Mais la haute technologie agricole est de moins en moins l'apanage des structures spécialisées : elle émane désormais de partout. Ainsi le puissant groupe Elf Aquitaine vient-il, par le biais de sa filiale pharmaceutique Sanofi, de prendre le contrôle de la laiterie normande Entremont. « Entremont, qui traite annuellement un milliard de litres de lait par an, c'est une gigantesque source de matière première pour l'avenir », explique un dirigeant de Sanofi. « Ce lactosérum, sous-produit du beurre et du fromage, contient des sucres et des protéines — tout ce qu'il faut pour nourrir des bactéries fabriquant par exemple des aliments pour animaux, ou des produits agro-alimentaires divers. »
Mais, en s'immisçant dans l'agro-alimentaire, le groupe Elf Aquitaine affiche d'autres ambitions que le traitement de sous-produits pour l'alimentation animale : on songe notamment à la mise au point d'un beurre débarrassé des agents responsables du cholestérol humain. Un tel produit, déjà entrevu au stade des recherches de laboratoire, serait évidemment assuré d'un immense succès commercial dans les pays développés. Mais, de toute façon, le pari sur le lactosérum se justifie par la valeur nutritive immense de cette substance, jusqu'ici jetée le plus souvent à l'égout, qui permettra demain de nourrir des bactéries à tout faire. À faire des médicaments, des aliments pour bétail, des cosmétiques et des parfums...
L'attrait de l'industrie pétrolière — l'exemple d'Elf Aquitaine est notable — pour l'agriculture n'a d'égal que l'attrait de l'agriculture pour les productions pétrolières : la boucle est bouclée. Demain, nous roulerons en brûlant dans nos moteurs un carburol issu en partie de fermentations locales. Et les géants du pétrole engrangeront une partie de leurs profits en manipulant des bactéries alimentées des sous-produits de nos excédents laitiers.
Fabien Gruhier