À Paris, dans l'Orangerie des Tuileries rénovée, on installe la collection Walter-Guillaume, selon le vœu de Madame Walter, la veuve du célèbre marchand Paul Guillaume. Les transformations du Louvre soulèvent des polémiques : faut-il concentrer tous les accès aux salles sous une pyramide de verre érigée au milieu de l'esplanade Napoléon, face aux Tuileries ? Faut-il ou non ériger cette pyramide ? Enfin, on reparle du musée Picasso : il devrait ouvrir ses portes au printemps prochain dans l'ancien hôtel Salé.
Et la vie va, plus quotidienne, avec, d'une part, des surenchères : la Nouvelle Figuration, inspirée de la bande dessinée, de l'art publicitaire, du graffiti, n'étonne plus, mais elle brouille de plus belle les données et les cotes d'un marché téméraire.
D'autre part, un intérêt croissant se manifeste pour le mécénat. 1984 apporte à cet essor une confirmation éclatante avec l'installation, à Jouy-en-Josas (Yvelines), avec l'appui total du ministère de la Culture, d'une fondation Cartier pour l'art contemporain, affiliée à la Fondation de France. Dotée d'importantes structures dispersées dans un parc de 15 hectares, cette fondation s'est donné pour objectifs prioritaires la commande de sculptures monumentales notamment, la promotion des jeunes artistes en France et à l'étranger, la constitution d'une collection, les expositions, la création vidéo, l'accueil des artistes et du grand public. Elle prétend dépasser le cadre du mécénat en apportant à l'art une dynamique jusque-là propre à l'industrie. C'est le plus surprenant pari de l'année.
Le calendrier des expositions à Paris
Janvier, Grand Palais et Louvre : Raphaël, tombé en disgrâce pour mièvrerie il y a un siècle, remis désormais à l'honneur et proposé pour modèle à la passion des jeunes peintres.
Février, Centre Georges-Pompidou : Bonnard, sauvé d'un relatif oubli et d'un mépris qui le reléguait aux « douairières » : 70 toiles démontrent que sa liberté, ses doutes, ses grands jaillissements contrôlés font écho aux préoccupations des artistes du xxe siècle.
Mars, Grand Palais : l'art du paysage américain des xviiie et xixe siècles révèle un émerveillement de pionnier et un Nouveau Monde à l'aise dans son immense rêve d'épanouissement.
Avril, Grand Palais : la collection Ménil, parcours initiatique, remontée du temps. Toute chronologie perdue, une parenté s'impose entre le plus strict dépouillement moderne et l'art des Cyclades, de la mer de Béring, de l'âge de pierre.
Mai, ARC : le peintre allemand Anselm Kiefer propose une notion inhabituelle de la germanité : une vision noire, démesurée, ruinée, carbonisée, figée. Un rêve de grandeur réduit à une illusion funeste.
Juin, Centre Georges-Pompidou : 200 dessins de Chagall, réunis à l'occasion du 97e anniversaire de l'artiste, renouvellent totalement la vision de l'œuvre et les différentes hiérarchies habituellement admises entre les périodes.
Juillet, Centre Georges-Pompidou : finis les scandales provoqués par les premières expositions de William de Kooning en France. Violence de l'expressionnisme abstrait ou verdeur du réalisme : d'évidence, le peintre américain n'a toujours cherché qu'une meilleure approche de la Figuration.
Septembre, Grand Palais : Rousseau, le faux « Douanier », à l'imagination luxuriante, dépoussiéré et flamboyant.
Novembre, Centre Georges-Pompidou : Kandinsky, l'instigateur de l'art abstrait « réévalué ». Le point autour de 50 chefs-d'œuvre.
D'octobre à janvier, Grand Palais : Watteau couronne magnifiquement l'année. Il rappelle la fuite du temps, les hésitations et les déchirements du bonheur, l'étrange fascination de l'art et son propre mystère soumis aux investigations les plus passionnées. D'où Watteau tenait-il tant de grâce, de fragilité, de mélancolie, de bonheur inquiet ?
Jeanine Baron
Photo
Une place de choix
Les structures mises en place par le ministère de la Culture ont abouti, cette année, à quelques réalisations importantes pour la vie photographique française. Tout d'abord, le Centre national de la photo s'est vu attribuer un nouvel espace, au Palais de Tōkyō, ancien musée d'Art moderne de la Ville de Paris. Un programme d'expositions a été mis en chantier, avec notamment les grands reporters de l'agence Magnum, René Burri (juin), Bruce Davidson (octobre) et Raymond Depardon (décembre). Une autre manifestation, sur le thème Photo et Peinture, a permis de relancer le débat sur les rapports de plus en plus étroits qu'entretiennent ces deux formes d'expression artistique. Débat qui sera prolongé au cours des soirées des Rencontres d'Arles (juillet), ainsi que dans de nombreuses expositions, tant au Centre Pompidou que dans certaines galeries parisiennes (avec Boltanski, Rainer, Catany, Gioli...).
Éclectisme
Comme chaque année, c'est surtout durant l'été que les principaux événements photographiques se sont déroulés. À Montpellier d'abord (juin), où étaient présentée, pour la première fois en France, l'œuvre du photographe noir américain James Van Der Zee : Harlem au quotidien dans les années 40-50. Un document inestimable, par un artiste modeste qui ne se voulait rien d'autre qu'un photographe de quartier. Une rétrospective du travail de Marc Riboud côtoyait un vaste ensemble d'œuvres du baron Demachy. Cet éclectisme s'est d'ailleurs retrouvé dans la plupart des festivals, preuve que la photographie n'est plus aujourd'hui cantonnée à ses limites traditionnelles, à ses appellations convenues — mode, reportage, portrait, nature morte, paysage...