Enfin, la France vit, à l'automne, au rythme du tango : plusieurs spectacles s'y sont donné — pure coïncidence — rendez-vous. Tango argentino, au Théâtre musical de Paris, retour de la grande revue qui a triomphé sept mois plus tôt ; El tango, aux Bouffes-du-Nord, rassemble la flamboyante italienne Milva et Astor Piazzola ; Cafetin de Buenos Aires, au Casino de Paris, en décembre. Il faut préciser qu'en juin Tango pile et face, d'Eve Griliquez et Oscar Sisto, avait mis en scène le chant profond de l'Argentine, et qu'aux Halles la musique chère à Carlos Gardel tient des assises permanentes aux Trottoirs de Buenos Aires depuis quelques années. Le tango, dans ses couleurs sombres et sa gouaille quelque peu blasée, comme un chant ironique qui danse dans la nuit : c'est d'après les spécialistes, le pas de danse qui convient le mieux à la crise.

François-Régis Barbry

Rock

Invasion électronique

George Orwell avait raison : 1984 restera l'année de la fulgurante percée des médias électroniques. Dans le monde du rock, cela se traduit par une véritable invasion du vidéo clip. L'industrie du disque tremble, en butte à de grandes difficultés d'adaptation aux nouvelles techniques. Difficultés qui sont autant commerciales qu'artistiques.

Le phénomène Jackson

On investit aujourd'hui dans cet outil promotionnel de premier plan, plutôt que dans des tournées ou des campagnes radio. Certains y gagnent, d'autres sont laissés sur la touche. De bons musiciens sombrent dans l'oubli faute d'être aussi de bons acteurs. Et des groupes médiocres connaissent la gloire pour avoir bénéficié d'un bon réalisateur, ou d'une image plus vendable, tant l'apparence, le look, sont devenus essentiels.

Le phénomène Michael Jackson, qui a déferlé sur la presse française la moins au fait du rock and roll, est en grande partie due au succès de son vidéo clip, Thriller, réalisé par l'excellent metteur en scène américain John Landis (le Loup-garou de Londres). Un modèle du genre, qui a tout de même coûté pas loin de 1 milliard de centimes. Le résultat : 25 millions de disques vendus dans le monde. Et un personnage devenu plus populaire que toutes les stars du cinéma et de la musique réunis. D'autres, comme le groupe anglais Duran Duran, doivent leur notoriété à quelques clips réussis. La musique... c'est autre chose. Dans ces conditions, les concerts ne sont plus l'activité essentielle d'un groupe, désormais obligé d'attacher une bien plus grande importance à sa coupe de cheveux qu'à son jeu de guitare.

Protestations

Certains musiciens dénoncent une technologie qui privilégie l'illusoire au détriment du talent. Ainsi Joe Jackson reproche-t-il au clip de priver l'auditeur de son imaginaire en lui imposant des images toutes faites. Images qui d'ailleurs ne débordent pas d'imagination et se contentent d'abuser de tous les « gimmicks » du trucage électronique. L'art du vidéo clip, comme nouveau moyen d'expression, reste à inventer. Sur les traces de Laurie Anderson ou de Nam-June-Paik, authentiques pionniers de l'écriture électronique.

Hard rock

Le public, pour le moment, continue d'apprécier la musique vivante. Et les concerts n'ont jamais été aussi nombreux. Les plus spectaculaires sont offerts par les formations de hard rock : effets rudimentaires, mégadécibels, théâtralité emphatique, clins d'œil à la bande dessinée, aux mythologies saxonnes, le hard se veut barbare, à la manière de Conan plutôt qu'à celle d'Attila. Entre eux, les groupes se livrent à une surenchère de tapage et de décors pompeux. Les jeunes adolescents en raffolent dès l'âge de 12 ans. Le groupe le plus connu, l'un des plus violents aussi, est australien.

AC/DC (à Paris, en septembre) joue d'ailleurs la carte de l'écolier pervers et chahuteur. D'autres préfèrent l'ambiguïté sexuelle (Twisted Sister, en août), le fétichisme du cuir (Judas Priest, en février), le Moyen Âge et ses tortures (Iron Maiden, en avril), l'opéra wagnérien (Dio, en août) ou, plus simplement (et plus sainement ?), l'efficacité musicale (les Allemands Scorpions, en février). Il va sans dire que ces formations n'ont nul besoin de vidéo clips sophistiqués pour se faire entendre. Le public aime se reconnaître en elles, dans leur refus du dandysme, de la préciosité, capillaire ou vestimentaire.

Électro-funk

À l'autre extrémité de la sensibilité rock, l'électro-funk se tourne vers la musique noire des États-Unis. Une fois de plus, celle-ci vient inspirer l'Angleterre, après le blues et le rhythm and blues des années 60. Le mot funk pourrait être composé à partir de fun, le plaisir, et junk, la camelote. La camelote pour le plaisir, apologie de la musique populaire, de la musique des rues. Filtrée, tamisée, édulcorée par les Anglais, elle devient un produit standardisé, avec ses groupes interchangeables qui, tous, chantent d'une même voix sur les mêmes instruments. Les meilleurs entraînent chacun un courant derrière eux, comme Orchestral Manœuvres in the Dark (à Paris, en octobre), leaders d'une tendance qui privilégie les mélodies sur des instruments électroniques et des bandes préparées.

Retour sur les années soixante

Dans une autre dimension, Eurythmics (en février) met en scène un duo, garçon et fille, l'une aux voix et l'autre aux synthés. Cette formule connaît un grand succès, aussi bien en Angleterre qu'en France (Kas Product, à Nancy). Au jeu des références, Eurythmics fait figure d'original : ses sources sont plus obscures, plus diversifiées aussi que celles, beaucoup plus évidentes, de beaucoup de formations d'aujourd'hui.