objet

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin objectum, « ce qui est placé devant », de obijacere, « jeter devant » ; en allemand : Gegenstand, « ce qui se tient en opposition à » ; Objekt.


Heidegger, avec cet usage surdéterminé de l'étymologie qui a longtemps passé pour un geste proprement philosophique, insiste sur le fait que l'objet est ob-jectum, un obstacle jeté sur le chemin. Mais il serait plus exact de rapporter l'objet à sa nature déterminée de corrélat des perceptions subjectives, c'est-à-dire d'en revenir au partage classique entre le sujet de la connaissance et ce qui tombe sous la perception de ce sujet. C'est la pensée classique qui contribue à déplacer l'antique rapport de la matière et de la forme, de la substance et de l'accident, tout entier tournés vers une coupe longitudinale des choses elles-même, vers un rapport entre sujet et objet, où les termes du rapport sont hétérogènes et ne renvoient pas au même type de causalité. Le dualisme cartésien a bien, si on suit l'enseignement de Hegel, déterminé toute la perspective moderne en philosophie. Kant le dit à sa façon, qui est fort différente, en évoquant une révolution copernicienne de la subjectivité : c'est autour d'elle désormais que le monde objectif doit tourner. Plus qu'un ob-stacle, l'objet est devenu, après l'effort de la critique kantienne, un ob-servable dont on ne peut légitimement déterminer les conditions originaires de production, mais dont on peut se donner une connaissance descriptive et, par là, objective.

Philosophie Générale

Ce qui est visé par une conscience, vis-à-vis d'un sujet.

La notion d'objet ne peut être séparée de l'idée d'une conscience qui le constitue en le visant intentionnellement, car il n'y a pas d'objet en dehors d'un sujet connaissant. Conçu comme visée perceptive, l'objet peut se décliner à différents degrés, dans la mesure où les synthèses opérées par le sujet se produisent à différents niveaux, et il est alors possible de considérer que les phénomènes sont les « objets » de la sensibilité, bien qu'il ne s'agisse pas là d'objets au sens propre. Pour Kant, l'objet véritable ne peut être constitué que par l'entendement, et si le phénomène est « l'objet indéterminé d'une intuition empirique(1) », c'est seulement en tant qu'il est le fruit d'une réceptivité, sous les formes a priori de l'espace et du temps. En effet, « il y a deux conditions sous lesquelles seule la connaissance d'un objet est possible : premièrement, l'intuition, par laquelle cet objet est donné, mais seulement comme phénomène ; deuxièmement, le concept, par lequel est pensé un objet qui correspond à cette intuition »(2). Pour pouvoir parler d'objet, il faut donc que l'indéterminé de l'intuition soit soumis à des catégories déterminantes, sous l'unité synthétique de l'aperception transcendantale. Il n'y a pas d'opposition radicale entre le sujet et l'objet, dans la mesure où ce dernier révèle les catégories comme déterminantes. Cependant, celles-ci ne peuvent se produire elles-mêmes comme objet, et ont toujours besoin du donné de l'expérience, qu'elles unifient parce qu'elles sont la forme de l'objet en général, non empirique, « objet transcendantal = X ». « Le concept pur de cet objet transcendantal [...] est ce qui peut procurer à tous nos concepts empiriques en général une relation à un objet, c'est-à-dire de la réalité objective »(3). L'objet est donc la rencontre entre une visée générale et une saisie empirique, sous l'égide de l'unité de l'aperception transcendantale, au Je pense, qui est la fonction objectivante du sujet. L'objet kantien est donc à la fois une visée intentionelle, en tant que général, et la résultat d'une synthèse passant nécessairement par une intuition.

Didier Ottaviani

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, « Esthétique transcendantale », § 1, trad. A. Renaut, Garnier-Flammarion, Paris, 2001, p. 117.
  • 2 ↑ Ibid., « Déduction transcendantale », p. 174.
  • 3 ↑ Ibid., « Analytique des concepts », p. 185.
  • Voir aussi : Ricœur, P., « Kant et Husserl », in À l'École de la phénoménologie, Vrin, Paris, 1987, pp. 227-250.
  • Rousset, B., La doctrine kantienne de l'objectivité, Vrin, Paris, 1967.

→ catégorie, expérience, perception, objectif, objectivation, phénomène, sujet, synthèse, transcendantal

Métaphysique, Philosophie Cognitive

Ce à quoi on pense, en tant qu'on le distingue de l'acte par lequel on le pense.

Selon F. Nef, « les objets s'opposent à la fois aux événements et aux agrégats, car nous exigeons d'eux stabilité et cohésion »(1). Sauf conception idéaliste de l'objet, on tend à reconnaître l'existence des objets comme indépendante de l'esprit (ou, au moins, des esprits finis).

On distinguera les objets concrets (qui possèdent des propriétés temporelles et / ou spatiales) et les objets abstraits (qui n'en possèdent pas). Les objets concrets peuvent être naturels ou artificiels. Les objets abstraits peuvent être arbitraires (des objets pris arbitrairement dans une classe afin de la représenter), théoriques, fictifs, possibles (voire incomplets, impossibles, etc.).

On s'accorde aisément sur l'existence indépendante des objets concrets, pas sur celle des objets abstraits. Quine a pour sa part insisté sur l'idée que les conditions à satisfaire par un objet sont, dans tous les cas, inscrites dans le langage(2).

Roger Pouivet

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Nef, F., l'Objet quelconque, recherches sur l'ontologie de l'objet, Vrin, Paris, 1998.
  • 2 ↑ Quine, W. V. O., la Relativité de l'ontologie et autres essais, Aubier, Paris, 1977, chap. 1.

→ événement, ontologie

Psychanalyse

« L'objet (Objekt) de la pulsion est ce en quoi ou par quoi la pulsion peut atteindre son but. Il est ce qu'il y a de plus variable en la pulsion, ne lui est pas originairement lié, mais ne lui est adjoint que par suite de son aptitude à rendre possible la satisfaction. »(1) L'objet est l'un des quatre éléments constitutifs de la pulsion sexuelle (poussée, but, objet, source). Sa variabilité est alimentée par la capacité de la pulsion à s'étayer sur les soins maternels et sur la plupart des fonctions organiques, ce dont témoignent les organisations sexuelles infantiles (orale, sadique-anale, phallique). Les équivalences symboliques inconscientes, comme sein = fèces = argent = cadeau = enfant = pénis(2), participent de la variabilité de l'objet.

En 1905, Freud démontre que la sexualité humaine est indépendante de la procréation(3) ; la pulsion sexuelle apparaît dès la naissance, et ses objets, dépendant du développement et de l'histoire infantiles, se substituent les uns aux autres. Du pouce sucé (objet partiel) à l'amant embrassé (choix d'objet), en passant par la peluche (objet transitionnel) et les figures parentales que la petite enfance a fomentées (objet du fantasme), jusqu'à l'amour de soi-même ou de qui nous ressemble (choix d'objet narcissique) ainsi qu'aux chaussures, fourrures, etc. (fétichisme), l'objet se déplace. Selon Freud, comme selon l'histoire de la langue, l'objectivité procède d'un travail de séparation et de désinvestissement relatifs aux objets de la pulsion sexuelle.

Si Freud a insisté sur le primat de la dynamique pulsionnelle, dont l'objet n'est qu'un corrélat, ses successeurs sont revenus à la « relation d'objet ». Lacan ontologise la notion freudienne d'objet partiel, labile et contingent. L'objet est ce dont le désir est toujours en quête. Mais l'objet est toujours déjà perdu, cause – et non objet – de la quête du désir, qui n'est donc que métonymie.

Christian Michel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Freud, S., Trieb und Triebschicksale (1915), GW. X, « Pulsions et destin des pulsions », in Métapsychologie, Gallimard, « Folio », Paris, 1985, pp. 18-19.
  • 2 ↑ Freud, S., Über Triebumsetzungen, insbesondere der Analerotik (1917), G.W. X, « Sur les transpositions des pulsions, plus particulièrement dans l'érotisme anal », in la Vie sexuelle, PUF, Paris, 2002.
  • 3 ↑ Freud, S., Drei Abhandlungen zur Sexualtheorie (1905), G.W. V, Trois Essais sur la théorie de la sexualité, Gallimard, Paris, 1989.

→ enfantin / infantile, étayage, pulsion, sexualité