Rien de notable ne nous est parvenu de Tchécoslovaquie ni de Yougoslavie. En revanche, l'URSS, qui a coutume de réserver aux festivals européens ses productions officielles les plus mornes, a autorisé la sortie à Paris de quelques films où des personnalités attachantes s'expriment avec une relative liberté. Il faut citer parmi elles le fragile Vols entre rêve et réalité, de l'Ukrainien Roman Balaïan, et le film du célèbre Nikolai Goubenko, curieusement intitulé Et la vie, et les larmes, et l'amour.
Le phénomène le plus marquant des pays de l'Est aura été la confirmation d'un mouvement d'immigration des cinéastes qui s'étend désormais à l'URSS. Andrei Tarkovski, dont la Gaumont française hésite encore à sortir l'admirable Nostalghia tourné en Italie il y a plus de deux ans, a annoncé son intention de se fixer définitivement en Europe occidentale et s'apprête à réaliser un projet suédois. Andrei Konchalowski a fait aux États-Unis un film d'un caractère russe affirmé et qui est en même temps un hommage ému au cinéma américain, Maria's Lovers, où Nastassja Kinski trouve un des plus beaux rôles de sa jeune carrière. Enfin, c'est en France que le Géorgien Otar Iosseliani a trouvé l'occasion de faire évoluer le bal étrange de ses Favoris de la lune, primé à Venise.
Notons que la Pologne de cette diaspora s'est signalée par la présentation à Cannes, en compétition, du très perturbant Succès à tout prix de Jerzy Skolimowski (qui n'a malheureusement pas rencontré l'accueil public qu'il méritait), réalisé en Grande-Bretagne, et par celle, hors festival, de la Femme publique d'Andrzej Zulawski (qui n'a pas réussi à susciter vraiment la polémique en dépit des cris d'admiration injustifiés et des réticences vigoureuses mais compréhensibles.
Ailleurs, dans le monde
Citons, pour la Grèce, la force lyrique du Voyage à Cythère de Theo Angelopoulos, que Cannes a vu et mal aimé (à tort) mais qui ne sortira qu'en 1985. Déplorons, pour la Turquie, la disparition de l'auteur de Yol, Yilmaz Güney dont nous connaissons encore mal les nombreux films. Félicitons le cinéma de Hong Kong et ses arts martiaux d'avoir accédé aux honneurs d'un numéro spécial des Cahiers du cinéma. Regrettons que le « boom » australien s'éteigne dans une production para-hollywoodienne fertile en clichés et en stéréotypes d'un autre temps, que le réveil japonais annoncé par Cannes il y a deux ans n'ait pas tout à fait tenu ses promesses et que le cinéma tiers-mondiste dans son ensemble soit toujours l'objet d'une distribution confidentielle en France, en dépit des efforts de nombreux festivals.
Les dix films de l'année
Janvier : Et vogue le navire de Federico Fellini (Italie).
Il se pourrait que ce soit là le chant du cygne du cinéma d'expression personnelle capable de s'offrir le luxe des superproductions. Le grand public boude ce qui devrait le subjuguer, et l'avenir commercial du cinéma de Fellini paraît sombre.
Février : Meurtre dans un jardin anglais de Peter Greenaway (Grande-Bretagne).
En revanche, succès inespéré pour le film pourtant difficile d'accès et de budget modeste, ciselé par l'orfèvre britannique Peter Greenaway (plus de 170 000 entrées à Paris, véritable record du cinéma d'art et d'essai).
Mars : Carmen de Francesco Rosi (Italie). La critique se fait unanime pour applaudir la Carmen la plus somptueuse et la plus respectueuse de l'opéra de Bizet. Rosi le traite en supercomédie musicale et rejoint les maîtres hollywoodiens du genre.
Avril : Un dimanche à la campagne de Bertrand Tavernier (France).
Le Lyonnais Tavernier retrouve le charme des photos couleurs des frères Lumière pour cette méditation douce-amère sur le temps perdu. Qualité cent pour cent française, Cannes sélectionne, l'étranger approuve, la France adopte Sabine Azema.
Mai : Il était une fois en Amérique de Sergio Leone (Italie).
De la prohibition aux années 60, l'image grandiose et monstrueuse qu'un Européen nourri de films et de romans populaires a pu se faire du continent nord-américain. Ce film-fleuve (plus de trois heures) est le plus ambitieux et le plus réussi de son auteur.