monde
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin mundus, « net, propre, orné » ; subst. Mundus, « monde, univers », acceptions et connotations proches du kosmos grec. En allemand : Welt.
Le monde du phénoménologue, qui n'est pas l'Univers de l'astrophysicien (qui concerne plutôt l'épistémologie et la philosophie des sciences), intéresse la philosophie en tant qu'il est une dimension essentielle de notre ouverture à l'être. Le projet essentiel de la phénoménologie, qui s'est assigné comme tâche une reconduction de l'être à son apparaître, est de recueillir et d'élucider les diverses significations de notre rapport au monde. La phénoménologie inverse la direction du regard que jette la science sur le monde et sur l'homme : pour elle, l'homme n'est pas un objet de connaissance ni une partie du monde, mais une subjectivité (inséparable de l'intersubjectivité) envisagée comme origine absolue du sens ; c'est même par elle et pour elle que la science peut exister ou recevoir un sens, mais non l'inverse.
Philosophie Générale
Totalité supposant un certain ordre organisé autour d'un principe commun d'intelligibilité.
Ensemble de choses multiples organisées de façon ordonnée et sous-entendant une certaine beauté, l'idée de monde s'oppose à celle de chaos, qui désigne une pure multiplicité. Dérivé de la notion grecque de kósmos, il peut être conçu comme une totalité vivante et rationnelle, disposant d'une âme qui assure la cohésion harmonique du tout(1). Contrairement à l'univers, qui désigne un simple ensemble de phénomènes, le monde se hiérarchise autour d'un principe central et se constitue selon une échelle de perfections et de valeurs dans laquelle chaque être occupe une place définie. Reprenant le cosmos géocentrique des Grecs, le Moyen Âge produit l'idée d'un monde anthropocentrique, dont la cohérence révèle l'intention de son créateur, en distinguant deux sous-ensembles, le « monde sensible », qui regroupe la totalité des étants naturels, et le « monde suprasensible », qui désigne l'ordre surnaturel. Ainsi, la notion de monde est indissociable d'une intelligibilité générale, qui suppose une loi fondamentale permettant de le comprendre, ce qui permet de penser, en dehors du monde existant, une pluralité de mondes simplement possibles, organisés en fonction de lois différentes. Par extension, le terme peut désigner des ensembles cohérents, comme le « monde animal », le « monde occidental » ou le « monde des arts ». En physique, la remise en question du géocentrisme vient ruiner la cohérence cosmique, en considérant les phénomènes indépendamment des idées de valeur ou d'harmonie. Traduisant la révolution copernicienne dans le champ de la connaissance, Kant montre que le monde en tant que totalité n'est qu'une idée transcendantale, un principe régulateur de la connaissance empirique, au même titre que le moi et Dieu(2). Je dois faire comme si le monde existait en tant que tout infini, parce que j'ai besoin de cette visée totalisante pour unifier l'expérience. Cependant, je ne peux jamais le connaître parce qu'il ne s'agit pas d'un phénomène mais d'un horizon que le sujet se donne en tant qu'« être-au-monde ».
Le terme de monde ne peut être compris que de façon plurielle, faisant que chaque individu se constitue en fonction de « mondes » variés dans lesquels il s'insère, tout en organisant, de son point de vue particulier, son monde propre. Ainsi, nous n'évoluons pas seulement dans un monde naturel, physique et biologique, mais aussi dans des mondes familiaux, culturels, sociaux, intellectuels, techniques, épistémologiques... Parce que le monde est appréhendé par le langage, sa saisie varie en fonction de la structure linguistique des individus(3) ; l'apprentissage du langage est donc aussi une configuration particulière du monde.
Didier Ottaviani
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Platon, Timée, 30 b, trad. L. Brisson, Garnier-Flammarion, Paris, 1996, p. 119.
- 2 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, trad. A. Renaut, Garnier-Flammarion, Paris, 2001.
- 3 ↑ Quine, W. V. O., La poursuite de la vérité, trad. Clavelin, M., Seuil, Paris, 1993.
- Voir aussi : Koyré, A., Du monde clos à l'univers infini, Gallimard, « TEL », Paris, 1988.
- Monde(s), Alter, 6, Paris, 1998.
→ chaos, cosmologie, cosmos, microcosme et macrocosme, milieu, totalité, univers
Épistémologie, Métaphysique, Phénoménologie, Philosophie Cognitive
Totalité englobante. Absolument parlant, totalité de ce qui existe dans l'espace et le temps, à laquelle nous nous sentons appartenir en tant qu'existants, et qui nous englobe, mais dont nous nous distinguons dans la mesure où nous pouvons prendre, grâce à la réflexion, un certain recul dévoilant.
C'est une seule et même consigne qui nous incite à « revenir aux choses mêmes » et à notre connivence avec elles : « Revenir aux choses mêmes, c'est revenir à ce monde avant la connaissance dont la connaissance parle toujours, et à l'égard duquel toute détermination scientifique est abstraite, signitive et dépendante, comme la géographie à l'égard du paysage où nous avons d'abord appris ce que c'est qu'une forêt, une prairie ou une rivière. »(1).
En ce sens, M. Merleau-Ponty interprète le mot d'ordre de Husserl (« revenir aux choses mêmes ») comme « le désaveu de la science »(2), c'est-à-dire comme une opposition au naturalisme et à l'objectivisme des sciences qui interposent entre le monde et nous un système d'explications causalistes dont le premier effet est de tout réduire au statut d'objet (pensé sur le mode naturel) : « Je ne puis pas me penser comme une partie du monde [...], ni fermer sur moi l'univers de la science. »(3). Pour la science, l'homme est dans le monde, tandis que pour la phénoménologie l'homme est au monde, c'est-à-dire qu'il habite le monde et n'est pas seulement contenu en lui. En effet, tandis que je puis choisir des objets dans le monde, m'en approcher ou m'en écarter, je ne puis m'écarter ni de mon corps ni du monde. Par conséquent, le corps propre et le monde ne sont pas des « objets ». Avant toute prise de conscience des principaux aspects de mon corps et du monde, ceux-ci sont déjà là : ce sont donc les dimensions de mon ouverture à l'existence. Le monde comme phénomène est hanté par l'humain dont il reçoit son sens, tandis que l'homme a besoin de lui pour extérioriser son intériorité et se ressaisir à partir des marques effectives de son objectivation. Entre l'homme et le monde, il y a une sorte de complicité, de corrélation implicite : l'un et l'autre « s'entr'expriment » (la vision du monde et le monde vu).
Mon corps propre habite le monde et, par sa familiarité avec lui, me permet d'assurer une certaine prise sur lui. L'existence humaine présuppose comme son propre fondement une totalité d'appartenance englobante : même dans le rêve, la rêverie, l'hallucination et le délire, il y a toujours rapport à un monde. Le monde est donc une sorte d'a priori existentiel, puisqu'il est dans son essence d'être toujours déjà là et de précéder toute rencontre d'un étant quelconque. Le monde n'est ni la somme de tous les étants ni le cadre ou l'horizon à l'intérieur duquel surgissent tous les étants, mais « l'horizon de tous les horizons »(4). Comme dit Husserl, il est « l'horizon extérieur des horizons intérieurs »(5), c'est-à-dire un champ de présence qui rend possible toute rencontre.
Le monde phénoménal est compris entre la terre, le ciel et l'horizon ; ce dernier est tout entier dû au mode d'apparaître des choses en fonction de mes propres perspectives égologiques, dont j'occupe nécessairement le centre. À ce simple niveau apparaît déjà un ordre universel de coappartenance, où viennent s'équilibrer les éléments, la pesanteur terrestre, la grâce aérienne du ciel, l'opacité du sol et la transparence des espaces célestes, opposés selon un jeu de combinaisons systématiques. La terre est notre sol originaire (« le berceau de l'humanité », comme dit Husserl) : elle est la scène où se joue le drame d'une existence dont nous sommes à la fois les acteurs et les spectateurs, c'est-à-dire le milieu de notre coexistence intersubjective. D'ailleurs, Husserl a montré qu'il ne peut y avoir de monde objectif que s'il y a préalablement un monde intersubjectif. C'est donc l'intersubjectivité vécue qui contribue à constituer l'objectivité. Sans l'intersubjectivité, nous aurions pensé que ce monde est mon monde, et non que mon monde exprime le monde.
Jean Seidengart
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Merleau-Ponty, M., Phénoménologie de la perception (1945), p. III, Gallimard, Tel, Paris, 1996.
- 2 ↑ Merleau-Ponty, M., op. cit., p. II.
- 3 ↑ Ibid.
- 4 ↑ Merleau-Ponty, M., op. cit., p. 381.
- 5 ↑ Husserl, E., Erfahrung und Urteil (1954), pp. 29-51.
- Voir aussi : Aristote, Traité du ciel, trad. P. Moraux, Les Belles Lettres, Paris, 1965.
- Biemel, W., l'Idée de monde chez Heidegger, Vrin, Paris, 1981.
- Descartes, R., le Monde ou Traité de la lumière (1664), t. XI, Vrin, Paris, 1974, Principes de la philosophie (1644 / 1647), t. IX-2, partie III, Vrin, Paris, 1978.
- Duhem, P., le Système du monde, t. I à X, Hermann, Paris, 1913-1959.
- Einstein, A., la Théorie de la relativité restreinte et générale (1917), Gauthier-Villars, 1979.
- Galilée, Dialogue sur les deux grands systèmes du monde (1632), trad. R. Fréreux et F. de Gandt, Seuil, Paris, 1992.
- Heidegger, M., Être et Temps, trad. F. Vezin, Gallimard, Paris, 1986.
- Husserl, E., la Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, trad. G. Granel, Gallimard, Paris, 1976 (à propos du « monde-de-la-vie » ou Lebenswelt »).
- Kant, E., Critique de la raison pure (1781-1787), « L'antinomie de la raison pure », trad. A. Renaut, Flammarion, GF, Paris, 2001.
- Koyré, A., Du monde clos à l'Univers infini, Gallimard, Tel, Paris, 1988.
- Kuhn, T. S., La Révolution copernicienne, trad. A. Hayli, Fayard, Paris, 1973.
- Merleau-Ponty, J., Cosmologie du xxe siècle, Gallimard, Paris, 1965.
- Merleau-Ponty, M., Phénoménologie de la perception (1945), partie II, Gallimard, Tel, Paris, 1996.
- Platon, Timée, trad. L. Brisson, Flammarion, GF, Paris, 1996.
- Collectif, Avant, avec, après Copernic. La représentation de l'Univers et ses conséquences épistémologiques, Blanchard, Paris, 1975.
- Scheler, M., la Situation de l'homme dans le monde, trad. M. Dupuy, Aubier, Paris, 1951.
→ chaos, cosmologie, cosmos, espace, matière, microcosme et macrocosme, milieu, temps, totalité, univers
Philosophie Contemporaine, Ontologie
Chez Heidegger, caractère fondamental de l'être-au-monde, tel qu'il caractérise le Dasein.
N'étant pas un sujet coupé du monde, le Dasein est être-au-monde. Monde désigne 1° au sens ontique le tout de l'étant intramondain, 2° l'être de l'étant nommé monde en ce sens premier, 3° ce dans quoi vit le Dasein, 4° le concept ontologico-existential de la mondanéité. Le monde tel qu'il est donné de prime abord est le monde ambiant (Umwelt) de la préoccupation quotidienne, se déployant comme un réseau ustensilier, et le monde commun (Mitwelt) de l'être-avec-autrui ordonné à la dictature du On. Or, c'est à même le monde ambiant et le monde commun que peut se concevoir l'existence authentique, qui ne consiste nullement à renoncer à ce monde au profit d'un autre mais à l'assumer.
Monde du Dasein, le monde n'est pas un objet se tenant vis-à-vis de lui, ni un contenant, n'étant pas plus subjectif qu'objectif. Il est la manière dont le Dasein projette ses possibilités en dépassant l'étant vers son être : l'homme est ainsi « configurateur de monde » (weltbilend), alors que la pierre est « sans monde » (weltlos) et que l'animal, enclos dans les limites de l'instinct et n'explicitant jamais l'étant comme tel, est « pauvre en monde » (weltarm). L'advenir du projet constitue l'être-au-monde comme historial, l'ouverture d'un monde étant ouverture d'une histoire. Pur projet dévoilant, le monde, à la différence des étants, n'existe pas en dehors du Dasein. Il n'est donc pas, mais « mondifie » (weltet) et seule la liberté peut faire qu'un monde s'ouvre. Tel est le phénomène de la transcendance : le Dasein transcende l'étant, le dépasse en configurant un monde, et l'être est le transcendens par excellence.
Jean-Marie Vaysse
Notes bibliographiques
- Heidegger, M., Sein und Zeit (Être et Temps), Tübingen, 1967, § 7, § 14, trad. F. Vezin, Gallimard, Paris, 1986.
- Heidegger, M., Vom Wesen des Grundes, De l'essence du fondement, Francfort, 1976.
- Heidegger, M., Grundbegriffe der Metaphysik. Welt, Endlichkeit, Einsamkeit, les Concepts fondamentaux de la métaphysique. Monde, finitude, solitude, Francfort, 1983.
→ authentique, existential, historial, on, outil, tournure
monde possible
Logique, Métaphysique
État de choses (ou ensemble de faits) complet, dans lequel toutes les propositions concevables sont évaluables, ou bien comme vraies, ou bien comme fausses.
Depuis les travaux de S. Kripke(1), la notion de monde possible joue un rôle de premier plan en sémantique et en métaphysique. En sémantique, elle est utilisée afin de formuler les conditions de vérité d'énoncés contenant des opérateurs modaux aléthiques (nécessairement, possiblement), épistémiques (il se pourrait que, peut être que) ou déontiques (il est interdit que, il est permis que). Dans les systèmes modaux, la nécessité et la possibilité sont analysées au travers d'une quantification sur les mondes possibles. Cette analyse possède l'avantage de réduire le raisonnement modal à un type de raisonnement quantificationnel. Ainsi, « il est nécessaire que P » est vraie si et seulement si P est vraie dans tous les mondes possibles se trouvant dans une certaine relation R au monde réel ; « il est possible que P » est vraie si et seulement si P est vraie au moins dans un monde possible se trouvant dans la relation R avec le monde réel.
Puisque la quantification relativement à un domaine de mondes possibles joue un rôle central dans l'analyse philosophique du discours modal, la question de l'existence et de la nature des mondes possibles s'est trouvée au centre des débats contemporains en métaphysique(2). D. Lewis soutient qu'il faut prendre au sérieux l'engagement ontologique en quoi cette quantification consiste. Selon lui, il existe donc une infinité de mondes possibles, qui n'ont pas moins de réalité que le monde réel. La seule différence entre le réel et le possible est indexicale : le monde réel est celui dans lequel nous pensons, notre « ici et maintenant » logique. Contre cette conception se sont élevées des interprétations instrumentalistes des mondes possibles, selon lesquelles la quantification sur les mondes n'est qu'une façon commode de parler(3), et même des interprétations fictionnalistes, qui les considèrent comme des créations de l'imagination(4).
Pascal Ludwig
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Kripke, S. A., « Semantical Considerations on Modal Logic », Acta Philosophica Fennica, 16, 1963, pp. 83-94.
- 2 ↑ Lewis, D. K., On the Plurality of Worlds, Blackwell, Oxford, 1986.
- 3 ↑ Stalnaker, R., Inquiry, MIT Press, Cambridge (MA), 1984.
- 4 ↑ Rosen, G.,« Modal Fictionalism », Mind 99, 1990, pp. 327-354.
- Voir aussi : Chihara, C., The Worlds of Possibility, Clarendon Press, Oxford, 1998.
conception du monde
Politique, Sociologie
vision du monde
Trad. du terme allemand Weltanschauung.
Esthétique
Faculté des idées esthétiques, qui se révèle dans le style de l'imagination caractéristique du génie propre d'un auteur ou d'un créateur.
Chaque artiste possède une vision originale du monde et du monde des arts ainsi que des relations que ces deux mondes doivent entretenir, allant de la confusion pure et simple à la distinction la plus nette. L'expression artistique est, pour ainsi dire, le lieu de rencontre entre une initiative personnelle et un univers de significations partagées, ce pourquoi Proust considère que le style « n'est même pas une question de technique, c'est – comme la couleur chez les peintres – une qualité de la vision, la révélation de l'univers particulier que chacun de nous voit, et que ne voient pas les autres. Le plaisir que nous donne un artiste, c'est de nous faire connaître un univers de plus. »(1)
Il est ainsi possible de deviner la vision ou le projet esthétique global d'un artiste à partir d'une réflexion menée sur la totalité de son œuvre et, en particulier, sur son développement. La vision de Rembrandt n'est pas celle de Rubens ; ni celle du Rembrandt de la maturité, celle de ses œuvres plus précoces. Bien que beaucoup d'artistes aient vécu à la même époque et parfois dans le même environnement, voire utilisant des styles apparentés, ils demeurent différents dans leur singularité ; à défaut de rendre compte de cette irréductible différence, la notion de « vision du monde » a au moins le mérite d'attirer l'attention sur ce qui échappe à toute tentative de déduction.
Mathieu Kessler
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Proust, M., Contre Sainte-Beuve (1954), éd. P. Clarac et Y. Sandre, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1971, p. 559.
- Voir aussi : Pater, W., la Renaissance (1873), trad. A. Henry, Essais sur l'art et la Renaissance, Klincksieck, Paris, 1985.
- Simmel, G., Michel-Ange et Rodin, Petite Bibliothèque Rivages, Paris, 1996.
→ style