Kazimir Malevitch
Peintre et théoricien russe d'origine polonaise (près de Kiev 1878-Leningrad 1935).
Figure de proue de l’avant-garde russe, Kazimir Malevitch donna naissance à l’un des courants de l’abstraction, connu sous le nom de « suprématisme ». Aussi a-t-il joué dans l’évolution de l’art moderne un rôle comparable à ceux de Kandinsky et de Mondrian.
La force des influences
Issu d’une famille d’origine polonaise, Kazimir Malevitch est destiné par son père à la prêtrise. Dès l’âge de 10 ans, il cultive cependant ses dons artistiques en recourant à des couleurs vives et à des formes géométriques pour peindre et dessiner. Après avoir fréquenté les Beaux-Arts de Kiev, il s’installe à Moscou en 1904 afin de s’y inscrire à l’Académie de peinture. En même temps que l’art de l'icône, il découvre la peinture française. Il se lie par ailleurs avec Michel Larionov et son épouse Natalia Gontcharova, dont les œuvres mêlent inspiration populaire et innovation formelle. À ses premières toiles, plutôt impressionnistes (Femme à la fleur, 1903, Musée russe, Saint-Pétersbourg ; Pommiers en fleurs, 1904, ibid.), succèdent en 1907-1908 de grandes gouaches qui, par la violence de leurs couleurs, rappellent les fauves, mais qui font aussi penser aux expressionnistes allemands de Die Brücke. Malevitch est ensuite de toutes les manifestations de l’avant-garde russe : expositions du « Valet de carreau » (1910), de « la Queue d'âne » (1912) et de « la Cible » (1913). À l’invitation de Kandinsky, il participe aussi à la deuxième exposition du Blaue Reiter (1912).
En 1913, Malevitch découvre le mouvement futuriste, exaltant la civilisation urbaine et technicienne, en réalisant les décors et les costumes d’un opéra intitulé la Victoire sous le soleil. Il est certain qu’à Moscou il a également pris connaissance des toiles de Picasso acquises par des collectionneurs. Au futurisme il va emprunter la couleur et au cubisme, la fragmentation des volumes – d’où la tendance dite « cubo-futuriste » qui le caractérise (le Bûcheron, 1912, Stedelijk Museum , Amsterdam ; Un Anglais à Moscou, 1914, ibid.). Plus curieusement, plusieurs de ses autres tableaux annoncent le dadaïsme.
L'avènement du suprématisme
En 1915, à Petrograd, Malevitch présente son fameux Carré noir sur fond blanc dans le cadre de l’exposition « 0.10 » (« Le carré noir est un enfant royal plein de vie. C’est le premier pas de la création pure en art », Écrits, tome I). En abordant l'abstraction, il fixe son attention sur le rapport entre la forme et l'espace qui l'entoure (Composition suprématiste, 1915, Stedelijk Museum, Amsterdam). Il crée ainsi une tension qui semble faire vibrer la toile. Sa volonté est d'atteindre à l'essence, difficile à saisir, de la forme, d'élever la peinture à une expression parfaite, qu'il nomme « suprême ». Il en expose la théorie dans son essai intitulé Du cubisme et du futurisme au suprématisme (1916). S'étendant à la couleur et poussée jusqu'à ses dernières limites, cette conception le fait passer du Carré noir sur fond blanc (Musée russe, Saint-Pétersbourg) au Carré blanc sur fond blanc (1918, MoMA, New York). Seule une légère inflexion de la touche sépare le carré du fond sur lequel il apparaît. La forme a cessé d'être un signe de l'espace pour devenir une allusion à l'espace, et le tableau lui-même, par sa présence matérielle, n'est plus qu'une allusion à la peinture. « Il ne peut pas être question dans le suprématisme de peinture. La peinture a depuis longtemps fait son temps et le peintre lui-même est un préjugé du passé » (Écrits, tome I).
Après la révolution russe de 1917, Malevitch redouble d'activité. Il enseigne à l'Académie de Moscou, puis à celle de Vitebsk, où il fonde la première école consacrée à l’art moderne. En 1921, il se livre à ses premiers essais de céramiques suprématistes à la manufacture Lomonosov de Petrograd. En 1922, il participe à la première exposition d'art russe à Berlin ; en 1927, il séjourne pendant trois mois en Pologne et en Allemagne, à l’occasion de la rétrospective de son œuvre, qui a lieu à Varsovie puis à Berlin. Les éditions du Bauhaus publient alors son manifeste suprématiste sous le titre le Monde sans objet. Rappelé d'urgence en U.R.S.S., Malevitch tombe en disgrâce. Il renoue alors avec la peinture figurative d’avant la période suprématiste en se consacrant au portrait et au paysage (Paysage aux cinq maisons, 1928-1932, Musée russe, Saint-Pétersbourg).
Le réprouvé du régime
Malevitch aura appris à ses dépens que révolution politique et révolution artistique ne vont pas forcément de pair. Après s’être rallié dès les débuts au bolchevisme, il en subit les foudres. Ses recherches picturales étant jugées subversives, il est incarcéré à la « Grande Prison » de Leningrad – réservée aux détenus politiques – en septembre 1930 et, pendant deux mois, soumis à d’implacables interrogatoires. Pour ajouter à l’opprobre officiel, ses cahiers de dessins sont saisis et détruits.
Dans un régime totalitaire qui, en 1932, instaure les normes du « réalisme socialiste », l’art est mis en résidence surveillée. Malevitch témoignera de son impuissance face aux événements dans un tableau de 1934, intitulé l’Homme qui court (à sa perte ?). Faute du visa qui lui aurait permis d’aller se faire soigner en France, il meurt des suites d’un cancer. Il est alors inhumé dans un cercueil qu’il avait lui-même orné de motifs suprématistes.