gallicanisme
(de gallican)
Doctrine et attitude caractérisées par l'accord du souverain français et de son clergé pour gouverner l'Église de France, en contrôlant et en réfrénant l'ingérence de la papauté.
1. Des gallicanismes
Le gallicanisme est un ensemble de doctrines couramment répandues en France, entre le xve et le xixe siècle. S’opposant à l'ultramontanisme (le pouvoir d'« au-delà des Alpes »), il affirme sur les plans théologique et juridique la liberté de l'Église française et la supériorité du pouvoir royal face aux prétentions du pape visant à la théocratie pontificale.
En fait, il n'y a pas eu un mais au moins trois types de gallicanisme, qui se sont souvent mêlés, parfois opposés : le gallicanisme ecclésiastique affirmant la supériorité des conciles sur le pape ; le gallicanisme royal posant, contre le pape, le roi comme chef temporel de l'Église française ; le gallicanisme parlementaire enfin, variante du gallicanisme royal.
2. L’émergence du gallicanisme
2.1. Fin du xiiie-xive siècle
Les origines du gallicanisme remontent au premier conflit entre le roi Philippe IV le Bel et le pape Boniface VIII à la fin du xiiie siècle. La défaite de Boniface VIII est aussi celle de la théocratie pontificale. Le gallicanisme se renforce avec le séjour de la papauté en Avignon (→ papes d'Avignon, 1309-1376), et surtout avec le grand schisme d’Occident..
2.2. Le grand schisme d'Occident (1378-1417)
Le grand schisme d’Occident est en effet l'occasion de résister à la tendance de centralisation à Rome du pouvoir spirituel. En accord avec le clergé, l'université de Paris, sûre de l'appui de la royauté, organise la résistance. Lors d'un synode tenu en 1398, elle proclame que la papauté a aliéné d'anciennes libertés et que le roi seul peut lever des impôts sur son clergé, jouir des revenus des évêchés vacants et nommer à tous les bénéfices de l'Église de France (principe de la régale).
2.3. Le concile œcuménique de Constance
Hors de France, c'est le concile œcuménique de Constance en 1414, convoqué pour mettre fin au grand schisme, qui décide par le décret Sacrosancta que le concile, détenant directement son pouvoir de Dieu, possède la juridiction universelle en matière de foi et de réforme et sur le pape lui-même. Cette décision, qui établit la suprématie du concile sur le pape, est toutefois écartée par le nouveau pontife, Martin V, élu en 1417.
En 1438, le clergé de France réuni à Bourges fait sien le décret Sacrosancta, établit que le roi de France ne sera soumis sur le plan politique à aucune autorité supérieure, supprime les impôts pontificaux et limite la procédure d'appel en Cour de Rome : c'est la pragmatique sanction de Bourges. Le roi, qui peut nommer à tous les bénéfices, devient pratiquement le maître de l'Église de France.
3. Le triomphe du gallicanisme du xvie au xviiie siècle
3.1. Le concordat de Bologne
La pragmatique sanction ayant été promulguée sans l'avis de la papauté, le roi François Ier négocie, en 1516 à Bologne, le concordat qui va régir l'Église de France jusqu'à la Révolution. S’il entérine l'abandon au roi de la nomination des chefs de l'Église nationale, la théorie conciliaire est pour sa part abandonnée, à la grande satisfaction du pape. C'est donc un gallicanisme politique plus que dogmatique qui s'établit en France en ce début du xvie siècle : au gallicanisme conciliaire se substitue un gallicanisme royal (la conjonction des deux tendances se fera au xviie siècle, sous Louis XIV).
3.2. La polémique autour de la doctrine tridentine
Le concile de Trente (1545-1563), en particulier sa réception en France, ranime le conflit entre roi et pape.
En effet, ses décrets heurtent les deux convictions principales des gallicans, à savoir que le pape est inférieur à l'Église réunie en concile œcuménique, et que le roi de France ne reconnaît ici-bas aucune juridiction supérieure. L'opposition est d'abord royale et parlementaire, alors que l'Église de France semble adopter les thèses romaines.
Sous Henri IV, des positions extrêmes apparaissent, et une véritable guerre de libelles et de pamphlets se déchaîne entre partisans et ennemis du gallicanisme.
Le plus célèbre controversiste est Pierre Pithou, dont le Recueil des libertés de l'Église gallicane (1594) reste la bible des gallicans jusqu'à la Révolution. Il fonde les droits du royaume sur le sacre royal et sur les bienfaits que l'Église doit à la monarchie française.
À sa suite, Edmond Richer, syndic de la faculté de théologie de la Sorbonne, soutient dans son Libellus (1611) que l'autorité législative de l'Église réside dans l'épiscopat, et dénie à l'Église toute autorité dans le domaine temporel. L'ouvrage conquiert les parlementaires, et les députés parisiens proposent, à l'occasion des états généraux réunis par Louis XIII en 1614, de proclamer les opinions de Richer lois fondamentales du royaume. Cependant, face à la résistance du clergé, auquel se rallie la noblesse, Louis XIII interdit au parlement de faire siennes les thèses de Richer ; plus encore, l'année suivante, l'assemblée du clergé de France reçoit pour son compte le concile de Trente.
3.3. La censure des libelles
En 1626, le conflit ressurgit lorsque la faculté de théologie de la Sorbonne censure des libelles ultramontains qui attaquent le roi Louis XIII, son ministre Richelieu et les gallicans. Le pouvoir veut profiter de la tenue de l'assemblée du clergé de France à Paris pour y associer toute l'Église nationale. Malgré l’hostilité d’une partie du clergé, l’intervention de Richelieu permet à l’assemblée d’approuver le texte suivant : « 1° pour quelque cause et occasion que se puisse être, il n'est permis de se rebeller et prendre les armes contre le roi ; 2° tous sujets sont tenus d'obéir au roi et personne ne peut les dispenser du serment de fidélité ; 3° le roi ne peut être déposé par quelque personne que ce soit. »
3.4. La Déclaration des Quatre articles (1682)
En 1673, le roi Louis XIV déclare tous les sièges du royaume sujets à la régale. Seuls deux évêques (d'Alet et de Pamiers, tous deux jansénistes) s’y opposent et reçoivent l’appui du pape Innocent XI.
Ainsi, paradoxalement, les évêques de France défendent le roi contre le pape, alors même que ce dernier cherche à sauvegarder les droits de l'épiscopat gallican.
Encouragé par ce succès, Louis XIV provoque la réunion d'une assemblée générale du clergé français d'où sort la Déclaration des Quatre articles rédigée par Bossuet (1682). Elle devient la charte du gallicanisme : le pouvoir des papes est purement spirituel ; les rois ne peuvent donc leur être soumis ; la puissance spirituelle du pape est limitée par les conciles généraux, et en France par les coutumes du royaume et de l'Église ; le pape a une « part principale » dans les questions de foi, mais son jugement n'est « irréformable » que s'il est confirmé par l'Église.
La Déclaration de 1682 prend une importance particulière du fait qu’un édit royal l'érige en loi, le 22 mars 1682.
Rome, par prudence, réagit fermement mais sans violence. Innocent XI condamne les décisions prises à propos de la régale et rédige un bref, proclamant la nullité de la Déclaration de 1682. Sous le pontificat d'Innocent XII (1691-1700), la pression des événements politiques (guerres contre l'Europe) amène Louis XIV à assouplir sa position et les évêques à se rétracter, au moins pour la forme.
Au xviiie siècle, le roi a besoin de l'autorité du pape dans sa lutte contre le jansénisme : le gallicanisme royal s'efface alors devant le gallicanisme parlementaire. Les conflits sont nombreux non seulement avec l'épiscopat, mais aussi avec le roi, du fait de la protection plus ou moins avouée apportée par le Parlement aux jansénistes. Les doctrines de Richer sont remises en honneur ; certains même, dépassant Richer, inclinent au « parochisme », sorte de démocratie cléricale.
3.5. Le gallicanisme révolutionnaire
La doctrine gallicane culmine avec la Constitution civile du clergé (1790), au moment de la Révolution, puis avec les articles organiques annexés, par la volonté de Napoléon Bonaparte, au Concordat de 1801 (→ le Concordat).
Pour en savoir plus, voir l'article Révolution française.
4. La fin du gallicanisme
Mais paradoxalement, en asservissant les libertés de l'Église de France à l'absolutisme gouvernemental, le Concordat de 1801 permet à la papauté de reprendre, sur le plan doctrinal et disciplinaire, le contrôle du clergé.
Au xixe siècle, le gallicanisme marque un net recul devant l'ultramontanisme ; le débat se clôt finalement après la proclamation du dogme de l'infaillibilité pontificale lors du premier concile du Vatican (1870). Le contrôle pontifical du clergé français est définitivement assuré avec la loi de la séparation de l'Église et de l'État (1905).