chose

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin causa, « cause » au sens juridique. En allemand, Ding signifie d'abord « tribunal », puis « cause juridique », enfin « chose ».


La chose est certainement l'entité philosophique qui, dans les termes de la logique classique, possède le plus d'extension et le moins de compréhension. Si la relation de la personne à la chose, d'origine juridique et romaine, a été supplantée par celle du sujet aux objets, d'extraction métaphysique et cartésienne, du moins la problématique philosophique est-elle demeurée identique à elle-même : qu'elle soit « acte » (energeia) où la « substance » (ousia) est en retrait chez Aristote, objectivité produite par l'activité du sujet chez Descartes, ou constituée par le schématisme transcendantal chez Kant, la chose demeure ce qui est posé en face de la pensée et l'interroge. C'est le sens du retour « aux choses-mêmes » qui apparaît dans la phénoménologie. Car c'est dans cette philosophie mise en œuvre par Husserl avant que d'être modifiée par la tradition heideggerienne, que se joue le statut ontologique de l'ensemble des objets constitués en un monde par le sujet. La chose est la pure positivité de l'être telle qu'elle ne peut être posée que par l'activité d'une pensée qui vise, juge, constitue et se constitue dans les choses, au-dehors. À l'isolement classique de l'âme répond l'idée d'une présence au monde sous la forme de la chair dans les avancées les plus récentes de la tradition phénoménologique. Dès lors il n'est pas étonnant de constater que c'est vers l'art (Heidegger, Sartre et Merleau-Ponty) que se tourne la phénoménologie, plus que vers la science et son conflit ancestral entre réalisme et instrumentalisme ou idéalisme physique, lorsqu'elle veut tenter de penser la relation entre le sujet et la chose. Fait déterminant, c'est à la chose, plutôt qu'à l'objet, que le sujet s'oppose dans la relation complexe de constituant à constitué, relation dans laquelle on reconnaît l'inspiration la plus marquante de la philosophie contemporaine.

Épistémologie

N'importe quelle réalité, plus ou moins individuée, statique, et indépendante du sujet qui l'observe, ou résistant à des modifications arbitraires.

La référence aux choses se situe soit en deçà (Aristote), soit au-delà (d'Espagnat) de la problématique de l'objectivité scientifique où le réalisme de la chose ne peut que se dissoudre (Bachelard) ou s'inscrire en faux (Heidegger). Une chose est un système isolable, supposé fixe, de qualités et de propriétés. Elle est antérieure à l'objet, dont la constitution suppose l'élimination de faux objets. Se référer à l'ordre des choses n'implique aucune différence entre représentation et représenté(1). Aristote forme une science des choses en tant qu'elles constituent un monde(2). Le droit romain (Justinien) oppose les choses, supports de propriété, aux actions et aux personnes. Le déploiement de la problématique du sujet et de l'objet (Descartes, Kant, Hegel...) entraîne l'abandon de la notion. La critique de ce recouvrement par Heidegger peut être considérée comme une résurgence ou comme une régression : « Le savoir de la science a déjà détruit les choses, longtemps avant l'explosion de la bombe atomique. »(3). En revanche, la psychanalyse de la connaissance vise à dissoudre les certitudes mal dégrossies du sens commun : « La science contemporaine veut connaître des phénomènes et non pas des choses. Elle n'est nullement chosiste. La chose n'est qu'un phénomène arrêté. »(4). Toutefois, certains réalistes insistent sur la valeur régulatrice du « quelque chose » résistant aux variations techniques et symboliques de l'activité scientifique(5).

Vincent Bontems

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Foucault, M., Les mots et les choses, Gallimard, Paris, 1966.
  • 2 ↑ Aristote, Physique, Les Belles Lettres, Paris, 1931.
  • 3 ↑ Heidegger, M., Qu'est-ce qu'une chose ?, Gallimard, Paris, 1971.
  • 4 ↑ Bachelard, G., La philosophie du non, p. 109, Vrin, Paris, 1975.
  • 5 ↑ D'Espagnat, B., À la recherche du réel, Bordas, Paris, 1981.

→ épistémologie, fait scientifique

Psychanalyse

Ce qui a été radicalement perdu du premier objet, la mère en tant que sein maternel, par-delà les objets pulsionnels et partiels.

Lacan propose d'isoler par ce nom l'objet premier, dont la perte inaugure la possible objectalité des mondes interne ou externe. Sans qu'il le dise, la chose renvoie probablement à ce qui existe d'un objet totalitaire, avant que, selon l'approche kleinienne puis winnicottienne, la réconciliation du bon et du mauvais objet, paradoxalement associée à la position dépressive, ne donne à la mère la compétence à présenter les objets. En d'autres termes, c'est la part réelle des objets qui s'indique en ce mot.

Si l'« objet a » se constitue, dans un temps logiquement second, de ce qui choit de l'Autre et insiste dans les objets de la pulsion comme de l'identification, la chose n'est rien d'autre que le nom donné à la mère primordiale, Autre réel, dans la théorie lacanienne. Outre son intérêt pour la cohérence de la doctrine, une telle différenciation permet sans doute de comprendre, dans la clinique, ce qui s'observe d'un certain rapport à l'objet, tout autant dans l'autisme ou la schizophrénie que dans la mélancolie.

Jean-Jacques Rassial

Notes bibliographiques

  • Lacan, J., Écrits, Seuil, Paris, 1966.

→ narcissisme, objet, souhait