Au festival de Berlin, qui se tient depuis quelques années au mois de février, le Forum du jeune cinéma présente chaque année un nombre appréciable d'œuvres expérimentales dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles ne sont généralement guère exportables, si tant est qu'elles soient normalement exploitables sur le territoire de la RFA.
Cette année, la sélection officielle elle-même faisait entrer en compétition Rapports de classes, l'adaptation très sévère que Jean-Marie Straub et Danièle Huillet ont tirée de l'Amérique de Kafka, si sévère qu'elle ne peut guère prétendre à attirer qu'un nombre restreint de spectateurs convaincus d'avance. C'est d'ailleurs une des caractéristiques fâcheuses de la production allemande de ne connaître que les extrêmes, le film lourdement commercial et le produit de laboratoire voué à ne toucher qu'une clientèle de type universitaire. Elle ne propose pour ainsi dire pas d'œuvres de grande consommation qui soient de qualité, réalisées par des cinéastes à la fois conscients de leurs prérogatives d'auteurs et résolus à s'attirer les faveurs du public. Volker Schlöndorff, dont la carrière fait exception à cette règle, se considère désormais plus volontiers cinéaste européen qu'allemand, comme en témoigne Un amour de Swann, réalisé en France avec une application méritoire, mais sans le génie qu'il eût fallu pour réussir vraiment dans l'entreprise périlleuse qui consiste à porter Marcel Proust à l'écran. Roger Van Aeckeren, que la cinéphilie snob tente vainement de faire reconnaître en France comme le nouveau Fassbinder, n'est qu'un confectionneur moyennement doué dont la triomphante Femme flambée n'est qu'un produit de pornographie « soft » de très bon genre destiné aux cadres moyens trop timides pour affronter les rigueurs de la pornographie « hard ».
La seule grande réussite allemande de l'année appartient à Wim Wenders pour son très international Paris, Texas (coproduction franco-allemande, tournage aux États-Unis, en langue anglaise), grand prix du festival de Cannes, succès critique unanime et succès public dépassant toutes prévisions (à Paris 350 000 spectateurs au cours des quatre premières semaines d'exploitation, chiffre que n'atteignent généralement que les films d'accès facile).
Grande-Bretagne : des signes de la qualité
Grâce à l'effort de production de la télévision (en particulier de Channel 4), la cinématographie britannique, dont on a sonné le glas depuis longtemps, a pu présenter cette année un petit nombre d'œuvres de qualité. Certes, il y a eu le nombre habituel de coproductions anglo-américaines de type spectaculaire (le Bounty de Roger Donaldson, qui est un échec ; Greystoke, de Hugh Hudson, qui est une réussite), il y a eu le faux chef-d'œuvre pour admirateurs d'histrions patentés (Albert Finney dans l'Habilleur de Peter Yates), mais ce sont des films plus modestes qui ont éveillé la curiosité. Meurtre dans un jardin anglais, qui a dépassé sa trentième semaine d'exploitation à Paris et ses 170 000 spectateurs en dépit de son extrême complexité de lecture, prouve que le cinéma d'auteur, même s'il est personnel jusqu'à l'hermétisme, peut encore espérer atteindre un public que les facilités télévisuelles n'ont pas encore totalement converti aux délices du vidéo clip. Le nom de son auteur, Peter Greenaway, est à retenir.
Moins d'affluence, mais beaucoup d'estime pour Local Hero, rêverie écossaise de Bill Forsyth, pour Betrayal, mise en film un peu studieuse d'une pièce de Pinter par David Jones, et pour Guerres froides (The Ploughman's Lunch) de Richard Eyre, sur les misères d'un Rastignac londonien partagé entre son opportunisme politique et ses faiblesses sentimentales.
Un peu trop « film de l'année », forcément, le 1984 inspiré par George Orwell à Michael Radford n'en a pas moins ses qualités. C'est, en tout cas, l'occasion de retrouver une dernière fois Richard Burton, disparu l'été dernier et qui donne là comme une dernière performance d'adieu, éblouissante. Rappelons que, par ailleurs, le cinéma anglais aura été durement touché cette année puisque, outre Richard Burton, le cinéaste américain Joseph Losey (qui lui a donné ses plus grands films des années 60 et 70) et le comédien James Mason sont décédés alors qu'aucun d'eux n'avait atteint l'âge de la retraite.
La diaspora de l'Est
Très peu de films nous parviennent désormais de l'Union soviétique et des Républiques de l'Est. La production polonaise a subi un ralentissement considérable et elle ne s'est guère manifestée qu'au festival de Venise où l'Année du soleil tranquille de Krzystof Zanussi (chef-d'œuvre de diplomatie, sinon chef-d'œuvre du cinéma, puisqu'il a été réalisé avec l'assentiment des autorités polonaises, la bénédiction du Vatican et l'argent des États-Unis) a remporté un grand prix inévitable compte tenu de ses intentions pacifistes et humanitaires hautement proclamées. À Cannes, la Hongrie a présenté le très intéressant Journal intime de Marta Meszaros, qui évoque les premières années du socialisme à Budapest à travers le regard d'une adolescente dont les parents ont été victimes des purges staliniennes en URSS.