Benito Mussolini
Homme d'État italien (Dovia di Predappio, Romagne, 1883-Giulino di Mezzegra, Côme, 1945).
Au lendemain de la marche sur Rome, fin octobre 1922, Benito Mussolini établit la première dictature fasciste en Europe. Son alliance avec l'Allemagne hitlérienne entraîna l'Italie dans le chaos de la défaite au cours de la Seconde Guerre mondiale.
Du socialisme au fascisme (1883-1919)
Né dans une famille modeste, d’abord instituteur, Mussolini adhère au socialisme et à sa dénonciation des inégalités d’une Italie qui n’a pas achevé son unité. Devenu journaliste, il se retrouve en 1912 à la tête de la fraction révolutionnaire de son parti.
Pourtant, dès 1914, il rompt avec le socialisme, en se prononçant pour l’entrée de l’Italie dans la guerre, dont il attend une régénérescence globale. En 1919, au sortir d’un conflit décevant pour le pays, il fonde, avec d’anciens combattants et des ultra-nationalistes, les Faisceaux de combat, dont l’objectif est la prise du pouvoir.
Du mouvement fasciste à la dictature totalitaire (1919-1926)
Au bout de trois ans d’une lutte mêlant habilement participation électorale légale et violence comme moyen d'affirmation, Mussolini devient en 1922 président du Conseil. Alors que ses adversaires croient à la normalisation du fascisme, le régime va se transformer par étapes en une dictature, après l’épreuve de force de l’affaire Matteotti (1924-1925), qui a failli entraîner sa chute.
Du Duce à la république de Salo (1926-1945)
Devenu le Duce (chef, guide) incontesté de l’Italie, Mussolini obtient d’indéniables succès intérieurs (politique sociale) comme extérieurs (conquête de l’Ethiopie). Mais son rapprochement avec l’Allemagne nazie à partir de 1936 l’incite à durcir le régime et à mettre sur pied une politique raciale et antisémite. L’entrée dans la Seconde Guerre mondiale s’avère catastrophique pour l’Italie ; elle aboutit en 1943 à la chute de Mussolini, provoquée par son entourage. Rétabli par Hitler dans le nord du pays à la tête d’un Etat fantoche, la république de Salo, Mussolini est exécuté en 1945 par la Résistance italienne.
1. Les années obscures (1883-1912)
1.1. Une jeunesse marquée par la révolte
Benito vient au monde le 29 juillet 1883 dans le village de Predappio, au sein d'une famille modeste de Romagne. Son père Alessandro est forgeron et petit entrepreneur. Sa mère Rosa Maltoni est issue de la petite bourgeoisie. L’unité italienne n’est achevée que depuis 1870 et elle reste fragile : le déséquilibre entre le Nord et le Sud de la péninsule et les tensions sociales l’affaiblissent. Avec son caractère anarchiste et brutal, le jeune Mussolini regimbe contre la misère des classes populaires, qu'il partage lui-même. Il doit cependant brider son tempérament turbulent au collège des religieux salésiens de Faenza, puis à l'école normale de Forlimpopoli, d’où il sort avec le diplôme d’instituteur en 1901.
Entre-temps, son père est devenu aubergiste à Forli et écrit dans les journaux locaux des articles enflammés contre la bourgeoisie gouvernante. C’est lui qui inculque à Benito la haine des autorités, des nantis, de tous ceux qui réussissent. Mais parallèlement, après le désastre d'Adoua (1896), où l’armée coloniale italienne subit une lourde défaite face aux Éthiopiens, il collecte de l'argent pour les malades et les blessés revenus de la guerre, et son fils de treize ans jure avec ses camarades d'école de venger les morts d'Adoua.
Ainsi, dès son plus jeune âge, cohabitent en Mussolini le sentiment nationaliste, qui le guidera plus tard, et la rébellion du plébéien dont le Parti socialiste italien (PSI), d'inspiration marxiste, auquel il adhère en 1900, va désormais orienter pour un temps les revendications.
1.2. L'expérience du socialisme (1901-1912)
Qu'a fait Mussolini pendant les dix années obscures au cours desquelles il s’écarte progressivement de la collaboration de fait entre le socialisme naissant et le chef inamovible de la majorité parlementaire (1901-1914), le libéral Giovanni Giolitti ? Alors que sous l’effet de la politique sociale plutôt conciliante de ce dernier, le courant réformiste devient prédominant au PSI, son évolution personnelle suit une direction diamétralement opposée.
Ouvrier en Suisse (1902-1904)
Son diplôme d'instituteur ne lui a pas servi : l'école forme des maîtres qui restent souvent sans emploi. Ce sera le cas de Mussolini pendant deux ans d'amertume et de débauche désordonnée, au cours desquelles il abandonne toute pratique religieuse. En 1902, une municipalité socialiste très modérée l'appelle enfin en Émilie. Il s'y ennuie au bout de quelques mois et décide de passer en Suisse pour y devenir ouvrier.
À Genève, puis à Lausanne, Mussolini trouve surtout des révolutionnaires et des anarchistes originaires de l'Empire russe principalement, dont l’émigrée ukrainienne Angelica Balabanoff, future dirigeante de l’Internationale communiste, qui exercera une influence essentielle sur son évolution politique révolutionnaire.
Mussolini travaille durement comme maçon, parfois sans abri, au contact des palaces luxueux où affluent les riches étrangers, et sa révolte s'aigrit contre une société inégalitaire. À l'âge où il aurait dû rentrer en Italie pour faire son service militaire, il déserte. Les services du recrutement le condamnent pour la forme à un an de prison.
Il fréquente l'université, les bibliothèques, guide ses lectures des écrivains révolutionnaires Kautsky, Nietzsche, Stirner, Blanqui. Plus tard, il découvre Georges Sorel, dont il exploitera les Réflexions sur la violence, plus tard encore Machiavel. Sa culture et son courage physique le mettent assez rapidement en relief parmi les ouvriers italiens et il devient secrétaire de l'association des maçons de Lausanne. Il s'exerce aussi à parler et à écrire. Sa personnalité inquiète les autorités suisses, qui l'expulsent vers la France, où il restera peu de temps.
Agitateur révolutionnaire : le journaliste militant (1904-1912)
En 1904, une loi d'amnistie permet à Mussolini de rentrer en Italie pour y accomplir son service militaire, mais la police continue à le tenir pour un « dangereux anarchiste ». Il passe deux ans sous les drapeaux des bersaglieri où il laisse le souvenir d'un excellent soldat. On peut alors lui offrir sans crainte un poste d'instituteur à la frontière autrichienne, puis il est nommé professeur de français à Oneglia, dans un collège technique, dont il effraie la direction par ses articles dans le journal des socialistes de Ligurie, La Lima.
1908 le revoit dans son village romagnol auprès des siens. Le jeune homme, tout en retrouvant avec joie le cadre familial, vit sur place les tensions sociales entre propriétaires, souvent très modestes, et braccianti, ouvriers agricoles qui, eux, n'ont pour toute richesse que leurs bras.
Fin 1908, Mussolini gagne le Trentin. La province est alors autrichienne, mais peuplée en majorité d'Italiens. En Suisse, Mussolini a appris aussi l'allemand, et, à Trente, il collabore à deux journaux de langue italienne, auprès du militant révolutionnaire irrédentiste (c’est-à-dire favorable au rattachement à l’Italie des provinces restées autrichiennes après l’indépendance, le Trentin et l'Istrie) Cesare Battisti. Mais lui-même est venu prêcher le socialisme, non l'irrédentisme, et plus tard les nationalistes lui en feront sévèrement grief.
Rentré à Forli en 1909, Mussolini se fiance à Rachele Guidi, qu'il épousera en 1915 et qui restera jusqu'à la fin sa compagne officielle, en dépit des nombreuses liaisons adultérines qu'il entretiendra. Dans cette ville, il est directeur et principal rédacteur du journal socialiste La Lotta di classe. Son inspiration, nourrie de ses lectures et de ses souvenirs de Suisse, est bien plutôt, d'ailleurs, anarchiste que socialiste.
En 1912, une véritable émeute éclate à Forli à l'occasion du départ d'un train chargé de troupes pour la Libye, dont l'Italie entreprend la conquête. « Pas un homme, pas un sou » est le mot d'ordre du parti, et Mussolini l'applique à la lettre. Peu après, il est arrêté et condamné à cinq mois de prison ; admis au régime politique, il écrit sa première autobiographie.
À sa sortie a lieu le congrès de Reggio nell'Emilia (1912), où il devient le porte-parole de la fraction maximaliste du PSI ; puis, grandi par sa participation à l'action révolutionnaire, il est nommé à l'unanimité directeur du journal Avanti !. Mussolini est désormais un personnage politique de premier plan.
2. Du socialisme au fascisme (1912-1919)
2.1. Mussolini directeur de l'Avanti ! (1912-1914)
Au journal, Mussolini élimine les éléments qui lui déplaisent ; il réussit, par de constantes surenchères, à faire monter le tirage de 20 000 à 100 000 exemplaires (chiffre énorme pour l'époque). Mais ses provocations inquiètent les esprits les plus pondérés de la direction du parti.
Toujours en cette année 1912, où Giolitti accorde le droit de suffrage à tous les hommes de vingt et un ans ayant accompli leur service militaire ou ayant atteint trente ans (ce qui fait passer le corps électoral à 8 millions), Mussolini, candidat à Forli, est battu largement, sauf dans son bourg natal ; il est probable que cet échec, alors que 52 socialistes sont élus, l'incite secrètement à réfléchir sur la pertinence de son choix politique.
Néanmoins, il renforce encore son action révolutionnaire dans la forte instabilité sociale qui agite le pays. À Milan, au printemps de 1913, éclate une grève générale de deux jours dans l'industrie, qui se reproduit de nouveau en octobre et se prolonge l'année suivante à Parme, avec un caractère encore plus anarchisant. À Ancône, le 7 juin 1914, une manifestation antimilitariste, dont la répression fait trois morts, déclenche une grève générale en Romagne et dans les Marches ; à Ravenne, on malmène les officiers et l'on va jusqu'à planter des arbres de la liberté. Cette « semaine rouge », dont le souvenir restera longtemps, commence à faire réfléchir les milieux conservateurs.
Giolitti cède alors le gouvernement au libéral de droite Antonio Salandra, qui n'est nullement disposé à prolonger la faveur accordée par son prédécesseur aux organisations socialistes.
2.2. La rupture avec les socialistes (1914)
C'est alors qu'éclate la Première Guerre mondiale. En accord avec la majorité de ses camarades socialistes, Mussolini prône la neutralité absolue. Mais à la mi-septembre, la victoire française de la Marne ébranle la confiance des dirigeants et des nationalistes italiens dans la victoire des Empires centraux, Allemagne et Autriche-Hongrie ; après avoir magnifié l'alliance germanique, le journal l'Idea Nazionale, le premier, tourne casaque et rappelle que l'Italie a des comptes à régler avec l'Autriche.
Mussolini, lui, hésite encore ; il insère dans l'Avanti ! la protestation irrédentiste de Battisti contre les Italiens qui feraient bon marché des vœux de leurs compatriotes encore soumis à un joug étranger. Puis, sous prétexte qu'une « neutralité active et agissante » serait préférable à la neutralité absolue, Mussolini préconise un changement de position que les chefs du PSI repoussent sans hésitation en même temps qu'ils lui retirent la direction de l'Avanti !.
Déjà Mussolini a pris contact avec un des commanditaires du quotidien bolonais Il Resto del Carlino, qui lui a procuré le papier nécessaire à un nouveau journal – Il Popolo d'Italia (Le peuple d'Italie). D'autres concours lui viennent de grosses firmes industrielles et peut-être de partis socialistes étrangers.
2.3. Mussolini et la guerre
Le gouvernement, de son côté, poursuit durant l'hiver 1914-1915 une politique irrédentiste en négociant avec l'Autriche les compensations qui pourraient être accordées à l'Italie en échange de sa neutralité. Mais c'est une voie dangereuse qui peut la contraindre à la guerre alors que le pays n'y est préparé ni moralement ni militairement. Moralement, la grande masse du peuple italien ne voit aucune raison de participer au conflit entre grandes puissances ; militairement, au lendemain de la guerre de Libye (→ guerre italo-turque, 1911-1912), les officiers d'active sont très peu nombreux et peu exercés, l'aviation est inexistante – et les magasins sont vides. Néanmoins, l’Italie entre en guerre en mai 1915, mais au côté de l’Entente (France, Grande-Bretagne, Russie), qui s’est montrée plus généreuse, en lui promettant non seulement le Trentin et Trieste, mais aussi l’Istrie et la côte dalmate, également revendiquées par la Serbie, au nom de laquelle l’Entente est pourtant entrée en guerre !
Patriotisme
Engagé en 1915, Mussolini combat au front du Carso ; promu rapidement caporal, il est gravement blessé par l'éclatement d'une bombe en 1917. Le roi Victor-Emmanuel III va le visiter à l'hôpital et le félicite. Pour Mussolini, la guerre est finie. Son journal a continué de paraître sous la direction de son frère Arnaldo ; il le retrouve à son retour du front et en accentue encore la tonalité ultra-patriotique, surtout après la cuisante défaite de Caporetto (oct. 1917) puis les victoires de la Piave et de Vittorio Veneto (oct. 1918).
Création du premier Faisceau de combat (mars 1919)
À ces éléments exaltés qu'enflamme le Popolo d'Italia il se mêle des troupes d’élite démobilisées après le conflit mondial, les arditi. Une association d'arditi. Pour ces « ardents », le grand homme est encore le poète (et héros militaire) Gabriele D'Annunzio, qui va bientôt s’enliser dans l’aventure de l’occupation de Fiume (sept.1919). C’est en s’appuyant sur certains des arditi que, le 23 mars 1919, Benito Mussolini fonde le premier des Faisceaux de combat (i Fasci di combattimento), autrement connus sous le nom de Chemises noires.
3. Vers le pouvoir (1919-1922)
3.1. Une situation pré-révolutionnaire
Le succès de la révolution de 1917 en Russie a enflammé nombre d'esprits dans les couches populaires et créé une atmosphère favorable aux pires désordres. Ceux-ci ne manquent pas de se produire : grèves incessantes et ruineuses dans l'Italie du Nord, occupations de propriétés foncières dans le Midi pour les mettre en exploitation directe par les paysans pauvres, insultes aux officiers d'une guerre, qui même victorieuse, n'a pas été voulue par le peuple et a causé plus de 500 000 morts. Tout cela va alarmer la bourgeoisie et y alimenter un esprit de vengeance qui explosera en 1920, après l'échec de l'exploitation directe des usines par les ouvriers.
Dans l'immédiat, le mécontentement croissant qui s'instaure en Italie durant toute l'année 1919 profite aux partis de masse : le PSI qui, aux élections de novembre, obtient 156 élus, et le PPI (parti populaire italien), catholique qui en rafle une centaine. Pourtant, le fascisme n'en tire pas encore bénéfice. Mussolini, candidat à Milan sur la seule liste fasciste d'Italie, a essuyé un cuisant échec : 5 000 voix sur les 80 000 qu'il escomptait. C'est que l'agitation de rue provoquée par les anciens combattants des Faisceaux reste superficielle et n'entame guère les couches profondes d'une population ouvrière ou rurale, disciplinée par le socialisme ou par l'Église.
En d'autres circonstances et en tout autre pays que l'Italie, les deux partis vainqueurs des élections auraient fait alliance pour exercer le pouvoir, tout en concédant quelques ministères techniques aux diverses formations libérales. Les chefs du socialisme réformiste – Turati, Modigliani – y étaient disposés, de même que le leader des catholiques du PPI, don Luigi Sturzo, qui depuis longtemps collaborait avec les socialistes sur le plan administratif et municipal. Mais il n'en pouvait être question à la direction du PSI, que le modèle soviétique avait poussée vers le « maximalisme » révolutionnaire.
3.2. Mussolini et l'agitation sociale
L'usage de la violence
Le champ est donc libre pour la bourgeoisie possédante et les théoriciens du nationalisme, qui cherchent une revanche, les premiers sur les classes populaires, les seconds sur la « victoire mutilée » de 1918 – une revanche dans la violence, avec la complicité passive de nombreux corps constitués et d'abord de la police et de l'armée. Les squadristi, groupes paramilitaires issus des Faisceaux, pourchassent bientôt, illégalement et en toute impunité, grévistes, syndicalistes, socialistes et démocrates, que Mussolini rend responsables de la crise du pays.
En favorisant cette violence multiforme, Mussolini regagne le terrain perdu et l'élargit même de façon inespérée, car il reste le seul nom connu des foules parmi tous les jeunes gens qui, de plus en plus nombreux, viennent s'agglutiner autour des gagliardetti (bannières) fascistes et font régner la terreur dans les campagnes en détruisant par le feu et par le pillage coopératives, maisons du peuple, centres récréatifs socialistes, dont ils molestent et parfois tuent les dirigeants, sûrs de rester impunis.
L'entrée au Parlement
Le mouvement s'accentue après le retour de Giolitti au gouvernement à l'été 1920. Usant de la tactique temporisatrice qui lui a si bien réussi par le passé, Giolitti contraint d'abord les ouvriers révoltés à constater l'échec de leur tentative d'autogestion des usines. Puis, au printemps 1921, il dissout la Chambre et mise sur les fascistes qu'il inclut dans un « bloc national » de libéraux et de sans-parti qui recueillera les faveurs de l'administration. Trente-cinq fascistes pénètrent ainsi au Parlement, avec leur chef Mussolini et leurs principaux leaders. Mais ils y retrouvent, eux aussi renforcés, leurs adversaires populistes et socialistes, auxquels s'ajoute désormais une petite cohorte de communistes qui viennent de se séparer du PSI.
3.4. « Nous voulons gouverner l'Italie »
Le choix confirmé de la violence
Curieusement se révèle alors un Mussolini transformé, mesuré dans ses paroles, respectueux et même bienveillant envers l'Église catholique comme envers la monarchie.
Ce n'est pas une feinte. L'ancien révolutionnaire envisage à ce moment de partager le pouvoir avec le parti populaire et la fraction modérée des socialistes, auxquels il propose, le 3 août 1921, un Pacte de pacification. Mais il a compté sans la rancune de ses anciens compagnons les socialistes maximalistes, et surtout la réaction de ses propres partisans qui, scandalisés par cette volte-face, désavouent le Pacte. Quelques mois plus tard, à Bologne, sommé de choisir entre la honte d'un reniement apparent des principes du fascisme et la surenchère de la violence, Mussolini opte pour celle-ci.
La création du parti national fasciste (novembre 1921)
Puis, pour ressouder ses troupes, Mussolini décide de transformer le mouvement en un parti de masse : le Parti national fasciste (PNF), fondé en novembre 1921 au congrès de Rome, au cours duquel il est réélu triomphalement en tête de la commission exécutive des Faisceaux. C'est durant ce même congrès que l'alliance avec le grand capital est renouée, les fascistes renonçant aux nationalisations envisagées dans le programme initial de 1919.
Dès lors, la vague fasciste est en marche : lors de la grève générale des chemins de fer, déclenchée par les extrémistes du syndicat des cheminots, les fascistes se substituent même aux forces de l'ordre pour contraindre les grévistes, sous la menace du revolver ou du gourdin, à reprendre le travail. De même ils triomphent des coopératives d'ouvriers du port de Gênes.
Mussolini en « recours providentiel »
Des tractations secrètes sont engagées par Mussolini avec les chefs du parti libéral – les anciens présidents du Conseil Giolitti, Nitti et Salandra – pour savoir quelle place ceux-ci lui réserveraient à leur côté. Dans la famille royale, outre la reine mère Marguerite, Mussolini s'est assuré le concours éventuel d'un cousin du roi Victor-Emmanuel III, le duc d'Aoste. Il n'en aura pas besoin.
Lorsque Luigi Facta, qui a succédé comme président du Conseil à Bonomi, se décide à réagir en décrétant à Rome l'état de siège, il est trop tard. Le roi refuse et sur la suggestion de ses conseillers nationalistes fait appel à Mussolini, qui le 29 octobre accepte de former le nouveau gouvernement.
La « marche sur Rome », organisée parallèlement par Mussolini comme une menace et une démonstration de force, sonne le glas de la démocratie italienne.
4. Le dictateur (1922-1945)
4.1. L'installation au pouvoir : entre compromis et désordres
La classe politique escomptait que l’expérience du pouvoir assagirait le fascisme. Et, en effet, Mussolini constitue son premier ministère en y incluant des représentants de tous les partis, excepté les socialistes. Il a pris pour lui, avec la présidence du Conseil, l'Intérieur et les Affaires étrangères, et trois fascistes seulement reçoivent des portefeuilles : Justice, Finances, Terres libérées, assortis, il est vrai, de nombreux sous-secrétariats d'État. Les catholiques du parti populaire italien ont le Trésor et le Travail ; le leader nationaliste Luigi Federzoni, les Colonies ; les autres ministères se répartissent entre les différentes tendances du parti libéral.
Les futurs chefs de la démocratie chrétienne (Alcide De Gasperi, Giovanni Gronchi) votent la confiance, ainsi que les dissidents déjà sortis de ses rangs. Seul don Sturzo reste inébranlable dans son refus, se sachant encore appuyé par l'immense masse de la jeunesse catholique, sinon par le Vatican, où il ne trouve compréhension et appui qu'auprès du seul Pie XI.
Ce moment d'euphorie relative – salué par l'accueil favorable, et parfois enthousiaste, de l'opinion étrangère – se dissipe rapidement. L'arrogance et les exactions des fascistes compromettent le désir d'union de leur chef. En novembre 1922, celui-ci obtient du Parlement les pleins pouvoirs pour rétablir l'ordre que ses propres partisans ont largement contribué à mettre à mal.
Dès 1923, Mussolini met fin à la collaboration avec le parti populaire italien, dont les membres sont obligés de quitter son gouvernement. Les attentats aux biens et aux personnes des socialistes continuent comme par le passé.
4.2. Mussolini et l'affaire Matteotti (mai 1924-janvier 1925)
C'est alors que le 30 mai 1924, le député Giacomo Matteotti, secrétaire du groupe socialiste, prononce à la Chambre un véritable réquisitoire contre le gouvernement et demande le rejet de la validation des élections, qui viennent de donner la majorité à une alliance entre fascistes et anciens combattants (65 % des voix), mais où aucun électeur, en fait, n'a été libre de son choix.
Le discours, assorti d'une foule de courageuses précisions, dure deux heures. Écouté en silence par Mussolini, il est haché d'interruptions par ses partisans armés, qui remplissent les tribunes et la majeure partie de l'hémicycle. Le 4 juin, Matteotti récidive, attaque cette fois directement le Duce (le Guide). Le 10, Matteotti ne paraît pas à la Chambre : la preuve est rapidement fournie qu'il a été assassiné.
Il est inutile de laisser croire que Mussolinil n'a pas directement voulu le meurtre de Matteotti : il en a assez dit pour faire comprendre qu'il le souhaitait. Seuls les détails de l'exécution ont été laissés à l'initiative des tueurs.
Ce qui est sûr, c'est que l'émotion provoquée par ce crime sur l'opinion est telle qu'en quelques jours les fascistes perdent toute foi en leur pouvoir, désertent même les ministères, dissimulent leurs insignes et se terrent. Mussolini se voit isolé, vaincu par un coup du sort imprévisible, et fait démissionner d'office les deux membres de son entourage qu'il juge les plus compromis.
Comme il a laissé jusque là une liberté à peu près complète à la presse, les plus importants journaux se déchaînent contre lui, parmi lesquels Il Popolo, créé alors par don Sturzo, et où le jeune démocrate-chrétien Giuseppe Donati orchestre une campagne implacable contre le régime. C'est ainsi qu'est publié le mémoire terriblement accusateur de Cesare Rossi, l'un des sous-ordres limogés par le Duce. Le roi refuse pourtant d'en prendre connaissance, et affirme qu'il n'y a pas eu de crise parlementaire justifiant la nomination d'un nouveau Premier ministre.
Devant le Sénat, où l'opposition au fascisme a fini par grouper une trentaine de sénateurs, Mussolini déclare qu'il obéira au roi si celui-ci exige sa démission : gageure bien inutile, car il pressent bien que le souverain n'en fera rien. Enfin, le 3 janvier 1925, il revendique cyniquement « assumer la responsabilité politique, morale et historique de tout ce qui s’est passé » et réclame d’un même élan « tout le pouvoir pour tout le fascisme ».
Alors commence la vraie dictature.
4. 3. Le Duce, maître absolu de l'Italie (1926-1939)
Avec les lois de « défense de l'État » (dites lois « fascistissimes ») que Mussolini fait voter en 1925-1926 les opposants sont réduits au silence, et le chef du gouvernement n'est plus responsable devant le Parlement. Très vite le Duce agit en homme seul, intervenant souverainement dans tous les domaines, organisant autour de lui un véritable culte de la personnalité, qui n'ira qu'en s'accroissant. Dès 1928, il impose le système de la liste unique (qui transforme les élections en plébiscite) et du parti unique, ce qui élimine définitivement toute opposition interne et lui permet de se lancer dans des aventures extérieures, dont l'Éthiopie sera la première étape. En 1929, il recherche le soutien de l'Église et réconcilie, par les accords du Latran, l'État et le Saint-Siège, s’attachant du même coup le monde catholique. Sa popularité est alors à son faîte.
Le régime fasciste
De 1929 à 1936, la population apporte son consentement, sinon son soutien, au régime, qui tire profit des accords du Latran et d'une politique sociale volontariste. Mettant en œuvre un programme antilibéral, antidémocratique et antisocialiste, Mussolini organise un modèle d'État totalitaire, fondé sur le système des corporations, qui encadrent les travailleurs, sur d'actives organisations de jeunesse (inscription obligatoire) et sur le culte de la personnalité : par le verbe et par le geste, Mussolini éprouve son pouvoir de fascination sur les foules. Se présentant comme un surhomme tout entier voué à la grandeur du peuple italien, il forge son image martiale à grand renfort de propagande et de mobilisation des masses pour des démonstrations de force.
Secondé par le Grand Conseil fasciste, Mussolini se lance dans une politique qui prétend renouer avec le glorieux passé de la Rome antique : grands travaux (assèchement et mise en valeur des marais Pontins, autoroutes, stades), « bataille du blé » et industrialisation poussée. C'est également dans cette visée que s'inscrit la recherche d'un empire colonial, avec l'annexion de l'Abyssinie (Éthiopie) en 1936.
Pour en savoir plus, voir l'article fascisme.
Les visées expansionnistes de Mussolini
Se posant en porte-parole des nations mécontentes du traité de Versailles, Mussolini ambitionne ensuite de manipuler les puissances qui réviseront les frontières. Ainsi, de 1933 à 1935, il tente un rapprochement avec les démocraties occidentales, puis il inspire le pacte à Quatre (Italie, France, Grande-Bretagne, Allemagne), du 7 juin 1933, qui ne sera jamais ratifié.
Lors de l'assassinat du chancelier autrichien Dollfuss par les nazis (juillet 1934), Mussolini mobilise sur la frontière du Brenner et, en avril 1935, il constitue avec Londres et Paris le front de Stresa afin d'enrayer l'avancée allemande (dès janvier 1935, il a signé un accord franco-italien avec Pierre Laval). Mais l'attaque qu'il lance contre l'Éthiopie (octobre 1935) met fin à la politique de Stresa. Ulcéré par l'hostilité de l'Angleterre, qui entraîne la France, et par les sanctions économiques de la SDN, Mussolini achève victorieusement sa guerre coloniale le 5 mai 1936, sans se soucier des condamnations internationales (→ campagnes d'Éthiopie).
L'alliance avec Hitler (1936-1939)
Cette victoire et une intervention commune Espagne auprès des franquistes pendant la guerre civile rapprochent Mussolini et Hitler. Le 1er novembre 1936, Mussolini proclame l'Axe Rome-Berlin ; plus qu'un accord politique et militaire (négocié en secret), c'est l'amorce d'un resserrement de liens qui vont devenir de plus en plus étroits entre les deux régimes.
Subjugué par la personnalité de Hitler, le Duce désire lui plaire. Pour cela, il sacrifie l'Autriche, annexée par l'Allemagne le 11 mars 1938, et la Tchécoslovaquie qui va subir le même sort (→ accords de Munich, sept. 1938). Surtout, il inaugure en Italie même une politique raciale (lois racistes de 1938 et persécution des Juifs) jusqu'alors inexistante, qui le met dans le sillage de l'idéologie nazie. Enfin, en avril 1939, comme en réplique aux annexions hitlériennes, il annexe l'Albanie mais confirme de ce fait qu'il a perdu toute initiative au profit de Hitler (traité de Berlin, ou pacte d'Acier, 22 mai 1939).
4.4. Vers la chute (1939-1945)
A la remorque de l'Allemagne
Quand débute la Seconde Guerre mondiale, Mussolini s'en tient tout d'abord à la neutralité, considérant que l'Italie n'est pas prête militairement. Mais, le 10 juin 1940, contre la volonté d'une grande partie de son entourage, il entre en guerre aux côtés de l'Allemagne nazie. Son offensive contre la France (10-24 juin 1940) n'est pas glorieuse, et le conflit dans lequel il s'engage contre la Grèce le 28 octobre 1940 tourne au désastre. Le Duce essuie de lourdes pertes : les colonies africaines sont perdues, 240 000 soldats se retrouvent à partir de 1941 sur le front de l'Est pour épauler la Wehrmacht contre l'URSS et des centaines de milliers de travailleurs italiens partent pour l'Allemagne.
Pour en savoir plus, voir l'article Seconde Guerre mondiale.
La chute du Duce (1943)
À mesure que s'accumulent ces déboires, on s'inquiète, au sein même du mouvement fasciste, de l'obstination du Duce. En fait, celui-ci songe à une paix séparée, mais il n'ose pas s'en ouvrir à Hitler. Des complots se forment et, au cours de la nuit du 24 au 25 juillet 1943, les chefs du parti réunis (Ciano, Dino Grandi, Emilio De Bono, etc.) le somment de remettre ses pouvoirs au roi. Celui-ci le fait arrêter dès le lendemain et le remplace par Pietro Badoglio.
La république de Salo (1943-1945)
Interné dans les Abruzzes, Mussolini est délivré par un commando de parachutistes allemands le 12 septembre 1943 et, sur l'injonction de Hitler, prend la tête d'une « République sociale italienne », État fantoche qui s'installe à Salo, sur les rives du lac de Garde (→ république de Salo). Mussolini fait exécuter les chefs fascistes qui l'ont destitué en juillet, parmi lesquels son gendre Ciano et tente vainement de mettre en place un nouvel ordre, plus radical et antisémite que le fascisme d'avant-guerre.
Lors de la déroute hitlérienne, il s'installe à Milan, d'où il essaie de traiter avec les Alliés, puis, chassé par l'entrée des résistants dans la ville, tente de gagner la Suisse avec une colonne allemande. Arrêté le 27 avril 1945 à Dongo, près du lac de Côme, il est jugé par un tribunal de partisans présidé par le colonel Valerio (Walter Audisio) puis fusillé le lendemain, avec sa maîtresse, Clara Petacci.