Sciences et techniques

L'explosion

L'économie marque le pas, la politique piétine, le monde reste soumis à des contradictions et à des conflits d'un autre âge. Mais la science, elle, subit une accélération vertigineuse. Les « grandes premières » se suivent sans jamais se ressembler, les prouesses se multiplient. C'est l'explosion. Tous azimuts. Tandis que des chirurgiens américains greffent un cœur de babouin à un bébé condamné (Baby Fae ne survivra hélas que quelques jours à cette thérapeutique contestée), des chercheurs français mettent au point le test biologique qui devrait enfin permettre de déceler (dans le sang destiné aux transfusions) — pour ne plus l'inoculer — le virus du terrible sida.

La fusée européenne Ariane, après une série de mises sur orbite magnifiquement réussies, reçoit en somme, en l'an de grâce 1984, son brevet définitif de lanceur fiable — et engrange les commandes pour placer des satellites américains.

En même temps — dans un tout autre domaine —, des scientifiques français créent des langages informatiques nouveaux qui reçoivent une consécration internationale : le langage ADA sera utilisé par l'armée américaine, tandis que PROLOG — mis au point par l'équipe du professeur Alain Colmerauer à l'université de Marseille-Luminy — est adopté par les Japonais qui travaillent au fameux « ordinateur de cinquième génération », l'ordinateur du troisième millénaire.

Médecine

D'autres chercheurs français sont encore à l'honneur. Ainsi, Louis Chédid (Institut Pasteur) et Edgar Lederer (CNRS), qui viennent de recevoir — avec l'Israélien Michael Sela — le prix international de l'Institut de la vie, pour leur contribution à la mise au point des vaccins synthétiques. Cette nouvelle génération de vaccins ne fait plus appel à des virus ou bactéries, mais consiste à fabriquer de toutes pièces exclusivement les antigènes — les agents stimulant les réactions immunitaires. L'organisme est en somme leurré par des fragments inoffensifs, et, croyant avoir affaire à des micro-organismes virulents, il sécrète les défenses adéquates. Depuis la grippe jusqu'à l'hépatite, en passant par le paludisme, la diphtérie... ou même la fièvre aphteuse, cette nouvelle biotechnologie va à coup sûr révolutionner la lutte contre les maladies infectieuses.

Restons dans la thérapeutique pour signaler une autre révolution, d'origine américaine celle-ci : l'installation à Paris du premier lithotriteur français (un second devrait incessamment être mis en service à Lyon). De quoi s'agit-il ? Le lithotriteur (qui coûte environ dix millions de francs) est un appareil capable de détruire de façon indolore les calculs rénaux. C'est une onde de choc, propagée sous l'eau, dans une sorte de baignoire où le patient est immergé, qui désagrège et pulvérise le calcul. On évite ainsi d'avoir recours à une extraction chirurgicale.

Comment ne pas saluer ici l'héroïsme de William J. Schroeder ?

En novembre 1984, cet homme a en effet reçu, à Louisville, dans le Kentucky, un cœur artificiel mis au point par le professeur Robert Jarvik. Le précèdent patient, Barney Clark, n'avait survécu que quelques semaines avec une pareille prothèse cardiaque. Mais l'appareil a été perfectionné, et chacun souhaite longue vie à William Schroeder. De toute façon, le fait de pouvoir remplacer le cœur d'un homme par une machine, fût-ce pour quelques semaines, est déjà un exploit incroyable. Dans l'inconscient collectif, le cœur est, en effet, un organe quasi magique, chargé de toutes les fonctions affectives et vitales. Et voilà que l'on sait lui substituer une pompe de métal et plastique... Pour une durée limitée ? Peut-être. Mais la technique n'a jamais dit son dernier mot. C'est un très beau début : les pionniers de l'aviation, qui s'estimaient heureux de pouvoir quitter le sol sur quelques centaines de mètres, imaginaient-ils que, quelques décennies plus tard, on franchirait couramment sans escale la distance Paris-Los Angeles ? D'ailleurs, de même qu'il y a plusieurs façons de voler, il y a plusieurs façons de concevoir un cœur artificiel. Ainsi, en France, l'équipe du professeur Raoul Montiès (à Marseille) prépare un cœur artificiel radicalement différent, dans son principe, du modèle américain.

Piratage électronique

Souhaite-t-on un autre « signe des temps » ? Parlons de la télématique : en France, les petits terminaux Minitel — qui permettent de consulter depuis son foyer, par une liaison téléphonique, les banques de données et les grands ordinateurs — se comptent désormais par centaines de milliers. Bientôt par millions. Or — le Canard enchaîné en a apporté la preuve en « piratant » par téléphone les banques de données confidentielles du CEA —, cette banalisation de la télématique n'est pas sans danger. L'expérience des États-Unis nous le montre : outre-Atlantique, les hackers (jeunes virtuoses pirates des grands ordinateurs) ont désormais, plusieurs fois par semaine, les honneurs de la une. Ils sont terriblement habiles et n'hésitent pas à exercer des représailles envers les journalistes qui informent le public de leurs exploits. Par exemple, un reporter de Newsweek a vu ses numéros confidentiels de cartes de crédit soigneusement pillés par les hackers, qui désiraient se venger d'un article un peu trop révélateur.