Justinien Ier
en latin Flavius Petrus Sabbatius Justinianus
(Tauresium ?, près de l'actuelle Skopje, 482-Constantinople 565), empereur byzantin (527-565).
1. L'empereur
1.1. Le neveu de Justin Ier
Neveu de l’empereur Justin Ier, Justinien assiste son oncle dès 518, avant d’être associé au trône en avril 527. Il lui succède à sa mort en août 527.
Belle destinée pour celui qui était né Petrus Sabbatius dans une famille de paysans illyriens et qui avait épousé une actrice, Théodora, fille d'un montreur d'ours de l'hippodrome. Le nouvel empereur n'en est pas moins doté d'une solide culture classique ; il s'intéresse tout particulièrement au droit, et les débats théologiques le passionnent. Justinien, qui sera surnommé « l'empereur qui ne dort jamais » à cause de sa prodigieuse force de travail, passe cependant pour orgueilleux, maladivement jaloux, et surtout très influençable, ce qui ne constitue pas de moindres défauts pour un homme d'État.
1.2. Le législateur
Dès sa prise de pouvoir, l'empereur passionné de droit décide de mettre en chantier ce qui passe pour sa plus grande réalisation : le Code, dit Code Justinien. Il confie ainsi à une équipe de juristes, dont les plus connus restent Tribonien et Théophile, le soin de rassembler les lois romaines en même temps que de les réviser afin de les adapter aux réalités du vie siècle. Ce gigantesque travail est promulgué en 529, puis une nouvelle fois en 534. Il est complété en 533 par une synthèse de la jurisprudence romaine, le Digeste. Les lois postérieures à 533 seront, quant à elles, réunies dans les Novelles, en parties rédigées dans la langue parlée à Constaninople, le grec. L'impact et la pérennité du corpus justinien seront immenses ; à partir du xiie siècle, il sera découvert par les juristes occidentaux et deviendra le fondement du droit dit « romain ». En homme pragmatique, Justinien s'emploie à contrôler l'enseignement de son nouveau code, qui ne peut se faire que dans trois villes, Beyrouth, Constantinople et Athènes ; à l'intention des étudiants, il fait rédiger un manuel d'initiation, les Institutes.
2. À la reconquête des terres romaines
Bien qu'il réside en terre grecque, Justinien est passionnément romain. Il est même obsédé par cette romanité qui ne cesse de s'étioler depuis les premiers coups de boutoir des Barbares au ve siècle. S'il pense avoir redonné avec le Code son armure juridique à l'Empire, il veut aussi restaurer celui-ci dans sa plus grande extension. Pour cela, il lui faut reconquérir les terres romaines d'Occident, désormais sous le contrôle des envahisseurs germaniques.
2.1. Le péril perse
Avant de se lancer dans cette vaste entreprise, Justinien doit faire face à des dangers imminents. C'est d'abord de l'Orient que vient le péril : en 529, les Perses sont aux portes d'Antioche, et ce n'est qu'au prix de lourds tributs que Justinien obtient la paix avec Kosrhô Ier en 532.
2.2. La sédition Nika
Mais les difficultés viennent aussi de l'intérieur et lorsque, en 532, malaise social et luttes religieuses se rejoignent à Constantinople, la sédition populaire de Nika manque de faire chanceler le trône. Il faut toute la détermination de sa femme, Théodora, pour que Justinien consente à rester dans la capitale. Paniqué, il envoie son général Bélisaire écraser dans le sang les insurgés à l'hippodrome, où tombent entre 30 000 et 80 000 personnes. L'empereur a enfin les mains libres pour concrétiser son rêve.
2.3. Carthage, la Corse, la Sardaigne et les Baléares
Très vite, les armées impériales reprennent pied en Afrique du Nord. Le 15 septembre 533, Bélisaire et ses 16 000 hommes s'emparent facilement de Carthage, puis capture le roi vandale Gélimer. Les îles voisines, la Corse, la Sardaigne et les Baléares, sont également reprises. Fort de ce fulgurant succès, Bélisaire peut alors tourner ses troupes vers le berceau de l'Empire romain, l'Italie.
2.4. Bélisaire puis Narsès à la reconquête de l'Italie
En 535, deux armées attaquent la péninsule, alors sous la domination des Ostrogoths, et Bélisaire entre dans Rome le 10 décembre 536. La résistance est cependant autrement plus vive qu'à Carthage, et Justinien, que l'on dit jaloux des succès grandissants de son général, limoge Bélisaire, ce qui permet au roi goth Totila de reprendre Rome (546).
Refusant d'abandonner le symbole italien, l'ombrageux empereur envoie un autre général, Narsès : celui-ci ne parvient à rétablir la situation qu'au prix d'une coûteuse et difficile guerre de dix ans : en 555, les derniers Ostrogoths capitulent et l'Italie vient s'ajouter au littoral méditerranéen de la péninsule Ibérique repris aux rois des Wisigoths.
2.5. L'offensive perse
En 540, l'entreprise de Justinien est remise en question par l'offensive du roi de Perse Khosrô contre la Syrie, l'Arménie et l'Ibérie, en violation de la paix signé en 532. Faute de moyens militaires suffisants, Justinien est contraint de renouveler périodiquement le tribut et n'obtient une paix ferme qu'en 562.
3. Bâtisseur et chef de l'Église
3.1. Le souffle de la grandeur romaine
C'est ainsi que Justinien, au prix de plus de vingt ans de campagnes, a replacé l'ensemble du monde méditerranéen, à l'exception de la Gaule, sous l'autorité impériale. Mais n'a-t-il pas vu trop grand ? Il est difficile de préserver un empire aussi immense, et Justinien semble d'ailleurs oublier de protéger les Balkans, alors dépeuplés, de la pression toujours grandisante des Huns ou des Slaves. Les populations sont écrasées d'impôts par un souverain qui ne rechigne devant aucune dépense.
Pour retrouver le souffle de la grandeur romaine, Justinien se lance dès son avènement dans une grande politique de constructions, laïques et religieuses. Des villes nouvelles sortent de terre, des ponts, des routes et des bains publics s'édifient. Mais ce sont aussi les monuments de la chrétienté qu'entend bâtir Justinien, au nom de l'autorité spirituelle qu'exerce l'empereur depuis le temps de Constantin. Si on lui doit la basilique Saint-Vital de Ravenne, sa grande œuvre reste Sainte-Sophie, l'immense basilique à coupole édifiée entre 532 et 537 à Constantinople. Anthémios de Tralles et Isidore de Milet y portent à leur apogée l'artitecture et l'art de l'époque. La divinisation de l'empereur, à la manière romaine, est explicite : lorsque celui-ci vient solennellement sous la coupole, à la verticale du Christ Pantokrâtor (« Maître de Tout »), l'assistance a bel et bien sous les yeux le représentant de Dieu sur terre.
3.2. Le « siècle de Justinien »
Ce souverain en majesté ne règne pas toujours avec sérénité dans un siècle que l'on baptisera plus tard « siècle de Justinien ». C'est d'abord le respect de l'autorité de l'État qui nécessite bien des efforts. Dans les campagnes, les magnats, les potentats locaux à la tête de milices privées se rient des représentants de l'empereur. La réforme administrative tentée par le préfet du prétoire Jean de Cappadoce en 535-536 se heurte à une situation si confuse que son application ne peut qu'être ajournée.
Le chrétien zélé
Mais Justinien doit aussi tenter d'apaiser les querelles religieuses qui agitent l'Empire, plus particulièrement en ses régions orientales. Les chrétiens y sont en effet profondément divisés sur la question théologique de la nature de Jésus-Christ : certains, suivant la position officielle de l'Église, affirment qu'en Jésus existent deux natures, humaine et divine. Mais d'autres, dont la princesse Théodora elle-même, adoptent l'hérésie monophysite qui ne reconnaît qu'une seule nature en Jésus, la nature divine (→ monophysisme).
L'enjeu et les troubles sont tels que la Palestine, la Syrie et l'Égypte, à majorité monophysite, menacent de faire sécession. Les efforts de l'empereur théologien s'avèrent vains, et le concile qu'il provoque à Constantinople en 553 reste sans effet. Les positions sont déjà figées, et Justinien ne pourra réconcilier ses sujets. Les monophysites, plutôt que d'imposer leurs évêques à l'Église officielle, créent leur propre Église, appelée jacobite en hommage au moine Jacques Baradée, son fondateur. Les jacobites en Syrie et les coptes en Égypte disposent donc d'une Église nationale ; ceux qui restent fidèles à Chalcédoine recevront ultérieurement le nom de melkites (du syriaque melech : roi)
Mais hors du christianisme, point de salut ! L'empereur prive les païens de leurs droits civiques et ferme l'Académie d'Athènes, où se perpétuait la pensée de Platon : c'est la fin de la philosophie grecque.
4. Le premier empereur byzantin
Lorsqu'en 565 Justinien meurt, le travail qu'il a accompli paraît immense. L'unité du monde romain est rétablie, et l'Asie Mineure connaît un véritable apogée. Le soulagement avec lequel la population accueille la mort de son souverain n'a cependant pas l'apparence d'un paradoxe : soumis à une très forte fiscalité destinée au financement de la reconquêe, encadrée par un pouvoir municipal en crise, elle est aussi violemment frappée, physiquement et moralement, par l'apparition de la peste en 514-542, dite « peste justinienne ».
De plus, la reconstitution de l'Empire romain était artificielle et l'héritage de Justinien ne put être conservé par les générations suivantes. Pour avoir négligé la protection des Balkans, et malgré de coûteux efforts pour contenir la pression barbare (octroi de titres honorifiques mais aussi lourds tributs), Justinien ne laissait qu'un fragile apogée.
Cinquante ans après sa mort, les Lombards sont installés en Italie, les Wisigoths ont rétabli leur souveraineté sur l'Espagne, la Syrie et l'Égypte sont envahies par les Perses. Pensant rétablir l'Empire romain universel, Justinien, dernier empereur latinophone, a en fait présidé à la véritable naissance de l'Empire byzantin, de langue grecque et limité à l'Orient.
Pour en savoir plus, voir l'article Empire byzantin : histoire.