proposition
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin propositio. En grec : logos, axioma, pragma.
Linguistique, Logique
Contenu de ce qui est dit, pensé ou exprimé par un signe complexe susceptible d'être vrai ou faux.
La notion de proposition apparaît chez Platon comme le logos (Sophiste, Théétète), et chez Aristote, qui l'emploie quelquefois au sens de doxa, ou d'upolèpsis, et développe une terminologie élaborée pour les actes linguistiques à travers lesquels la proposition est exprimée. Chez les stoïciens, un axioma ou pragma complet exprime un lekton, ou « signifié propositionnel ». Le latin propositio, introduit par Cicéron, oscille également entre le signe et ce qu'il exprime. Les propositions servent à trois choses : à affirmer ce qui est vrai ou faux, à figurer dans des inférences et des relations logiques, et à caractériser les contenus des actes mentaux « intentionnels », ou « attitudes propositionnelles », introduits par des clauses subordonnées que (dire que, croire que, juger que, etc.). Mais ces trois fonctions sont difficiles à concilier : les propositions sont-elles ce qui est exprimé par des phrases, ou les phrases elles-mêmes ? Sont-elles des signes concrets ou des entités abstraites ? Sont-elles des symboles mentaux ou leurs contenus ? Sur ces points, on distingue habituellement des formes de platonisme ou d'intensionnalisme, qui admettent, des stoïciens à Bolzano, à Frege et à Carnap, des entités telles que les sens ou des intensions (Satz an sich de Bolzano), des formes de nominalisme ou d'extensionnalisme, qui, de Occam à Hobbes et à Quine, assimilent les propositions à des symboles concrets, linguistiques ou mentaux. D'autres philosophes, comme Russell, tendent à assimiler les propositions aux faits qu'elles décrivent et qui les rendent vraies. D'autres philosophes, comme Austin ou Strawson, assimilent la proposition à l'énoncé, ou au contenu de l'acte de langage d'assertion. Un autre problème fondamental est celui de la forme logique des propositions et de la nature du lien propositionnel. Dans la tradition, elle est sujet-prédicat, ce qui rend difficile la distinction de la proposition et du jugement (acte mental qui lie le sujet au prédicat), mais en logique contemporaine depuis Frege, le contenu d'une proposition est de forme fonction-argument, permettant de lier des variables de quantification.
On objecte habituellement contre la conception des propositions comme entités abstraites qu'il est difficile de dire quand deux phrases expriment la même signification. La critique par Quine de cette notion dans la philosophie contemporaine, et sa théorie de l'indétermination de la traduction, a conduit philosophes et logiciens à une méfiance envers ces « créatures de l'ombre ». Mais, si les propositions sont des phrases, comment peuvent-elles être vraies ou fausses si une même phrase peut être vraie ou fausse selon les contextes, et relativement à un langage particulier (cette difficulté se retrouve dans la théorie de la vérité de Tarski où la vérité est attribuée à des phrases) ? En définitive, on a bien besoin d'un concept pour désigner ce qui est dit ou pensé, et en ce sens la notion de proposition est indispensable.
Pascal Engel
Notes bibliographiques
- Nuchelmans, G., Theories of the Proposition, Amsterdam, North Holland, 1973.
- Prior, A., Objects of Thought, Presses universitaires, Oxford, 1968.
→ attitude propositionnelle, fait, indétermination (de la traduction), jugement, phrase, signification
attitude propositionnelle
En anglais : Propositional Attitude.
Linguistique, Philosophie de l'Esprit
État psychologique dont on peut rapporter le contenu au moyen d'une proposition subordonnée introduite par que, comme « croire que la nuit tombe », « désirer que la nuit tombe » ou « regretter que la nuit tombe ».
Cette terminologie, introduite par Russell(1), suggère que ces états mentaux relient un individu à une proposition. Mais une proposition est-elle une représentation mentale, une entité abstraite non linguistique, ou une phrase d'une langue ? Et comment ces diverses entités représentent-elles des faits ? La question de la nature des attitudes propositionnelles est une version du problème de l'intentionnalité du mental, selon le critère de Brentano : ne sont mentaux que les états « dirigés vers quelque chose ». Les verbes d'attitudes propositionnelles diffèrent cependant des verbes psychologiques de perception, qui prennent un complément d'objet direct, comme « voir » ou « sentir » : par exemple, si je vois Jean, et si Jean est médecin, alors je vois un médecin, alors que si je crois que Stendhal est un écrivain, et si Stendhal est Beyle, il ne s'ensuit pas que je crois que Beyle est un écrivain. Cette propriété est appelée l'« opacité référentielle ». Elle suggère que l'objet d'une attitude n'est pas déterminable objectivement, mais est relatif à la manière dont le sujet se le représente, qu'on peut aussi tenir comme liée à la subjectivité propre au mental.
Les dualistes, et tous ceux qui défendent la distinction de Brentano, les considèrent comme irréductibles à des états physiques. Certains matérialistes comme Dennett(2) soutiennent que les attitudes propositionnelles ne peuvent recevoir aucun statut scientifique, et peuvent au mieux servir d'instruments heuristiques pour expliquer et prédire le comportement. D'autres matérialistes soutiennent qu'il existe bien, dans la cognition, des états tels que des croyances ou des désirs, véhiculant une certaine information qui doit pouvoir, au même titre que tout phénomène naturel, recevoir une explication causale scientifique.
Pascal Engel
Notes bibliographiques