La photo, comme les autres arts, veut exploser, sortir de son cadre, dialoguer avec peinture, sculpture, cinéma, vidéo, théâtre ou poésie. Aux côtés de la science, elle s'en va explorer les étoiles (soirée NASA, en Arles) ; découvrant de nouvelles techniques, elle invente des graphismes, des couleurs (les photocopies de Margaret Seeberger, en Arles). Son flirt avec la peinture l'amène tantôt à rendre hommage aux martres de l'impressionnisme (John Batho et les Nymphéas de Claude Monet, à Vienne en septembre), tantôt à se substituer au pinceau ou à le compléter, aussi bien chez le peintre (Rauschenberg à la fondation Maeght de Saint-Paul-de-Vence, en juin) que chez l'artiste photographe (Paolo Gioli à Vienne, en septembre).
L'événement
Au cours du Mois de la photo (novembre) toutes ces tendances ont éclaté au grand jour. Montée tous les deux ans par l'association Paris Audio-Visuel, cette manifestation reste la plus importante dans ce domaine et ne possède aucun équivalent dans le monde : 80 expositions en 1982, plus de 120 en 1984, c'est un véritable bombardement d'images qui s'est abattu sur Paris. Les thèmes forts varient chaque année. Ceux de 84 étaient la mode, la couleur et le spectacle. De superbes ensembles qui ont permis de revoir les photos familières aux lecteurs et lectrices de journaux de mode, chefs-d'œuvre en noir et blanc signés David Bailey, Helmut Newton, et couleurs suaves et délicates d'Erwin Blumenfeld.
Peu familiers des espaces d'exposition, les gens de la mode se sont vu ici rendre une certaine justice, puisque ce sont eux qui, par leur technique et leur rigueur, font souvent avancer la qualité de la photographie. À travers les photos d'un Bailey, c'est aussi toute une époque qui se révèle, des années 60 à aujourd'hui.
La couleur a elle aussi beaucoup évolué. Naguère vouée aux gémonies par les tenants d'une photographie d'art limitée strictement au noir et blanc, la couleur a conquis les cimaises, en particulier grâce aux Italiens. Les paysages linéaires de Franco Fontana, les clins d'œil de Luigi Ghirri s'enrichissent du soleil méditerranéen. Mais, à nouvelles couleurs, nouvelles techniques. Le film Polaroïd connaît aujourd'hui une très grande vogue. Et chaque pièce est unique. D'autres continuent à préférer le bon vieux tirage, sur des surfaces de plus en plus inhabituelles (Andréas Mahl, Olivia Parker).
Un langage propre
Le Mois de la photo 84 donnait enfin la parole à la photo de spectacle, avec les portraits des personnalités du cinéma par Xavier Lambours et Carlos Freire : une autre vision, loin de l'écran, sous un autre objectif que celui de la caméra. La photo écrit avec son propre langage, même lorsqu'elle se frotte à celui des autres.
Didactique, le Mois de la photo l'était aussi, en proposant une série d'expositions retraçant les grandes étapes de l'évolution de l'image fixe. Collections particulières, archives se sont ouvertes pour raconter comment l'on photographiait au Pérou de 1880 à 1938, en Italie de 1888 à 1905, en Hongrie de 1900 à 1945, en Chine de 1920 à 1960 et en Catalogne dans les années 50. Sans oublier un hommage à quelques pères fondateurs, Eugène Atget, Alfred Stieglitz, Maurice Tabard... Une grande rétrospective était consacrée, enfin, à la photographe américaine Lisette Model, disparue cette année. Année douloureuse qui vit aussi la mort de Pierre Brassaï, le génial poète de l'image, ami de Prévert et de Picasso — qui lui disait préférer son travail au dessin.
Plus dynamique que jamais
La photographie s'est découvert des centaines de lieux pour se montrer, tandis que, plus que jamais, les magazines lui réservent une place de choix. Nous entrons dans la civilisation de l'image avec quelque retard sur les Américains. Mais nous comblons très vite ce handicap, aussi bien avec la qualité de nos manifestations que par le talent de ceux qui y participent. Il était temps que la France se souvienne que la photographie fut inventée sur son sol.
Alain Dister
Ventes
Le dollar fait la loi
La reprise économique en 1984 aux États-Unis a donné une impulsion nouvelle au commerce des antiquités et des œuvres d'art. Mais les principaux marchés (Londres, New York, Paris, Monte-Carlo) en ont très inégalement profité. Cette manne de monnaie américaine disponible s'est naturellement portée vers des investissements artistiques du plus haut niveau, notamment pour les tableaux modernes, secteur toujours plus spéculatif que les antiquités classiques.