fait
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin factum, « fait », participe de facere, « faire ».
Philosophie Générale
Élément de la réalité effective.
Le participe substantivé indique que le fait est saisi comme « produit », c'est-à-dire comme « ayant été fait ». Le fait est donc déposé dans l'épaisseur de la réalité : il est un certain état de choses déterminé, ce qui lui confère trois caractéristiques. Tout d'abord, le fait est posé dans l'existence, comme un certain effet. Par là il s'oppose au droit comme le caprice de la contingence s'oppose à la règle raisonnée : le fait se trouve du côté de la force immanente et variable. Ensuite le fait, parce qu'il est posé dans l'existence comme force concrète, s'oppose à la pensée comme le foyer de toute objectivité s'oppose à la subjectivité qui le pense : le fait seul configure la réalité et peut vérifier un énoncé. Mais, enfin, parce qu'il n'est qu'une configuration, le fait s'oppose à la chose comme l'état à la substance. Le fait précisément ne se tient pas « au-dessous », comme fondement métaphysique de l'existence : il est bien plutôt le contenu même de l'existence ainsi fondée, en tant que forme contingente et périssable.
Cette appartenance du fait au domaine de la contingence permet de le considérer comme le déploiement de la substance dans l'existence temporelle. Les faits sont dans ce sens les états successifs des substances, ou de leurs interactions ; ils sont vrais en un sens, mais d'une vérité qui demeure inachevable(1). Cependant cette vérité contingente n'est pas une chimère : le fait implique une constitution essentielle qui, sans le substantiver, lui confère une consistance éidétique qui fonde son usage scientifique (cette consistance est ce qu'Husserl nomme la « factualité », Tatsächlichkeit(2)). Ce problème de la constitution se rencontre également en droit, ou dans les sciences sociales, ou dans les sciences de la nature. La même question critique surgit désormais devant tout discours qui veut fonder son adéquation au réel sur les faits : quel type de constitution essentielle autorise à se saisir du fait comme d'un objet pour l'enquête ?
Laurent Gerbier
Notes bibliographiques
→ effet, existence, factuel, facticité, réalité
Logique, Métaphysique
Selon la théorie de la vérité comme correspondance, ce qui rend vraie une proposition. Dans l'atomisme logique de Russell et de Wittgenstein, les faits sont des entités indépendantes dont le monde est constitué.
La notion de fait est ambiguë : est-elle ce qui est exprimé par une proposition au sens du lekton stoïcien, ou une entité autonome, comme un état de chose ? Des traces de l'atomisme de faits se trouvent chez Leibniz, puis chez le premier Husserl, mais ce sont les doctrines de Russell et du premier Wittgenstein qui ont promu l'idée que le monde est la totalité des faits. Les difficultés que rencontre cette doctrine sont celles de l'individuation des faits (sont-ils indépendants ? y-a-t-il des faits disjonctifs, des faits généraux ? des faits négatifs ?) et le problème de savoir si les faits peuvent être décrits indépendamment des phrases vraies qui les expriment.
Ces difficultés ont conduit Wittgenstein(1) à abandonner son atomisme logique, et le holisme des philosophes contemporains comme Quine a rejeté l'idée d'un monde de faits élémentaires distincts des phrases vraies.
Pascal Engel
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Wittgenstein, L., Tractatus logico-philosophicus, trad. Granger, Gallimard, Paris, 1993.
→ atomisme logique, énoncé, holisme, monde, proposition, vérité
fait scientifique
Fondement positif des sciences (Comte, Bernard, etc.). À la suite des critiques du positivisme, le fait devient l'enjeu des réflexions sur la construction méthodologique des sciences (Bachelard, Hacking, etc.).
Épistémologie
Donnée objective de l'expérience observée et contrôlée par l'appareillage technique et conceptuel d'une théorie scientifique.
Pour Comte, la science explique des faits par des hypothèses : « S'il est vrai qu'une science ne devient positive qu'en se fondant exclusivement sur des faits observés et dont l'exactitude est généralement reconnue, il est également incontestable [...] qu'une branche quelconque de nos connaissances ne devient science qu'à l'époque où, au moyen d'une hypothèse, on a lié tous les faits qui lui servent de base. »(1). La référence aux faits fonde la légitimité de la méthode expérimentale face aux hypothèses invérifiables : « Les faits sont la seule réalité qui puisse donner la formule à l'idée expérimentale, et lui servir en même temps de contrôle, mais c'est à condition que la raison les accepte »(2) ; donc il faut, pour Claude Bernard, que les procédures d'observation soient respectées. La méthodologie positiviste étend cette prénotion à d'autres champs : fait social, fait juridique...
Le néokantisme, entre autres, récuse la supposition d'une donnée objective indépendante des catégories conceptuelles déterminant la recherche. Le fait n'est pas donné « tout fait » et ne devient scientifique que s'il est « refait » ; l'épistémologie bachelardienne vise à élucider sa construction rationnelle et sa production technique : « La physique n'est plus une science de faits ; elle est une technique d'effets. »(3). Toutefois, dans le domaine des sciences sociales, l'interrogation sur la possibilité de constatation et de qualification glisse du plan transcendantal vers les conditions sociales et politiques(4). Le fait est donc l'enjeu de la confrontation des variantes du constructivisme.
Vincent Bontems
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Comte, A., Sommaire appréciation de l'ensemble du passé moderne, p. 36, Aubier, Paris, 1971.
- 2 ↑ Bernard, Cl., Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, p. 12, de Gigord, Paris, 1936.
- 3 ↑ Bachelard, G., Études, p. 17, Vrin, Paris, 1970.
- 4 ↑ Hacking, I., The Social Construction of What ?, Harvard University Press, Cambridge, 1999.
→ chose, épistémologie, expérience, fait, objet, positivisme