à la pipe.
Le retour à la couleur (Nature morte au papier peint rouge, 1914, collection particulière, Berlin) s'intensifie pendant les années de guerre (l'Italienne, 1917, collection Bürhle, Zurich), tandis que l'utilisation des courbes et des arabesques oriente le cubisme synthétique de Picasso vers une séduction nouvelle, que consacre le rideau du ballet Parade. Picasso prend déjà ses distances avec le mouvement dont il fut le créateur, mais celui-ci lui inspire encore de grandes œuvres : la Fenêtre (1919), les Trois Musiciens (1921, musée de Philadelphie) ; il gardera parfois une fidélité relative à ces techniques, mais le génial intermède de la rigueur cubiste est terminé pour lui.
Braque
Braque et Picasso
Le peintre français n'a pas encore la célébrité de Picasso quand Apollinaire les présente l'un à l'autre, mais ses toiles fauves peintes à La Ciotat et à l'Estaque pendant l'été 1907 sont d'un grand maître. Passionnément intéressé par la nouveauté plastique dont témoignent les Demoiselles d'Avignon, il tente, à son tour, d'abandonner la perspective unitaire avec sa grande Baigneuse (1907, collection Cuttoli). Des liens étroits, souvent quotidiens et qui se resserreront encore dans les années suivantes, s'établissent entre les deux artistes. Ceux-ci décident bientôt de ne plus signer leurs œuvres qu'au revers, et leur manière, au cours de cette phase héroïque du cubisme, est souvent tellement similaire qu'il est parfois difficile de distinguer les tableaux de Picasso de ceux de Braque.
La phase analytique
En 1908, Braque insiste sur la décomposition cézannienne des volumes dans les paysages de l'Estaque exposés en novembre chez Kahnweiler. À leur sujet, le critique du Gil Blas, Vauxcelles, écrit : « Braque […] réduit tout à des schémas géométriques, à des cubes. » Travaillant parfois de mémoire comme Picasso (le Port, 1909, collection W.P. Chrysler, New York), Braque développe le jeu des touches parallèles, des passages et de la fragmentation des plans dans ses vues de La Roche-Guyon (été 1909). Pendant l'hiver 1909-1910, son cubisme analytique se constitue à travers les paysages plus arbitrairement orthogonaux de Carrières-Saint-Denis et les natures mortes, où la reconstruction linéaire prime la décomposition des formes (Verre sur une table, collection Hornby, Londres).
Compositions abstraites
Braque se tourne, l'été venu, vers des compositions abstraites (les Usines de Rio Tinto à l'Estaque) suggérant plutôt que décomposant les objets par des facettes et des arêtes. C'est l'époque des compositions ovales et des toiles « hermétiques », où l'apport du monde extérieur se réduit à quelques suggestions et laisse la place libre aux exercices abstraits (Homme au violon, 1911, collection Bürhle, Zurich).
Collages
Mais déjà Braque a peint au pochoir le mot Bal et des chiffres sur la toile intitulée le Portugais (musée de Bâle), innovation riche de possibilités, qu'il répétera dans ses natures mortes à son retour de Céret.
En 1912, les premiers collages concrétisent le passage du stade de la représentation à celui du phénomène plastique. Mais Braque, capable de prendre à l'égard de la réalité les mesures les plus abusives et les plus arbitraires, maintient fermement sa présence, fût-elle dissimulée et secrète, traduite seulement par l'émotion qu'elle suscite. Il réalise en septembre le dessin intitulé Compotier et verre avec une feuille de papier imitant le bois, procédé qu'il emploiera souvent et dont il avait appris la technique pendant ses années d'apprentissage comme peintre en bâtiment. Pour lui, outre cet aspect de matérialité concrète, la fonction première du papier collé est picturale : les surfaces quadrangulaires de journaux découpés et de papiers aux couleurs sourdes sont les plans de base à partir desquels se développe la composition. L'aspect et la technique de beaucoup de toiles de Braque en 1913 et en 1914 découlent directement des papiers collés. Un certain nombre de détails sont des « clés » pour déchiffrer l'œuvre : par exemple, dans la Femme à la guitare, un journal avec son titre et le mot sonate. Aisance et libre jouissance du terrain plastique conquis s'expriment dans les œuvres de 1914 : Femme assise, Nature morte à la pipe.
La mobilisation surprend Braque à Sorgues, où il travaille non loin de Picasso et de Derain, installés à Avignon. À son retour du front, désormais séparé de Picasso dont l'évolution diverge de la sienne, il se libère, au profit d'un art d'équilibre et de sensibilité, de toute règle trop stricte : la phase dogmatique de l'avant-guerre est close.
Juan Gris
Venu d’Espagne à Paris en 1906, doté d’une formation scientifique (il sortait de l'École d'arts et manufactures de Madrid), Juan Gris s'installe au Bateau-Lavoir, où il fait la connaissance de Picasso. Dessinateur publicitaire, il exécute d'abord des gouaches et des aquarelles très « modern style », puis en 1910 des œuvres plus naturalistes. À partir de 1911, il peint à l'huile, interprétant méthodiquement les découvertes de ses camarades. Il expose chez Clovis Sagot, au Salon des indépendants (Hommage à Picasso) et à la Section d'Or, puis, à l'exemple de Picasso et de Braque, cesse de montrer ses œuvres dans les Salons.
Son intelligence mathématique cherche à clarifier le désordre apparent du cubisme analytique. L'Hommage à Picasso (Art Institute, Chicago), synthèse de vues différentes du visage organisées en facettes sous un éclairage latéral, illustre une démarche réfléchie, plus intellectuelle, moins intuitive que celle de Picasso et de Braque.
Dans le Portrait de Germaine Raynal (1912, collection Raynal), il recourt à une charpente de lignes, telle l'armature d'un vitrail, et étudie son sujet sous un angle particulier à l'intérieur de chaque compartiment. Cette méthode, transposée avec une précision accrue dans des natures mortes dont il nous livre presque la description en plan, coupe et élévation, aura une forte influence sur les personnalités secondaires du mouvement cubiste.
Juan Gris est le premier à suivre Picasso dans ses recherches de collages en introduisant un morceau de miroir comme témoin irréductible de la réalité dans sa toile intitulée le Lavabo (1912, galerie Louise-Leiris).
Il trouvera dans le cubisme synthétique le climat idéal pour son intelligence doctrinaire, que tente la proposition suivante : puisque, en définitive, il importe toujours d'aboutir à une construction plastique, ne serait-il pas justifié de s'en tenir dès le début aux formes abstraites conçues par l'esprit ? Il ne reniera cependant jamais la nature : « Cézanne, d'une bouteille, fait un cylindre, d'un cylindre, je fais une bouteille, une certaine bouteille. » Sans abandonner la couleur, comme le montrent les paysages exécutés en 1913, à Céret, auprès de Braque et de Picasso, il élabore une esthétique personnelle que définissent les grandes surfaces géométriques en trompe l'œil de bois dans un Violon et guitare de 1913 (collection D. Colin, New York).
Pendant la guerre, ses recherches se font plus complexes et plus raffinées Nature morte à la guitare, 1915 musée Kröller-Müller, Otterlo). Le nombre des objets augmente, ainsi que leur fragmentation dans l'espace. Dans la Nature morte en face d'une fenêtre ouverte, les objets, hors certains détails en trompe l'œil, perdent leur individualité, deviennent les produits de la mémoire et de l'intellect.
Cette évolution semble en rapport direct avec une schématisation des formes que Gris réalise depuis 1914 dans ses papiers collés. De 1917 à 1920, alliant la précision intellectuelle à l'intuition plastique, Gris peint des toiles qui resteront parmi les plus élégantes, les plus solides et les plus démonstratives qu'ait produites le cubisme (le Joueur de guitare, le Damier, 1919). La fin de sa carrière, interrompue par une grave maladie en 1920, est caractérisée par des formes plus sinueuses, plus modelées, plus détendues. Gris demeure néanmoins entièrement fidèle au cubisme et à son austérité poétique.
Les cubistes orthodoxes
Serge (ou Édouard) Férat
Fixé à Paris en 1901, il expose dans les Salons. Il est l'un des premiers amateurs du Douanier Rousseau, devient en 1913 propriétaire de la revue les Soirées de Paris, où Apollinaire défend toute l'avant-garde littéraire et plastique, et expose dans la salle cubiste en 1914. Il est le créateur des costumes et décors des Mamelles de Tirésias en 1917. Sa peinture se signale par sa fraîcheur de coloris, son charme intime et raffiné (Nature morte, verre, pipe et bouteille, 1914-1915).
Albert Gleizes
Il est l'un des fondateurs de l'Abbaye de Créteil avec Charles Vildrac, Georges Duhamel, Jules Romains. Dès 1907, ses recherches intellectuelles l'orientent dans la même voie de simplification que le cubisme, dont il deviendra par la suite le théoricien (Du cubisme, 1912, en collaboration avec Metzinger, le Cubisme et la tradition, 1913, etc.). Il participe à la création du groupe de la Section d'Or. Sa vision reste fidèle au sujet et se distingue par sa monumentalité (les Moissonneurs, 1912, musée Guggenheim, New York, l'un des plus grands formats de la peinture cubiste). Réformé pendant la guerre, il rejoint à New York Picabia, dont l'abstraction moderniste répond un moment à ses recherches. Par la suite, préoccupé de problèmes spirituels, il tente d'appliquer la synthèse cubiste aux traditions de l'art sacré.
Henri Le Fauconnier
(Hesdin 1881-Paris 1946). Élève de l'académie Julian, admirateur des nabis, il s'oriente vers le cubisme à partir de 1909 (Portrait de Pierre Jean Jouve), mais sans dépasser le stade d'une simplification en facettes, respectueuse de la perspective classique. En 1912-1913, il subit l'influence de Léger, puis évolue vers un expressionnisme qu'imiteront ses confrères hollandais, auprès desquels il séjourne de 1914 à 1921. Un réalisme austère marque la suite de sa carrière.
André Lhote
Critique tout autant que peintre, il a défendu l'art moderne avec véhémence dans son académie et dans des écrits importants (Traité du paysage, 1939 ; Traité de la figure, 1950). Son esprit d'analyse, son goût des démonstrations théoriques ont rallié au cubisme, à partir de 1911, cet autodidacte féru de sculpture gothique et admirateur de Cézanne, qui s'était d'abord orienté vers le fauvisme. Il participe avec les cubistes au Salon d'automne et aux premières manifestations de la Section d'Or, mais refuse de s'inféoder à un groupe. Son art inclinera vers un « cubisme sensible » où le paysage et l'être humain tiennent une place importante.
Louis Marcoussis
Il est influencé par l'impressionnisme jusqu'en 1907, puis, après avoir rencontré Apollinaire, Braque et Picasso vers 1910, adopte le cubisme et participe ensuite aux réunions de la Section d'Or ; il restera fidèle à cette esthétique, en la pliant à sa sensibilité (la Tranche de pastèque, 1926 ; le Liseur sous la lampe, 1937). Graveur remarquable, il illustre Aurélia de Nerval et Alcools d'Apollinaire.
Jean Metzinger
Organisateur et théoricien du cubisme, il entre en contact avec les artistes du Bateau-Lavoir en 1908 par l'intermédiaire de Max Jacob. Il expose au Salon des indépendants de 1910 un Portrait d'Apollinaire, qualifié par son modèle de premier portrait cubiste, et au Salon d'automne de 1911 le Goûter, surnommé « la Joconde du cubisme ». En 1910 paraît sa Note sur la peinture, en 1912 Du cubisme, écrit avec Gleizes. Il ne reniera jamais les doctrines de sa jeunesse, même dans ses œuvres abstraites.
Les dissidents
Robert Delaunay
Les déformations audacieuses qu'il introduit dans la série des églises Saint-Séverin, en 1909, sont parallèles aux recherches des cubistes, auxquels il se joint en 1910 tout en s'en différenciant déjà par l'importance primordiale accordée à la lumière et à la couleur.
De 1910 à 1912, sa période proprement cubiste, qu'il nomme, sans intention péjorative, sa « période destructive », est consacrée aux Villes et aux Tours. L'architecture structurée de certaines Fenêtres sur la ville s'apparente au cubisme analytique, tandis que s'en éloigne le lyrisme des Tours Eiffel, où les contrastes colorés brisent les volumes, dérèglent la perspective, exaltent l'espace.
Les Tours de Laon de 1912, la Ville de Paris au Salon des indépendants de la même année marquent à la fois l'apogée et la fin du passage météorique de Delaunay à travers le cubisme. L'Équipe de Cardiff (1912-1913, musée d'Eindhoven) illustre cependant, aussi bien que les Disques de 1913, l'acheminement vers cette hérésie colorée du cubisme qu'Apollinaire baptise orphisme et qui groupe, autour de Delaunay, Kupka, Picabia et les Américains Bruce, Frost, Morgan Russel, Macdonald-Wright. Lyrisme de couleurs pures, contrastes simultanés, dynamisme des formes circulaires orientent de plus en plus l'art de Delaunay vers les rythmes purs et l'abstraction.
Roger de La Fresnaye
Il est élève à l'École nationale des beaux-arts en 1904 et à l'académie Ranson en 1908, où il reçoit les leçons de Maurice Denis et de Paul Sérusier. Sa manière est sobre, analytique. Tête d'or de Claudel lui inspire une série de dessins à partir desquels il exécute le Cuirassier (1910-1911, musée national d'Art moderne) et l'Artillerie (1911, collection particulière), dont l'imagerie directe et les volumes simplifiés scandalisent le public. Avec ses paysages de La Ferté-sous-Jouarre et de Meulan, La Fresnaye passe de la leçon de Gauguin à celle de Cézanne. En 1912, il commence à fréquenter les cubistes, mais plus rarement ceux du Bateau-Lavoir, assiste aux dîners des Artistes de Passy et s'associe au mouvement de la Section d'Or. Il collabore, aux côtés de Villon, de Paul Vera et de Marie Laurencin, à la Maison cubiste d'André Mare et Duchamp-Villon.
Introduisant la couleur et utilisant les grands plans constructifs dans ses natures mortes (à l'équerre, à la mappemonde, à la bouteille de térébenthine), il aboutit, avec la Conquête de l'air (1913, Museum of Modern Art, New York), l'Homme assis (1914, collection particulière), le 14 Juillet, à une conception sobrement figurative du cubisme, renouant ainsi avec la tradition française d'équilibre et de rigueur d'un Fouquet ou d'un Poussin. Séparé de ses camarades par la guerre et par la maladie qu'il contracte au front, il revient après 1918 à une manière plus naturaliste.
Fernand Léger
Installé à la Ruche, il se lie avec Apollinaire, Reverdy, Cendrars, le Douanier Rousseau. Son admiration pour Cézanne l'incite à la simplification des formes (la Couseuse, 1909, Museum of Modern Art, New York), puis à des recherches sur la composition par entassement de volumes cylindriques et coniques (Nus dans la forêt, 1909-1910, musée Kröller-Müller, Otterlo). La rencontre, en 1910, de Picasso et de Braque le libère de l'emprise cézannienne et lui inspire une manière plus linéaire, formulée bientôt en aplats de couleurs pures. La construction pyramidale de la Femme en bleu (1912, musée de Biot) est un emprunt au cubisme analytique, mais on y note aussi un rythme dynamique et une préoccupation mécaniste qui caractériseront les œuvres ultérieures de Léger.
Une série de toiles exécutées vers 1913 (Contrastes de formes) va jusqu'à l'abstraction. « Ce n'est pas une fin en soi ; simplement un moyen de désintoxication et de nouveau départ pour de nouvelles conquêtes, un moyen de se parfaire. » L'amour du réel, le mépris de tout romantisme de Léger s'affirment pendant la Première Guerre mondiale, le laissant « ébloui par une culasse de 75 ouverte en plein soleil ». Gazé à Verdun, puis réformé, il peint pendant sa convalescence la Partie de cartes (1917, musée Kröller-Müller, Otterlo), inaugurant une période dite « mécanique », où le dynamisme inventif des formes « tubistes » équilibre le statisme de la composition (les Disques, 1918, musée d'Art moderne de la ville de Paris) ; la Ville, 1919-1920, musée de Philadelphie). Doué d'un tempérament puissant, Léger a développé ses recherches plus parallèlement que conjointement au cubisme, qui l'a libéré, cependant, de toute convention picturale et l'a aidé dans sa quête de la richesse plastique du monde moderne.
Jacques Villon
De son vrai nom Gaston Duchamp, Jacques Villon dessine pour les journaux satiriques et peint dans le style postimpressionniste, puis dans le style fauve jusqu'à son adhésion au cubisme analytique en 1911. Il participe aux dîners de Passy et aux mardis de la Closerie des Lilas. Ses toiles sont divisées selon le procédé de la Section d'Or ; le mouvement du même nom se constitue autour de lui. À Puteaux, l'atelier qu'il partage avec son frère Raymond Duchamp-Villon est l'un des foyers du cubisme : Gleizes, Delaunay, La Fresnaye, Léger, Kupka, etc., s'y retrouvent. Ses préoccupations le poussent, comme son frère Marcel, vers l'expression du mouvement (Soldats en marche, 1913 ; Cheval de course, 1922), mais aussi vers un chromatisme très subtil. Dans sa longue carrière, Villon n'abandonnera jamais, même à travers ses expériences abstraites, un cubisme personnel fondé sur les « valeurs-couleurs » et leurs dissociations prismatiques.
Dans la mouvance
Autour du cubisme, en subissant la tentation et s'inspirant plus ou moins longtemps de ses théories, gravitent encore un certain nombre d'artistes de l'école de Paris : Roger Bissière (1888-1964), Maria Blanchard (1881-1932), Emmanuel Gondouin (1883-1934), Henri Hayden (1883-1970), dont l'importance est de plus en plus reconnue, Marie Laurencin (1885-1956), Alfred Reth (1884-1966), Léopold Survage (1879-1968), Georges Valmier (1885-1937), etc.
L'expressionnisme germanique comme les expressionnismes scandinave, flamand et latino-américain adoptent cette organisation autoritaire de l'espace, où se distinguent August Macke, Lyonel Feininger, Diego Rivera…
Enfin, les déviations du cubisme vers le futurisme et l'abstraction engendrent des mouvements cohérents, tels le vorticisme de Percy Wyndham Lewis, le purisme d'Amédée Ozenfant et d'Édouard Jeanneret, le néoplasticisme de Mondrian et de Théo Van Doesburg, le suprématisme de Malevitch.
La sculpture cubiste
Picasso et Brancusi
L'apport esthétique des sculpteurs au cubisme ne peut être considéré comme équivalant à celui des peintres : exprimer des volumes par la multiplicité des points de vue est naturel à la sculpture. C'est Picasso qui, le premier, applique à des œuvres à trois dimensions la tentative de décomposition d'un objet et de synthèse de ses éléments (Tête de femme, bronze, 1909). Parallèlement à lui et fasciné comme lui par les arts primitifs, Brancusi entreprend de simplifier à l'infini la forme humaine (Muse endormie, 1909 ; le Baiser, 1910).
Alexander Archipenko
Arrivé à Paris en 1908, il apparaît comme le premier sculpteur cubiste avec ses « sculpto-peintures », où sont intégrés dès 1910 des éléments transparents. Il figure les objets par les intersections de leurs plans (Tête, 1913) ; Archipenko expérimente les contrastes d'évidement et de relief en suggérant les pleins par les creux (le Gondolier, 1914).
Joseph Csáky
À partir de 1911, il expose avec les cubistes des constructions géométriques et des reliefs polychromes qui sont l'application systématique des théories du cubisme. Il rêve d'élever celui-ci au rang d'un nouveau classicisme.
Raymond Duchamp-Villon
L’artiste s'attache à rendre la densité des formes géométriques (Portrait de Baudelaire, 1911), puis le dynamisme, la suggestion de mouvement que présupposent les formes spirales ou hélicoïdales, et la discontinuité des masses (le Cheval, 1914).
Henri Laurens
Laurens rejoint le mouvement en 1911. Constructions de bois, de pierre et de métal, reliefs polychromes illustrent son style un peu archaïsant, qui s'orientera plus tard vers des formes curvilignes.
Jacques Lipchitz
Lipchitz adopte à partir de 1915 la réduction des apparences à des schémas géométriques. Il compose des architectures austères (l'Homme à la guitare, 1918) et ne revient qu'à partir de 1925 à des formes plus sinueuses.
Ossip Zadkine
Zadkine est l'un de ceux qui adhèrent le plus nettement au cubisme. Il utilise les emboîtages de volumes, le style monolithique, la polychromie. La suite de son œuvre, par sa stabilité et ses déformations volontaires, à valeur expressionniste, répond bien à l'idéal de sa jeunesse.
Conclusion
Certains artistes attachent une importance particulière aux propriétés plastiques du métal que Picasso a mises en évidence. Il s'agit de Pablo Gargallo (1881-1934) et de Julio González (1876-1942), pour lesquels la sculpture devient une formulation capricieuse de l'espace à travers des plans irréguliers, des tubulures, des pointes, des festons.
Beaucoup moins cohérente que la peinture, la sculpture cubiste, par ailleurs, porte en elle les germes essentiels que développera l'abstraction.