Claude Glayman
Cinéma
La timidité des jeunes auteurs
Au seuil de 1985, le cinéma s'apprête vraisemblablement à affronter l'année de tous les dangers. La relative santé dont notre production fait preuve jusqu'à présent va-t-elle résister à l'offensive dont la menacent l'installation d'une chaîne de télévision supplémentaire et l'inévitable expansion du marché de la vidéocassette. Rien n'est moins sûr. Certes, l'industrie télévisuelle aura toujours le plus grand besoin de films, puisque c'est à cette forme d'expression que vont, les indices d'écoute le prouvent, toutes les faveurs du public. Mais il est à craindre qu'elle n'impose un type de productions confortables et pasteurisées destiné à satisfaire avant tout les désirs supposés du téléspectateur moyen et réalisé dans un souci exclusif d'efficacité et de rentabilité industrielle. Il faudrait alors dire adieu au cinéma de Fellini, d'Antonioni ou de Resnais tel que nous l'avons aimé pour nous enfoncer dans un désert de séries languissantes où les vidéo clips, — triste perspective —, feraient figure de somptueuses oasis de créativité. Le cinéma d'auteur se réfugierait dans les laboratoires semi-clandestins d'un nouvel Underground d'où nous parviendraient des cassettes à tirage limité. N'y pensons pas.
L'année Hitchcock
1984 est, incontestablement, l'année Hitchcock, grâce à la remise en circulation de cinq de ses films dont les droits d'exploitation avaient été bloqués durant de longues années, grâce aussi à un lancement publicitaire comparable à celui des nouveautés et à une large diffusion. Fenêtre sur cour, l'Homme qui en savait trop, Sueurs froides, Mais qui a tué Harry et la Corde ont totalisé des chiffres d'entrées plus de dix fois supérieurs à ceux des reprises habituelles dans la région parisienne (plus de 400 000 pour Fenêtre sur cour). Ce succès a bien entendu encouragé la programmation de nombreux films hitchcockiens moins rares qui ont cependant fourni les meilleures recettes des salles de répertoire.
France : Les deux Belmondo
Si nous n'avons pas en France les espaces du western, l'Afrique nous ouvre des horizons quelque peu oubliés depuis les temps héroïques du cinéma colonial. La nette percée du film d'aventures indique le désir, sans doute insensé, de concurrencer le cinéma américain sur son terrain de prédilection. Belmondo abandonne la bagarre hexagonale pour le baroud des Morfalous (Henri Verneuil), Depardieu part à l'assaut de son Fort Saganne (Alain Corneau), Miou-Miou s'embarque pour le Vol du Sphinx, Claude Brasseur participe au safari désinvolte du Léopard. Les résultats ne sont pas encore concluants, mais la marche est à suivre.
Il est clair que le cinéma français de divertissement ne peut se satisfaire éternellement de ses truands intimistes hérités, dans les meilleurs des cas, de Jean-Pierre Melville, ni s'enfermer, lorsqu'il veut faire rire, sur les plateaux exigus du café-théâtre. L'une des surprises de la rentrée de septembre 84 aura été l'accueil très flatteur réservé par la critique aux Ripoux de Claude Zidi. Ce comique d'excellente qualité a bénéficié d'un budget confortable et dont on s'est servi à bon escient, sans désir d'esbroufe. Marche à l'ombre, de Michel Blanc, est venu affirmer quelques semaines plus tard la volonté des nouveaux auteurs de divertissements populaires de ne plus travailler au rabais, dans l'euphorie trompeuse du n'importe quoi et du vite bâclé. Souvenirs, Souvenirs, d'Ariel Zeitoun (producteur estimable passé à la réalisation), tend à retrouver les prestiges du « musical » américain sans sombrer dans le ridicule pour autant. Gérard Oury a déployé les fastes qui lui sont habituels dans la Revanche du serpent à plumes. Et Lelouch lui-même nous a fait le cadeau d'une fantaisie parfaitement déraisonnable mais tout à fait plaisante avec Viva la vie. Si l'on interprète le retour de Belmondo à la comédie dans les Joyeuses Pâques de Lautner et la conversion du matraqueur Girod au chic parisien dans le Bon Plaisir comme des signes du désir de nos grands confectionneurs d'échapper aux facilités de leurs ornières, on peut respirer plus à l'aise. La rouille va peut-être cesser de menacer notre grosse artillerie, l'embourbement ne plus guetter nos chars d'assaut. Il est possible que ce soit l'approche de l'âge de la retraite qui incite Belmondo à renoncer à ses années semi-sabbatiques, mais l'important, c'est qu'il y renonce.
France : tout ne va pas si mal
À s'en tenir aux chiffres relatifs à la situation du cinéma français au cours du premier semestre 1984, on enregistre une baisse de 4,7 % du taux de fréquentation des salles. Mais on constate que cette légère désaffection du public concerne surtout les films étrangers (et particulièrement les films américains) et que, durant ces six premiers mois, les films français ont bénéficié d'une progression de 8,1 % par rapport à la période correspondante de 1983. Constatation aussi encourageante pour la production qui a mis en chantier 80 films durant cette même période, contre 60 en 1983, ce qui n'est pas sans importance si l'on considère que les films à caractère pornographique sont nettement moins nombreux que par le passé. Enfin, l'exploitation s'enorgueillit de la création de 137 salles (dont 83 dans des villes de moins de 50 000 habitants) et l'exportation enregistre une augmentation de 13, 9 % en francs constants, les États-Unis étant devenus le second marché du cinéma français après l'Allemagne de l'Ouest.
Les « quatre R »
Brillamment commencée avec Godard (Prénom Carmen), l'année du cinéma d'auteur n'aura guère été riche en révélations et ce sont les cinéastes de la génération de la Nouvelle Vague qui auront, une fois de plus, tenu le haut du pavé. Ce sont les « quatre R » qui ont fait l'événement français à la Mostra vénitienne : les aînés, Resnais (l'Amour à mort ne fait pas l'unanimité, mais Muriel ne l'a pas faite non plus en son temps et c'est un des plus beaux films de notre patrimoine) et Rouch (mais Dionysos ressemble trop à un aimable canular) ; les véritables enfants de la Nouvelle Vague, Rohmer (les Nuits de la pleine lune nous confirment qu'il n'y a rien de plus neuf que le cinéma classique) et Rivette (l'Amour par terre est un bel exemple de fidélité d'un auteur aux thèmes et aux façons de dire de sa jeunesse).